Elle ne saurait dire pourquoi certaines périodes de l’année sont plus compliquées à gérer émotionnellement que d’autres. Rien de particulier s’est présenté dans sa vie ces derniers temps mais ses angoisses reviennent à la surface. La blonde a essayé de se rassurer car dans plusieurs semaines, il sera l’heure pour elle de jouer avec ses talents de make up fx, et pourtant... Un creux dans l’estomac se noue quand l’étudiante aperçoit son visage dans le miroir de la salle de bain avant de baisser sa tête aussitôt.  Si la demoiselle se contemple, ce filtre entre cette glace et sa silhouette va revenir la torturer. Elle posera son regard sur sa mâchoire si bien modelée et pourtant si étrangère à ses yeux. Peut-être qu’elle s’est sous-estimée en laissant autant de temps s’écouler entre ces séances chez le psychologue. Un profond soupir de désespoir se meurtrit dans sa gorge tandis que son mal-être est bien plus violent. Ainsi, la jeune femme décide de quitter l’appartement, tôt dans la matinée, sans un bruit. Elle erre plusieurs heures dans un parc, son chocolat chaud devenu froid dans les mains avant que des larmes invisibles glissent sur ses joues. Oui, invisibles. Sa douleur est si forte qu’elle peut seulement rêver de se soulager ainsi. Depuis le temps, ce monstre est fatigué et dans ces phases, elle ne parvient tout simplement plus à s’exprimer. Elle n’a même pas touché à son café. Dans un moment de lucidité, entre deux pensées destructrices, elle finit par contacter son psychologue qui l’invite à la rejoindre à son cabinet une demi-heure plus tard. En effet, un de ses rendez-vous a été annulé, sûrement une personne qui n’a pas le courage d’affronter ses problèmes. Elle le comprend. Les débuts de Yu Jin ont été aussi difficiles mais c’était bien plus compliqué d’apprendre à se maîtriser, à gérer toute seule. Refuser l’aide de quelqu’un ne l’avait pas aidé à avancer. Yujin se met donc en route. Son monologue dure presque une heure, où elle énumère tous ses défauts, qu’elle manque de hurler à quel point elle déteste son visage.  

La jeune femme est épuisée mentalement en sortant de cette séance. Il ne sera pas question de danser aujourd’hui, ni de faire autre chose. Peut-être qu’elle se contentera de se coucher, sa couette sur elle en guise de réconfort. Elle salue la secrétaire et se dirige vers la sortie. Yujin entend un bruit mais n’arrive pas à l’identifier. D’où ça vient ? A quoi ça correspond ? Elle ne s’imagine pas une seule seconde qu’un homme s’acharne de tout son cœur sur la plaque de son psychologue à l’extérieur. La blonde ne parvient pas à cacher sa surprise quand désormais dehors, elle découvre la situation. En alerte, elle balbutie quelques mots au lieu de tracer sa route comme il aurait été opportun de le faire face à cet homme violent. “ Désolé... Je ne fais que passer. “ L’étudiante aurait dû se taire. Peut-être qu’il pourrait déverser sa colère sur elle, peut-être qu’il pourrait être violent... Est-ce que cela calmerait ses maux ? De voir son visage détruit plus qu’il ne l’était déjà pour elle ? Son menton levé vers ce soi-disant inconnu, elle le fixe quelques secondes de plus. Se Jun ? Ses lèvres entrouvertes, elle hésite entre l’interpeler et le snober. Un paradoxe, n’est-ce pas ? Mais elle n’a pas bon souvenir de leurs précédentes altercations. Néanmoins, à le voir agir ainsi, elle ne peut pas s’empêcher de reprendre la parole. “ Sejun ? Qu’est-ce que tu fais ? “   

Cette séance a puisé ces dernières ressources d’énergie, ce qui crée certainement un manque de discernement chez elle. Au lieu de se taire, elle a signalé sa présence à cet homme, source de danger. La violence physique fait paniquer la demoiselle mais cette sensation est bien maigre face à la violence morale qui la détruit encore en 2021. Elle aurait aimé trouver une solution sur le long terme. Souvent, il lui arrive de prier pour que ce cauchemar s’arrête, que ses symptômes s’envolent vers des contrées bien lointaines de son royaume. Mais, elle est là, à sentir ses pupilles s’agrandir de surprise quand elle reconnaît les traits du visage de l’inconnu. Depuis le temps, eux n’ont pas changé d’un centimètre si ce n’est un gain de maturité évident. Elle prononce son prénom dans une interrogation, comme si elle