arrêtez-vous là s’il vous plaît.

le chauffeur semble ne rien comprendre, comme si la logique s’était enfuie de son esprit au moment où j’ai décidé de lever la voix. nos regards se croisent dans le rétroviseur du van noir et finalement, il acquiesce et se gare sur le côté. a la fenêtre, j’aperçois déjà lucky, un berger australien de quelques années arriver avec rapidité, sortant du jardin de la petite maison traditionnelle coréenne. j’esquisse un sourire et sors du véhicule, toujours avec classe et dignité. mais ici, je me sens moins traquée, moins épiée. je me sens plus libre de mes mouvements, même si ma mère est présente. qui va me forcer à être quelqu’un que je ne suis pas ici ? je frotte mon chino avec énergie. pas toi, en tout cas, ai-je dit simplement en posant des yeux doux sur le berger qui remuait la queue et me tournait autour. après lui avoir donné quelques caresses, je me redresse. lorsque je reviens à la maison, je suis toujours partagée par des sentiments différents, comme l’impatience, la joie mais aussi l’interrogation, la nostalgie. lucky me montre le chemin vers l’entrée et je le suis avec confiance. je passe le porche et rentre dans la petite cour centrale. on pourrait croire qu’il s’agit d’un lieu de tournage d’un drama historique, mais il n’en est rien. mes parents vivaient dans plus vétuste que ça, mais depuis que je leur ai donné de quoi faire quelques travaux, je n’entends plus ma mère se plaindre que les murs sont humides comme le marécage d’à côté. en parlant du loup.. il sort tout juste de sa tanière. elle arrive, ses cheveux blonds virevoltant le long de ses épaules. ma fille chérie. je lève les yeux au ciel et elle croise les bras sur sa poitrine, consternée. j’aimerais bien savoir le pourquoi du comment de cette réaction. je secoue ma tête et regarde autour de moi pour ne pas trop lui porter d’attention. t’as encore refait ton blond ? tu vas finir par perdre tes cheveux à force. indifférente à ce que je viens de lui dire, elle passe une main dans sa chevelure faussement dorée. mes yeux l’analyse de haut en bas. elle contraste énormément avec la sincérité de l’endroit. il n’y a pas une seule chose chez elle qui soit vrai à présent. je leur fais des soins tous les jours. c’est ton ancien coiffeur qui me l’a conseillé… comment s’appelait-il déjà ? il était si étrange et toujours dans son coin, heureusement que je l’ai renvoyé. et voilà, elle recommence. il était simplement original, c’était un artiste. je la fusille du regard pendant qu’elle continue son numéro de diva et je finis par baisser le regard légèrement. je sais que je lui ressemble. je sais que je suis comme elle. c’est aussi ce qu’elle a toujours voulu, et ça a plutôt bien fonctionné. je relève la tête. bref. où est papa ? ai-je demandé d’un ton aussi froid que la température actuelle du groenland. offusquée que je ne continue pas à lui porter de l’intérêt, elle rejoue avec ses cheveux, faisant virevolter en l’air ses doigts parfaitement manucurés. oh, encore dans ses plantes à la noix. je ne m’en occupe pas trop. et c’est bien triste, quand on sait que tu as appelé ta seule fille rose. je la laisse plantée dans la cour et m’en vais en direction du jardin, lui faisant un simple geste de la main. je vais le rejoindre dans « ses plantes à la noix », salut. je l’entends encore s’emporter dans mon dos mais je n’y prête pas un regard.

en chemin, je reçois un message de shen pendant que lucky me suit toujours à la trace. je serai un peu en retard mademoiselle l’épine. vous ne m’en voulez pas trop ? vais-je encore pouvoir regarder la perle noire du pays dans les yeux ? quel imbécile. s’il avait été là, il ne l’aurait pas volé. shen est producteur de drama et de films, il commence à se faire un nom dans le secteur. s’il a le physique qu’il faut pour être mannequin, il a préféré se retrouver derrière la caméra, et sans aucun doute qu’il s’en sort plus que bien. lorsque j’ai commencé mon ascension vers le succès et la popularité, il a réalisé que ses études ne lui plaisaient pas plus que ça, alors il a bifurqué. je l’avoue beaucoup moins facilement maintenant, mais shen est mon talon d’achille, la faiblesse que je n’ose avouer. si vous le touchez, vous me toucherez moi, pourtant imperturbable à toutes les autres choses qui m’entoure. et puis, il est toujours là quand j’en ai besoin. même si j’aime, 90 % du temps, m’en sortir seule, indépendante.

je sors du temple et me dirige avec maladresse vers la serre de mon père. au loin, je distingue vaguement sa silhouette, qui ne m’a pas encore remarqué. j’enlève rapidement mes escarpins que je ne quitte jamais et enfile des petites bottes pour ne pas m’enfoncer comme une citadine dans la terre molle du jardin meng. je m’approche dans son dos et m’agenouille pour chuchoter à son oreille. bonjour papa. il se retourne et son sourire illumine le mien. ma petite princesse. lui et shen m’appelle toujours ainsi. je les rends fiers, tout comme ma mère j’imagine, mais être ici.. papa ne se rend pas compte à quel point je respire littéralement la bouffée d’air frais à plein poumons. il me montre les nouvelles roses qu’il a fait pousser un peu plus loin dans le jardin et je plonge mon nez à l’intérieur de celles-ci. elles sentent bon. ses yeux se plissent de douceur. comme toi. c’est bien pour ça que ce sont des roses, elles tiennent de toi. je le serre dans mes bras et j’enfouis ma tête dans son épaule. merci, de ne pas me faire de réflexion. il serre mon étreinte.

au-dehors tu peux être qui tu veux, tant que ton vrai toi rentre à la maison.