Voilà quelques longues minutes que Jisoo traînait dans la salle commune du dortoir des Gokuryeo. Il avait parfois du mal à se faire à ce changement soudain de dortoirs, mais il ne pouvait pas non plus affirmer qu’il était totalement contre l’idée de passer à autre chose. Les Cheonglyongs avaient fait partie du début de sa scolarité, mais le changement ne faisait de mal à personne et c’était un véritable plaisir de pouvoir rencontrer de nouvelles personnes et de retrouver un semblant de vie commune, désormais. Hélas, Jisoo savait aussi que cette phase demandait une nouvelle acclimatation et qu’il n’allait pas pouvoir reprendre ses petites habitudes directement. Néanmoins, il en existait une qu’il n’aurait abandonnée pour rien au monde : ses petites siestes à l’étage inférieur, au beau milieu de l’après-midi.

Il dormait paisiblement quand un bruit sourd avait attiré son attention, sans qu’il puisse pour autant en identifier la source, et il avait regardé autour de lui, espérant trouver ce qui avait provoqué un tel sursaut. Rien en vue. Il s’était malgré tout redressé. « Tout va bien ?? C’était quoi ce bruit ? » avait-il lancé avec l’espoir que cela ne serait rien de trop grave. Après tout, tout était possible, dans un dortoir aussi calme.

L’après-midi était déjà bien avancée quand Juri rentra des cours dans son nouveau dortoir. Sa vie n’était pas aussi mouvementée qu’elle avait pu l’être quand elle était chez les pyos. En effet, comme elle ne connaissait pas vraiment la moitié des gens qui se trouvaient dans le dortoir, elle restait en retrait. Ce n’était pas une mauvaise chose d’avoir changé et de vouloir faire en sorte que les choses qui avaient terni la réputation de la faculté soient derrière eux. Cependant, Juri était arrivée chez les pyobeoms pour sa grande sœur, et maintenant, elles n’étaient plus ensembles. Cela ne dérangeait pas forcément la plus jeune, mais elle avait quand même l’impression que quelque chose lui manquait dans sa vie de tous les jours. Heureusement, elles se voyaient encore assez régulièrement et ça lui convenait. Elle devait d’ailleurs la retrouver pour une aprem entre soeurs et elle pressa donc le pas pour aller se changer.

D’ordinaire, elle aurait pris une douche, mais là, elle travaillait le soir, ça lui ferait prendre deux douches et elle n’avait pas vraiment envie que ce soit le cas. Elle se dépêcha donc d’entrer chez les goguryeos, espérant ne trouver personne sur son chemin. Juri n’avait pas forcément envie de se sociabiliser pour le moment. Ce fut sans compter le fait qu’elle se cassa la gueule en plein milieu du salon. « Putain, qui a laissé ses affaires là ? » râla-t-elle en constatant que c’était un sac de cours. Elle entendit alors la voix d’un homme et soupira. Fallait qu’elle tombe sur quelqu’un en plus. « C’est rien… Je me suis juste cassé la gueule sur un sac. C’est le tien ? »

La jeune femme qui se trouvait là, Jisoo ne la connaissait pas. En fait, il ne connaissait pas vraiment les gens qui fréquentaient le dortoir, ce qu’il déplorait un peu. En effet, il avait toujours été d’un naturel social, qui aimait aller chercher les autres, leur parler, mais il n’avait pas encore réussi à passer au-dessus de son second naturel : la flemme intersidérale. Quand il était lancé, les choses allaient bien, mais encore fallait-il se mettre en marche. Pour cette étape, il aimait se comparer à un vieux moteur diesel. Heureusement, quelques aléas de la vie quotidienne venaient parfois accélérer les choses, comme c’était le cas aujourd’hui. Il s’était approché, en entendant la voix d’une jeune femme, avant de secouer la tête. « Ah, non, non. J’vais le mettre de côté pour éviter que quelqu’un d’autre se casse la gueule dessus. » C’était peut-être à un des autres membres de Goguryeos ? Il n’en avait rien, mais il ne pouvait pas se permettre de mettre en danger la vie des autres : il le faisait déjà avec ses inventions et ses idées un peu saugrenues. « Tu fais partie de la fraternité ? Moi c’est Jisoo ! » Trop sociable, disait-on avec justesse… Il avait tendance à être un peu trop sympathique, mais ça n’était plus une surprise pour personne.

