Il avait bien raison. Eun ne pouvait pas dire le contraire. Les esprits changeaient bien trop lentement pour son bonheur, mais la jeunesse était la seule capable de faire quelque chose pour ce qui avait été inculqué pendant des années, pour ne pas dire des générations, encore et encore. Eun avait envie de croire qu’un jour la société ouvrirait les yeux, et que chacun serait capable de faire ce qu’il voulait, avec qui il le voulait, sans avoir à subir les regards désobligeants, quand ça n’était pas pire. Il l’avait entendu un jour, en parlant avec quelques jeunes qu’il avait rencontré dans une association.

« Non, ma nourrice, je la vois plus… Ma mère… » Il avait froncé les sourcils. La question était assez complexe, en vérité. Était-il proche d’elle ? « Je dirais qu’on n’est pas si proches que ça, dans le fond ? Ça dépend des jours. » Et, surtout, des personnes qui se trouvaient dans les environs. Quand il fallait donner l’image de la petite famille parfaite, elle était toujours présente, enlevant à son fils ce sentiment de solitude qui le gagnait parfois. Il devenait spécial, unique. « Hm… » avait-il répondu à la question suivante, reposant son attention sur le verre vide qui se trouvait devant lui. Avait-il vraiment envie d’y répondre ? « Je sais pas… Je me trouve assez libre quand même ? »

« Pas vraiment, non… C’est la première fois que ça m’arrive. » avait-il dit en un haussement d’épaule. « Enfin, ça et quelques petites querelles, mais en général, c’est ma mère qui gère. » Ah, elle était si douée pour lui assurer la meilleure image. Lui, il restait un petit ange aux yeux des partenaires. Un ange dont elle assurait la réputation à chaque fois. » Je crois qu’elle fait tout ce qu’elle peut pour que les gens ne puissent pas m’atteindre. » Au point de parfois essayer de lui retourner les neurones pour l’éloigner de personnes qu’elle considérait comme ‘toxiques’. « Elle a pas trop de mal à cerner les mauvaises personnes, en général. » Ah, qu’il était naïf. « T’as fait des études, avant tout ça ? »

Junyong ne comprenait pas réellement le fait de confier ses enfants à quelqu’un d’autre. Pourquoi faire des enfants alors si ce n’était pas pour s’en occuper soi-même. Lui n’en voulait pas déjà parce qu’il était lui même un gamin mais aussi parce qu’il savait qu’il ne pourrait pas assumer le fait d’être père. Puis même en Corée du Sud, c’était encore mal vu l’homosexualité, alors, il n’allait pas tenter sa chance avec des enfants dont il ne voulait, pour le moment pas. Il regarda Eun, le fixant quelques instants avant de reprendre la parole. « Est-ce que ça te manque d’être proche d’une figure maternelle ? » Yong avait fait exprès de ne pas utiliser le terme de mère pour que le jeune homme en face de lui ne se sente pas piéger et soit obligé de parler de sa génitrice. Il pourrait ainsi parler de sa nourrice s’il en avait envie.

Le gamer continua de l’observer et nota qu’il ne semblait pas tellement sûr de ce qu’il avançait. « L’es-tu réellement ? » demanda-t-il, jugeant clairement sa relation avec sa mère. Seulement, il avait tellement vu et entendu parler des parents qui se faisaient de l’argent sur le dos de leurs enfants, que ça ne l’étonnerait même pas que ce soit malheureusement le cas. Junyong finit par lui demander s’il avait déjà eu des ennuis de la sorte. Parce qu’il fallait dire que ce n’était pas banal. Il écouta Eun parler à nouveau de sa mère et fronça les sourcils. Elle avait quand même l’air d’être assez présente dans la vie de son fils, sûrement trop même. « Elle gère quand même beaucoup de choses… Ça ne t’es jamais venu à l’esprit de gérer toi-même maintenant que tu es plus grand ? » Et qu’il était un adulte avec un libre arbitre qu’il lui semblait être remis en question par une mère bien trop castratrice.

