LIWEI A 10 ANS

Les yeux rivés sur sa valise, un soupir s’échappa de ses lèvres d’enfant. Elle changeait encore de pays. Ce n’était pas la première fois que ça arrivait et ça ne serait certainement pas la dernière fois. Liwei ne faisait que ça depuis qu’elle était née. Elle vivait dans les valises, les vêtements se pliant et se dépliant à l’intérieur, inlassablement, comme la mélodie d’une musique ennuyeuse. Elle ne se souvenait pas être restée plus de deux ans au même endroit. Elle avait déjà vu plein de pays, notamment ceux de l’Asie de l’Est mais aussi en Océanie. Elle avait vécu en Inde, en Thaïlande, au Japon, en Corée du Sud, au Laos et d’autres pays dont elle ne se souvenait même pas. Ses parents déménageaient sans cesse parce qu’ils faisaient partie d’une association de protection de la faune et la flore de l’Asie de l’Est et ils étaient constamment sollicités sur place. Alors, la jeune fille les suivait sans dire un mot. Elle était bien trop petite pour dire quelque chose. Ce n’était pas de son âge et on lui dirait qu’elle était égoïste et qu’elle devait penser aux animaux et au boulot de ses parents. Alors, la petite fille que Liwei était se taisait et subissait tout ça sans un mot. Au fur et à mesure de ses voyages, elle avait décidé de se lier d’amitié avec le moins de monde possible. Après tout, si elle n’avait personne, ce ne serait pas douloureux de partir et de les laisser derrière elle. Ainsi, la chinoise n’avait pas d’amis et passait son temps à lire, apprendre des choses sur des sujets dont elle n’avait pas connaissance mais également, à s’occuper des animaux qu’elle trouvait dans la rue. Bien qu’ils soient la cause de ses déménagements réguliers, elle ne leur était pas hostile, au contraire. Liwei trouvait plus de réconfort à leur côté qu’avec des humains. Elle passait donc plus de temps avec des boules de poils toutes mignonnes qu’avec des gens qui auraient pu être ses amis. Très vite, la réputation d’être une « folle à animaux » se fit, et elle laissait les gens dire parce que ça ne l’atteignait pas. Elle était comme elle était et si ça ne convenait pas, ce n’était pas son problème. La jeune fille attrapa son doudou au moment où sa mère entra dans sa chambre pour lui demander si elle était prête. Hochant la tête, Liwei glissa ses doigts dans la main de sa mère et partit de cette chambre qui avait été la sienne pendant un an. Elle n’avait même pas eu le temps de s’habituer à sa vie au Vietnam qu’elle repartait déjà. Tant pis, elle ne serait jamais réellement chez elle nulle part.


LILI A 15 ANS

Lili lança un regard plein de colère à ses parents. Encore une fois ils gâchaient sa vie. Encore une fois, elle était le dommage collatéral de leur métier et de leurs vies à eux. Encore une fois, elle n’avait pas son mot à dire. Cependant, cette fois-ci, c’était trop pour son petit cœur. Après avoir quitté le Vietnam cinq ans plus tôt, ses parents avaient décidé de se poser en Australie où on avait besoin d’eux. Pendant cinq ans, elle avait réussi à se faire à cet endroit, bien qu’elle n’en aimât pas la langue et encore moins les animaux dangereux qui grouillaient sur l’île. Néanmoins, elle s’y était fait, et avait même ressenti une appartenance à cet endroit et maintenant elle devait encore une fois partir, encore une fois tout laissé et suivre aveuglément ses parents. Cette fois, Liwei avait refusé, hurlant contre ses parents parce qu’elle détestait cette idée. Ici, pour la première fois de sa vie, elle avait réussi à se faire des amis, à appartenir à un groupe. Elle s’était même ouverte au monde extérieur, ne se plongeant plus corps et âme dans la lecture des livres d’enseignement qui lui tombaient sous la main. La chinoise détestait l’idée de partir et de laisser tout ça derrière elle. Elle se battit contre ses parents, sans jamais réussir à leur faire changer d’avis. Ils avaient décidé qu’ils partiraient pour la Corée du Sud. Pourquoi ce pays à nouveau ? Parce que c’était là que se trouvait le siège social de leur association de défense des animaux, à Séoul précisément. N’ayant plus aucun argument, ni même droit de dire ce qu’elle pensait, Liwei s’était échappée de la maison, courant jusqu’à la plage, sa planche de surf à la main, après avoir mis sa combinaison. C’était dans l’eau, près de l’océan qu’elle se sentait la mieux. La jeune femme avait surfé pendant des heures, oubliant la fatigue que son corps lui faisait ressentir, oubliant ses soucis. Elle était bien, ici. L’Australie était chez elle. Mais ce n’était pas au goût de ses parents qui vinrent la chercher pour la forcer à rentrer et à faire ses valises. Lili n’avait pas décroché un mot à ses géniteurs pendant des jours, des semaines même. C’était sa façon de leur faire comprendre qu’elle n’était pas d’accord et elle leur faisait payer également.

