Elle lâche prise, laisse ses émotions prendre le dessus sur un semblant de sérénité dont elle est censée maîtriser le sujet depuis ces évènements. Il a réussi à la blesser et elle en tire une conclusion : elle avait sûrement eu raison de ne pas ouvrir cette porte quelques années plus tôt. Si la jeune femme s’est renforcée psychologiquement depuis, le jeune homme aurait clairement pu danser sur son cadavre avant, quand elle était violemment brisée par sa chirurgie et par le décès de son paternel. Un ami n’est pas censé provoquer un tel chaos et son inquiétude avait eu raison d’eux. Leurs retrouvailles ne créent pas un sentiment de remord, juste un regret d’avoir échoué. Ils ne parviendront peut-être jamais à dépasser ce stade, à retirer ce boulet à leurs chevilles. Ils étaient emprisonnés dans cette geôle du passé sans être capable de songer à un plan pour s’échapper. Ils auraient pu se serrer les coudes mais l’entraide est un concept étranger aux yeux de Sejun. Pourtant, la blonde avait osé croire qu’il aurait pu le découvrir en sa compagnie.

Cette conclusion lui fait donc violence et rien ne peut pas l’empêcher de crier, y compris ses murmures qui tentent de l’adoucir à nouveau. Est-ce qu’il s’attend à être écouté ? Si c’était le cas, il ne devrait pas être aussi naïf. Plongée dans ce mélange ridicule entre pleurs, rires et cris, celui-ci s’accentue. Tu es triste ? Arrête. “ C’est plus fort que moi ! Ça sort tout seul ! Je ne peux plus réfléchir, je suis juste... fatiguée. “ Elle s’essouffle peu à peu dans cette respiration hasardeuse. Yujin saisit le mouchoir qui lui tend mais peut-être qu’il devrait songer à lui donner tout le paquet à ce rythme. Il décrit ce qu’elle ressent en partie mais même des mots sur ses sentiments ne parviendra pas à la sauver. L’étudiante en est intimement convaincue, à tort ou à raison. Elle veut une solution qu’il lui permettra de faire taire ses inquiétudes une bonne fois pour toutes. Est-ce que ce remède existe ? Elle n’en a pas l’impression et finit par trouver cette situation très ironique. Yujin relève le menton quand il s’exprime à son tour. Elle est surprise, non pas par ses dires mais par rapport à son intervention. Sans le remarquer, son cœur ralentit un peu, tâchant de retenir un sanglot supplémentaire dans l’espoir qu’il puisse lui parler. Malheureusement, il fait primer l’humour et elle jette un coup d’oeil sur la paume de sa main. Or, la belle n’en ressent pas le besoin car c’est plutôt son visage qu’elle souhaiterait cogner mais elle ne préfère rien dire. Un rire forcé s’échappe de sa gorge tandis qu’elle est complètement vide à l’intérieur. Son âme s’est fait la malle. Non, elle préfère s’asseoir sur le rebord du trottoir, posant sa main sur sa poitrine douloureuse. Yujin tente de récupérer de ce début d’hystérie et elle ne se sent plus enclin de rester debout. Un silence s’installe, par moment détruit par des sanglots un peu compliqués à retenir. Son regard erre sur le goudron et cherche à oublier la présence de Sejun. Elle n’a peut-être pas pleuré à chaudes larmes mais son état est déjà assez foireux pour ça. Ses doigts frottent ses yeux. La blonde se demande bien comment elle va pouvoir rentrer chez elle. Elle devrait récupérer des forces après cette longue journée. Malgré tout, son ancien camarade reste dans les parages. C’est pour cette raison qu’elle semble vouloir mettre en place une stratégie. Elle utilise ses airs innocents, en espérant que cette fois-ci, il se sente suffisamment coupable pour ne pas faire diversion. “ Et toi ? Comment tu as réagi ? “ Il avait peut-être eu envie de tout foutre en l’air mais ça n’a pas l’air de se calmer depuis tout ce temps. Est-ce vraiment le bon plan ?  

