Le trop plein de personnes lui donnait l’impression qu’elle allait se noyer. Nayoung n’était plus habituée à se retrouver entourée de tant de monde et même si d’apparence, depuis qu’elle était revenue dans un cursus scolaire normal, elle gérait, ce n’était pas le cas. Elle était souvent en proie à des crises d’angoisse qu’elle tentait de cacher comme elle le pouvait. En plus, elle se faisait souvent harceler par ses camarades parce qu’elle était une ancienne gymnaste émérite et que maintenant elle les surpassait sans presque aucun effort. Mais ce n’était pas la faute de la jeune femme si c’était le cas. Nayoung avait des années de pratique de ce sport à haut niveau et donc c’était normal qu’elle soit meilleure que les autres personnes de sa classe. Seulement, quelques-unes des filles de sa promotion n’étaient pas du même avis et lui menaient la vie dure. La jeune femme avait donc décidé de les ignorer mais aujourd’hui, elles étaient bien plus véhémente que d’ordinaire. Mordant dans sa lèvre pour ne rien faire qu’elle regretterait plus tard, elle prit ses affaires et partit, montrant que leur comportement ne l'atteignait pas en apparence. Cependant, une fois seule, elle soupira, fatiguée par tout ça. Elle avait besoin de voir quelqu’un de bienveillant avec elle.

Alors, elle prit le chemin de la salle de classe de Hanjae. Elle ne savait pas s’il serait là pour l’accueillir, mais elle continuerait de le chercher jusqu’à ce que ce soit le cas. Après tout, elle avait besoin de soutien et Hanjae était ce soutien. Ce dernier avait été là pendant toute la période où elle s’était d’elle-même enfermée chez elle, incapable de sortir. Il l’avait aidé à rester au niveau dans les matières du cursus commun et elle lui en était reconnaissante et ce même si ses parents l’avaient payé pour. Il avait été un excellent professeur et elle était heureuse de le retrouver maintenant dans ces lieux qui lui étaient encore un peu hostiles. Nayoung poussa alors la porte de la classe après avoir vérifié qu’il n’y avait pas d’élèves et qu’il était bien là et sourit quand sa tête se leva vers le bruit que la porte avait fait. Elle lui adressa un signe de la main pour le saluer avant d’attraper son carnet pour écrire quelques mots à l’intérieur. « Je peux t’embêter quelques minutes ? J’ai pas cours pendant plus d’une heure… Et j’ai pas envie de rester avec ma classe. » Parce qu’elle n’avait pas le mental nécessaire ce jour-là pour subir leurs moqueries et leurs brimades.

Tu avais accompagné Ae Ra à l'université pour l'une de ses interventions. Mais au lieu de partir, tu étais resté. Resté dans cette salle, à cette table, observant, rêvant, imaginant. Être assis-là te donnait l'impression d'y être. D'être vraiment professeur, d'avoir suivi tes envies et d'enseigner. D'inculquer ta passion aux autres. Tu rêvais de le faire. Tu rêvais de le devenir. Et tu étais tout sauf ça aujourd'hui. Tu étais assistant. Pas que tu trouves le métier dégradant, au contraire. Tu appréciais aussi ce métier. Tu appréciais être aux côtés d'Ae Ra pour l'aider, la soutenir mais aussi pour faire ce pour quoi tu étais payé. Tu organisais son planning, le tien. Tu gérais pas mal de choses et quand tu rentrais chez toi le soir tu avais cette satisfaction d'avoir bien travaillé. Parfois. Pas toujours. Il y avait des jours où tu rentrais et où tu ne savais plus vraiment. Tu ne regrettais pas ton choix et tu ferais le même si la possibilité s'offrait à toi. Tu choisirais d'être aux côtés d'Ae Ra et de l'aider et jamais, ô grand jamais, tu reviendras là-dessus. Jamais tu ne lui en voudras non plus – ce n'était pas de sa faute, en plus, si tu n’exerçais pas le métier que tu voulais. Ce n'était pas la tienne non plus, tu supposais. C'était juste... un concours de circonstances. Des choix. La vie. C'était comme ça et pas autrement. Mais peut-être qu'un jour tu pourras revenir vers l'enseignement. Quand ? Tu ne savais pas. Quand Ae Ra n'aura plus besoin de toi, quand elle trouvera quelqu'un de plus compétent. T'en savais rien mais peut-être qu'à ce moment-là tu pourras revenir sur tes choix. Sauf que t'étais plus tout jeune – t'étais pas vieux non plus mais le temps défilait à une vitesse folle. Le temps passait si vite et bientôt tu soufflerais tes cinquante bougies. Et bientôt tu ne pourras rien faire d'autre de ta vie – et en pensant ça tu comprenais pas pourquoi on te voyait comme quelqu'un de pessimiste, t'étais totalement réaliste à chaque pensée ! Voyons !

Heureusement pour toi, tu avais connu ça, l'enseignement. Pas de manière officielle mais tu avais donné des cours. Ca t'avait aidé pour tes études et ça t'avait fait du bien aussi. Tournant le visage au bruit de la porte, tu souris discrètement en apercevant la personne qui entrait, le regard pétillant de tendresse pour la jeune femme. « Tu m'embêtes pas », répondis-tu dans un rire aérien. « Je peux te tenir compagnie », lui offris-tu simplement, et tu te levas, cherchant une chaise un peu plus loin pour la caler contre le bureau, lui faisant signe de s'asseoir. T'espérais que personne n'allait avoir besoin de la salle par contre. « T'as de la chance, j'allais partir. Je sais pas si quelqu'un va avoir besoin de la salle cela dit... donc il faudra peut-être qu'on bouge », tu repris place sur la chaise, lui lançant une esquisse amusée. « Comment tu vas ? Les cours se passent bien ? », la questionnas-tu, la voix basse, calme, le visage faiblement penché. « Heureusement que tu savais que j'étais là. J'aimerais bien y rester... », terminas-tu dans un chuchotement bas, les prunelles se redressant vers la salle, rêveuses.

