Elle avait accepté d’être bénévole pour la bibliothèque de la faculté. Ça lui permettait de travailler dans un environnement qu’elle aimait et qu’elle connaissait. Depuis qu’elle s’était inscrite à l’université, ce lieu était devenu la meilleure cachette pour elle quand elle voulait se retrouver seule quand il y avait bien trop de monde ou que les filles de sa promo cherchaient à l’emmerder. Du coup, quand elle avait vu qu’ils faisaient une sorte d'événement pour promouvoir l’utilisation des livres plutôt que les ordinateurs et autres tablettes, elle s’était précipité et avait inscrit son prénom. Nayoung avait beau avoir besoin des technologies pour communiquer avec les autres, quand elle n’avait rien d’autre que le téléphone elle utilisait son carnet. D’ailleurs, elle avait pris quelques-unes des feuilles présentes à l’intérieur et avait écrit en avance le genre de questions et réponses qu’elle devrait poser pour porter assistance aux gens autour d’elle.

Elle était à l’accueil et était donc la première personne qu’on venait voir pour parler. Malgré l’angoisse qui lui tordait le ventre, Nayoung se forçait à laisser un sourire engageant sur son visage pour que les gens ne soient pas trop surpris de ne pas la voir parler. La jeune femme glissait les feuilles de papier vers eux et attendait qu’ils répondent à l’oral avant d’écrire rapidement si jamais elle n’avait pas préparé de papiers avec la réponse adéquate. Le schéma se répétait donc et elle se baissait à chaque fois pour saluer, s’efforçant de garder son sourire. Un nouveau venu arriva et elle ne prêta pas attention à la personne, le saluant en se courbant avant de lui glisser son mot : « Qu’est-ce que je peux faire pour vous aider ? » Alors qu’elle releva le regard, elle tomba nez à nez avec Eun. Il n’avait pas changé et elle mordit dans sa lèvre alors qu’elle attrapa son carnet et écrivit quelques mots dessus. « Eun ! Mon dieu ! Ça fait longtemps… Comment tu vas ? »

La vie changeait de façon radicale, par moments. De très bons amis, on s'oubliait avec la rapidité d'un coup de vent et l'on disparaissait de la vie des autres, parfois sans explication. Pour Eun et Nayoung, c'est un peu ce qu'il s'était passé, à l'exception peut-être que cette disparition n'avait pas été totalement décidée par Eun. Mais il ne s'attendait pas à croiser un fantôme de son passé aujourd'hui. Encore moins une personne qu'il avait appris à détester, après avoir été bercé par les paroles de ses parents qui jugeaient qu'une fille comme elle ne méritait pas la considération de leur fils. Un bourrage de crâne très efficace qui, au moment où la jeune femme avait repris la parole, l'avait poussé à adopter un comportement pour le moins désagréable. « Bonjour. Je viens pour rendre ces livres. » avait-il annoncé en plaçant sur le comptoir une série de bouquins. « Et prolonger ceux-ci. » Oh, elle s’inquiétait de lui maintenant ? Elle se demandait comment il allait ? Cette colère n’était certainement pas justifiée, mais il n’avait pas envie de continuer à parler avec elle. En fait, il n’avait tout simplement plus envie de la croiser. Il s’était senti bien trop blessé, à l’époque, et ses parents n’avaient pas manqué d’utiliser cette fracture pour y injecter leur fiel.

La joie de revoir Eun s’évapora aussi vite qu’elle était arrivée. Son comportement ne laissait aucun doute quant à ce qu’il pensait d’elle. Il semblait en colère et même la détester. En même temps, Nayoung ne pouvait pas l’en blâmer. Elle avait mis fin à toutes ses relations avec les autres au moment-même où elle s’était enfermée chez elle après avoir demandé sa déscolarisation. Comment aurait-il pu ne pas lui en vouloir ? Cependant, elle avait pensé, sûrement naïvement, qu’il voudrait des explications, ou au moins qu’il lui crierait dessus. Mais l’indifférence dont il faisait preuve était plus blessante qu’un regard noir ou des insultes. Elle ravala ses larmes, hochant la tête alors qu’elle s’exécutait à faire en sorte de reprendre les livres qu’il ramenait et ceux qu’il voulait garder. Une fois fini, elle glissa vers lui un nouveau morceau de papier. « On peut discuter ? » En le revoyant, elle avait compris qu’elle avait encore plein de choses à lui expliquer et qu’il avait lui-même plein de choses à lui dire et ce même si c’était des vacheries. Nayoung l’aurait bien mérité, elle le savait. « S’il te plait ??? » lui tendit-elle, espérant qu’il ne l’envoie pas chier. Eun avait été de ces amis qu’elle présentait comme étant ses amis proches et ils avaient besoin de cette conversation même si elle ne se serait jamais faite s’ils ne s’étaient pas revus dans la bibliothèque.