Se casser la gueule sur un sac à dos ne faisait clairement pas partie de ses projets. Elle devait rejoindre Jinri et passer une après-midi avec sa grande sœur. C’était quelque chose qu’elles n’avaient pas fait depuis longtemps et elles avaient eu envie de se retrouver qu'entre elles. Juri avait tellement de choses à lui raconter et notamment le fait que le mec qu’elle voulait, sans pour autant avoir de sentiments pour lui, était un collègue de son ex. À croire que les sœurs Park n’étaient attirées que par les uniformes. Ça l’a faisait quand même bien rire. Juri avait hâte d’en parler à Jinri et se dépêcha donc de rentrer au dortoir pour se changer. Elle n’allait pas prendre une douche maintenant parce qu’elle devrait en reprendre une avant d’aller travailler et elle avait un peu la flemme. Cependant, elle se cassa la gueule dans la partie commune du dortoir sur un sac. Râlant, elle réveilla un des élèves. Elle lui demanda s’il était à lui et il répondit négativement. Elle haussa les sourcils et le laissa le mettre de côté pour que quelqu’un ne se prenne pas une fois de plus les pieds dedans. Il lui demanda alors si elle était de la fraternité en se présentant. Elle lui sourit aimablement et lui répondit.« Oui je suis une goguryeo… Et toi aussi j’imagine. » Ce n’était pas une question mais une affirmation. Après tout, qui pourrait bien dormir ici et ne pas être du dortoir ? Si c’était une personne extérieure, elle veillerait à faire remonter pour qu’on renforce la sécurité parce que ce n’était pas acceptable. « Je m’appelle Juri d’ailleurs...  » La jeune femme observa alors son visage et ne reconnut pas le jeune homme en face d’elle. « J’imagine que tu n’es pas un ancien pyobeom… Je ne t’ai jamais vu là-bas. T’étais dans laquelle ? »

Il s’en serait voulu, s’il avait manqué de causer la chute et la mort d’un autre étudiant… Mais heureusement, ce n’était pas son sac, alors s’il avait été une personne aussi peu intéressée par les autres, Jisoo aurait tout à fait pu prétendre qu’il n’avait rien entendu. Par chance pour cette fille, ce n’était pas son cas. À part dans son atelier (ou, pour être plus honnête, le désordre qu’il appelait son atelier mais qui était surtout une pièce bordélique et désorganisée), il était relativement propre dans son espace, en particulier quand il le partageait avec d’autres personnes.

Ce qu’il était également, c’était sociable, et il n’avait pas manqué de le prouver une fois encore en commençant à faire la conversation avec l’étudiante qui se trouvait face à lui. « Ça… Ou alors je suis un agent infiltré des Koryeo. » Non, ce n’était clairement pas le moment de faire des blagues nulles, mais il avait toujours eu beaucoup de mal à contenir ses bêtises, quand il commençait. Dire qu’après on le considérait comme quelqu’un d’un peu trop sérieux. C’était bien mal le connaître !  « Enchanté ! » Il l’était vraiment. « Non, j’étais chez les Cheonglyong. Pas depuis très longtemps, mais bon. » Il avait haussé les épaules. Autant dire qu’il n’avait pas grande attache à cette fraternité, vu le peu de temps qu’il y avait passé. « T’es en quelle année, du coup ? » Oui, parce qu’une fois encore, c’était quelque chose de très important, n’est-ce pas ? Un jour, quelqu’un allait finir par l’envoyer merder, et il se demanderait pourquoi. 

