De la même façon que Théo comptait secrètement sur elle, Seola comptait sur lui pour réussir ce qui allait être à tout deux leur déjeuner – et premier repas de la journée pour la demoiselle. À deux, ils allaient pourvoir faire des miracles non ? Elle avait pris ce pari risqué en sonnant à la porte de son neveu, car jusqu’à ce que le bout de son index n’entre en collision avec le bouton de la sonnette, elle aurait pu faire demi-tour et faire don de ses sacs, pour ensuite commander des plats à faire livrer chez lui en passant un simple coup de fil. Mais non, l’ambition – ou le besoin d’occuper son esprit – l’avait poussé à se retrouver dans une telle situation. Plissant légèrement les yeux et examinant Théo de haut en bas, elle pousse un soupir accompagné d’un soupir exaspéré « on voit qu’Apollon ne t’a pas encore frappé de sa grâce ».Un léger tacle avant qu’elle fronce les sourcils, perplexe « Et moi, quoi ? » s’apprêtait-elle à dire avant qu’elle ne comprenne et que son expression change aussitôt, « je confesse, j’ai pas fait mieux que toi en vérité – hormis ma petite session de yoga matinale, j’ai pas réellement bougé de mon fauteuil » et elle ne voulait pas, elle redoutait le moment où sous prétexte qu’elle n’avait rien à faire en particulier, sa mère la traînerait dans son quotidien à elle : entre du shopping, un repas avec ses amies, et entre temps, toute une petite série de remarque sur ce qu’elle devait améliorer. « Excuse-moi de ne pas squatter suffisamment ton chez-toi pour savoir où tout se trouve, mais t’en fais pas je remédierai à ça ! », il était prévenu même si ce n’était pas la première fois qu’elle s’invitait sans crier gare. Ouvrant le couvercle de la machine, elle constate que pas un seul grain de riz ne colle le fond… utilisait-il réellement la machine ? Elle avait un doute. « Euh, sauf si tu caches toi une petite amie dans un placard, j’ai prévu pour toi, toi, toi et moi ? ». Elle nettoie les légumes sous l’eau, mais le regard de son neveu ne la laisse pas sereine – a-t-il compris le subterfuge ? Sa question la soulage. « Tu veux p’te que je t’apprenne à te laver ? » le questionna-t-elle en braquant le légume qu’elle tenait, avant de croiser les bras, « attends… c’est pas une façon pour que je fasse tout ? Et toi, là, le riz ? Il se prépare tout seul ? C’est à coup de B que tu vas décider y mettre du tien dans ce cas ? ». B comme bâton, beating, bitting...  

Le jeune homme se sourit de nombreuses addictions mais le sport n’est pas inclus dans cette catégorie. Il ne se vexe donc pas à la remarque de sa tante. Il a assez de confiance en lui et a réussi, après de multiples d’efforts, à ne pas prendre en compte l’avis des autres. Théo ne risque pas non plus la juger sur son quotidien. Si elle se sent bien dans sa peau, c’est clairement le seul souhait du garçon. Toutefois, dans de telles circonstances, le jeune homme voudrait trouver un moyen de s’échapper de cette cuisine. On ne peut pas dire qu’il soit bon, ni mauvais dans ce domaine...Il a simplement connaissance de la rigueur demandé pour faire des makis avec une forme alléchante. L’équilibre entre les accompagnants et le riz, tourner avec force et légèreté ce truc dont il oublie toujours le nom (et ça peu importe la langue qu’il maîtrise). Il risque de perdre patience s’il doit recommencer à chaque fois. L’étudiant sent comme une goutte de sueur froide quand Seola lui fait comprendre qu’elle viendra à l’appartement plus souvent. " Si tu ne me demandes pas de cuisiner à chaque fois, ça ne me dérange pas. “ Il préfère fixer les règles comme la demoiselle impose le jeu sans attendre son accord. C’est ce qui arrive souvent quand il s’agit de la famille. Les gens ont tendance à prendre leurs aises, parfois, avec une aise complètement déconcertante. Theo n’aime pas forcément les visites surprises, ayant un planning assez chargé. Si les années l’ont poussé à gérer les imprévus, il préfère éviter ces situations pour laisser son cœur en paix et avec une once de répit. “ Je dois être vexé ? Je suis le genre de mec à cacher leur petite amie à leurs proches ? “ Il fronce légèrement les sourcils avant de reprendre la parole. “ Trois parts contre une pour toi... Ce n’est pas très équitable. “ C’est pour le pousser à faire du sport ? En attendant, le jeune homme l’observe laver les légumes. Personne ne semble motivé à passer à l’étape suivante. “ Quoi ? Y a pas le feu.. “ Il lâche un profond soupir et se décide à faire ce que madame ne veut pas faire. Il lance l’autocuiseur et prépare donc le riz. Puis, il commence à sortir le matériel de torture avec une planche en bois pour éviter de salir son plan de travail. “ T’as fini de laver les carottes ? Je vais les couper. Comme on dit en France, ça rend aimable et tu en as besoin.. Menacer ton neveu... Tu devrais avoir honte. “ Il sort un grand couteau et lui offre son sourire le plus mauvais. Un vrai acteur.  