Bien qu’elle avait pris la décision elle-même de reprendre une vie normale et ainsi se réinscrire à l’école, ce n’était pas pour autant que c’était facile pour Nayoung. Elle devait subir les regards constamment tournés vers elle parce qu’elle ne parlait pas. Elle était la muette du cursus et tout le monde la fixait comme si elle était une bête de foire. C’était oppressant et en même temps cela la mettait mal à l’aise. En plus de cela, elle subissait les moqueries et le harcèlement des filles de sa promo, parce qu’elle était plus douée qu’elles. Ce n’était pas bien compliqué à faire d’ailleurs. Nayoung avait été pendant longtemps une gymnaste de haut niveau, alors les exercices qu’on leur demandait dans un cursus de staps n’étaient pas vraiment difficiles à réaliser. Seulement, certaines n’arrivaient pas à les effectuer et comme Nayoung n’était pas quelqu’un qui pouvait se défendre verbalement, elle s’en prenait à elle. Comme elle l’avait dit à Inho, elle laissait couler parce que ça ne l’intéressait pas de rentrer dans leur jeu. Si elles voulaient perdre leur temps avec ce genre de gamineries, ce n’était pas son problème. Elle s’en moquait même. Cependant, la silla n’était pas quelqu’un qui cherchait absolument à se faire harceler. Alors quand elle avait du temps libre entre deux cours, elle faisait en sorte de s’échapper. Elle avait abandonné l’idée d’aller à la bibliothèque parce qu’elles la trouvaient toujours.

À la place, Nayoung décida d’aller embêter Hanjae. Il avait été le prof particulier que ses parents avaient engagé pour qu’elle ne perde pas son niveau scolaire. Au début, elle avait eu du mal à lui faire confiance mais maintenant que c’était le cas, elle appréciait grandement le plus vieux. Elle entra donc dans la salle de classe en apercevant qu’il était bien présent à l’intérieur et lui montra son carnet où elle avait écrit la raison de sa présence dans ces lieux. Elle sourit un peu plus quand il lui assura qu’elle ne l’embêtait pas. Nayouung hocha la tête et sourit encore en voyant la chaise qu’il lui amena. D’un signe de tête, elle lui adressa un remerciement muet et fronça les sourcils quand il lui dit qu’ils devraient peut-être bouger. Elle écrivit rapidement sur son carnet. « Tu penses qu’on va devoir bouger ? » Hanjae lança alors les questions et un doux sourire s’afficha sur ses lèvres alors qu’elle reprit son stylo pour noter les réponses. « Ça va et toi ? Les cours… Disons que la pratique est facile. La théorie un peu plus compliquée mais grâce à toi j’y arrive mieux que ce que je pensais. » Elle passa sous silence les moqueries et brimades qu’elle recevait. Nayoung ne souhaitait pas alerter le jeune homme et encore moins qu’il ne se fasse du souci pour elle. Il avait déjà tant à faire, ce n’était pas le moment de lui rajouter autre chose. Elle termina simplement sa réponse par une question. « Pourquoi tu demandes pas à enseigner ? Ou à défaut d’enseigner, de faire du tutorat ? Tu as bien des horaires comme maintenant où tu n’es pas avec le Professeur Jung, pas vrai ? » Il pouvait donc très bien instaurer un système de tutorat, peut-être même aidé par certains élèves ou professeur. Nayoung lui montra alors son carnet pour qu’il puisse lire.

L'école te manquait sans réellement être le cas. T'aimerais bien pouvoir retourner dans une salle de classe, t'asseoir et écouter. Apprendre. Qu'on réponde aux questions que tu te posais sur la vie, les animaux ou encore la nature. Tu trouvais ça fascinant, de comprendre comment le monde tournait et pourquoi il tournait. De comprendre comment chaque élément l'aidait. Tout comme le corps humain. Comprendre son fonctionnement, sa manière de fonctionner. Mais plus que ça t'aimais apprendre ce qui faisait de vous des Hommes. Pourquoi vous étiez là, comment vous étiez arrivés là. L'histoire, les bases de la civilisation, les débuts de tout... Tes camarades de classe ne te manquaient pas particulièrement par contre. Leurs remarques, leurs regards... tout ça, si tu pouvais l'effacer entièrement de ta mémoire, de ton existence, tu le ferai sans hésiter. Et tu garderai que le meilleur. T'aimais pas qu'on te dise que ça t'avait forgé : ça avait forgé rien du tout et ça avait détruit des bouts de la personne que tu avais été. Que tu étais. T'étais pas le héros dans son film qui se servait des douleurs de son passé pour avancer.
Toi, tes douleurs, elles te faisaient reculer.