Heureusement pour Juri, elle ne se cassait pas la figure sur les affaires des autres tous les jours. Mais ce fut le cas aujourd’hui et elle n’était pas particulièrement enchantée. Son vocabulaire fleuri en était la preuve. Elle se radoucit cependant, en voyant quelqu’un lui répondre et affirmer que ce n’était pas son sac. Ils commencèrent à discuter et elle sourit en coin. « Fais gaffe, je sais me battre ! Je n’hésiterai pas à utiliser les techniques que je connais si t’es un agent infiltré. » Avec son boulot, elle avait appris à se défendre parce qu’elle en avait besoin, surtout quand les clients avaient les mains un peu trop baladeuses et qu’elle ne les avait pas autorisés à tâter la marchandise. Il fallait aussi dire qu’avec les attaques entre les fraternités, elle avait fait en sorte d’apprendre à utiliser ses pieds et ses poings en cas que ça ne devienne trop violent. D’ailleurs, Juri lui fit remarquer qu’il n’était pas un pyobeom. Du moins, elle ne pensait pas qu’il l’était. Elle ne les avait pas tous connus mais elle se doutait que ce n’était pas le cas. Elle fronça les sourcils quand il lui dit qu’il n’avait pas été très longtemps chez les cheonglyong. « Comment ça pas très longtemps ? » Elle était surprise. Était-il plus jeune qu’elle ? Très certainement au vu de ce qu’il disait. « Je suis en sixième année et toi ? J’imagine que tu dois être en deuxième ou troisième année si tu n’as pas été chez les cheong longtemps. » Ou alors il y était entré sur le tard, après s’être rendu compte qu’il voulait bien s’investir quelque part. « Tu fais quoi comme études ? »

« Ah mince, on ne m’avait pas prévenu que les Goguryeo étaient aussi féroces ! » Non, Jisoo, une fois encore, plaisanter alors qu’on te menaçait, même pour rire, n’était pas une bonne façon de survivre en société. Mais Jisoo n’avait jamais eu vraiment de facilité, quand il s’agissait de garder une distance par rapport aux autres. Il allait au contact, parfois trop souvent pour son bien, et il ne réalisait que trop tard quand il avait mis les pieds dans le plat et qu’il se trouvait incapable d’en sortir tout seul. « Ouais je l’ai été… hm… Bah un peu moins d’un an, je crois ? » Il avait passé une partie de sa première année et quelques mois, puis… Puis les fraternités avaient été dissoutes et il s’était retrouvé chez les Goguryeos, sombre histoire. « Deuxième, ouais ! » avait-il répondu avec un certain enthousiasme. L’époque où l’université ne l’avait pas encore écrasé sous son poids et où il n’oscillait pas de façon permanente entre burn out et phase vie monocellulaire. « Et toi t’étais chez les Pyobeoms, du coup ? » Ah, toujours trop de questions. À croire qu’il ne pouvait faire que ça. « Je suis en ingénierie ! Et toi ? » Peut-être prévoyait-il d’écrire les mémoires de la jeune femme, vu la façon dont il continuait à l’interroger.

Juri ne put s’empêcher de rire parce qu’il prenait sa menace à la légère. « Fais gaffe quand même. Je rigole, mais je suis capable de te foutre à terre en moins de temps qu’il n’en faut pour dire goguryeo. » Même si elle ne le ferait pas, la jeune femme était parée à toutes les éventualités. Elle connaissait quelques bases de sports de combat et pourrait tenir contre quelqu’un qui serait surpris qu’elle s’y connaisse. Mais contre un pro ? Elle n’était pas sûre et ne voulait pas tenter le diable. Mais elle ne les utiliserait pas contre le jeune homme. Elle n’avait pas envie qu’il se retourne contre elle, si jamais il savait se battre. Heureusement, ils ne restèrent pas sur ce sujet, parlant des anciennes fraternités. Elle mentionna les pyo et lui les cheonglyong. Apparemment il n’était pas resté longtemps et devina qu’il était en deuxième ou troisième année. Ce que l’inconnu lui confirma. Il n’était qu’un petit deuxième année en ingénierie qui plus est. « C’est ça, j’ai fait mes cinq années et des brouettes chez eux. Et je fais des études en apprentissage de la langue et de la culture coréenne pour devenir professeur des écoles. » Juri tut le fait qu’elle était également une stripteaseuse et le regarda avec un sourire. « Et tu veux utiliser l’ingénierie pour faire quoi ? Et tu m’as pas donné ton prénom d’ailleurs. Si tu le fais pas, je vais t’appeler l’infiltré koryo. » dit-elle pour le taquiner.