« Quand j’ai fini mon lycée, je suis parti faire des études de gestion pour reprendre l’entreprise de mon père... » Une grimace déforma son visage alors qu’il répondait à la question de Eun. « Mais j’ai abandonné après une semaine je crois et mon père m’a envoyé faire mon service militaire… Puis quand je suis revenu il a voulu que je reprenne des études, mais au final je préfère jouer aux jeux vidéo. Je gagne plus que lui en deux ou trois jours que lui en un mois. » Un sourire s’afficha sur ses lèvres, mélange arrogant et en coin, tandis qu’il repensa à la tête de son père quand il avait découvert ce que son fils se faisait en jouant de sa chambre. « Et toi, tu étudies quoi ? A moins que tu ne sois que hand model... »

Parfois, Eun était acculé en réalisant à quel point sa mère avait été absente durant sa jeunesse. Sans cesse obligée de travailler, ou volontaire pour cela. Il ne le savait pas, en vérité. Qui était-elle, cette femme qui lui avait un jour donné naissance ? La question de Junyong était venue remuer le couteau qui demeurait dans cette plaie inconsciente, béante, alors qu’Eun cherchait une réponse. « Je sais pas trop. Pas vraiment ? » Mais qu’en savait-il, de l’amour d’une mère ? Ses nourrices l’aimaient parce qu’elles étaient payées pour cela. Sa mère l’aimait pour l’argent qu’il lui rapportait. C’était cette vérité odieuse que l’on cherchait à lui cacher depuis des années. Depuis le premier jour où son image avait été utilisée par cette génitrice égoïste et vénale.

« Hm… » Sur cette question, Eun s’était soudainement fermé. C’est comme si une part de lui-même connaissait la véritable réponse à cette question très juste. Comme si une autre part de lui-même cherchait à le protéger de cette même vérité, et le poussait à se refermer comme une huître quand il entendait la question qui aurait pu le pousser à la révéler. « Je sais pas trop comment on fait, du coup j’ai besoin d’elle. » Un besoin orchestré, planifié. S’ils lui avaient appris à gérer son affaire tout seul, quand aurait-il eu besoin d’eux, maintenant qu’il était devenu adulte ? Il valait mieux lui faire croire que les choses étaient complexes, impossibles pour lui. C’était plus confortable, et tellement profitable pour ceux.

« C’est vrai qu’ils ont du mal avec les nouvelles professions parfois. » Même le métier d’influenceur, parfois il se disait que ses parents ne comprenaient pas tout… Et si seulement il avait eu conscience de la réalité, à savoir que c’était tout l’inverse, il n’aurait pas dit ça avec autant de nonchalance. « J’étudie les langues étrangères appliquées. J’aimerais bien devenir, j’sais pas, traducteur ou professeur. Je me dis que ça peut être cool. » Puis, surtout, ça collait bien avec ce qu’il faisait actuellement. « T’as pris tes cours de gestion à la fac, du coup ? Paraît que c’est compliqué. »

En discutant avec le jeune homme, Junyong se rendait compte qu'ils avaient plus en commun qu'il ne l'aurait cru. Même s'il n'avait pas été élevé par une nourrice comme Eun, il n'était pas spécialement proche de sa mère. Non pas qu'elle ne l'ai pas aimé, du moins, il pensait qu'elle l'aimait, mais elle n'était pas démonstrative. Il ne comprenait donc que trop bien le fait qu'être proche d'une figure maternelle ne lui manque pas vraiment. Après tout, ils n'avaient jamais été proches de leurs génitrices respectives, alors c'était compliqué d'être en manque de quelque chose qu'on ne connaissait pas réellement.

Yong sourit légèrement désolé de la situation de Eun. Il changea même de sujet, mais cette fois-ci, il n'eut le droit qu'à une onomatopée. Le jeune homme ne semblait pas enclin à lui parler de tout ça. Le plus vieux pouvait le comprendre. Ce n'était pas facile de se rendre compte qu'on avait été manipulé et encore moins à cause de ses parents. Alors, il ne chercha pas plus loin sur cette voie, mais parla néanmoins du fait que Eun pouvait maintenant récupérer la main sur la gestion de son affaire. Apparemment ce n'était pas dans les plans et Junyong haussa les épaules. « Tout s'apprend... » répondit-il simplement, comprenant qu'il n'aurait rien de plus du jeune homme. Il n'allait pas insister. Il ne souhaitait pas lui parler de ça parce qu'il était encore trop sous l'emprise de sa mère, il pouvait le comprendre.