Il n’avait aucune envie d’échanger avec Nayoung. Pas après tout ce qui avait pu se passer. Enfin, tout ce qui avait pu se passer entre ses parents et lui-même, en vérité. Il avait essayé d’éviter de lire les nouveaux papiers qu’elle dirigeait vers lui, mais il savait qu’il n’avait pas trop le choix, comme il devait interagir avec elle. Il avait lu le papier, puis l'avait repoussé d'un geste dédaigneux, mais moins qu'il ne l'aurait souhaité.  « Et de quoi tu voudrais discuter ? » Ça le rendait bien curieux, tout ça, mais il n’était pas pour autant prêt à changer d’avis. Eun avait toujours eu tendance à se ranger du côté de ses parents, qu’importe combien leur comportement pouvait être honteux et désagréable. Il n’avait jamais cherché à les confronter. « Si c’est pour me donner des excuses, je n’en ai pas besoin. Je suis passé à autre chose. » Enfin, cela, c’est ce qu’il essayait de faire croire à cet instant. Une part de lui-même était toujours profondément triste d’avoir perdu contact avec Nayoung.

Ils avaient été si proches, à une époque… Et maintenant, il ne restait plus rien de cette relation, que des ruines dans lesquelles il pouvait se promener en se demandant encore et toujours pourquoi, pourquoi ? Eun s’était demandé pourquoi ils avaient si rapidement perdu contact, ce qu’il pouvait se passer de son côté à elle. Mais ses parents, personnes de peu d’honneur qu’ils étaient, avaient décidé de revisiter ses souvenirs et ses pensées, sélectionnant avec soin les bribes qu’ils devaient lui rappeler, encore et toujours. Des petits mécontentements, des disputes sans importance. Des raisons qui, petit à petit, avaient fini par altérer la vision qu’Eun avait de sa propre amie, jusqu’à totalement lui couper l’envie de la revoir.

Elle ne le méritait pas.
Ou peut-être que si.
Mais ce n’est pas ce qu’ils voulaient lui faire croire.

Après tout, aux yeux des Jang, il fallait que tout soit parfait, et Nayoung n’avait jamais vraiment tenu une bonne place dans leur conception du monde.

« Je suis venu pour mes livres. »  Avait-il finalement repris, en sortant son téléphone du fond de sa poche pour éviter d’avoir à la regarder à nouveau. Le conflit qui existait au fond de lui, l’envie de lui parler… Le tout était terriblement difficile à gérer.

La surprise se lisait sur son visage alors que Eun était en face d’elle. Cela faisait longtemps qu’elle ne l’avait pas vu, notamment à cause de ce qui s’était passé quelques années plus tôt. Nayoung avait mis un terme à toutes ses relations et sans réelle explication. Elle comprenait donc l’animosité dont faisait preuve son ami, enfin si elle pouvait toujours le qualifier ainsi. Elle souhaitait vraiment dissiper les malentendus et lui demanda s’ils pouvaient discuter. La réaction de Eun ne se fit pas attendre et elle fit grimacer légèrement la jeune femme. Elle soupira même en l’entendant dire qu’il ne voulait pas d’excuses. La jeune femme écrivit rapidement sur un morceau de papier et lui tendit. « Des excuses oui… Mais je voulais plus te donner des explications. Tu les mérites. » Parce que personne ne méritait le silence dont elle avait fait preuve jusqu’à ce qu’elle ait le courage de coucher sur un blog les traumatismes qu’elle avait subi. Elle devait donc à Eun des explications et des excuses parce qu’ils avaient été amis et même s’il ne la considérait plus ainsi maintenant, c’était toujours le cas de Nayoung. Elle voulait si c’était possible, renouer avec lui, s’il lui en laissait l’occasion.