Féroce… C’était bien le mot ! Jisoo était impressionné par la dégaine de cette fille. Il n’était clairement pas capable de tenir tête à une lionne dans son genre. Mais il avait envie de croire qu’elle plaisantait, en s’adressant à lui comme elle l’avait fait. Après tout, elle n’avait pas l’air totalement sérieuse… Ou était-il tout simplement incapable de le remarquer ? L’avenir finirait bien par le lui dire, s’il agissait bêtement, sans prendre le temps de la réflexion… Mais l’espoir restait permis. « Ah oui, ça fait longtemps du coup… » On remerciait Jisoo pour ses incroyables talents et sa perspicacité hors nome : cinq ans, ça faisait longtemps. Il avait hoché la tête. « Ah ouais ? C’est marrant… » Parce qu’il avait en tête que les Pyobeoms étaient plutôt superficiels ? Les préjugés avaient la vie bien dure, il savait pourtant que ça n’était pas la réalité. « Et ça te plaît ? » Qu’un parfait inconnu lui pose des questions sur ses études et ses projets professionnels ? Très certainement. On n’en avait pas le moindre doute, d’ailleurs. « J’aimerais bien faire de la robotique… Ou quelque chose lié à l’astronomie. » Mais l’aspect technique, cela allait de soi. Peut-être allait-elle le prendre pour un type qui rêvait trop grand, ça n’aurait pas été la première. Jisoo n’avait pas peur de ceux qui jugeaient bien vite. Lui-même le faisait parfois, hélas. « Ah ! Jisoo, pardon. Mais tu peux m’appeler l’infiltré Koryo si tu veux. » Encore une fois, il ne savait pas si elle plaisantait ou si elle était sérieuse… Enfin, ça n’avait pas grande importance. « Et toi ? »

La jeune femme savait se défendre. Peut-être pas contre plein de personnes d'un coup, mais elle savait au moins se sortir d'une situation périlleuse. Alors, elle n'hésiterait pas à l'utiliser contre l'inconnu qui lui faisait face. Heureusement, elle n'allait pas le faire et ce même s'il était un infiltré d'une autre fraternité. Tant qu'il se montrait correct avec elle, Juri n'avait aussi raison et ne ressentait aucun besoin de lui faire du mal. À la place, elle discuta avec lui, mentionnant les pyo et la durée où elle était restée chez eux. Cinq ans, c'était énorme et en même temps ce n'était pas toute sa scolarité. Est-ce qu'elle les regrettait ? Pas vraiment. « Marrant ? Qu'est-ce qui est marrant ? » demanda-t-elle réellement perdue face à ses mots. Elle n'avait pas le souvenir d'avoir été marrante. Elle le regarda en fronçant les sourcils avant de hocher la tête. « Oui ça me plaît énormément. Travailler avec les enfants c'est un bonheur infini. Je le fais déjà plus ou moins. Je suis tata donc je m'occupe de ma nièce. » Et Yuri lui rendait bien. Elles passaient beaucoup de temps ensemble quand Jinri lui laissait sa fille. Juri était toujours heureuse de passer du temps avec sa nièce parce qu'elle aimait ce petit bout de chou plus que tout au monde. Pour le moment, elle ne voulait pas d'enfant, mais peut-être plus tard si elle en avait l'occasion, elle y réfléchirait. La jeune femme posa ensuite des questions au jeune homme pour savoir ce qu'il voulait faire de ses études et sourit en l'entendant. « Wahou ! T'as de grandes ambitions. Pas étonnant que tu sois chez les goguryeo. C'est génial d'avoir de voir les choses en grand. Surtout que les domaines que tu mentionnes ont toujours besoin de gens non ? » Juri était réellement intéressée par ce qu'il lui disait. Pourquoi ? Parce qu'elle n'y comprenait rien et qu'elle adorait apprendre. Elle ne serait pas une experte mais au moins, elle était sincère dans sa démarche d'en apprendre plus. Elle finit même par connaître son prénom et sourit légèrement. « C'est le fait de te dire que j'allais te foutre à terre qui t'a fait oublié mon prénom, Jisoo ? Ou alors mon extrême beauté ? » Elle lui sourit un peu plus, le taquinant avant de reprendre. « Je te l'ai donné tout à l'heure. Je m'appelle Juri, Monsieur l'infiltré koryo. » Cette dernière se mit à rire légèrement. « D'ailleurs, tu faisais quoi sur ce canapé ? »