Ils finirent par parler de lui et de ce qu'il avait fait. Yong mentionna sa seule semaine de cours en fac et son service militaire. Il avait abandonné la faculté parce que ça ne l'intéressait pas et en revenant de son service il avait du se battre pour que ses parents le laissent faire ce qu'il voulait. Mais ça commençait malheureusement doucement à changer et ça ne lui plaisait pas. « Ce n'est pas assez gratifiant pour eux... Mais en attendant, on gagne plus qu'eux. » Enfin, il supposait que c'était aussi le cas de Eun. Lui gagnait bien plus que son père en quelques jours que lui en tout un mois. Mais bon, encore une fois, les anciennes générations avaient du mal à se faire au changement. Il écouta Eun répondre à ses questions et eut un sourire. « Ah ouais ça change de hand model... » Il était intelligent, il pouvait donc comprendre comment sa mère se comportait avec lui. À moins qu'il n'ait des œillères. « Oh tu sais, j'ai fait qu'une semaine...Je peux pas te dire si c'est compliqué ou non. » Il n'en savait rien du tout même. « Tout ce que je peux dire c'est que c'était pas intéressant... Et toi, ça t'intéresse au moins ce que tu fais ? »

Avait-il besoin d’elle, ou peur de se retrouver livré à lui-même ? Eun n’en savait rien. Les propos de Junyong étaient venus remuer une partie sombre de son esprit, qu’il essayait souvent d’ignorer. L’endroit où se cachaient les véritables ressentis qu’il éprouvait à l’égard de sa mère, de ses parents. À l’égard de la prison dorée dont il ne voyait plus les barreaux, tellement elle était proche de lui et le maintenait pris au piège.  « Faut que je me renseigne… » Eun avait pincé les lèvres et essayait d’ignorer une fois encore le sentiment désagréable qui lui serrait le cœur à cette pensée. L’idée que ses parents aient pu se servir de lui pendant des années était de celles qu’il évitait de regarder en face.

« C’est vrai… Enfin, ma mère gagne bien aussi, comme je dois la payer pour sa gestion. » Encore une fois, le dire de vive voix lui donna un sentiment étrange. Un sentiment qu’il aurait préféré ne pas éprouver… Pourtant, ne venait-il pas de rencontrer ce garçon par hasard ? C’était comme s’il parvenait, malgré lui, à réveiller chez lui des pensées fugaces qui lui rappelaient des choses qu’il ignorait habituellement avec brio. Il avait froncé les sourcils avant de reposer les yeux sur Junyong. « Ouais quand même. » La traduction, ça n’avait même rien à voir… « Ah oui, à ce point-là. Ça motive pas vraiment à s’y intéresser. » Il avait ri doucement. Puis il avait réfléchi à la question. « Hm… Je sais pas trop en vrai ? Enfin… Parfois je sais pas trop quoi en faire, mais je me dis que ça peut être sympa pour travailler avec les personnes qui me regardent ? » Il avait soupiré avant de reprendre la parole d’une voix mi-amusée, mi-inquiète. « C’est fou, j’ai l’impression que tu me fais remettre en question tout ma vie, là. » Mais il ne le faisait sûrement pas exprès. « Mais ça fait… Du bien ? Je sais pas comment dire. »

Il hocha la tête quand Eun lui dit qu’il allait se renseigner. Allait-il réellement le faire ? C'était quelque chose qu’il ne savait pas et surtout pour lequel, il ne pouvait pas l’aider. Tout ce que Junyong pouvait faire était de tenter de lui ouvrir les yeux sur les agissements de sa mère. Le souci étant qu’ils ne se connaissaient pas tant que ça. De ce fait, il n’avait probablement rien à dire sur le sujet. Alors, il passa sur autre chose, parlant néanmoins de ce qu’ils faisaient dans la vie. « Oui j’imagine qu’elle gagne bien sa vie. » Après tout, elle était multitâche. Ce n’était donc pas étonnant qu’elle ait plusieurs salaires. La question résidait dans le fait de savoir si elle se payait en conséquence de ce qu’elle fournissait ou si simplement, elle souhaitait simplement prendre le plus d’argent possible à son fils.