Nayoung voyait bien qu’il était réticent à l’idée de lui parler, mais elle ne voulait pas abandonner. A cause de son ex petit ami, elle avait déjà trop perdu. S’il lui laissait la possibilité de lui expliquer ce qui s’était passé, elle avait espoir qu’ils puissent redevenir amis, comme avant. Ce ne serait pas facile, la jeune femme en avait conscience, mais s’ils le désiraient tous les deux, ce serait déjà un grand pas. Eun reprit la parole et la gymnaste hocha la tête, s’occupant des livres qu’il avait ramenés. Elle poussa un nouveau soupir en le voyant sortir son téléphone. Ce ne serait pas facile de renouer le contact avec lui, mais elle en avait vraiment envie. Une fois qu’elle eut fini sa tâche, elle écrivit à nouveau sur un bout de papier qu’elle lui glissa, espérant qu’il le lirait. « Je ne te demande que 5min… Après, tu pourras décider de me croire, de me parler à nouveau ou tout simplement m’oublier totalement… 5 minutes Eun… S’il te plait... » Elle le suppliait du regard en même temps, les yeux embués. Elle n’allait pas pleurer, du moins pas pour l’amadouer et attendrait qu’il soit parti si jamais il refusait ces cinq petites minutes.


@jang eun

Si Eun avait regardé un peu plus loin que le bout de son nez, sans doute aurait-il pris conscience de l’injustice dont il faisait preuve à l’égard de Nayoung. Avait-il aussi facilement oublié les moments qu’ils avaient passés tous les deux ? Les conversations qu’ils avaient pu avoir. Aux yeux d’Eun, tout semblait avoir disparu, comme si quelqu’un (et l’on devinait très aisément de qui il s’agissait) avait passé un coup de balai dans sa mémoire afin de lui faire oublier les souvenirs qui les liaient tous les deux. Il n’était pas difficile de deviner qu’aux yeux des parents du jeune influenceur, une fille qui avait connu des problèmes n’était pas digne d’intérêt. Pour eux, seul le doré et les paillettes avaient une valeur, et c’était pour cette raison précise qu’ils s’étaient empressés de faire comprendre à leur progéniture qu’elle avait tout intérêt à ne pas garder dans son cœur un individu comme Nayoung.

S’aider de la blessure de leur enfant pour ériger des murs, c’était l’une des plus grandes bassesses dont les parents d’Eun s’étaient rendus coupables.

Le regard de l’étudiant s’était posé sur le morceau de papier que Nayoung tendait dans sa direction, et ses sourcils s’étaient froncés une fois encore. Il les méritait, oui. Il n’y avait pas photo. Comment osait-elle se trouver là et lui parler, après tout ce temps ? Des pensées confuses, rebutées, qui trahissaient le manque de cohésion qui existait entre son esprit et ce que ses parents lui avaient dit. Que devait-il penser, maintenant ? Que devait-il faire ou dire ? Pouvait-il… Pouvait-il simplement discuter avec elle ? Il avait l’impression de trahir ses parents, s’il le faisait. Se mentir était bien plus facile que chercher à découvrir la vérité.

Espérant que cela suffirait à lui faire oublier sa volonté idiote de discuter avec lui, Eun avait laissé Nayoung s’occuper des livres qui se trouvaient sur le comptoir. Il espérait s’en aller sans demander son reste, une fois cela terminé, mais il avait pu voir un nouveau morceau de papier entrer dans son champ de vision. Un papier qu’il chercha d’abord à ignorer, avant de sentir sa curiosité le porter : il avait lu son contenu et s’était arrêté pour soupirer. « D’accord, cinq minutes. » Une réponse simple pour une demande tout aussi simple. Il ne voulait pas lui accorder plus que cela. On verrait bien quand elle aurait terminé son explication, s’il la croyait ou non.

La jeune femme comprenait le comportement de Eun à son égard. Elle l'avait laissé tomber sans même lui expliquer ce qui s'était passé. Elle avait tout simplement disparu dans la nature sans rien dire. Alors, oui, elle comprenait. Elle se doutait que dans la situation inverse, elle aurait eu la même réaction que le jeune homme. Elle aurait été en colère et pas forcément encline à lui parler. Néanmoins, Nayoung se connaissait. Elle savait qu'elle aurait laissé sa chance à Eun de lui expliquer, parce qu'ils avaient été amis, parce qu'ils avaient passé de bons moment ensembles. Ce n'était pas quelque chose qu'elle pouvait supprimer de sa vie ainsi. La gymnaste espérait que ce soit aussi le cas de son ancien ami, que ce qu'ils avaient vécu lui donne envie de lui parler et surtout apprendre la vérité.