Rester dans cette salle te faisait du bien, te rappelant pourquoi tu aurais voulu t'asseoir là tous les jours. Te rappelant pourquoi tu aurais voulu faire ce métier. Un sourire vint étirer tes lèvres en apercevant Na Young. Une de tes élèves, à l'époque, dans le sens large du terme. Aider les autres t'avait donné un avant-goût du métier. « Je ne sais pas », dis-tu en secouant le visage, te pinçant finement les lèvres. T'avais pas vérifié, à vrai dire. « Mais si personne n'entre dans les cinq prochaines minutes, je suppose qu'on est tranquilles », la rassuras-tu dans une esquisse. « Ca va bien merci », répondis-tu doucement, bougeant quelque peu le visage en lisant. « Tu trouves la théorie difficile ? », la questionnas-tu, redressant brièvement le regard vers elle, fronçant un peu les sourcils. « Grâce à moi ? J'en suis honoré », répondis-tu dans un léger rire. « Je suis ravi si je peux t'aider d'une manière ou d'une autre. N'hésite pas si jamais tu as besoin d'un coup de main», que ce soit pour les cours ou autre chose. Tu appréciais Na Young et tu l'aiderai sans hésiter pour tout et n'importe quoi si elle te demandait. Tu clignas des paupières, levant un sourcil aux mots sur le carnet avant de lever les prunelles vers le plafond, songeur. Tu les reposas sur elle, l'étincelle douce au fond des pupilles. « J'ai bien des trous dans mon planning. Comme maintenant », tu plissas un peu le nez avant de bouger le visage. « On dirait pas mais j'ai planning chargé », tu lui offris un clin d'œil dans une esquisse amusée. Tu secouas quelque peu le visage, baissant les prunelles vers le bureau. « C'est plutôt rare, que j'ai le temps comme ça. Aujourd'hui est exceptionnel », tu redressas les iris vers elle. « Ca ne suffirait pas pour assurer des cours. Et je n'aurais pas forcément le temps de les préparer non plus », tu devrais revoir toute ton organisation. Ta journée était toujours faite en fonction de ton programme et tu devrais tout déplacer, changer. T'aurais plus le temps de tout faire. « Et le tutorat... hm. J'y avais pas pensé », soulignas-tu dans un rire discret. « Pourquoi pas plus tard ? Une fois que le label sera bien lancé », et une fois que Ae Ra ira mieux, aussi. La vraie raison pour laquelle tu ne voulais pas faire autre chose était que tu voulais aider Ae Ra jusqu'à ce qu'elle aille mieux. Jusqu'à ce qu'elle te dise elle-même que tu avais le temps, maintenant. Tu ne pouvais te permettre de le faire pour le moment. T'étais ses yeux et tu ne pouvais pas les détourner de ton travail. Pas encore. Posant ton menton au creux de ta paume, tu l'observas sans rien dire quelques secondes. « Je suis content si ça se passe bien pour toi », avouas-tu doucement, le sourire doux. « Tu comptais rester ici pendant ton heure de pause, toute seule ? Pourquoi pas avec tes camarades ? », tu levas finement le sourcil, curieux, soucieux.

Maintenant qu’elle était en compagnie de Hanjae, Nayoung n’avait pas envie de partir de la salle de classe. Elle espérait donc qu’il n’y ait personne qui viendrait réclamer la pièce dans laquelle ils se trouvaient. Comme elle espérait que Hanjae ne la renvoie pas avec ses camarades. La jeune femme n’était pas à l’aise avec eux, autant parce qu’ils étaient des hommes que parce que les filles de sa promo s’en prenaient à elle. Elle n’en avait jamais parlé et ne souhaitait pas réellement le faire. Certains de ses amis avaient été les témoins des agissements de ces gens-là et l’avaient aidé sur le moment venu, mais elle n’en avait jamais réellement parlé à qui que ce soit. Ce n’était pas aujourd’hui qu’elle allait le faire. Elle préférait rester ici avec son prof particulier, que de vagabonder sans but dans la fac. Elle hocha la tête à ses mots et pria pour que dans cinq minutes, les portes de la salle de classe ne s’ouvrent pas et qu’ils n’aient pas à bouger. Elle sourit légèrement quand il lui affirma qu’il allait bien. Ses dents se plantèrent dans sa lèvre alors qu’elle hochait la tête aux questions suivantes et elle se mit à écrire frénétiquement sur son carnet. « Oui c’est difficile parce que j’ai l’impression d’avoir des lacunes et de ne pas être aussi douée que les autres. Et bien sûr que c’est grâce à toi… Si tu n’avais pas été là et ne m’avait pas donné de cours, je n’aurais jamais pu entrer à la Yonsei… Donc merci encore une fois. » Nayoung n’était pas vraiment moins douée que les autres et elle compensait en travaillant dix fois plus. C’était simplement qu’elle avait toujours peur de ne pas être à la hauteur et même si ses résultats étaient meilleurs que certaines de ses camarades, ce n’était malheureusement pas assez pour elle.

La gymnaste posa alors quelques questions sur sa carrière et le fait qu’il pourrait enseigner. Il était déjà un assistant de prof et donnait des cours particuliers quand c’était nécessaire. Hanjae avait donc tout du professeur compétent, du moins aux yeux de Nana. Les réponses qu’il lui donna ne la satisfirent pas du tout. Elle grimaça même et soupira. Elle leva même les yeux au ciel avant d’écrire à nouveau sur le papier. « Dis plutôt que tu as peur de devenir prof ou de laisser seule le professeur Jung. Mais je suis sûre que si tu lui parles de ça, elle serait d’accord. Parce que tu aimes enseigner, sinon tu n’aurais pas pris le temps de me garder à niveau même si je n’allais plus en cours. Puis tu es un prof incroyable si jamais t’en doutais. » C’était grâce à lui que Nayoung avait pu prétendre à la Yonsei sans angoisser à l’idée d’échouer. Il avait fait en sorte que malgré sa descolarisation, elle puisse continuer d’apprendre et en même temps que les gens qui étaient eux à l’école. Elle lui en serait à jamais reconnaissante d’ailleurs. La jeune femme croisa alors le regard de Hanjae qui l’observait et elle se sentit rougir sous ce dernier. Pourquoi la regardait-il ainsi ? Qu’avait-il à la fixer de la sorte ? Nayoung ne savait pas et lorsqu’il posa la question qu’elle redoutait, elle détourna le regard. Elle n’avait pas envie d’en parler et pourtant, elle savait qu’il ne la jugerait pas, qu’il ne dirait rien. Il n’était pas ce genre de personne, elle le savait. Mais Nayoung avait peur qu’il aille voir les principales concernées et ça ne lui plaisait pas. Elle chercha donc une excuse pendant qu’elle écrivait sur son carnet. « Oui je vais rester ici ! Ça fait longtemps qu’on a pas parlé ensemble. Ça me manque un peu… Mais si ça te dérange, je peux partir ou aller m’asseoir plus loin et rester en silence. » Elle ferait aucun bruit, déjà parce qu’elle ne parlerait pas mais aussi parce qu’elle ne ferait que lire. Nayoung évita soigneusement le sujet de ses camarades, espérant que Hanjae ne le remarquerit pas. Elle n’avait aucun désir de mentionner le fait qu’elle était harcelée parce qu’elle était une ancienne athlète de haut niveau et que les exercices demandés pendant les cours étaient presque trop simples pour elle.