La conversation continua sur le peu d’études que Junyong avait faites. Il ne pouvait même pas dire si c’était compliqué ou non. Il n’y avait passé qu’une seule et unique semaine. Par contre, il pouvait totalement lui dire que ça ne l’avait pas intéressé le moins du monde. « Après ça ne m’intéressait pas, c’est pas pour autant que c’était le cas de tous les autres présents. Devait bien y avoir un mec ou une meuf qui adorait ce qu’ils entendaient… » Mais ça n’avait pas été le cas de Yong. En plus de ne pas avoir trouvé les cours intéressants, il s’était légèrement ennuyé. Il retourna la question à son acolyte de la soirée et ne fut pas réellement surpris d’entendre la réponse. Il sourit légèrement. « T’as pas l’air d’être quelqu’un qui remet beaucoup sa vie en question. C’est pas un reproche, mais j’ai plus le sentiment que tu fais les choses parce qu’elles te sont dictées… » Par sa mère sûrement. Junyong continua de le regarder, observant ses réactions et son comportement, espérant peut-être parvenir à lire dans ses pensées. « Est-ce que tu es heureux au moins dans ta vie ? Est-ce que tu fais des choses que tu aimes ? »

Cette conversation faisait doucement prendre conscience à Eun de la façon dont sa mère agissait à son égard, et surtout, du fait que cette manière de faire n’était pas nécessairement ce qu’il y avait de plus sain pour lui. Mais entre en avoir conscience et s’en offusquer, il y avait encore un monde, et cela n’était certainement pas pour aujourd’hui. Aujourd’hui, c’était de toute évidence le jour de cette rencontre fortuite que certains mentionnaient en plaisantant ; un « signe » que quelque chose devait arriver et qu’il avait besoin de changement. Eun préférait toujours se dire qu’il était responsable de son propre destin, mais parfois, la question se posait malgré tout.

« Oui j’imagine. » Il pouvait même très bien imaginer le genre de personnes que ça pouvait concerner. Quelqu’un qui était absolument fasciné par le sujet, qui réussissait toujours à obtenir les meilleures notes grâce à sa passion et son travail acharné… Ce genre d’image que beaucoup essayaient de vendre à tout un chacun, qui ensuite se retrouvait faussée également. Parfois, le monde des images et des faux-semblants était des plus violents.

La preuve que tout ce que Junyong venait de dire était vrai, elle arriva tout naturellement, quand Eun entendit cette phrase qu’il trouva si violente. Mais pourquoi l’était-elle, exactement ? Il se trouva sans voix pendant quelques secondes, incapable de répondre. Il resta silencieux pendant si longtemps, en vérité, que Junyong eut le temps de poser ses autres questions. « Bien sûr ? » Ne devait-il pas l’aimer, la vie qu’il menait ? Après tout, il avait la chance d’être né dans une famille qui avait de l’argent, beaucoup d’argent. Il pouvait voyager à l’œil, ou presque, profiter d’avantages dans tant de milieux de sa vie… Mais il avait raison, Junyong, de lui poser cette question.

Eun ne se l’était jamais posée de lui-même.

« Je n’ai pas envie d’avoir l’air ingrat… » Un aveu plus qu’une réponse, alors qu’il gardait les yeux posés sur Junyong. Finalement, ce regard tomba sur la table qui les séparait. « Je sais que beaucoup de gens voudraient avoir une vie comme la mienne. » Mais sans devoir payer le même prix que lui. Sans devoir être sans arrêt suivi par leurs parents, par des photographes, par des marques qui avaient besoin de lui uniquement pour son image et ce qu’il représentait. Ce qui heurtait le plus Eun à cet instant précis, c’était le fait qu’en quelques minutes, Junyong semblait l’avoir mieux compris que son propre entourage.

