Dès qu’elle a su un minimum réfléchir, Min Ju s’est toujours demandée si elle avait été une enfant désirée. Si son père, bien que peu présent à la maison à cause de son travail d’infirmier, a toujours été très chaleureux et paternel, sa mère à l’inverse ne l’a jamais vraiment été. Pourtant, quand elle partit un beau jour, quittant sa vie du jour au lendemain sans explication et sans jamais chercher à savoir comment elle reverrait son enfant un jour, la petite fille de 6 ans a eu mal. Elle s’est sentie abandonnée, une première fois.

À l’école, ça a été vite compliqué pour l’enfant. Non pas scolairement, car elle s’en sortait plutôt bien, mais socialement. Sa mère partie, les parents des autres enfants parlaient entre eux et les enfants tendaient l’oreille, répétant tout ce qu’ils savaient dans la cour de la récréation. « Ta mère elle t’aime pas ! », « t’es une bâtarde ! » et autre joyeusetés étaient son quotidien, mais elle n’en parlait jamais à son père pour ne pas l’attrister. Le pauvre avait du mal à joindre les deux bouts et étaient toujours très fatigué après son travail. Alors il a commencé à boire, une bouteille le soir. Puis deux, puis trois, puis le pack complet, se laissant aller dans son propre monde, oubliant ses soucis, laissant la jeune fille avec son quotidien. Intérieurement, quelque chose s’est brisé, un abandon de nouveau, on la laissait seule face au monde. Et le monde n’était pas gentil.

Le collège. Ça n’avait pas si mal commencé, ça avait même plutôt bien marché au départ. En arrivant, elle avait fait la connaissance, dès le premier jour, d’une nouvelle élève transférée à cause d’un déménagement en ville récent. Elles avaient sympathisé et Min Ju n’en était pas revenue : sa première amie. Enfin une personne qui ne la jugeait pas et se fichait des bruits de couloirs. Elle vivait enfin une année scolaire à peu près tranquille, ne mangeait plus seule au self et n’était plus désignée d’office à quelqu’un pour un exposé. La deuxième fut semblable, bien que sur la fin d’année, elle avait l’impression que son amie, devenue sa meilleure amie, soit plus distante. Mais elle savait que les vacances arrivaient et qu’elles allaient pouvoir s’aérer l’esprit ensemble. Pourtant, elle n’eut aucune nouvelles durant les grandes vacances et Min Ju lui trouva d’elle-même l’excuse d’être partie en voyage sans avoir pensé à le lui dire. À la rentrée, la désillusion se brisa à l’instant même où elle s’était dirigée vers sa meilleure amie pour la saluer et qu’elle l’avait tout bonnement ignoré pour rejoindre un groupe de filles qui la harcelaient régulièrement depuis quelques années. Si elle avait pu croire à une erreur jusque-là, son cœur se brisa en mille morceaux au moment où son ex-meilleure amie participa à son premier harcèlement de l’année scolaire quelques minutes après. Encore une fois on l’abandonnait, sans qu’elle ne comprenne pourquoi.

La tristesse et la colère avaient été si terrible ce jour-là qu’elle s’était finalement retrouvé à fuguer de l’école, durant un cours de sport où on s’en était pris à elle, de nouveau. Elle avait couru, longtemps, jusqu’à se retrouver près d’une voie ferrée. Elle avait hurlé de rage, pleuré de douleurs, ne comprenant pas pourquoi tous ceux qui l’approchaient finissaient par se retourner contre elle, par l’abandonner. Elle était donc une personne si mauvaise ? Si personne n’avait besoin d’elle, qu’on ne se souciait pas de ce qu’elle pouvait devenir, alors pourquoi rester sur cette Terre ? Et son regard dévia sur la voie ferrée, le bruit d’un train au loin. Ce serait si facile, si simple et si rapide. Plus de douleur, plus rien. Pourtant, elle ne fit jamais le pas de trop, elle regarda simplement le train passé, les larmes roulant sur ses joues et rentra chez elle. Son père avait été prévenu par l’école et elle avait dû s’expliquer. Elle avait fait l’impasse sur beaucoup de choses, mais son père avait finalement pris la décision de déménager, aussi bien pour elle que pour avoir plus d’opportunités de travail. Alors ils déménagèrent à Séoul.

L’harcèlement ne fut jamais plus aussi fort, tout comme les insultes, mais son attitude solitaire et morne n’aidait pas les autres à avoir envie d’aller vers elle. Mais tant qu’on ne l’embêtait pas, cela lui convenait, elle restait dans son coin. Elle avait l’habitude d’être seule et préféra se plonger dans les études plutôt que les sorties entre amis. Ses très bons résultats scolaires lui permirent d’avoir une bourse d’étude, intégrant ainsi une grande faculté. Dernièrement, elle venait de commencer un petit job étudiant au sein d’une grande librairie afin d’aider financièrement. Son père avait été formellement contre, mais elle ne lui avait pas laissé le choix et l’avait simplement mis devant le fait accompli. Un peu d’argent supplémentaire ne leur ferait pas de mal. Surtout qu’une grosse somme partait chaque jour dans la boisson et Min Ju ne pouvait rien faire d’autre que de voir son père sombrer de son côté.