Une façon pour Seola de tromper l’ennui, ou plus exactement fuir l’atmosphère parfois étrange régnant chez elle, c’est de se rendre chez Théo, son neveu qui, loin d’être à l’image que certain de ses amis se font quand elle l’évoque, soit un petit môme à la morve dégoulinante, fait plus d’une bonne tête de plus qu’elle. Elle l’a remarqué, c’est son sésame. À la question posée anxieusement par sa mère, « tu sors souvent, tu ne te sens pas bien ici ? », quand elle joue la carte de la famille, son visage s’illumine et le soulagement se lit immédiatement sur ses traits, « passe une bonne journée alors ». Dans ses moments, elle se sent fautive mais au final, elle sait que c’est pour son bien, leur bien, qu’elle se permet de prendre le large… et finir devant la porter du fameux neveu, les bras chargés.

Elle sonne à la porte une fois, deux fois, avant d’utiliser le poing par simple impatience. « Livraison de sushi pour Monsieur Ryeo Théo » cria-t-elle, sourire aux lèvres. Un mensonge ? Juste à moitié, dans la mesure où à défaut de porter des préparations toutes faites, elle avait acheté les ingrédients pour faire des sushi et maki, et dans le doute que son palet préférait des plats plus occidentaux, elle avait également acheté de quoi préparer des burgers. Et parce qu’elle savait qu’à la place de l’estomac, il disposait d’un trou noir, par précaution, elle avait pris du stock.  « Théo, t’es oùùù ? », c'est pas comme si elle ne s'impatientait pas de le retrouver, mais un peu... Elle serait ravie de voir sa giraffe préférée, et davantage s'il pouvait la soulager de son présent fardeau.

Ses yeux rivés sur l'écran de son ordinateur, le jeune homme s'arrache les cheveux, un par un, avec le montage de ce qui doit constituer sa prochaine vidéo. Les heures défilent et il n'atteint pas la perfection fixée par ses propres soins. Il a conscience qu'une pause serait nécessaire pour renouveler sa créativité mais également pour reprendre son sang froid. Son estomac crie famine depuis une bonne demi-heure mais son casque camouffle tous les bruits nuisibles. Or, son ventre finit par montrer son mécontentement avec plus d'affirmation. C'est ainsi que le sud-coréen décide de poser son matériel sur son bureau. Il est contrarié et lâche un profond soupir. Lui qui est d'un naturel optimiste, on pourrait presque en douter vu le comportement qu'il adopte. Il aimerait atteindre cet objectif. Si le jeune homme ne se fixe pas de dead-line pour publier ses vidéos, Théo aime pouvoir faire les choses sereinement et pouvoir s'exprimer à sa guise sur n'importe quel support. Un montage vidéo doit être fait correctement pour donner un ton à son récit sans pour autant le reléguer au second plan. C'est un équilibre à trouver et ce n'est pas simple. Il décide ensuite de quitter son siège et de se diriger vers le frigo pour se changer les idées. Quelque chose de rapide à cuisiner ne serait pas de refus. Mais, l'étudiant se retrouve surpris par deux coups de sonnette. Des sushi ? S'il est un peu désespéré de voir sa tante arriver, il est tout de même content de savoir qu'elle ne vient pas les mains vides. C'est la moindre des choses. Et puis, quel excellent timing. A croire qu'elle a mis une caméra espionne dans son appartement. Creepy. Il se dirige vers la porte d'entrée et jette un coup d'oeil dans le judas pour vérifier si Seola a bien les sushi en mains. Sait-on jamais. Cela pourrait remettre en question son envie de la faire entrer. Par chance, la demoiselle ne semble pas mentir. Théo ouvre donc légèrement la porte. " Salut. Je savais pas que tu comptais venir. " Son regard se pose sur ses bras chargés. " Laisse-moi te débarrasser. " Il ne fait pas prier pour récupérer l'objet de ses désirs avant de lui fermer directement la porte au nez, fier de lui. Malheureusement, son regard s'assombrit quand il voit les composants du sushi séparés les uns des autres. Il réouvre la porte. " C'est quoi cette livraison à deux balles ? "

Un décompte silencieux résonne dans sa tête pour savoir si elle doit à nouveau frapper à la porte de son neveu, mais elle n’a pas besoin d’attendre longtemps pour que la porte s’ouvre légèrement. Un sourire instantané étire ses lèvres rosées, elle est contente de le voir. « Coucou Théo ! Euh, je t’avoue que je ne sais plus ? La dernière fois oui, mais aujourd’hui… j’imagine que non puisque si je n’en ai pas le souvenir et que toi non plus ! », sa venue dans ses lieux était spontanée, sur un coup de tête elle s’est retrouvée à pousser un chariot, payer les courses et prendre la direction du penthouse de sa girafe franco-coréenne. Il la décharge de ses sacs, pour autant, elle n’a pas le temps d’entrer que la porte se claque devant elle et qu’elle se cogne légèrement le front. Elle pousse un râle, de surprise, le maudissant de tous les noms.