Du haut de son quasi-mètre soixante-dix, elle se doutait qu’elle ne devait pas être très intimidante pour terrasser son neveu au point où il retiendrait son souffle toutes les fois où elle se pointerait à l’improviste devant sa porte, et qu’elle ne disposait pas d’un charisme mortel pour soumettre ce dernier à ses simples volontés, le fait qu’il ne pose qu’une seule condition d’accès la réjouissait. Elle ignorait si c’était la résignation, l’affection qu’il pouvait lui porter, ou un peu des deux qui était la source de son acceptation, mais cela suffisait pour lui arracher un petit sourire. Même sans vivre avec lui, squatter suffisamment au point de connaître la position de tous les objets, curieusement, elle se sentait plus à l’aise ici que chez elle. « Cela peut se négocier dans ce cas » lui offrit-elle en guise de réponse, ne pouvait pas dire simplement oui à sa demande – ce serait trop facile, et moins amusant pour elle. Il n’avait pas réellement besoin de s’armer d’argument pour la convaincre de toute façon, elle n’allait pas pouvoir s’inventer fine cuisinière très longtemps. Ce n’était plus qu’une question de temps pour qu’elle se prenne les pieds dans les draps de son propre costume, la supercherie n’allait pas pouvoir durer bien longtemps. Ce n’était qu’une question de minutes, ou d’heures si elle avait de la chance – mais pour le moment, elle osait espérer qu’il ne remarque pas son incompétence, il ne semblait pas plus experte qu’elle pour le coup. « J’avoue que je serais un peu triste si tu ne me présentais pas ta copine et qu’au lieu de ça, tu me la, ou le, cachais » avoua-t-elle sérieusement après une courte réflexion, mais cette petite mou qu’elle prit ne dura pas très longtemps puisqu’elle ajouta sur un ton, presque mélo-dramatique « j’ose espérer que si jamais, comme dans les dramas, j’ai le malheur de tomber au mauvais moment… tu auras pensé à verrouiller la porte à double verrou, ou avoir entendu mon pas d’éléphant pour m’épargner tout spectacle tel qu’il soit ». Elle arque légèrement un sourcil, c’était un fait connu qu’elle n’avait pas un appétit des plus voraces, tout comme elle savait pertinemment que la girafe qu’il était, mangeait comme un éléphant. « Ne remets pas en cause mes calculs, tu risques de tout fausser sinon ! Au pire, ça fera des restes… lol », elle manqua de s’étouffer à l’idée qu’il puisse réellement apprécier sa cuisine, car pour le moment, elle n’avait convaincu personne – tout comme, elle n’avait pas de mort à déplorer sur sa conscience. Tout allait bien, dans le meilleur des mondes, pour le moment. « Je pensais que c’était manger des carottes pour voir à travers les murs moi…. » murmura-t-elle, presque interloquée par cette soudaine révélation. « Je ne savais pas que les carottes rendaient plus aimables… ni même que tu es aussi docile sous la menace du B… mais de nous deux, attend, t’es pas plus menaçant avec ce couteau à la main ?! » Elle glousse doucement, « si quelqu’un se pointait, tout de suite, là maintenant, je crois que de nous deux, c’toi qui risque de passer un mauvais moment ! ». Elle laisse sur le plan de travail les légumes soigneusement rincés, avant de se saisir d’une poêle. « Huile d’olive ou beure pour l’omelette ? »

