Depuis le jour où maman était partie ; qu’elle ne reviendrait jamais, papa a sombré dans l’alcool, il a tout lâché, il s’en prenait à mes frères et sœurs ainsi qu’à moi. Parce que sa colère et sa tristesse ne partiraient jamais. Puis j’en ai eu assez qu’il nous fasse du mal.

J’ai voulu prendre mon rôle de grand-frère protecteur un peu trop à cœur ; parce que mon père ne savait rien de ce qu’on ressentait nous. Il n’en avait rien à foutre. Il ne voyait que lui, il ne pensait qu’à lui, il extériorisait sa douleur en nous la faisant subir.

Combien de fois je suis allé à l’école avec un œil au beurre noir parce que je protégeais mes cadets, combien de fois j’ai dû mentir en disant que j’étais un gros maladroit de service ou que je m’étais pris dans une bagarre qui a mal tourné. Personne ne se souciait de rien, parce que personne n’en savait rien. Personne ne devait de toute manière savoir quelque chose.

Quand je suis arrivé au lycée, j’ai réussi à m’affirmer un peu plus, m’opposer un peu plus à lui, parce que j’avais encore un peu foi, qu’au fond, il pouvait redevenir ce qu’il était avant. Ce papa aimant ; ce papa câlin ; ce papa que je voyais tout le temps sourire quand il voyait maman. La désillusion fait mal. Il était déjà parti—et pour de bon.

J’ai toujours été très proche de mon petit frère et de ma petite sœur ; des faux jumeaux pour qui je pourrais prendre tous les risques du monde pour qu’ils ne subissent rien et qu’ils s’en sortent sans rien. Je suis leur bouclier, leur protecteur, leur grand-frère adoré.

Un soir où je rentrais plus tard que prévu parce que je voulais penser à autre chose qu’à tout ça, il a beuglé, il m’a menacé avec un couteau de cuisine, me demandant en hurlant où est-ce que j’étais, qu’est-ce que je faisais, pourquoi la bouffe était pas là, en me rappelant que c’était toujours lui qui dirigeait et qu’il était capable de faire bien pire que ça. Il puait l’alcool, le tabac, il était probablement plus ivre que la normale. Je m’en suis souvenu que quelques minutes plus tard—c’était aujourd’hui, il y a six ans, que maman était partie. Il a commencé à m’insulter de tous les noms d’oiseaux possibles et imaginables, me rabaissant, m’humiliant. J’avais beau essayer de garder mon self-control, ne pas y penser, il a fini par aller trop loin.

T’es qu’un bon à rien, ta mère aurait honte de t’avoir mis au monde en voyant ce que t’es !

Mon sang n’a fait qu’un tour, je me suis retourné, approché, mon poing est parti à la rencontre de son visage. Bouteille d’alcool qui vole, hurlements de douleur. Perte de contrôle, on en est venus aux mains tous les deux.

Il a essayé de m’étrangler à plusieurs reprises, je l’ai toujours fait reculer d’une manière ou d’une autre. Je l’ai poussé sur le balcon, et tout est allé si vite que je n’ai plus rien compris à ce qu’il se passait après. Il n’a fallu que quelques secondes de plus pour qu’il tombe dudit balcon ; du troisième étage.

Du sang sur les mains.
Une réalisation.
Des cris ;

Je ne sais plus, je ne veux plus—plus me souvenir de tout ça.

J’en ai eu assez.
Assez—
Assez !

J’ai tué mon père.
J'ai tué mon père.
J’ai tué mon père.
J’ai tué—
Tué.

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Je hurle.

J’ai encore fait un cauchemar à propos de ça. Pour ne pas changer de d’habitude, toujours les mêmes regrets, les mêmes actions, il n’y a rien qui change. Tout se déroule de la même manière.

Je me laisse aller moi-même, et je me remets à pleurer, pour une énième fois aujourd’hui. Comme si c’était pas suffisant que je le fasse matin, midi et soir.

Souviens-toi, Kwon ; si tu fais tout ça, c’est pour que ça n’arrive à personne d’autre.
Souviens-toi, Kwon ; tes mains seront toujours tâchées de sang.
Souviens-toi, Kwon ; personne ne sait.

Personne n’en saura jamais rien.