LIWEI A 17 ANS

Deux ans s’étaient écoulés depuis que les Zhou avaient posé leurs bagages dans la capitale coréenne. Deux ans qui avaient énormément changé la vie de Liwei. Ses parents avaient fini par divorcer six mois après leur arrivée à Séoul. Le motif était qu’ils ne s’entendaient plus, mais au fond, Lili savait que c’était parce que son père avait souhaité respecter le choix de sa fille de ne plus voyager et changer de pays tant qu’elle n’aurait pas fini ses cours à la faculté. La jeune femme avait apprécié ce geste même si elle savait que ses parents n’étaient plus heureux ensemble depuis pas mal de temps. Ils s’appréciaient et ne voulaient pas le malheur de l’autre, mais ils n’étaient plus aussi amoureux qu’ils l’avaient été par le passé. Et maintenant, la chinoise regardait son père se remarier avec une femme qui lui avait rendu ce sourire qui avait manqué à sa vie pendant des années. Elle avait un fils, Hansol si les souvenirs de Liwei étaient bons, mais elle ne lui avait jamais parlé. Pourquoi faire ? Elle n’était pas à l’aise avec les autres, encore plus quand ils étaient plus jeunes. Puis, il semblait hostile à la présence de son père et elle auprès d’eux. Alors, elle n’avait pas essayé d’entrer dans sa vie et de le faire entrer dans la sienne. Ils n’étaient que deux inconnus vivants sous le même toit et mariant leurs parents. Lili ne savait pas si un jour elle pourrait s’entendre bien avec lui ou même lui parler. Elle n’en avait clairement pas envie pour le moment et ignorait totalement ce demi-frère qu’on lui avait donné. Elle n’en avait pas voulu et désespérait un jour de devoir le subir pendant de nombreuses années. Une larme roula sur sa joue tandis qu’elle observa son père heureux et souriant. Liwei se dit qu’un jour, elle aimerait bien trouver une personne qui fera battre son corps de cette façon mais également la fera sourire comme si elle avait devant elle, la plus belle personne au monde. Un jour ça arriverait, elle en était persuadée. Son prince charmant se pointerait devant elle.


LIWEI A 21 ANS (presque 22)

Bientôt sept ans qu’elle vivait en Corée du Sud. C’était du jamais vu pour la jeune femme, un nouveau record qu’elle avait inscrit sur un livre pour s’en rappeler. Seulement, elle vivait avec la peur de partir à nouveau. Elle n’avait connu que ça dans sa vie et c’était légèrement compliqué de se dire que son père tiendrait sa promesse. Maintenant, quand elle prenait sa valise c’était pour rejoindre sa mère dans le pays où elle avait élu domicile pour quelques mois. Elle était heureuse comme ça et ça faisait toujours sourire Liwei quand elle lui disait que son seul amour était les animaux. Ça l’avait toujours été et même si par le passé, la fille avait pu être blessée par les mots de sa mère, ce n’était plus le cas maintenant. Parce qu’elle avait pris le même chemin qu’elle, laissant son amour des animaux guider ses choix de carrière. Lili avait commencé des études en médecine vétérinaire et elle aidait son père dans le refuge qu’il avait créé il y a presque sept ans. Liwei était heureuse, autant que lorsqu’elle était en Australie. Enfin, si elle devait être honnête, elle l’était encore plus parce que la Corée du Sud était le pays qu’elle avait choisi pour terminer sa vie. Tous ces déménagements l’avaient vacciné des voyages et des terres inconnues. Cependant, elle s’était promis d’aller visiter plus en profondeur chaque pays où elle avait posé le pied. Parce qu’elle avait besoin de ça pour stimuler son cerveau avec les informations qu’elle emmagasinait et qu’elle n’oubliait jamais. Liwei était heureuse mais, parce qu’il y avait toujours une ombre au tableau, elle n’était toujours pas proche de ce demi-frère que son père lui avait donné en se mariant à sa mère quatre ans plus tôt. Ils se saluaient de la tête et c’était tout. Il n’y avait rien de plus et leurs parents désespéraient que ce soit le cas un jour.