Cependant, ça ne semblait pas être le cas pour le moment. Eun ne lui adressait aucun regard et à peine quelques mots. Dire que ça ne blessait pas Nayoung était un mensonge. Son cœur saignait et il rajoutait du sel dessus. Seulement, elle ne pouvait s'en prendre qu'à elle-même. Après tout, c'était sa faute s'ils n'avaient plus de contacts maintenant. Nayoung s'occupa des livres qu'il ramenait, lançant des regards dans sa direction, espérant avoir un contact avec lui. Seulement, il restait focalisé sur autre chose, l'ignorant totalement. Le cœur de la jeune femme se pinça et avant de lui dire qu'elle avait fini, elle inscrivit quelques mots sur un bout de papier qu'elle lui glissa. Elle ne lui demandait que cinq minutes de son temps. Cinq minutes ou elle pourrit écrire ce qu'elle voulait lui dire et après ils pourraient ne plus jamais avoir de contact, faire comme s'ils ne se connaissaient pas.

Elle n'attendit que quelques secondes avant qu'il ne lise et lui accorde ces précieuses minutes de son temps. Nayoung toucha l'épaule de la personne qui l'accompagnait pour la prévenir qu'elle allait aider une personne à trouver des livres et elle passa de l'autre côté, attrapant la main de Eun pour qu'il la suive. Elle chercha un endroit un peu plu calme et où ils pourraient être seuls. La gymnaste s'arrêta près d'une table et prit son téléphone pour noter frénétiquement dessus afin de ne pas perdre une seule seconde. Quand elle eut fini, elle lui mit sous le nez pour qu'il lise. « Je suis désolée d'avoir disparu. Je ne l'ai pas fait parce que je le voulais. Je l'ai fait parce que j'ai été agressée... C'est pour ça que je parle plus aujourd'hui. Depuis l'agression je n'ai pas pu sortir un mot ou même un son... Tu n'as jamais été le problème... Je savais juste pas comment gérer la chose... Je suis désolée, sincèrement Eun. Je n'ai été que sincère avec toi... Toujours. » Et elle le serait encore aujourd'hui.

@Jang Eun

Il vivait dans une bulle. Une bulle hermétique dans laquelle on le tenait enfermé, sur laquelle on tapissait des mensonges qui devaient devenir son opinion, ses pensées, et ses propres envies. Parfois, Eun se laissait avoir par ces images subliminales, il les intégrait comme siennes, alors qu’il n’en pensait rien. Ses parents le savaient. Ses parents s’en servaient. Sa mère en particulier. Quand il avait entendu tous ces mensonges au sujet de Nayoung, toutes ces choses qu’il aurait préféré ignorer et oublier… Il n’avait pas pu s’empêcher d’y croire : on avait voulu cela pour lui. C’était la bonne chose à imaginer, la bonne chose à voir. Nayoung était mauvaise, et elle l’avait abandonné de façon éhontée. Elle ne valait pas la peine qu’il lui accorde la moindre once d’attention, la moindre miette de pardon. Elle ne valait rien.

Aujourd’hui, elle était face à lui. Elle essayait de lui faire passer un message, de lui dire ce qu’il s’était passé, et Eun ne savait pas sur quel pied danser. Fallait-il croire les propos de ses parents, qui lui avaient soufflé de la détester, ou regarder Nayoung droit dans les yeux pour lui demander des explications ? La question était complexe, et les réponses ne lui venaient pas avec autant de simplicité qu’il l’aurait souhaité.