Est-ce que tu pourras, un jour, être professeur ?
Rien ne t'en empêchait. Rien ne t'arrêtait. Pour le moment tu restais aux côtés d'Ae Ra parce que c'était ton devoir – pas en tant qu'assistant mais en tant qu'ami. Mais t'étais le genre à rester à ses côtés pour le reste de vos vies si c'était ce dont elle avait besoin, mettant de côté ton envie. Ton rêve. Ta passion. Parce que tes proches comptaient plus encore que tes propres besoins. Tu savais que si t'abordais le sujet, Ae Ra te conseillerait d'aller donner des cours du soir. Devenir tuteur. Et ça t'intéressait vraiment. Mais en même temps, tu aurais peur de faire du mauvais travail. D'un côté comme de l'autre. Tu préférais te consacrer entièrement à un métier, pour avoir le temps de le faire. Le temps de l'organiser et de t'organiser surtout. Tu te disais toujours « peut-être quand Ae Ra ira mieux » – mais si t'avais plus envie, après ? S'il était trop tard ? Si t'avais loupé ta chance, ton moment ?
Tant pis, tu supposais. L'erreur venait de toi.
En attendant, tu savourais les souvenirs de tes années de « prof particulier ». Du temps où, au lycée et à l'université, tu allais aider les autres. Du temps où tu pratiquais ta passion. Tu avais beaucoup aimé cette expérience. Pouvoir enseigner était tout de même magique, tu trouvais. « Tu as l'impression. Ca ne veut pas dire que tu en as », commentas-tu doucement dans un léger mouvement de tête, les sourcils finement froncés. L'on avait souvent l'impression de manquer de quelque chose mais ce n'était qu'une impression, justement. T'étais sûr qu'elle se débrouillait bien. « Tu es tout aussi douée que les autres. Même plus encore », lui confias-tu dans une esquisse rassurante. T'étais pas là pour lui dire le contraire de toute façon. Puis ça te ressemblerait pas. Tu appréciais trop Na Young pour la rabaisser – t'avais pas de raisons de le faire, non plus. Un sourire tendre illumina tes lèvres alors que ta frimousse reconnaissante se pencha poliment face à elle. C'était ça. Cette sensation-là que tu aimais. Celle d'avoir aidé. D'aider. D'avoir communiqué, appris quelque chose. D'avoir donné quelque chose. Si c'était à refaire, tu le referai sans hésiter. « Si tu as pu entrer, c'est uniquement grâce à toi. Ce n'est pas moi qui ai passé les examens », tu ris quelque peu, une douce chaleur au creux du cœur. C'était vraiment adorable ce qu'elle disait. Ca faisait du bien de l'entendre et ça te confortait dans ton idée que c'était vraiment ce que tu voulais être : professeur.
Mais elle était la seule à féliciter pour son admission à la Yonsei.

Tu répondis franchement à ses questions, ne voyant pas pourquoi tu mentirais, clignant un peu des paupières avant de venir lire les mots qu'elle venait d'écrire. « Eh... j'en doutais pas », plaisantas-tu, l'air faussement outré – si, t'en avais douté. Mais c'était normal. Tout le monde doutait. Tu doutais même de ton travail actuel. Tu doutais même de bien réussir, d'être un bon assistant. Mais c'était normal – et pour le moment Ae Ra ne s'était pas plainte de toi. Donc tu supposais que tu faisais un bon boulot. Il fallait reconnaître ses qualités, parfois, et tu savais que t'étais assez organisé et patient pour gérer ce job-là. « Je n'ai pas envie de la laisser seule », avouas-tu. « C'est mon amie avant d'être ma patronne. Et je me suis engagé », tu tenais tes promesses, même celle que tu te faisais à toi-même sans que la personne ne le sache. T'étais un homme de paroles pleines, pas vides – mais t'étais surtout du genre à tout montrer dans tes actions. Et quel geste plus fort pouvais-tu que de rester à ses côtés ? « J'en suis sûr aussi. Qu'elle serait d'accord. En soit c'est pas vraiment ça le souci. Mais ça prend du temps, d'être professeur, et assistant », tu souris doucement, l'observant un moment. « C'est pas juste enseigner qui est bon. Mais enseigner à quelqu'un. Donc si t'avais pas été là, peut-être que j'aurais pas autant aimé ça », tu haussas un peu les épaules. Elle, ou les autres. Ceux et celles que tu avais aidés. Si personne n'avait été là, si personne ne s'était tenu face à toi, peut-être que tu n'aurais pas autant pris goût à l'enseignement. Peut-être que ça ne serait resté qu'une sorte de rêve. Les lèvres finement pincées, tu penchas faiblement le visage, silencieux, patient. Tu la laissais. Réfléchir ? Faire le tri dans ses pensées ? Tu ne savais pas trop, mais tu la laissais. Tu arquas simplement le sourcil, tes prunelles scannant son visage. Evitait-elle un sujet ? Ou allais-tu trop loin dans ta réflexion ? Peut-être que tu te faisais des idées. « Hmm c'est vrai. Ca me manque aussi », soufflas-tu dans un sourire. « Pourquoi ça me dérangerait ? », la questionnas-tu sérieux, un léger son amusé dans la gorge. « Au contraire », tu souris, calme, patient. Tes iris restèrent sur son visage, détaillant, scrutant, imprimant. « Tu préfères passer ton temps libre avec moi plutôt que quelqu'un d'autre. Ca me fait plaisir », avouas-tu sincèrement. « Et j'aurais pas pu rêver mieux comme camarade de pause », ton choix de mot était bien réfléchi. Tu devins à nouveau muet, bougeant à peine sur ta chaise pour mieux t'installer. « Tu peux travailler si tu veux d'ailleurs. Je te regarde faire, et je serai sage et silencieux », plaisantas-tu dans une esquisse amusée que tu n'arrivais pas à cacher. Tes prunelles dévièrent enfin, décollant vers la fenêtre où tu fixas le paysage extérieur. Paysage qui te paraissait bien morne et fade. « Tu trouves pas que ça manque de couleurs ? », demandas-tu vaguement, la voix basse, pensive.