C’est ainsi, les bras croisés sur la poitrine, le regard noir, qu’il la retrouve en rouvrant la porte. Cette fois, elle glisse son pied pour l’empêcher de refermer à nouveau la porte au nez. « J’apporte simplement la matière première, pour que toi, tu puisses les utiliser et faire les plats » rétorque-t-elle avant de forcer l’entrée de la porte, ou du moins, elle passe sous son bras pour se faufiler à l’intérieur « t’as cru que le pêcheur préparait le poisson ? ». Se déchaussant aussi vite qu’elle le pouvait pour pas être reconduite immédiatement à la porte, balançant son sac sur le canapé et accrochant sa veste sur le porte-manteau, elle ajoute sur un ton plus enjoué, « le thème de cette visite est…. De renforcer nos liens par la cuisine – et je crois qu’il y a du boulot à faire. »

Théo ne déteste pas les visites surprises mais il ne peut pas assurer ces proches d'être toujours présent à son appartement. Il est donc préférable de l'avertir afin d'éviter de faire un détour inutile, ce qui peut être monnaie courante. Le jeune homme traîne à droite et à gauche pour respecter un programme ou tout simplement sous un coup de tête. Sa tante a donc pris un risque en débarquant à l'improviste. Qui sait ? Il aurait également pu recevoir des amis ou une jolie demoiselle. Pour autant, il ne rejettera pas sa présence bien que son comportement laisse penser le contraire. En effet, cet ingrat se joue d'elle en récupérant les articles sans lui donner la possibilité d'accéder à son logement. Il affiche un sourire et pose sa main sur sa tête. " Le pécheur, je suis d'accord. Mais toi ? " Il lui fait un clin d'oeil et reprend la parole. " C'était juste pour te taquiner. Désolé. Blague de mauvais goût. " Théo la regarde prendre ses aises tandis qu'il s'abstient de pousser un soupir frustré. Disons que sa visite ne va pas lui permettre de reprendre le montage de sa vidéo. Celle-ci ne sera pas donc terminée avant une bonne nuit de sommeil sauf si Seola décidé de lui prêter main forte. Si l'étudiant accepte de demander de l'aide, il aime également être en mesure de réaliser ses projets du début jusqu'à la fin. Il décide de se diriger vers la cuisine et met les produits au frais. " Je te souhaite bien du courage. J'espère que je serais plus compétent en commis de cuisine qu'au montage vidéo. C'est l'enfer aujourd'hui. " Puis, un sourire amusé prend possession de ses lèvres. " C'est toi la cheffe de l'opération, tata ? "

À sa remarque elle plisse des yeux, gardant cette expression jusqu’à ce qu’il lui fasse un clin d’œil et qu’elle retrouve le sourire – sourire nullement forcé. Elle savait qu’elle avait pris un pari dangereux à arriver ainsi à l’improviste car son neveu pouvait ne pas être présent, tout comme il pouvait recevoir déjà du monde, mais les étoiles semblaient s’être alignés à sa faveur. « Ça arrive même aux meilleurs » répond-elle en haussant les épaules pour afficher clairement qu’elle ne lui en tenait pas rigueur.  Balayant l’appartement du regard, elle ne repéra aucun signe de vie d’un potentiel autre humain et la déclaration de Théo conforta son observation. Cela la rassurait un peu, car elle n'était pas certaine qu'elle serait restée s'il avait de la visite. Elle avait besoin de se changer les idées sans pour autant quitter sa petite zone de confort. Zone qu'elle avait décrété chez Théo pour le coup, à son insu. « Ah, des petits tracas avec le montage ? », naturellement, ses pas la menèrent vers le bureau de la girafe et elle regarda les deux écrans. « Tu bosses sur quoi en ce moment ? » demanda-t-elle avant de poursuivre en se tournant vers lui cette fois, « j’imagine que si t’es toujours vivant, c’est que tu dois t’en sortir un peu… à moins que tu ne fasses de la sous-traitance avec un petit uber’eat. » Elle ne fait pas durer longtemps le suspens concernant ses capacités culinaires, « sushi, maki, et burger… je t’avoue que j’ai rien prévu qui sorte de l’ordinaire ! à moins que tu as de quoi faire un autre plat ? »