Le moral en berne, elle écoute son corps pour la première fois de la journée. Affaiblie et affamée, son estomac est noué mais la douleur présente dans sa poitrine est plus vive. Elle se sent incapable de tenir debout. Dans cet état d’esprit, aucun remède ne pourrait fonctionner si ce n’est un sommeil sans fin. Ses larmes cessent de couler le long de ses joues après un éternel combat contre elle-même. Demain, ou le surlendemain, elle ira mieux comme les fois précédentes. Et puis, elle replongera dans ce dégout et ses craintes incessantes. Elle le regarde à peine quand il s’installe à ses côtés avec cette posture qui lui ressemble si bien. Nonchalante, naturelle et pourtant peu propice à la détente. Sejun se sent obligé d’être ici comme quelques années plus tôt, mais cette fois-ci, elle l’accepte son instabilité. Il aurait pu partir. Rien ne le retenait et malgré elle, la blonde avait appris qu’il était impossible de le garder auprès d’elle. C’est un désir égoïste qu’elle a rayé sur sa bucket list, quitte à arracher la page de ce carnet finement sélectionné. Il n’écoute que lui-même et c’est pour cette raison que la jeune femme le questionne sur un sujet sensible si ce n’est tabou. Ainsi, l’étudiante n’aura pas besoin de raconter sa vie et il n’aura pas besoin de faire semblant de s’inquiéter pour elle, de je ne sais pas trop quoi, en fait. Elle n’arrive pas à déterminer les attentes du garçon, et de toute façon, il faut qu’elle apprenne à s’écouter en premier même si Sejun est doué pour faire naître un bon nombre de contradictions chez elle. Si la demoiselle souhaite le rejeter, elle aurait aimé, dans un autre monde qu’il lui arrache une étreinte. Pourquoi ? Aucune chaleur humaine n’émane de son être. Mais même la glace parvient à nous brûler, lui qui doit sûrement venir de l’élément feu. Elle accepte la sucette qui lui tend après avoir reconnu le parfum de celle de son ancien ami. Cerise. Yujin esquisse un sourire pour mettre un terme à ses pleurs. “ Tu prends toujours les meilleures. “ Elle déchire le papier et ne se fait pas prier pour glisser la sucrerie dans sa bouche. Elle n’a pas dégusté de sucettes depuis quelques temps mais le goût lui revient très vite en tête. Regardant en face d’elle, sa réponse se fait toujours attendre avant qu’il se contente de lâcher une évidence. La danseuse le fixe ensuite du regard et murmure. “ Tu n’as pas pu lui dire au revoir ? “ Ce n’est pas un reproche, elle veut juste comprendre les circonstances qui l’ont poussé à s’enfuir. C’est en tout cas devenu une habitude chez lui. De s’en aller, de tout quitter au lieu de confronter la vérité. Mais peut-être que c’est son plus grand regret ? Yujin ne veut pas s’exprimer pour lui. Elle échappe juste quelques mots de plus. “ Tu ne m’en as jamais parlé. “ Elle tend pourtant la perche, ou plutôt le bâton pour se faire battre. “ C’est juste que parfois, j’aurais aimé connaître ton histoire. “  

Elle emploie le passé plus pour réduire l’impact de ses coups que par conviction. Elle ne réalise pas que son regard trahit son besoin de savoir comme lui le perçoit. L’étudiante n’a pas croisé son chemin depuis quelques années maintenant et elle était convaincue avoir tourné la page. Première erreur car si elle prenait la peine de se concentrer un instant, elle pourrait se rappeler à quel point elle n’aime pas les histoires dont la fin laisse libre à l’interprétation. Parce qu’avec Sejun, la belle a toujours été dans le flou. Elle avait beau avoir découvert un secret, elle était loin d’en connaître l’étendue. Elle serait même incapable de l’imaginer. Son regard toujours posé sur lui, elle sent que le vent va de nouveau tourner en sa défaveur (comme s’il avait été en sa faveur pendant plus de deux secondes d’affilé). Elle se prépare mentalement à être rejetée une fois de plus, avec violence. Il n’a jamais su faire dans la demi-mesure. Mais malgré son anticipation, Yujin reste abattue. Il est fermé, caché derrière cette carapace qui, à ses yeux, correspond plus à une arme qu’à un moyen de protection. Elle ne fait pas le poids, elle ne le fera jamais. C’est un combat perdu d’avance. Quand elle sera en mesure d’apprendre la leçon ? Combien de fois devra-t-il encore lui faire du mal ? Suivre un cursus de psychologie quand elle est incapable de suivre les consignes, c’est un comble. Elle échappe à voix basse mais son camarade pourra l’entendre. “ A rien, ça n’avance à rien. “ Comme hier, comme aujourd’hui, comme toujours. Il divague, semble changer de sujet de conversation pour lui faire des reproches ? Elle ne comprend pas la logique. C’est un soupir excédé qui résonne. “ C’est donc ça qui t’agace ? J’ai blessé ton égo ? “ Il peut toujours crever (lui aussi) s’il souhaite des excuses. Elle ne pourra pas déjà entendre celles de son père, ce n’est pas pour faire plaisir aux autres. “ Je ne pourrais jamais m’excuser. Je ne m’excuserais pas d’avoir pensé une seule seconde à ton bien-être, parce que je tenais à toi. Ni de ne pas avoir ouvert cette porte parce que j’ai mis mon bien-être en priorité. J’étais au plus bas, tu ne pourrais pas le comprendre. “ Elle marque une pause, sentant encore son débit de paroles affluer. “ Si j’avais entendu ton discours, ce jour-là, je me demande bien ce que je serais devenue. “ Comme lui ? Mais rien ne dit qu’il aurait tenu les mêmes propos, autrefois. Est-ce qu‘il aurait été plus conciliant ? Est-ce qu’elle avait commis une erreur en le rejetant ? Stop.  