Si Nayoung avait réussi à entrer à la Yonsei, c’était parce que Hanjae avait fait en sorte de la garder à niveau avec ses cours. Elle lui en était reconnaissante parce que même si elle n’avait pas fini le lycée dans un établissement, elle avait réussi à obtenir tous ses diplômes. Ses parents avaient tenu à ce que ce soit le cas et ils avaient embauché le prof pour des cours particuliers. Néanmoins, la jeune femme se pensait moins bonne que les autres, moins apte à être à l’université. Après tout, si ses performances physiques étaient bonnes voire même au-dessus de la moyenne, la théorie se révélait plus compliquée qu’elle ne l’avait pensé. Nayoung passait donc énormément de temps à réviser pour être sûre de rester au niveau. Elle fit donc part de ses impressions à Hanjae et rougit légèrement face aux compliments qu’il lui dit. Elle n’était pas sûre qu’ils soient vrais mais elle était reconnaissante au jeune homme d’essayer de lui remonter le moral et d’élever son estime de soi qui était au plus bas. Pendant qu’il parlait, elle écrivit sur son carnet. Ainsi, elle ne perdait pas de temps avec ses réponses et pouvait lui montrer presque au moment où lui finissait de parler. Ça évitait les silences trop longs. « T’es gentil… Mais je suis quand même moins bonne en théorie que mes camarades. Mais ça fait plaisir que tu crois en moi… Plus que moi je crois en moi-même, mdr. » Nayoung pouvait se permettre ce genre de fantaisie sur ses écrits parce qu’on ne pouvait pas deviner ce qu’elle avait en tête comme expression quand elle écrivait. Quand on parlait à l’oral, les émotions passaient sur le visage mais aussi dans l’intonation de la voix. Elle n’avait plus ce luxe puisqu’elle ne parlait plus. Alors, elle devait parfois mettre ces abréviations pour qu’on comprenne qu’elle riait ou était ironique. « Tu m’as beaucoup plus aidé que tu ne le penses Hanjae. Sans toi, je ne serais pas ici et je le sais… Donc ne sois pas modeste. » avait-elle écrit sur ses feuilles. Certes, il n’était pas celui qui avait passé les examens, mais sans lui et ses enseignements, elle n’aurait même pas pu les passer.

La jeune femme leva les yeux au ciel. Hanjae était humain et donc il lui arrivait de douter, comme elle le faisait avec ses propres capacités. Alors ce ne serait pas étonnant qu’il doute du fait qu’il était un bon professeur. Nayoung bougea simplement ses lèvres pour lui dire “menteur” et leva à nouveau les yeux au ciel en l’entendant parler de Jung Aera. Elle comprenait ce qu’il disait par rapport à son engagement envers elle, mais elle était une adulte et surtout, elle pourrait trouver quelqu’un d’autre pour l’aider quand Hanjae n’était pas là pour elle. Nana fit la moue et haussa les épaules. Elle recommença à écrire sur son carnet et lui tendit une fois qu’elle eut fini. « C’est vrai que tu es engagé envers elle.. Mais si t’en as envie ne te bride pas pour elle. Le professeur Jung comprendra que tu veux toi aussi donner des cours et puis surtout, comme t’es un bon prof, de nombreux élèves auraient besoin de toi… Tu peux juste faire du tutoring au début. Ça te prendra moins de temps qu’un vrai cours. » Et puis surtout, ce ne serait qu’une seule personne à qui enseigner. Ça ferait moins de travail aussi et il pourrait faire ce qui lui plaisait. Nayoung lui sourit avant de cacher la réelle raison de sa présence à ses côtés pendant sa pause. Certes, passer du temps avec lui, lui manquait, mais elle n’avait pas envie de se faire rabaisser par ses camarades. Hanjae n’avait pas besoin de savoir qu’elle se faisait embêter par les filles de sa promo. Son sourire s’agrandit un peu plus en l’entendant. Même si ce n’était que la moitié de la vérité, Nayoung se sentait légèrement coupable de lui avoir un peu menti. Néanmoins, elle était heureuse de passer du temps avec Hanjae et sortit ses affaires pour les poser sur un coin de son bureau et elle recommença à écrire sur des feuilles vierges qu’elle lui tendit une fois qu’elle eut fini. « Je suis contente alors si ça te convient… Je peux quand même te demander si j’ai un souci avec une question ? » Parce qu’elle avait beau faire ses devoirs sans le jeune homme à ses côtés quand elle était dans sa chambre ou à la bibliothèque, le fait de l’avoir près d’elle, rassurait Nayoung qui lui ferait quand même relire ses réponses malgré les bonnes réponses qu’elle donnerait. C’était une assurance de plus qu’elle était sur la bonne voie vu qu’elle n’avait clairement pas confiance en elle. Tandis qu’elle était plongée dans ses affaires, la voix de Hanjae la fit relever la tête et son attention se porta sur le paysage qu’il regardait. Elle n’était pas sûre de comprendre où il voulait en venir mais inscrit quelques mots qu’elle lui glissa. « C’est sûr que des fleurs colorées rendraient le paysage plus avenant. Mais c’est pas si terne que ça… Enfin, j’aime bien. Mais tu verrais quoi toi ? Ou alors, je suis totalement hors sujet et j’ai pas compris où tu voulais en venir. » C’était une hypothèse à prendre en compte qu’il soit parti dans quelque chose de plus poétique que ce qu’elle disait elle.

