Contrairement à d’habitude, Sohyun met un certain temps à réaliser ce qui est en train de se passer. Elle a l’habitude de remarquer les choses rapidement, parfois d’interpréter un peu trop les signes justement et de se méprendre, mais là, elle est tellement obnubilée par sa colère qu’elle est plus lente que d’habitude. Elle comprend uniquement que quand les mots sont dits clairement, quand elle sent la chaleur de la main de Kyung Ho sur sa main, quand elle sent le coeur de son meilleur ami battre en résonance avec le sien, quand les doigts fins et longs de l’homme qu’elle aime se posent sur sa joue. Pendant un instant, son souffle est coupé, comme le flux de ses pensées. Ses deux yeux sont plongés dans ceux du sango et le silence gagne la pièce. « Tu… m’aimes ? » murmure t-elle d’une voix tremblante, incertaine, discrète. L’idée lui paraît absurde, improbable, mais il n’est pas du genre à plaisanter sur quelque chose comme ça. Elle n’a jamais songé que ce qu’elle ressentait était réciproque, elle avait été trop occupée à se reprocher de dépasser les limites de l’amitié.

Durant un instant, elle se contente de dévisager Kyung Ho sans rien dire, clignant des yeux comme si elle allait se réveiller d’un rêve saugrenu. Puis elle finit par comprendre que la situation est réelle et, alors, soudainement, toute la tension de son corps la quitte. Elle a l’impression qu’on vient de la soulager d’un poids immense et son corps l’exprime, elle ne se tient plus aussi droite et tendue ; ses épaules se détendent et elle pousse un soupir de soulagement. « Attends Kyung, ça fait beaucoup d’informations d’un coup pour moi, là. » répond-elle, désorientée mais incontestablement rassurée. Elle a oublié qu’elle était en colère il y a quelques minutes de ça. Pour l’instant, tout ce qu’elle sent, c’est la main de Kyung Ho dans la sienne et sur son pouce sur sa joue. Elle est à peu près certaine qu’il la déjà touchée de cette façon plein de fois, quand elle faisait une crise d’angoisse et qu’il la calmait, mais elle a l’impression de redécouvrir son meilleur ami.

Un peu trop troublée pour accepter tout ça d’un coup, elle dérobe sa main de celle de Kyung Ho et recule d’un pas pour mettre une légère distance entre eux. Ce n’est pas que c’est désagréable, plutôt que si elle ne fait pas ça, elle ne sera pas capable d’aligner ses pensées pour répondre au sérieux des inquiétudes et questions de l’étudiant. « Alors, déjà, si tu devais me perdre à cause de ton imbécillité, crois-moi que tu m’aurais perdu depuis longtemps. » annonce t-elle, très sérieusement. « Ce n’est pas comme si j’étais tombée amoureuse de toi en ignorant que tu peux te comporter comme le plus gros des imbéciles. C’est au contraire au moment où tu as agi comme ça que j’ai commencé à ressentir de nouvelles choses pour toi. Donc tu n’as pas à t’en faire vis-à-vis de ça, je dois avoir un côté masochiste chez moi. » Cette fois-ci, sa voix trahit une trace d’humour. « Cela dit, je n’ai pas envie de t’entendre dire que je mérite mieux. Je te rappelle que si tu n’avais pas été là, je serais une So Hyun terrorisée, cloîtrée dans sa chambre. Je n’aurais jamais eu le courage de retrouver ma place dans le monde social. Je suis devenue celle que je suis uniquement grâce à toi, donc je te dois ce que je suis. » corrige t-elle d’un air grave.