Junyong ne connaissait pas la vie de Eun, mais de ce qu’il lui décrivait, il se faisait une idée rapide de ce qui se passait. Sa mère semblait être le genre de personne à avoir un contrôle presque absolu sur son fils mais également sur ses finances, comme si elle avait peur de voir sa poule aux oeufs d’or lui échapper. Le jeune homme ne semblait pas avoir de personne autour de lui pour lui faire ouvrir les yeux. Ce n’était sûrement pas le travail de Yong, mais il ne pouvait pas le laisser dans cette situation alors qu’il voyait les choses d’un œil extérieur. Certes, il n’avait pas grand chose à dire parce qu’il était un inconnu mais surtout, même s’il disait ce qu’il pensait, ce n’était pas sûr que Eun accepte ses mots, les comprenne et les applique par la suite. Pourtant, Junyong continuait de lui dire ce qu’il avait en tête. Tant pis, si ce n’était pas à lui de le faire.

La conversation poursuivit ensuite son cours, venant sur la vie du plus vieux. Il lui parla du fait qu’il avait fait des études de gestion avant d’abandonner après un service militaire à la sortie du lycée. Son père avait insisté pour qu’il fasse ce cursus, mais ça ne l’avait pas intéressé. Mais comme il le mentionna à Eun, ce n’était pas parce que ça ne lui avait pas plu que d’autres personnes n’avaient pas aimé. Il n’avait pas la prétention de dire qu’il était le mieux placé pour dire ce qui était bien ou non pour les autres. Même s’il donnait son avis et qu’il recommença à le faire, posant des questions au jeune homme, des questions plus intrusives qu’il ne l’aurait voulu.

Junyong fronça les sourcils à cette réponse, sentant la question poindre légèrement dans ses mots. L’était-il réellement ? Il ne pensait pas que ce fût le cas. Il le laissa donc réfléchir sans intervenir avant qu’il ne reprenne la parole. Junyong haussa les épaules et lui sourit légèrement. « C’est pas être ingrat que de remettre sa vie en question et de se demander si on est heureux ou non, tu sais. » Ça faisait juste partie de la vie. C’était ainsi. « Beaucoup t’envierait oui, mais beaucoup fuirait aussi en comprenant comme tu vis. » Il haussa les épaules une nouvelle fois et reprit la parole, argumentant le fond de sa pensée. « Ce n’est pas parce que tu es né dans une famille privilégiée que tu peux te sentir heureux. Comme l’inverse n’est pas vrai aussi. Le bonheur ne se trouve pas dans l’argent que ta famille possède, mais dans ta richesse personnelle. » Junyong n’avait jamais été aussi philosophe depuis des années. Depuis qu’il avait parlé à sa soeur du fait de partir de l’entreprise familiale parce qu’elle n’aurait jamais ce qu’elle voulait. « Etre heureux, c’est subjectif et en fonction des personnes, ça peut changer. Mais en général, je dirai que c’est quand tu te sens libre de faire ce qu’il te plait, quand ça te plait. » Est-ce que c’était son cas ? Yong en doutait.

Il était toujours délicat d’avoir une personne pour venir vous dire ce qu’il se passait mal dans votre vie. Eun n’était pas étranger à cette difficulté. Il n’avait jamais apprécié le comportement de sa mère par rapport à lui, et s’il l’avait longtemps accepté et compris, il commençait, depuis quelques temps, à se poser quelques questions à ce sujet. Sa mère était-elle vraiment honnête envers lui ? Ne l’utilisait-elle pas à son avantage ? Il n’avait pas envie d’y croire, préférait se dire qu’il n’était pas dans une situation aussi négative qu’on pouvait le croire, et qu’il n’était pas non plus de ces gens qui vivaient comme des automates, contrôlés par une main située au-dessus de leur tête, loin de leur volonté et des choses qu’ils peuvent faire de leur propre gré.