doutait de son identité alors qu'elle pourrait le reconnaître entre mille. Son cadet, son jeune cadet avec lequel elle avait développé un lien amical si fort. Un lien qu’elle avait tant chéri avant qu’il s’enferme entre quatre murs. Et puis, elle avait suivi un chemin similaire, quelques temps plus tard. Tout avait vite changé entre eux à l’époque et c’est d’autant plus pénible pour la danseuse de le croiser aujourd’hui. Est-ce qu’elle aurait mieux géré ces retrouvailles, un autre jour ? Pas certaine. Le jeune homme lui rappelle des souvenirs. Non, il était un de ses précieux souvenirs, à l’origine de nombreuses joies et de nombreuses déceptions. Elle le fixe un instant, pensant secrètement que son prénom sorti de sa bouche ressemblait à un songe. Même si la jeune femme l’avait rejeté deux ans plus tôt, elle espérait que sa vie s’améliore. Malheureusement, elle constate que son cœur est encore sombre. Comme le sien, un endroit bien trop lointain pour qu’on puisse le comprendre. Pourquoi se torturer alors ? Elle a un mouvement de recul, peut-être décidée à fuir. Or, elle sent encore ses yeux braquer sur elle et c’est la curiosité qui l’emporte. Elle baisse la tête par habitude, ayant une envie de disparaître. “ Moi non plus. “ Elle n’a pas voulu lui faire peur, avec tous les doubles sens du monde. “ Je pourrais en dire de même pour toi... “ Yujin ne sait pas comment lancer une conversation. L’ambiance est pesante même si elle pense apercevoir un léger sourire sur son visage. Est-il content de la voir ? Est-il soulagé de ne pas avoir été pris en flagrant délit par une autre personne ? Elle ne saurait dire. Cet homme la perturbe un peu trop. “ Tu n’as pas changé. “ Elle aurait certainement dû arrondir les angles mais le revoir réveille cette vieille rancune. Elle ne peut pas faire un premier pas et puis, c’est son pragmatisme qui finit par reprendre la parole. “ Tu devrais peut-être t’en aller avant que Docteur Lee s’en aperçoive. Tu peux avoir des problèmes avec ce boucan. “ Elle aussi, elle avait scruté longuement cette plaque avant de se décider d’entrer dans les locaux, après la mort de son père. Maintenant ? Sejun pourrait faire le lien avec cette rencontre en bas d’un cabinet de psychologues. L’étudiante aurait peut-être dû se taire. Elle remonte son sac sur son épaule et lui fais un signe du menton pour l’inciter à prendre les jambes à son cou. Ca ne serait pas la première fois qu’il la laisse sur le bas-côté de la route.  

La demoiselle décèle un sourire sur les lèvres de son ancien camarade. Les années sont passées et la belle pense avoir oublié la nature de la relation qui les liait. Parce qu'elle avait été blessée plus d’une fois et son instinct avait fini par lui demander de se préserver. Elle se rappelle son besoin de s’impliquer dans sa vie car oui, il avait été tristement son ami. Maintenant, l’heure est de se demander si cet hasardeux destin les avait poussés à se revoir. Après tout, les anciens compères se retrouvent sur un pied d’égalité : un rejet chacun. Néanmoins, l’instabilité de l’étudiante l’invite à garder ses distances avec lui qui n’a pas changé. Pourquoi devrait-elle faire un effort qui sera forcément vain ? Yujin aurait adoré croiser un nouveau Sejun même si elle avait su apprécier l’ancien, aussi étonnant soit-il. Avec ses expériences passées, elle a au moins la certitude qu’elle ne donne pas dans le masochisme. “ Par la force des choses, oui. Plus que tu ne pourrais le croire. “ Mais ses maux ne se voient pas en réalité. Ils sont profonds et d’une intimité sans égal. Au fond, elle se demande si ses proches ont remarqué son mal-être. Ils l’ont peut-être considéré comme étrange mais ne se sont pas forcément attardés car le lendemain, la blonde offrait son plus beau sourire. Au fond, ce n’est pas mentir. Elle cache ses blessures car personne ne sera en mesure de les comprendre. Ils sauront juste la rassurer ou pire, minimiser l’impact de cette chirurgie sur sa vie, la rancune ressentie à l’attention de son défunt père. Les gens sont naïfs et écoutent seulement leurs propres souffrances. C’est peut-être pour cette raison qu’elle n’a jamais réussi à aider son ami. Une défaite de plus à son actif et un comble supplémentaire : son inscription dans un cursus de psychologie.  