Le rideau tombe. Le spectacle se termine sous les applaudissements des spectateurs inexistants au même titre que la compassion de Sejun. Elle devrait en avoir l’habitude maintenant. Même si elle essaye de cacher ses sentiments, elle n’y parvient pas. Elle se réconforte en disant qu’elle ne peut pas être parfaite, qu’il ne peut pas l’être non plus. Les sentiments, peu importe lesquels, ne peuvent pas durer éternellement. Ils ne sont peut-être plus destinés à se parler, à s’apprécier. “ Effectivement. Ça ne m’aidera pas à mieux vivre la mort de mon père. J’ai une meilleure idée pour ça. “ Elle se lève finalement avec un maximum de conviction vu ses jambes affaiblies. “ Maintenant que nous avons tous les deux des secrets et que nous sommes des parfaits inconnus... Si par malheur, nos chemins reviennent à se croiser, ne m’adresse plus la parole. Nous étions que des gamins, plus besoin de faire semblant. Rien ne nous oblige à se faire du mal. “ Trop dramatique ? Sûrement mais elle baisse les bras. Définitivement, elle pense. Elle détourne le regard au profit d’un taxi qui arrive au bout de la rue. Tant pis, elle dépensera un peu d’argent mais la blonde est épuisée. Elle le hèle et laisse tomber sa sucrette par terre. Parce qu’il ne faut pas manger dans les transports. Parce qu’elle ne veut finalement plus rien de lui. Même ça.  

Sur ce bout de trottoir, les curieux pourraient apercevoir un navire qui tangue sans arrêt. Ils ne parviennent pas à avancer malgré les efforts de l’équipe, ou peut-être du capitaine seul. Ils échappent à la noyade depuis qu’ils se sont lancés à corps perdus vers une mer beaucoup trop dangereuse pour eux. Un manque de cohésion, un manque de compréhension compensés par des cris ou des sanglots. Elle a beau lui ordonner secrètement de s’ouvrir, de s’exprimer une bonne fois pour toutes mais son camarade est incapable de la regarder dans les yeux. Pourtant, c’est bien la seule chose qu’il n’avait pas changé sur son visage si ce n’est l’émotion lisible. Enfin, Yujin a comme un mouvement de recul quand il la surprend à tourner la tête vers elle. Est-ce que ça fait un mal de chien d’être la source des blessures des autres ? Est-ce qu’il a honte et regrette ses mots ? Peu importe. La jeune femme n’aura jamais les excuses qu’elle mérite. Elle se fait une raison tout en étouffant un énième rire jaune, à défaut de pouvoir garder totalement le silence. “ Tu ne sais jamais rien. C’est bien ça ton putain de problème. “ Devant ses iris colériques, la demoiselle fait bloc et l’imite. “ Oui. Je me trompe. Je me trompe encore avec toi, en te donnant l’occasion de te racheter et ma confiance. Mais tout ce que je te propose, tu me l’arraches et tu le piétines comme si ce n’était qu’un jeu. “ Elle ne dit rien de plus avant de se lever. Ce n’est pas faute de vouloir de le détruire à son tour. Elle se demande si le jeune homme apprécie sa solitude, s’il pense l’avoir choisi alors que les autres ont sûrement lui imposer, compte tenu de son caractère. Il ne la mérite pas. Peut-être même qu’il ne mérite rien si ce n’est la merde qu’il apprécie tant semer autour de lui. Et encore. L’invitant à l’ignorer royalement si leurs chemins sont destinés à se recroiser, par malheur, c’est finalement une once de fierté qui vient s’illuminer sur son cœur brisé. Sa lumière est encore plus vive quand elle ne daigne pas le regarder. Elle entend son prénom, elle sent peut-être une légère emprise sur son bras. Ou peut-être que c’est un tour de son imagination. Yujin trouve finalement refuge dans ce siège en cuir, le menton à la direction opposée de cet inconnu, auquel elle renonce. Son nom ne rimant plus avec espoir.