Ingrat… C’était vraiment le mot qu’il aurait utilisé pour se qualifier, à cet instant. Mais d’un autre côté, les paroles de Junyong étaient terriblement justes. Pire encore, elles venaient faire vibrer dans son esprit des cordes bien trop sensibles, le remplissant d’une terreur qu’il n’avait jusqu’alors jamais imaginée. L’éventualité de ne pas être heureux, de ne pas avoir ce qu’il voulait. Il avait pincé les lèvres, essayant de donner sens à ce qu’il entendait. Sa richesse personnelle… Était-il heureux, avec tout ce qu’il avait ? Était-il heureux, quand chaque décision devait être réfléchie et que la véritable spontanéité ne se réservait qu’à certains moments bien identifiés ? Probablement pas.

« Alors… Peut-être pas vraiment ? » Sa voix avait soudainement perdu de son volume, elle qui était habituellement si claire et assurée. Eun avait posé les yeux sur la table, fronçant les sourcils, plus pour lui-même qu’envers Junyong. Et comme pour venir le ramener à la réalité, il avait vu le numéro de sa mère s’afficher sur le téléphone qu’il avait posé sur la table. Après l’avoir considéré quelques secondes, il avait retourné l’appareil pour qu’il se retrouve face à bois. « Tu ferais quoi, à ma place ? » Après tout, il avait l’air bien plus doué que lui pour prendre sa place… S’il avait des conseils, Eun était plus que preneur.

La conversation devenait bien trop profonde pour deux personnes qui venaient juste de se rencontrer et pourtant, Junyong sentait qu’elle était nécessaire pour que Eun prenne conscience des choses. Certes, il n’était personne pour lui, mais le voir dans cette situation, sans qu’il ne puisse réellement penser par lui-même, l’indignait un peu. Il avait dû lui aussi batailler pour faire ce qu’il voulait quand il le voulait et comprenait parfois que faire ce que ses parents voulaient de soi était une solution de facilité pour ne pas avoir de problèmes. Seulement, dans le cas de Eun, ce n’était même pas une question de facilité. Il ne savait même pas ce qu’il voulait pour lui-même parce qu’il n’y avait jamais réellement pensé. C’était donc ça le souci du jeune homme et Junyong tentait à sa façon, peut-être trop crûment, de lui faire ouvrir les yeux et surtout qu’il se mette à penser par lui-même et pour lui-même. Ce n’était pas chose aisée, mais il pensait qu’il pouvait y parvenir.

« Peut-être et pas vraiment sont deux choses complètement différentes. Si tu dis peut-être, c’est qu’au fond, tu es heureux dans une partie de ta vie… Pas vraiment, c’est qu’il n’y a rien qui. » Il allait continuer son analyse quand il vit le téléphone sonner et Eun le retourner. Yong fronça les sourcils se doutant que c’était sûrement la première fois qu’il faisait ce genre de chose. « A ta place ? Hmmm… » Il réfléchit quelques secondes, sondant son propre esprit pour savoir ce qu’il ferait s’il était dans la situation du plus jeune. Ce n’était pas évident parce qu’il ne l’était pas. Il pouvait simplement imaginer et faire des suppositions à partir de ce qu’il voyait et de ce que Eun renvoyait comme image. Après quelques secondes de silence, Junyong le brisa plantant son regard dans celui de sa rencontre fortuite. « Déjà, comment tu te sens d’avoir rejeté son appel ? » Si on pouvait appeler ça rejeter. Il n’avait simplement pas répondu, mais c’était un pas qu’il n’avait certainement jamais passé avant. « Sinon, j’essaierai de faire le point sur ma vie et je verrai en fonction de ce que je veux réellement faire si je veux que ma mère soit impliquée dedans… Je commencerai aussi à faire des choix pour moi-même. Et je reprendrai en main mes comptes. Tu devrais pouvoir être capable de savoir ce que tu as ect… » Est-ce que c’était des conseils qu’il avait envie d’entendre, pas sûr. Mais Yong le disait quand même.