Le programme de la soirée évolue. Peut-être que sa compagnie permettra au jeune homme de se remettre en condition. Dans l'attente, il ne tarde pas à s'exprimer sur ce sujet, ce qui pourrait justifier son humeur du soir. " Oui. Je n'arrive pas à être satisfait du rendu ... J'imagine que ta visite prouve qu'il est temps pour moi de prendre une pause. " Théo tourne la tête et aperçoit la demoiselle se diriger vers son bureau. Quelques instants plus tard, il décide de la rejoindre. Son regard est braqué sur les écrans mis en veille. Seola ne peut pas avoir connaissance du thème de sa vidéo. Il lui répond naturellement. " Je travaille sur un sujet délicat c'est-à-dire pratiquer une religion minoritaire en Corée. Je ne veux pas prôner une religion à une autre, c'est juste pour donner le point de vue de ces personnes et faire connaître leurs éventuelles difficultés. Du coup, j'ai du mal à trouver un équilibre. " Il fait un geste de sa main pour balayer le sujet qu'il avait pourtant lui-même commencé à évoquer. " Non, je n'ai rien commandé, ni préparé. Quand je te dis que tu es tombée à pic.. " Le jeune homme pose sa main derrière sa nuque. " Hm, non. Je n'ai rien en tête. " Théo prend plusieurs secondes de réflexion. " Tu as beaucoup faim ? Préparer les burgers demande moins de temps... Je ne peux pas choisir entre des sushis et des burgers. " Oui, il utilise bien le pluriel.

La simple observation des écrans ne lui permet nullement de déduire le thème de la vidéo, les images sont figées et le logiciel utilisé présente une interface tellement dense qu’elle ne savait pas par où commencer. Heureusement pour elle, Théo ne la laissa pas longtemps dans l’obscurantisme, et elle acquiesça doucement, écoutant attentivement son projet qu’elle trouva intéressant. Elle ne s’y connaissait pas, ne s’y était jamais réellement interrogé à ce sujet-là, sa croyance en Dieu ne se résumant a que quelques prières dans les moments de crise, mais cela piquait d’une certaine façon sa curiosité. « Un équilibre entre le fait de présenter leur pratique et ne pas tenter donner l’impression que tu tentes de faire du prosélytisme ? » interrogea-t-elle en croisant les bras, gardant le regard rivé sur l’écran, avant d’ajouter, pour elle-même au départ, « j’imagine que si tu es au stade du montage, cela veut dire que tu as déjà assemblé tout le matériel nécessaire… Est-ce que je pourrais peut-être… t’aider ? ».

Finalement, débarquer chez son neveu était une excellente opportunité pour elle, comme pour lui. Elle lui imposait sa présence certes, mais au final, en compensation, elle allait lui remplir la panse. « La faim et moi, tu sais bien que c’est compliqué » répondit-elle en se frottant la joue de son index. Elle n’avait qu’un très petit appétit et encore, il lui fallait se forcer pour manger au moins trois dans la journée, « mais t’en fais pas, j’ai acheté suffisamment pour remplir tes quatre estomacs ! ». Elle retourne alors en cuisine, ouvrant les sacs que Théo avait déposé sur le plan de travail, « dans ce cas, il faut mieux commencer à préparer les maki et puis… ensuite les burger ? On commence par du chaud puis du froid, ou l’inverse… tu préfères quoi ?

si théo jouit d'une certaine popularité sur le monde d'internet, il a aussi gagné en responsabilité à l'égard du jeune public ou du reste. il ne doit pas commettre d'impairs car la pression monte rapidement sur la toile. s'il a arrêté de lire les commentaires haineux, il ne veut pas non plus voir son espace commentaires envahi par des personnes qui ne maîtrisent pas le sujet. ainsi, le garçon doit faire attention à ses propos. s'il adore son métier et ses sujets d'intervention, ils sont plus ou moins dangereux selon le public qui l'écoute. la religion est certainement le thème le plus sensible qu'il a pu évoquer. tout à l'heure, il a voulu faire demi-tour au moins trois fois mais pourquoi devrait-il se taire ? le concept de la neutralité est tellement interprété de plusieurs façons. dans tous les cas, le jeune homme a anticipé certains débordements avec un disclaimer en début de vidéo. sera t-il suffisant ? c'est la question qu'il ne cesse de se poser et il ne trouve malheureusement pas la réponse. " tu as tout bien résumé. " peut-être qu'il aurait dû en faire autant. " oui j'ai tout tourné et j'ai assemblé plusieurs rush. hm.. j'imagine que je te demanderais un avis sur le premier jet ? mais pour le moment, il faut que je bosse encore un peu dessus. ça t'irait ? " dans l'immédiat, théo ne préfère pas montrer son travail. il a beau avoir confiance en sa tante, il est plus sceptique à l'égard de son projet. oh, bien sûr, celui-ci sera toujours meilleur que sa cuisine. il ne perd pas une seule seconde pour en faire part à seola. il se demande quel est le repas qui l'inspire plus mais la demoiselle est déterminée à nourrir son neveu pendant plusieurs jours. " faire du sport, ça creuse. tout ce que je mange, je le gaspille à un moment donné ! " il ne voulait pas passer pour un goinfre, surtout qu'il y aura forcément pire que lui. " je pense qu'on va en avoir trop si on fait tout... mais commençons par les makis. je préfère commencer par le froid. " ils réchaufferont l'ambiance par la suite. il lui offre un sourire. " je vais laver le riz et le faire cuire. tu n'as qu'à commencer par les ingrédients. tu as pris du saumon uniquement. quels sont les légumes ou crudités ? "