Il suivit Nayoung à l’endroit où elle l’emmenait, attendant avec appréhension que celle-ci lui écrive ce qu’elle avait à dire. Au cœur de ce conflit interne, il peinait à trouver la lumière où elle aurait dû se trouver. Il l’aurait souhaité, pourtant. Hélas, il n’était pas si clairvoyant. « D’accord. Alors pourquoi est-ce que tu ne m’as rien dit ? » Trop aveuglé par les faux discours, les pensées fabriquées. Égoïste, incapable de voir la vérité, la souffrance… N’était-ce pas malheureux, pour une personne qui souhaitait aider les autres et défendre des causes. « Tu sais que j’aurais pu t’aider. »  

C'était bien la première fois que Eun l’ignorait de la sorte et Nayoung avait mal. Elle comprenait les raisons mais elle ne pouvait s’empêcher de se sentir blessée par la situation. Néanmoins, elle ne baissa pas les bras. Elle devait des explications à son ami et elle lui donnerait même si elle devait se mettre à genoux et le supplier. Eun était bien l’une des seules personnes pour qui elle pourrait faire ça. Heureusement, elle n'eut pas recours à ce stratagème pour qui l’écoute et obtint cinq minutes de son temps. Nayoung avait conscience que c’était peu mais elle s’en contenterait pour que son ami puisse comprendre les raisons qui l’avaient poussé à couper les ponts avec lui, mais également avec le reste du monde.

Ainsi, elle l’amena un peu plus loin et commença à taper sur son clavier de téléphone pour lui dire ce qui s'était passé. Nayoung n’entra pas dans les détails. Elle n’en avait pas envie et surtout n’en avait pas le temps. Cependant, si Eun posait des questions, elle y répondrait même si ça la ferait replonger dans ses souvenirs et son traumatisme. Il réagit alors à ce qu’il avait lu et Nayoung reprit l’écriture sur son téléphone. Elle lui montra après avoir fini. « J’avais honte Eun. Honte de la situation parce que je pensais que c’était ma faute, mais surtout du fait qu’ils avaient réussi à me faire perdre ma voix… » C’était pour cette raison en plus du fait qu’elle avait dû se reconstruire, qu’elle n’était pas allée le voir et qu’elle avait fini par mettre une barrière entre elle et le monde.

« Je regrette de t’avoir blessé Eun. Mais je pouvais pas faire autrement. Il fallait que je gère tout l’autour… Le fait que je ne parlais plus mais surtout que c’est mon ex qui m’a fait ça avec ses potes… » Elle déglutit en écrivant et nota une dernière phrase avant de lui montrer l’écran, l’appréhension montant petit à petit. « Est-ce que tu pourras me pardonner ? » Nayoung n’en voudrait pas à Eun s’il ne le pouvait pas. Elle comprendrait et ne chercherait plus à avoir de contact avec lui.

@Jang Eun

C’était une situation compliquée, d’autant plus compliquée qu’Eun n’avait jamais vécu une chose qui ne s’en approchait ne serait-ce qu’un peu. Il avait toujours vécu dans ce petit cocon de paraître que sa mère entretenait avec soin depuis des années. Une bulle de sécurité dont il ne pouvait sortir que sous certaines conditions très soigneusement choisies, qui le poussait souvent à essayer de flirter avec ses limites, juste pour voir ce que ça faisait. Mais s’était-il un jour dit que Nayoung avait de bonnes raisons de disparaître de sa vie comme elle l’avait fait ?

On ne lui avait pas laissé cette chance.

Les mensonges, les ragots, les racontars de ses parents, en particulier de sa propre mère, avaient suffi à distordre de manière presque irréversible la pensée de l’influenceur. Presque, oui. C’était bien le mot qu’il convenait d’utiliser. Car si son fil d’actualité était remplis de ces messages positifs qui encourageaient à être indépendant et à laisser derrière soi les personnes toxiques, Eun savait qu’une part de lui avait profondément souffert de sa disparition, qui était à l’époque couplée d’une profonde incompréhension.

Hélas pour Nayoung, il en fallait du temps, pour déconstruire une pensée, et si cette part de lui avait envie de croire ce qu’elle lui disait, la lutte constante qui subsistait en lui était loin d’être terminée. « Je comprends. Enfin, j’essaie. » C’était la vérité, il essayait vraiment. Mais tout cela ne le rendait que plus confus encore. Si Nayoung disait la vérité, cela voulait dire que ses parents lui avaient menti. S’ils disaient la vérité, eux, alors c’était Nayoung, la menteuse… Mais elle n’irait pas jusqu’à prétendre qu’elle était incapable de parler, pas vrai ? La Nayoung connaissait… Qu’il pensait connaître, en tout cas, ne lui semblait pas comme ça. « Écoute, je… J’ai besoin de temps pour y réfléchir… D’accord ? » Il avait froncé les sourcils. Cette petite voix lui criait de la croire, mais une fois encore, elle était contredite par une autre bien plus forte.