« Je peux croire en toi pour nous deux alors », offris-tu dans une fine esquisse, le regard chaleureux et l'air attendri. « Tu devrais croire en toi aussi, cela dit. Tu as beaucoup de potentiel, plus que tu ne le penses. Il faut t'accorder du mérite », tu secouas un peu le visage, le sourire toujours présent sur les lèvres. Elle méritait d'être là autant que les autres. Voire même plus. Elle était tout aussi douée que les autres, voire même plus. Tu ne voulais pas croire – tu ne pouvais pas croire – qu'elle n'était pas aussi douée que les autres en théorie. C'était la pression qui parlait, le manque de confiance. Elle avait les capacités pour aller, Na Young et tu croyais en elle. « Je ne suis pas modeste, je suis réaliste », argumentas-tu dans un rire léger, le regard brillant d'émotions, le cœur réchauffé. Apaisé. Ca te faisait du bien de savoir ça. De savoir que tu l'avais aidé. Ca te faisait du bien et ça te confortait dans l'idée que l'enseignement était peut-être réellement pour toi. Mais elle te donnait trop de crédit – et n'en prenais pas assez. Si elle était là, c'était uniquement grâce à elle-même. Grâce à ses efforts, ses notes. Pas les tiennes. Pas tes efforts. Ce n'était pas toi qui l'avais placé ici, qui lui avait offert une place. Elle méritait – bien sûr qu'elle méritait. Peut-être même plus que certain.e.s. Mais peut-être n'étais-tu pas l'objectivité même quand ça la concernait. Si on t'écoutait, elle était la première. La meilleure. C'était ainsi que tu la voyais, du moins. Elle avait réalisé grâce à sa propre force, grâce à son propre travail. Pas le tien. Elle devrait se féliciter d'en être arrivée, et pas te dire merci à toi. T'avais pas fait grand chose comparé à elle.

Tu fis mine de ne pas comprendre ce qu'elle voulait dire, levant un peu les sourcils dans un air innocent. Il y avait meilleur que toi – il y aurait toujours meilleur que toi. Tu avais des lacunes, encore. T'étais pas le professeur le plus avisé. Tu avais sans doute un manque quelque part. Tu fronças un peu les sourcils, pensif, songeur. Un peu perdu peut-être aussi. « Je ne me bride pas pour elle, t'en fais pas », la rassuras-tu dans un sourire. Tu te doutais bien que Ae Ra comprendrait. « C'est gentil », soufflas-tu, l'esquisse douce. Elle était vraiment trop gentille avec toi, Na Young. « Je peux faire ça, oui. Pour commencer », et quand Ae Ra ira mieux... peut-être que tu pourras envisager une suite. Tu ne voulais cependant pas la laisser seule ou lui faire croire que tu la laissais. Que tu partais. Croire que tu l'abandonnais pour pouvoir réaliser ton rêve. Ce n'était pas ça. Pas ton but. Tu voulais être près d'elle. Tu avais promis. Mais c'était difficile d'expliquer ta façon de penser, ta façon d'appliquer les choses. Les mots ne seraient jamais assez forts. Il n'y avait que les gestes qui comptaient. Selon toi. Et la meilleure action que tu pouvais faire pour Ae Ra était d'être près d'elle. Tu observas Na Young, un peu perplexe, un peu confus – un peu soucieux. Mais tu ne relevas pas. Tu ne savais même pas quoi relever. Un léger rire dans la gorge, tu hochas le visage. « Tu peux me demander. Pas sûr que j'arrive à t'aider mais demander, tu peux toujours », tu ris encore une fois, discret et presque silencieux, les pupilles sur elle avant de les plonger vers l'extérieur. Tu lis ses mots, penchant un peu le visage, les prunelles s'égarant. Dans le vide, l'extérieur, tes propres mains. « T'es pas hors sujet. Je suppose que tout dépend de l’œil avec lequel on regarde », offris-tu simplement. Toi t'aimais jamais ce paysage mais Na Young l'appréciait. « D'autres couleurs, peut-être », répondis-tu lentement, l'esquisse en coin, fine, discrète – nostalgique, amère. « Un peu plus de rouge, et de jaune. Beaucoup plus de bleu, moins de gris », te mis-tu à dire, le regard à nouveau vers la fenêtre. « Moins d'immeubles, plus d'horizon et de nuages. Moins de bitume, plus de verdures », tu ris un peu, te sentant presque idiot mais pourtant le paysage dont tu parlais te faisait rêver, ton regard brillant un peu plus à chaque seconde. « Je trouve toujours la ville triste », dis-tu, tournant ton regard vers elle. « Il n'y a pas d'air, entre les bâtiments, la pollution, les voitures et le stress. Les gens sont trop pressés, ils prennent jamais le temps de regarder autour. On peut pas trop respirer, par ici », tu haussas un peu les épaules dans un air triste. Tu ne pouvais pas respirer, plutôt. « Ma campagne me manque un peu », avouas-tu doucement, ton menton venant se caler contre ta paume alors que tu baissais le regard. Tu gardas le silence ensuite, observant tout et rien à la fois. « Tu bosses sur quoi, d'ailleurs ? », lui demandas-tu, les pupilles retournant vers elle.

