'atmosphère était trop sérieuse, l'atmosphère était trop pressante. Jiyool n'était pas à l'aise dans cette petite pièce, l'air remplie de non-dits, d'incompréhension et de questions sans réponses. Et elle était à peu près sûre que Wooyoung sentait l'énergie négative qui émanait d'elle, comme un parfum lourd qui laissait transparaître son inquiétude. Les choses s'accélèraient entre eux, l'éditrice le sentait. Involontairement, uniquement parce que leur malchance avait provoqué le destin avec cruauté. Rien de tout cela n'aurait dû se produire. Pourtant, le cuisinier et elle étaient bel et bien présents dans cette petite salle de pause. Et Jiyool ne pouvait pas lutter contre cette vague d'émotions, celles qu'elle avait enfoui si longtemps dans sa fuite et dans les mensonges qu'elle s'obligeait à croire. Non, elle ne parviendrait pas à éviter Wooyoung jusqu'à la fin des temps. Non, elle ne parviendrait pas à oublier Wooyoung avec le temps. Pas sans réponse à ce jeu de séduction qu'il avait joué avec elle. Pas sans point final à leur attirance mutuelle. Cet instant hors du temps, ce face-à-face presque douloureux était le moment imparfait pour partager ce flux d'interrogations qui tourmentait son cœur. Alors Jiyool effaça avec hésitation son aspect professionnel – qui lui tenait pourtant tant à cœur entre ses murs – pour jouer cartes sur table et affronter les vérités si attendues. Elle ne souhaitait que comprendre, ce qui lui arrivait, ce qui arrivait à Wooyoung et surtout, ce qui leur arrivait à tous les deux, ensemble. Dans l'afflux de questions, la jeune femme se noya peu à peu – dans les yeux intenses de son aîné, dans son anxiété étouffante, dans cette confusion désespérante. Bientôt, elle brisa l'échange de regards avec le cuisinier, l'excitation trop grande qu'ils provoquaient finirait par faire éclater sa poitrine, puis elle trouva le moyen de relâcher la pression en mordillant mécaniquement sa lèvre inférieure si souvent torturée. Erreur. Ses pupilles se dilatèrent rapidement lorsque le visage harmonieux de Wooyoung se retrouva à quelques centimètres du sien. Son cœur rata un battement et ses lèvres, à présent entrouvertes, lâchèrent un couinement de surprise. Figée, à écouter les sommations prononcées à demi-mots. Surprise, par la soudaine proximité. Rien n'empêchait pourtant Jiyool de partager les tourments qui cohabitaient depuis des mois dans son esprit, forçant le plus âgé à lui donner les réponses qu'elle attendait tant. Sa poitrine se serrait à chaque réponse, à chaque geste, tiraillée entre l'envie de se laisser aller et l'envie de se protéger d'un futur basé sur une équation à trop d'inconnus. Peu importe combien ces paroles lui faisaient plaisir, elle n'y voyait pourtant aucune solution. « Tu rends ça si simple… Alors que tout est si compliqué… » souffla-t-elle à son tour contre les lèvres de son aîné. La tentation était si intense, si irrésistible – il lui fallait pourtant résister. Ne pas céder à ce nouveau jeu trop dangereux, qui la plongerait dans un niveau supérieur de son erreur de débutante. Peu importait combien elle avait envie de caresser ces lèvres des siennes, Jiyool n'était pas prête à assumer la tournure que les choses prendraient avec ce simple contact. Mais les promesses, qui fleurissaient dans la gorge du plus vieux, nourrissaient une flamme silencieuse mais intarissable. Ses paupières se fermaient un instant, comme pour chercher le courage de livrer les mots qui mourraient contre son palais. Elle soupire faiblement avant retrouver les pupilles brûlantes de Wooyoung. « Je n’ai pas envie de te fuir non plus, j’ai tout sauf envie de t’oublier au fond… » avoua-t-elle d'une voix torturée, un murmure confié dans cette petite bulle de chaleur qui se formait autour d'eux. Un secret, un rêve qui ne devait pas se réaliser – pas dans ces conditions trop bancales. Jiyool n'avait plus envie d'être une lubie incontrôlable, elle