Si pour autant, elle avait « tout bien résumé », elle ne réalisait que difficilement les enjeux et sentiments qui partageaient Théo. Tout comme elle pouvait en avoir conscience, elle ne ressentait pas les choses de la même façon car il ne le lui disait pas forcément et parce qu’elle ne pouvait pleinement se projeter à sa place. Même sans connaître tous les tiraillements, elle ne doutait pas un seul instant des capacités de son neveu : sensible, appliqué, professionnel, et investi, il avait les clefs essentielles pour réussir. Et la popularité dont il jouissait de jour en jour, ou plutôt de vidéo en vidéo, en était une des preuves. « Tu peux compter sur moi, je ferai de mon mieux pour t’aider » déclara-t-elle en levant le poing, espérant qu’elle pourrait réellement lui être utile. Si elle avait des doutes quant au tour qu’elle pouvait lui donner sur ce fameux premier jet, elle savait qu’elle pourrait dans un premier temps, lui rendre service en faisant étalage de ses maigres capacités culinaires. « Du sport, quel sport ? J’ai pas l’impression que t’aies quitté ton fauteuil de la matinée ! », l’amusement se faisait entendre dans sa voix et se lisait par les petites lueurs rieuses qui traversèrent son regard. « Si on commence par les makis… dans ce cas, j’espère que t’as un autocuiseur ? », elle espérait fort car faire cuire le riz dans une casserole, sans que cela colle le fond, lui paraissait déjà être une mission délicate. « J’ai pris du saumon, du surimi, des crevettes, de l’avocat, du concombre, des carottes, du fromage… » commença-t-elle en vidant petit à petit le sac, cherchant le ticket de caisse mais en vain (il y avait de fortes chances qu’elle ait demandé à la caissière de le garder), « enfin, voit par toi-même, je t’avoue que je n’avais pas forcément de liste en tête…. Je vais commencer par rincer les légumes ? ». Elle repoussait le moment où elle devait montrer à quel point elle ne maniait l’art du couteau qu’à travers un écran, avec juste une souris et un clavier.

passer autant de temps sur un projet a fait perdre tout discernement au jeune homme. il compte effectivement sur sa tante pour prendre la relève. il pourrait écouter ses critiques pour progresser et corriger les détails ou ses erreurs. en attendant, il a bien mérité cette pause même s'il aurait préféré mettre les pieds sous la table. le temps de préparation des makis n'est pas excessif mais demande une certaine concentration, surtout quand il faut les rouler. c'est l'étape la plus cruciale pour le jeune homme et malheureusement, il n'est pas l'expert en dosage. il compte secrètement sur seola pour s'atteler à cette tâche afin d'éviter tout gaspillage ou tout rire rempli de frustration. théo affiche un sourire amusé quand la demoiselle décide de le taquiner. " oui... bon aujourd'hui tu marques un point mais je me débrouille pour entretenir ce corps athlétique dés que je peux ! " il abuse des sports à l'extérieur une bonne partie de l'année. monsieur préfère allier bonheur et sueur. quoi de mieux que de découvrir des paysages différents en gaspillant son énergie ? bien sûr, il lui arrive de se retrouver en salle de sport quand les nuages flottent dans le ciel sud-coréen.  " et toi ? " il sort ensuite un paquet de riz et retire l'éternel plastique avant de le mettre dans un récipient. " achète toi des lunettes.. tu ne le vois pas d'ici ? " le vidéaste échappe un rire et pose ses mains sur ses épaules pour lui montrer l'autocuiseur.  puis, seola lui cite les ingrédients un par un, ce qui lui provoque un air étonné. " tout ça ? mais tu as invité quelqu'un et je ne suis pas au courant ? " bon, ce n'est pas des pauvres makis qui vont faire taire leur estomac pendant des heures mais tout de même... tout ce choix risque d'être compliqué dans l'assiette. il jette un coup d'oeil curieux dans la poche des courses tandis que sa tante commence à laver les légumes. ce filou ne s'est toujours pas occupé du riz. il se rapproche à son tour de l'évier et la regarde faire. " on dirait que tu as fait ça toute ta vie... tu veux aussi t'occuper du riz, peut-être ? " dit-il, loin d'être sérieux. il lui donne un léger coup d'épaule et pointe le bout d'un légume. " ah t'as oublié ce coin... tu m'as fait parler trop vite. appuie sur A pour accélérer. " ces geeks, franchement...