Un doux sourire prit place sur les lèvres de la gymnaste alors qu’elle regarda avec tendresse son professeur particulier. Il ne voulait prendre de crédit sur le fait que Nayoung était entrée à la Yonsei. Pourtant, sans lui, elle ne serait pas en face de lui à discuter ainsi. Certes, elle était celle qui avait été faire les examens, celle qui avait inscrit les réponses sur ses copies, mais c’était grâce à Hanjae. Sans lui, elle aurait probablement tout abandonné et n’aurait pas pu entrer à la fac. Nayoung lui était donc reconnaissante à vie parce qu’il avait pris du temps dans ses propres études, dans sa propre vie pour lui enseigner ce dont elle avait besoin pour survivre dans les cours qu’elle suivait actuellement. La jeune femme ne mentait pas. Elle était bien moins bonne en théorie qu’en pratique et pourtant, elle n’avait pas fait de sport pendant qu’elle était enfermée chez elle. La gymnaste avait simplement entretenu sa souplesse, faisant le plus d’exercices possibles pour ne pas perdre ce qu’elle avait mis tant d’années à parfaire. Encore une fois, Hanjae se fit modeste et elle leva les yeux au ciel. Tout comme lui, elle n’aimait pas qu’il se dévalorise. Il avait fait pour elle bien plus qu’il ne le pensait. Elle était ici grâce à lui et elle voulait qu’il le sache. Elle inscrivit donc rapidement quelques mots sur son carnet avant de lui montrer. « Tu es modeste… C’est grâce à toi. Donc merci. » Nayoung n’en démordrait pas. C’était l’assistant du professeur Jung qui était la cause de sa réussite et ce même s’il ne pensait pas l’être.

D’ailleurs, en parlant de Jung Aera, la jeune femme mentionna rapidement qu’elle aurait aimé que Hanjae donne des cours et qu’elle avait l’impression qu’il se bridait pour elle. Elle comprenait qu’elle avait besoin d’aide à cause de son handicap, mais il devait aussi penser à lui. À ses mots, elle fronça les sourcils, le regardant comme si elle cherchait quelque chose de suspicieux dans ce qu’il mentionnait. Il ne se bridait pas pour elle. Ça ne la convainquit pas réellement, mais elle ne relança pas le sujet, préférant se focaliser sur le fait qu’il n’était pas contre des séances de tutorat. Il ne se rendait pas compte du nombre d’élèves comme Nayoung à qui il pourrait tendre une main et les aider dans leur quête de perfection. « Je suis sûre que ça te détendrait en plus. » Parce qu’elle se doutait que travailler avec le professeur Jung n’était pas de tout repos. Nayoung ne la connaissait pas réellement, mais de ce qu’elle avait entendu, c’était un peu une tyran. Après, elle ne se faisait pas d’avis avant de voir les gens ou d’expérimenter elle-même ce genre de comportement pour se faire sa propre idée de la personne. Alors, elle ne dit rien de plus et préféra sortir ses affaires pour se mettre à travailler, sollicitant l’aide de Hanjae si jamais elle en avait besoin. « Je pense que tu sauras m’aider. Tu le fais toujours… » avait-elle écrit sur un morceau de feuille avant de lui tendre. Elle était sûre qu’il aurait les réponses si jamais elle lui posait les questions. Nayoung était en train de terminer d’arranger ses affaires pour commencer à travailler quand la voix de Hanjae la fit sortir de ses pensées. Elle ne s’était pas attendu à ce qu’il parle du paysage à l’extérieur et elle l’écouta après qu’il ait lu ses mots. C’est vrai qu’il n’était pas de la ville mais de la campagne. La jeune femme avait tendance à souvent l’oublier parce qu’elle, elle n’avait connu toute sa vie que le bitume et l’effervessence de la ville. Bien entendu, elle avait déjà parcouru les plaines de la campagne et les montagnes mais Nayoung était malgré tout une fille de la ville. Elle le laissa finir mais commença à écrire avant qu’il ne mette un point final à son analyse. « J’oublie souvent que tu viens de la campagne. J’ai toujours vécu en ville, alors, je suis sûrement habituée à cette vision. C’est celle où je me sens le plus chez moi et à l’aise surtout. Y a trop d’insectes à la campagne même si c’est très beau… » La jeune femme ne remettait absolument pas en question la beauté des paysages que composaitent la campagne coréenne, au contraire. Elle y était juste un peu moins sensible que Hanjae. « Je me sentirai pas vraiment à l’aise loin de la ville. » Nayoung aurait l’impression d’être exposée, de ne plus avoir d’endroit pour se cacher du monde et des gens. Ce n’était pas quelque chose que l’on ressentait normalement, mais un grand espace comme cela ne lui donnerait pas l’occasion de pouvoir disparaître. Il n’y avait pas assez de lieux où elle pourrait se mettre. Pourtant, avec sa petite taille, elle trouverait sûrement. Mais elle se sentirait bien trop exposée à la vue de tous. Hanjae posa alors une question et elle fit glisser vers lui son livre de cours. Elle étudiait en ce moment les muscles du corps humain ainsi que leur fonctionnalité. Ça ne l’intéressait pas vraiment, mais elle n'avait malheureusement pas le choix. La théorie faisait partie intégrante du programme et même si Nayoung souhaitait plus que tout ne faire que de la pratique, elle ne pouvait pas. « C’est long et chiant… Y a trop de muscles dans le corps humain et en plus ils ont plus ou moins tous la même utilité… Je voudrai bien ne faire que de la gym, mais ce n'est pas réellement possible. Alors, j’essaie d’apprendre par coeur pour ne pas avoir de problème aux examens. » La jeune femme savait que c’était impossible mais elle espérit encore. « Et toi ? Tu travailles sur quoi avec le professeur Jung ? » Elle lui retourna la question autant par politesse que par réel intérêt pour la réponse.