Yujin l’invite ensuite à fuir, perdue entre son égoïsme et son envie de le protéger. Le voir partir lui permettra d’éviter une conversation délicate. Et lui, ne sera pas obligé de s’expliquer aux forces de l’ordre. Elle ne devrait pas avoir honte de faire une telle suggestion. Encore une fois, ils sont sur un pied d’égalité. Néanmoins, la blonde n’avait pas envisagé une seule seconde qu’il puisse … Rester ? C’est une once de surprise qui s’empare une nouvelle fois des traits de son visage. Le ton du jeune homme ne la braque pas. Elle ne veut pas en avoir honte. “ Oui, Sejun. J’ai essayé de m’en sortir seule mais c’est encore plus inquiétant quand on ne comprend pas ce qui nous arrive. Mettre des mots sur ce que l’on ressent, ce que l’on subit, ça permet de relativiser... Un peu. “ L’étudiante ne comprend pas qu’il ait voulu, un jour, être la personne en mesure de l’écouter mais ces deux-là sont différents sur de nombreux points. Une fausse bonne idée qu’elle a évité en lui claquant la porte au nez. Sa gorge se serre devant son légendaire manque de tact. “ Oh... “ Elle reprend sa respiration mais reste fixée sur son objectif. “ En partie...” Yujin le fixe du regard. “ Ecoute... Je ne peux pas t’en parler. La séance a été longue. “ Il va la trouver ridicule et se force à se préparer mentalement mais malheureusement, elle ne parvient pas à tout contrôler. Ses yeux brillent et deviennent rapidement rouges. Sa présence fait revenir des souvenirs de son ancienne vie et c’est un jour sans, comme on dit. “ Je suis fatiguée émotionnellement... Je... Tu me rappelles trop de choses et je ne veux pas. D’accord ? “ Elle sent les sanglots monter et elle se maudit d’avoir une carapace aussi frêle.   

Sur son visage, la fatigue fronce ses traits quand la frustration et le désespoir forgent des larmes qui menacent de céder, seconde après seconde. Elle redoute le moindre de ses mots ainsi que les siens. Elle craint de lui dévoiler ses plus grands secrets car il aura réussi à la faire culpabiliser. Elle doit apprendre à être égoïste comme son ancien ami tend sûrement à le faire en insistant. Comment pourrait-elle lui en vouloir alors qu’elle tend en faire de même de son côté ? Est-ce qu’il souhaite être rassuré à son égard ? Pendant un instant, la blonde se demande son réel objectif. Est-ce qu’il souhaite la réconforter alors qu’il vient de critiquer l’intérêt de ses longues séances avec un psychologue ? Normalement, il devrait pouvoir l’encourager comme n’importe qui le ferait au lieu de condamner ses efforts car il n’est tout pas simplement son interlocuteur. De quel bien souhaite-t-il s’occuper en premier ? La vie de ce garçon est préoccupante et Yujin ne voit pas comment il pourrait faire attention à elle. Pourtant, elle aurait aimé, tellement aimé compter sur lui car il l’avait connu. Et d’un autre côté, le cœur du problème se trouve au même endroit. Alors, l’étudiante entame la première détonation. Tu me rappelles trop de choses. Cet aveu permet à leurs regards de se croiser, de se déchiffrer pendant des microsecondes avant que ça soit au tour de la belle de baisser les yeux. Son prénom prononcé par Sejun lui rappelle trop de choses aussi mais cette fois-ci, ça provoque une amertume qui lui fait courber l’échine dans une sensation désagréable. Elle abdique quand elle le laisse s’approcher de sa silhouette empotée. L’étudiante chuchote alors. “ Tu es le premier à avoir commencé. Ça fait un mal de chien, pas vrai ? “ Ce n’est pas par rancune qu’elle agit ainsi. Non, du tout. Au fond, elle ne le déteste pas vraiment mais. Oui, il y a toujours des mais avec lui et la jeune femme a besoin de sourire, de positivité. “ Je veux juste préserver nos souvenirs. Je n’ai pas envie de te dégoûter, de me dégoûter encore plus. J’ai besoin de tout sauf de ça. “ Sejun la détesterait s’il savait les sentiments de Yujin à l’attention de son père. C’est d’une évidence..., Elle prend une inspiration, cherchant à ne pas foutre en l’air cet équilibre bancal dans lequel elle se trouve à l’instant. Et pourtant, la blonde pense afficher un léger sourire à cet instant. Un geste insouciant quand elle sent ce paquet de mouchoirs dans la paume de sa main. Mais ce moment est balayé par sa tirade. Elle résiste tant bien que mal mais sa voix tremble. “ Tu étais venu juste pour me dire ça ce jour-là ? Maintenant que tu t’es exprimé, j’imagine que tu n’as plus de regrets, que ta conscience va mieux ? Et c’est tout ? “ Elle est déçue même si elle s’était obligée à ne s’attendre à rien venant lui. “ Et c’est comme ça que tu penses vouloir m’aider ou devrais-je dire... T’aider. “   