Des restes ? Le jeune homme n’a pas forcément envie de manger la même chose pendant trois jours consécutifs. Il n’est pas difficile en terme de nourriture mais le changement de saveurs est loin d’être désagréable. Les makis risquent de ne plus être très frais au fil des jours et l’expérience ne risque pas de remporter tous les suffrages. Il arque un sourcil, surpris par cette expression qui le dépasse un peu. Quel serait l’intérêt de voir à travers les murs ? Il esquisse un léger sourire et lui répond du tac-au-tac. “ Décidément, t’as vraiment un truc pour le voyeurisme, perverse. “ Entre son délire de tomber sur son neveu en compagnie de sa copine dans une chambre et maintenant ça. Il va commencer à s’inquiéter à son sujet mais le comportement de Seola l’empêche de ressentir une quelconque pitié à son égard. Sa tante enchaîne les provocations. Le truc, c’est que Théo est la seule personne armée présente dans la pièce. “ Quoi ? Tu veux aussi qu’on joue aux pirates ? “ Il secoue la tête et réalise qu’il n’est pas prêt de manger. Il n’est pas vraiment pressé mais l’odeur des produits frais va réveiller son estomac pour le moment endormi. Il chuchote, décidant de rentrer dans son jeu. “ Dans ce cas, je vais essayer de t’achever du premier coup. “ Difficile d’y parvenir avec un couteau sauf s’il vise au bon endroit ? Pour être honnête (et heureusement), le jeune homme ne s’est jamais posé cette question. Il se contente de regarder les films sans trop se concentrer sur ce type d’éléments. Lui qui tend à vouloir créer son propre court-métrage, il devrait pourtant faire l’inverse. Il doit assimiler des techniques pour un rendu beaucoup plus prometteur. Après, rien ne l’empêche de faire un projet à l’eau de rose. Il pourrait peut-être satisfaire son public féminin ainsi. Son joli minois et son aide active à l’égard des féministes ont tendance à les attirer, par nature. Il ne peut rien faire contre cela, si ce n’est changer de personnalité ou porter un masque sur le visage durant le tournage de ses vidéos. Or, l’audio sera impacté. Quel dommage, vraiment... “ Du beurre. “ La planche sur le plan du travail, Théo se charge de couper les légumes. “ Evite de mettre le feu à l’appartement avec ta poêle. “ S’il veut lui faire confiance, il a pris soin de se positionner dans un endroit où il peut la surveiller. “ Et pour les œufs, ne mets pas de coquille dedans non plus... Je te dis ça, au cas où. “ ajoute t-il d’un ton forcément moqueur.