Contrairement à tout-à-l'heure, elle ne se sent pas particulièrement gênée. Elle ne rougit pas, elle n'est pas timide d'admettre et d'assumer comment elle ressent les choses. « Je suis d’accord qu’on est en train de dépasser une limite et que ça peut être dangereux. Sortir ensemble soulève des questions qu’on ne se pose pas en étant juste des meilleurs amis, et ça peut amener de nouveaux problèmes avec. Mais je pense qu’il ne nous reste pas d’autre possibilité de toute façon. Je ne vais pas pouvoir faire comme si on avait jamais eu cette discussion, comme si je ne t’aimais pas et comme si je ne savais pas que tu m’aimais. Et… je ne veux pas te perdre non plus, c’est vrai, mais je pense que ne t’avoir que comme un meilleur ami ne me satisfera pas entièrement non plus. J’ai besoin de toi en tant qu’homme, j’en suis certaine depuis un moment. T’avoir comme simple ami… c’est presque aussi douloureux que ne pas t’avoir. » avoue t-elle, en se mordant la lèvre face à cette confession. Difficile d’admettre qu’elle voit Kyung Ho entièrement comme un homme depuis plusieurs semaines, qu’elle ne peut plus se contenter de faire avec lui ce que font deux meilleurs amis.

Kyung Ho voyait bien que sa meilleure amie ne comprenait pas là où il voulait en venir. Si d’ordinaire, il était un véritable livre ouvert et qu’il n’avait pas forcément besoin d’exprimer explicitement ses sentiments, cette fois-ci, le footballeur devait le faire. Alors, il prit son courage à deux mains. Sa main trouva celle de So Hyun, la menant contre son cœur pour qu’elle le sente battre en unisson avec le sien. Il lui révéla l’aimer, lui aussi, et qu’il avait peur de la perdre. Parce qu’il était un imbécile, un sacré crétin qui faisait toujours tout à l’envers. Il l’avait démontré à plusieurs reprises ces derniers temps. Sa main se glissa délicatement contre la joue de la jeune femme, caressant de son pouce. Il l’avait fait à plusieurs reprises, ce n’était pas la première fois mais c’était différent. Tout était différent maintenant qu’ils s’étaient avoués s’aimer. « Oui, So Hyun, je t’aime. » Affirma-t-il avec un doux sourire, son regard ancré à celui de l’ancienne étudiante, sa main toujours contre son cœur.

Le garçon la fixait intensément, incapable de détacher ses yeux d’elle. Comment avait-il pu mettre autant de temps pour réaliser ? L’amour de sa vie était juste devant lui, devant son nez, depuis des années et il ne le voyait que maintenant. Puis, So Hyun se recula d’un pas, retirant sa main. Le géant se pinça les lèvres, un peu attristé qu’elle mette de la distance entre eux mais il resta silencieux, patientant, attendant sagement. Il laissa ses bras le long de son corps et la laissa parler. Dès qu’elle prit la parole, Kyung Ho esquissa un sourire. Elle marquait un point. Il avait été un véritable imbécile, depuis des années, et elle était toujours là, à ses côtés. Elle n’était jamais partie. Puis, le footballeur haussa un sourcil. C’était certain qu’elle était masochiste, surtout pour commencer à ressentir autre chose que de l’amitié à cause de ses bêtises. Même s’il mourrait d’envie de parler, le garçon se taisait et la laissait parler. S’il l’interrompait, elle perdrait le fil. Il se pinça les lèvres tandis qu’elle lui affirmait qu’elle n’avait pas envie de l’entendre lui dire qu’elle méritait mieux. Pourtant, c’était ce qu’il pensait. Il avait été un véritable imbécile avec elle, l’avait blessé à plusieurs reprises alors qu’il s’était juré de la protéger et de ne jamais lui faire de mal. « Sans toi, je ne sais pas ce que je serai devenu… » Souffla-t-il, lui faisant aussi comprendre qu’elle avait aussi beaucoup joué dans sa façon d’être à lui. Si elle n’avait pas été là pour lui remettre les pendules à l’heure quand il déconnait complètement, qui sait comment il aurait tourné ? Peut-être serait-il devenu un véritable connard s’il avait laissé sa haine prendre le dessus. Mais So Hyun, en restant à ses côtés, à continuer d’être près de lui, de le soutenir, avait balayé tout ça.