Le rejet est un sentiment devenu si familier aux yeux de la jeune femme. Elle se souvient l’avoir découvert pour la première fois, quelques années plus tôt à cause de son cadet, désormais présent en face d’elle. Plus tard, ce même rejet était revenu de plein fouet, accentuant son plus profond mépris pour sa nouvelle apparence. Elle aurait aimé que ces expériences la fassent devenir rancunière. Elle aimerait se détacher de son empathie et de cette chose qu’elle ressent à l’égard de Sejun : cet instinct protecteur. Elle ne veut pas le faire souffrir car elle a conscience des conséquences, et peut-être que sa vie était déjà assez merdique pour ne pas en rajouter une couche. Néanmoins, cette générosité a de grandes chances d’être à sens unique. C’est ce qui perturbe la jeune femme, espérant qu’il puisse, pour une fois, lui prouver le contraire. Mais, la discussion avance au même titre que cette petite danse. Elle avance, recule sans personne capable de la guider. Ses émotions sont maîtres de la blonde comme la stupidité semblait régner sans crainte dans la tête du jeune homme. Il ne réfléchit pas, c’est peut-être ça le cœur du problème. Est-ce qu’elle ne lui tend pas suffisamment la perche ? Est-ce qu’il prend la peine de l’écouter ? Yujin ne sait plus quoi faire avec lui, voire de lui. Et pourtant, elle est incapable de mettre une frontière entre eux. “ Alors apprends à réfléchir. “ Au lieu de continuer à s’enfoncer. Décidément, ces deux-là sont des véritables opposés. Elle souffle à sa remarque. “ Tu étais peut-être trop aveugle pour le remarquer. “ Trop ailleurs aussi. La jeune femme ne veut pas croire que tout a changé pour le tout depuis son opération. Son physique, son moral. Sa personnalité aussi ? Quoi d’autre encore ? Ces chirurgiens ont-ils fait un pacte avec le diable pour la torturer ainsi ? Quoi que. Il n’y a pas besoin d’eux pour qu’elle sente un coup de couteau s’enfoncer dans son cœur. Un mal de chien. Sa faiblesse du jour n’attire aucune compassion chez lui. Il ne voulait pas donc l’aider. Elle serre la mâchoire et lâche un “ Oh. “ des plus ridicules. La danseuse retire un mouchoir du paquet avec difficulté à cause de ses tremblements. Elle échappe un rire forcé en tapotant le tissu sur le bord de ses paupières. Heureusement que ce n’est pas des mouchoirs à la menthe, ses larmes auraient déboulé sur ses joues avec une vitesse déconcertante. “ Tu as sûrement raison... Je ne vois pas pourquoi tu voudrais m’aider. C’est vrai. Toi et moi, on ne peut plus dire que nous sommes amis. “ Peut-être qu’elle ne mérite pas l’aide de quelqu’un. Peut-être qu’il ne la considère pas comme une amie non plus. C’est mieux ainsi et c’est pour cette raison qu’elle a recours à un psychologue d’ailleurs. Et puis, sa phrase finit par l’achever. Les premières larmes ouvrent le bal d’une longue série et c’est à son tour de se mettre à crier. La blonde jette le paquet en direction de lui dans une colère ridicule. Et pire encore, elle rate royalement sa cible. " Si tu sais ce que c'est alors pourquoi tu te comportes COMME UN PAUVRE CRETIN ? “ A remettre en question ses choix alors qu’elle ne lui impose rien. Sejun débarque de nouveau dans sa vie, toujours aussi en colère contre le monde entier mais elle n’avait pas besoin de ça. “ Est-ce que toi aussi tu en veux à ta mère ? Est-ce que tu remercies les gens d’être désolé pour toi ? Est-ce que ça te fait vraiment du bien ? Ou tu es devenu comme toutes ces personnes qui n’ont que de la pitié à ton égard ? “