voulait qu'on s'attache à elle, qu'on l'aime pour ce qu'elle était mais pas pour ce qu'elle avait à offrir. Peut-être avait-elle accepté trop de choses dans le passé, peut-être avait-elle besoin cette fois qu'on lui donne au lieu de prendre. « Mais il y a mes envies, nos envies… Et il y a la réalité. ». Une vérité blessante mais oh combien justifiée. Cet épiderme chaud contre le sien peut l'envouter tant qu'il veut, elle n'a pas la chance de pouvoir y céder. « Peu importe combien j’ai envie de me laisser transporter par l’attirance que j’ai pour toi, l’affection que j’ai pour toi… ». Ce regard dans le sien peut l'ensorceler avec tous les sorts de l'univers, elle n'a pas le luxe de pouvoir s'y noyer à sa guise. « Peu importe combien j’ai envie de t’embrasser… ». Ses doigts s'entremêlèrent avec ceux de son aîné contre sa propre mâchoire ; une caresse involontaire contre cet annuaire vide de toute trace d'appartenance et pourtant, la réalité était autre. Jiyool était bien placée pour le savoir, rien n'était fini tant qu'on avait pas placé un point à la fin de chaque phrase de notre histoire. Et celle de Wooyoung et sa femme n'était pas encore prête pour les archives, innachevée, incomplête, un chapitre final laissé en suspent. Mais peut-être qu'un baiser sur ces lèvres rosées, si envoûtantes… Peut-être qu'un simple baiser sur ces lèvres qui semblaient si douces… Peut-être qu'un simple baiser aiderait Wooyoung à écrire à l'encre indélébile les derniers mots de son roman avec Bora. Inconsciemment, la visage de la jeune femme s'approchait au fur-et-à-mesure que ces pensées se percutaient dans sa tête. Elle était si près, quelques millimètres à peine d'un baiser qui pouvait casser sa perte. Jiyool, l’antenne reprend dans cinq minutes. Vous êtes prêts ? L'éditrice sursauta, s'écartant brusquement au moment où la voix de sa collègue s'éleva à l'extérieur accompagnée d'une petit coup contre le bois de la porte. Clignant des paupières rapidement, Jiyool essaya de se remettre de ses émotions ; elle était à rien d'embrasser Wooyoung. Son souffle était halentant alors qu'elle réalisait peu à peu l'erreur qu'elle avait failli faire. « Oui ! On arrive ! » cria-t-il finalement en se détournant un moment de l'emprise que l'homme avait sur elle. La plus jeune baissa les yeux vers la personne de tous ses tourments, sans pour autant rompre la nouvelle distance apparue entre eux. Un soupir lui échappa ; la conversation n'était probablement pas finie, mais il fallait pourtant la conclure. Sa main passa sur son visage puis se perdit dans ses cheveux, un soupir lui échappa. « Cela ne change rien au fait que tu es légalement marié… » reprit-elle d'une voix traînante, lorsqu'elle s'efforçait d'afficher un petit sourire. Ces mots étaient si difficiles à prononcer, c'était comme trouver la solution à un problème qu'au fond on ne souhaitait pas vraiment résoudre. Poser une condition sur quelque chose de toute façon impossible. Jiyool hésita un moment avant de finalement approcher son visage de l'homme. Un baiser éphémère, léger et doux comme une plume, se déposa contre la joue du cuisinier. La peau de l'éditrice frisonna violemment avant qu'elle ne se force à s'éloigner de ces grands yeux noirs qui réveillaient le diable en elle. D'un geste brusque, la jeune femme se leva gommant définitivement tout touché possible entre Wooyoung et elle. « Allons-y. Ne t’en fais pas, je ne poserai que des questions d’ordre professionnel. Alors faisons en sorte que cela se déroule le plus sereinement possible. ». Ses paumes passèrent sur son visage, effaçant toute trace de cette conversation, toute trace de sa détresse intérieure, alors qu'elle se concentrait sur cette respiration saccadée – anormale – qui continuait d'emplir nerveusement ses poumons. La porte de la salle s'ouvrit sous la main moite de Jiyool, anéantissant pour de bon ce cocon d'intimité, cristallin, si fragile.