Les révélations de So Hyun le firent sourire. Il ressentait exactement la même chose et pour elle, il prendrait le risque. Se contenter d’être seulement son meilleur ami ne lui convenait pas, surtout au vu de sa réaction quand il s’était imaginé qu’elle sortait avec Hee Jun. Ils ne pouvaient pas continuer ainsi, ils ne pouvaient pas faire comme si cette conversation n’avait jamais existé. Elle existait et jamais Kyung Ho ne pourrait l’effacer. « Je ne peux pas non plus effacer tout ça de ma tête. » Dit-il en la regardant. « Ni jouer au bon copain. » Ajouta-t-il. « Je veux prendre le risque, So Hyun. Parce que je t’aime, parce que je veux être l’homme dont tu as besoin. » Dit-il alors que sa main vint de nouveau se poser sur la joue de la jeune femme. Il commença à se pencher lentement vers elle. « Tu m’as tout entier. » Murmura-t-il avant de joindre ses lèvres à celles de l’ancienne étudiante.

L’esprit de Sohyun est troublé. La discussion n’a pas du tout pris le tournant qu’elle avait prévu et le sujet engagé maintenant est tellement improbable qu’elle a besoin de prendre de la distance pour rester dans la réalité. Bien sûr, elle aurait pu rester près de Kyung Ho, sa main serrée par celle du jeune homme et son autre main sur son coeur, sa joue caressée par le pouce de celui qu’elle aime ; mais si elle avait fait ça, elle se serait allée dans les sentiments, dans l’instant présent, et n’aurais pas pu répondre quoi que ce soit d’autre que combien elle l’aime.
Mais ce n’est pas ce qu’elle devait faire : en tout cas, selon elle, l’instant n’est pas fait pour se laisser porter par ce qu’elle ressent mais pour donner une réponse sérieuse à la situation. Peut-être est-elle trop dramatique, mais elle connaît mieux que n’importe qui ses défauts. Sohyun est trop du genre à se laisser aller à ce qu’elle ressent sans peser les pour et les contre sérieusement et cette nature n’est pas bonne, surtout pour cette situation où il s’agit de s’engager, oui ou non, dans une relation avec son meilleur ami.

Les yeux plongés dans ceux de Kyung Ho, elle ne peut pas nier qu’elle suffoque, Sohyun, qu’elle meurt d’envie de laisser tomber cette façade sérieuse pour se jeter dans ses bras et crier qu’elle l’aimera pour toujours comme dans les contes de fée. Néanmoins, la vie est bien plus complexe qu’une histoire pour enfants et elle veut avant tout expliquer et argumenter sa décision et son point de vue sur l’histoire, elle veut qu’il comprenne.
Parce que ce qui lui fait plus peur que s’engager dans une relation sans y penser assez sérieusement, c’est que Kyung Ho s’engage sans y penser assez sérieusement.
Elle sait que jamais il ne voudrait lui faire du mal. Elle ne le prend pas pour un joueur qui lui dirait je t’aime avec légèreté. Mais elle ne contrôle pas sa peur de l’abandon.

Et pourtant ;
au moment où il se rapproche d’elle et où sa voix devient un murmure ;
au moment où ses lèvres viennent se poser délicatement sur les siennes ;
toutes ses inquiétudes s’envolent sans laisser de trace.
Si radicalement qu’elle se demande même comment elle a pu être aussi inquiète un jour.

Ce n’est pas la première fois que So Hyun embrasse quelqu’un, mais cette fois-ci, elle sait que c’est différent. Elle ne saurait pas dire pourquoi, c’est son instinct qui lui dicte. C’est aussi son instinct qui prend le dessus quand elle moue ses lèvres contre celles de son meilleur ami – non, petit ami – et quand elle passe ses mains autour de Kyung Ho pour qu’ils se rapprochent davantage. Ça y est, c’est trop tard. Elle a fait tout ce qu’elle pouvait pour lutter et rester sérieuse, mais elle se noie dans tout ce qu’elle ressent et plus rien n’importe. Le passé, le futur, ce qui peut arriver ou les risques qu’ils prennent pour leur relation, tout ça lui importe très peu maintenant. En tout cas, pour l’instant.