Une fine esquisse aux lèvres, tu secouas faiblement le visage, mouvement à peine visible mais la sensation vint tout de même tirer la peau de ta nuque. Tu t'humectas faiblement les lèvres, comme pour préparer un grand discours. Discours qui ne vint pas, le coin de tes lèvres se levant un peu plus, les prunelles observant la jeune femme face à toi, une affection particulière les faisant pétiller. Tu secouas à nouveau le visage, geste plus visible cette fois, gardant toujours le silence, le regard ne la quittant pas une seule seconde. Na Young faisait partie de ces personnes auxquelles tu t'étais attaché, la moue attendrie à chaque fois que tu la regardais, les souvenirs plein la tête. Elle était une de ces personnes pour qui tu ferais beaucoup, peut-être même plus si elle te le demandait, parce qu'elle le méritait. Mais que c'était aussi ta façon de lui montrer. De lui montrer qu'elle était une personne capable, et extraordinaire. Peu importait ce que les autres pensaient, tu ne faisais que souffler la vérité. « Avec plaisir, alors », finis-tu finalement par chuchoter, les lèvres traçant une courbe fine et délicate, la tendresse venant se peindre sur ton visage. « Merci à toi », rajoutas-tu, l'air un brin amusé mais surtout satisfait. Merci à elle d'avoir écouté, suivi. D'avoir tout donné. D'avoir réussi et d'être là où elle était aujourd'hui. Et si elle ne voulait pas se remercier elle-même, tu le ferais alors pour elle.

Et tu trouvais ça adorable, cette façon qu'elle avait de vouloir te faire reprendre l'enseignement. De vouloir te replonger dedans. Il était vrai que ça te manquait. Que c'était tout ce dont tu avais toujours rêvé. Hors tu avais d'autres tâches à faire avant, d'autres promesses à tenir et à garder. Des mots que tu n'avais pas forcément soufflés mais des gestes que tu faisais au quotidien. Ta présence que tu gardais simplement aux côtés de Ae Ra. Tu trouvais ça bien plus important, bien plus fort, que des mots. « Tu me connais trop bien », articulas-tu, le sourire mutin, le nez se plissant légèrement. « Ca me détendrait, c'est vrai », confirmas-tu d'un petit geste du visage, les joues rebondies sous ton sourire. Il était vrai que ça te ferait du bien de te replonger dedans. Tu te demandais cependant si t'avais pas perdu le « truc ». Etait-ce possible ? Sans doute. T'en savais trop rien. Mais tu pourras toujours essayer. Plus tard. Peut-être pas demain, ni la semaine prochaine. Mais tu le pourrais. Ae Ra ne te dirait pas non, elle n'était pas ainsi. Pas à te brider, à te garder en cage. Tu avais juste peur d'un peu la décevoir, probablement. Clignant quelque peu des paupières, tu lis les quelques mots notés avant de sourire, cette même douceur toujours peinte sur tes lèvres, couleur et chaleur toujours présentes quand Na Young était là. « Et je continuerai à le faire aussi longtemps que possible », une promesse ? Oui. Être là pour elle dès qu'elle en avait besoin. Tu pouvais faire ça. Non. Tu feras ça. Tu te promettais à toi-même de ne pas la laisser tomber et de répondre présent à chaque fois qu'elle t'appelait. De l'aider, encore et toujours. « Tu me flattes beaucoup aujourd'hui », commentas-tu dans une esquisse amusée, les iris taquines bien que débordantes de douceur. Douceur que tu gardais quand tu pensais à ta campagne. Douceur que tu perdais quand tu observais la ville. Tableau grisâtre et si morne. Si vide. Un rire t'échappa à la lecture de ses paroles, et tu plissas le nez. « Je suppose. Et si tu te sens à l'aise en ville, c'est le plus important. Vaut mieux y rester », tu secouas un peu le visage, les sourcils faiblement froncés. « Les insectes sont gentils tu sais ? », que tu la taquinas sans aucune force. « Mais je comprends. Ca ne plaît pas à tout le monde », tu bougeas les épaules, le sourire toujours présent aux lèvres. Chaque personne avait son paysage préféré. Celui qui berçait son cœur. Le tien... n'était pas là. Il était loin, plus coloré, plus libre. Moins encombré. T'étouffais, en ville. L'air te paraissait moins frais, moins agréable. Les gens plus bornés, moins ouverts. « Alors ne t'en éloigne pas », lui dis-tu dans une esquisse pleine de regrets. Si elle était bien ici, qu'elle ne parte pas. Ou seulement quand elle s'en sentira capable et prête. Passant tes doigts sur tes joues, tu te penchas vers le livre qu'elle te fit glisser, les yeux détaillant curieusement les pages. « A quoi servent donc tous ces muscles... », soupiras-tu, faussement blasé, avant de rire discrètement. « Tu as raison. Même si ça fait beaucoup à apprendre », tu tournes brièvement les prunelles vers le livre. « On travaille sur des contrats en ce moment. Avec quelques artistes mais aussi des musiciens. Pour les paroles ou les compositions », tu fis un vague geste de la main pour exprimer un « etc ». « Il y a pas mal de dossiers à remplir, de signatures à faire ou aller chercher. Puis on doit retravailler certains contrats, aussi, si les termes ne plaisent pas et ainsi de suite... Plus de paperasse qu'autre chose, en somme », que tu résumas le tout dans un rire. « Je profite de ma journée, aujourd'hui. Demain elle sera un peu plus prise », tu lui offris un sourire, désignant ensuite son livre. « Et donc les muscles ? », ton menton vint se poser dans ta paume alors que tu souriais discrètement. « Tu en connais combien pour le moment ? Tu les apprends par cœur ? Comme ils sont notés ? », la questionnas-tu doucement. « C'est intéressant cela dit. Je ne pensais pas qu'il y en avait autant », tu devais pas utiliser la moitié, déjà. Tu dévoras les pages encore un instant, la curiosité brûlant sous ta peau. « Je suis sûr que tu les connais déjà tous par cœur, douée comme tu es. Mais dis-moi en quoi je peux t'aider », lui proposas-tu lentement, le sourire toujours présent et les prunelles brillant doucement. Toujours tout faire pour l'aider, pour l'encourager, pour être présent.