Seola fronce les sourcils face à l’accusation portée par son neveu. Si elle pouvait (presque) volontiers admettre qu’elle avait une imagination un peu trop débordante et que le nombre de série qu’elle regardait en ce moment n’arrangeait en rien les scénarios – stéréotypés – qu’elle se faisait, elle refusait de se faire étiqueter de « voyeuriste », ou de « perverse ». « Mais quel ingrat ! » rétorqua-t-elle, en croisant les bras sur sa poitrine, avant d’hausser les épaules et rajouter d’un ton faussement tragique « et bien tant pis, si ça doit arriver, j’espère que tu seras tellement embarrassé…. Que tu te regretteras de t’être moqué de ces petits conseils ! ». En réalité, l’idée d’avoir une anecdote de plus dans son compteur pour embarrasser Théo, le grand jour, lui plaisait. Elle se doute qu’une histoire ne suffirait pas à le rendre tout rouge et la faire bâillonner, mais si ses ressources ne manquaient pas… elle aurait moyen d’en garder un excellent souvenir. « T’es cru que t’étais Jack Sparrow ou quoi ? Et puis, tu n’as pas honte de pointer ton couteau vers un civil ? Quitte à être moi aussi un pirate, je devrais en avoir un en main ! », son regard balaye le plan de travail, et sa main trouve une poêle. Protection métallique qu’elle attrape malgré tout, c’était bien que rien du tout : à défaut de pouvoir l’entailler, elle pourrait tenter de l’assommer sans se blesser à la main. « Je pense que ton prochain projet… ça ne sera pas toi qui le tournera, mais quelqu’un d’autre qui le fera à ton sujet ! L’emprise des films sur la distinction floutée entre le bien et le mal : comment Ryeo Theo a fini par tuer sa tante alors qu’elle venait simplement lui faire un repas » balança-t-elle avant de reprendre son souffle. À la réponse du propriétaire des lieux, elle attrapa le beurre mais au moment de poser la poêle sur la plaque à induction, elle s’arrêta un instant avant de se retourner. « Merci pour ces conseils, j’espère que t’es bien équipé d’une alarme incendie et d’un extincteur au cas où si je mets le feu, et puis si tout se passe bien, qu’on réussit à dresser tous les deux vivants la table… veille à bien mâcher ce que tu manges… au cas où tu t’étoufferais malencontreusement avec une coquille d’œuf ou autre chose… » murmura-t-elle sinistrement avant d’esquisser un sourire, rictus, inquiétant.

Cuisiner n’est pas une activité très attrayante. Taquiner sa tante est nettement plus naturel pour lui et elle lui renvoie la pareille avec facilité. S’il s’inquiète pour son environnement et pour l’état de son appartement, il ne peut pas s’empêcher de pouffer un rire quand elle lui donne enfin une idée de vidéo viable. Malheureusement pour lui, il ne sera pas la star de ce projet. Qui a connaissance de son mot de passe Youtube ? Est-ce que c’est le cas de Seola ? C’est peut-être elle qui souhaite s’emparer de sa chaîne. Cette dernière commence à peser son poids vu le nombre de ses abonnés. Bien sûr, il ne pourra jamais égaler les gameurs ou ceux qui se contentent de faire des vidéos humoristiques. Son contenu est peut-être trop sérieux pour une majorité de personnes. Il ne peut pas s’imaginer ses fidèles lui tourner le dos mais au fond, est-ce qu’on connaît vraiment les gens sur Internet ? Theo a peut-être une certaine image, une certaine influence sur le web mais personne ne peut se douter de sa vraie personnalité. L’inverse est tout aussi vrai. “ Et tu crois que ça ferait des vues ? “ Aucun des deux ne sera en mesure de le voir. L’une sera dans sa tombe, le second en prison. Ils sont donc obligés de déposer les armes ou de s’en servir pour avancer dans leurs plats. Ils ne sont pas prêts de manger à ce rythme. " Ravi que mes conseils t’aident. Je prends note des tiens aussi. “ Il lui offre un sourire et se concentre sur sa tâche. Il ne voudrait pas perdre un doigt malencontreusement. Les légumes finement coupés et bien rincés, Theo attrape les feuilles d’algue et soupire déjà à la prochaine étape qui les attend, une fois que le riz sera bien cuit. Trouver l’équilibre parfait entre accompagnements et riz, puis que le tout finisse par tenir. Non, vraiment. Par chance, il peut se montrer patient par moment mais ce n’est pas pour autant qu’il va réussir du premier coup. Le jeune homme attrape un récipient pour reversez le riz. Pour vérifier la cuisson, il plante ses baguettes pour le goûter. Satisfait, il se retourne vers Seola. “ On n’a rien oublié si ce n’est d’ajouter du poison en plus de tes coquilles ? “ Et oui, sa menace n’est pas passée inaperçue.