Les bougies disparaissent dans un nuage de fumées alors que son sourire illumine son visage. Sa famille l’applaudit comme s’il venait d’accomplir une mission périlleuse que seul un professionnel de haut niveau pouvait accomplir. Il aimait bien ça, Jinho. S’imaginer en super héros, se dire qu’il avait des pouvoirs, qu’il était invincible. C’était son jeu favori, avec Jinseok, son grand frère. Avec seulement un an d’écart, il faisait office de pire ennemi mais aussi de meilleur ami, le suivant dans tous ses jeux, toutes ses péripéties. Il lui en voulait un peu parfois, à ce frère. Il était plus grand que lui, plus drôle, plus beau. sans le vouloir, il le jalousait, regrettant un peu d’être dans son ombre. C’était lui le main character et il était l’ombre qui le suivait. Le Watson de son Sherlock, le Robin de son Batman, le Pierre de son Sasha. Peut-être qu’il était aveuglé par son admiration, à vouloir prendre sa place, qu’on ne voit que lui. lui aussi, il voulait toute l’attention.

Ses souvenirs de ces moments-là sont confus, il se rappelle juste d’une chose : il était heureux, insouciant. Comme chaque enfant de dix ans devrait l’être. Aimé de ses parents, de son frère, même s’il se chamaillait, entouré d’amis qu’il prenait plaisir à retrouver chaque jour. A qui il avait tant parlé de ce weekend au Lotte World, au point où on lui disait de se taire, d’arrêter de le répéter. C’était la première fois qu’il s’y rendait, un cadeau de ses parents après que son frère et lui l’aient demandé des milliers de fois. Le trajet en voiture serait long, interminable, alors qu’il voulait juste y arriver, découvrir les attractions. Il avait été long. Interminable. Douze ans après, il a encore l’impression d’y être. Il ne se rappelle pas de ce qui s’est passé, entendant le cri de sa mère, des débris, puis le silence.

Son corps lui fait mal, il peine à respirer alors qu’il sent les flammes. C’est à peine s’il peut bouger, pleurer, trop choqué par ce qu’il vient d’arriver. il entend sa mère gémir, tandis que son père et son frère sont immobiles, il l’appelle. Encore et encore jusqu’à ce qu’elle murmure son prénom, lui souffle de ne pas bouger, de rester calme. Il l’écoute. Il sent les flammes se rapprocher, il se sentir partir. Quand ses yeux s’ouvrent, le visage de ses grands-parents lui font face, les yeux rougis, l’air inquiet. Il était le seul à leur revenir. Et la culpabilité le prend à la gorge, lui donne l’impression d’étouffer. Il s’en veut, il se déteste. D’être invincible, comme il le pensait. De regretter de ne pas avoir assez d’attention, d’être l’ombre de son frère. Il donnerait tout pour l’être, le restant de sa vie, même.

Seul, perdu, il avait l’impression d’avoir perdu la vie, lui aussi, dans cet accident. Son corps fonctionnait seul, son cœur battait à moitié. Il s’en veut d’être encore présent, il s’en veut de ne pas l’être assez pour son oncle et sa tante qui l’ont recueilli chez eux, qui essaient de lui apporter le soutien et l’amour d’une véritable famille. Il a l’impression de jouer un rôle, d’être dans une série où les acteurs ont tous été changé. le père, la mère, le frère qui est devenu une sœur. On l’envoie voir un psychiatre à qui il  ne parvient pas à parler. Il n’a rien à dire. Jinho n’a jamais rien à dire, et il s’enferme petit à petit dans un monde virtuel. Il peut être quelqu’un d’autre d’un site à l’autre, il peut interpréter des personnages dans des jeux en ligne, il peut prétendre qu’il est une femme de vingt-cinq ans sur un forum puis un garçon de dix-neuf sur un autre. Même en ligne, ses relations restent superficielles, parvenant difficilement à les entretenir, finissant par disparaître d’un jour à l’autre.

Son univers devient virtuel, ne le quittant que pour se rendre au collège, puis au lycée. Son histoire est connue, pousse toujours à un accord silencieux de ne pas s’en prendre à lui. on le prend en pitié, il le sait. Ça l’arrange, au fond. Sa frénésie le pousse toujours plus loin, jusqu’à un jour franchit le pas, atterrir dans le dark web. Des informations jamais exploités, des vidéos choquantes et dérangeantes, mais aussi de la documentations lui permettant d’en apprendre plus sur des sujets vaguement approché sur la plateforme ordinaire. Il apprend à hacker d’autres ordinateurs, d’autres appareils, s’amusent à retrouver des conversations, des échanges, à s’infiltrer sur les réseaux sociaux de certains de ses camarades de classe. Petit à petit, l’idée germe. Il pouvait viser plus gros. Menacer anonyment l’un de ses professeurs de dénoncer son adultère s’il ne lui envoie pas de l’argent, ou encore plus sérieusement un employé du café du coin de révéler son addiction aux jeux d’argent clandestin.

Il se sent important, ça lui donne l’impression d’être puissant, plus qu’une âme qui traine sans but. Après le lycée, il déménage dans son propre studio, limitant plus encore ses interactions avec le monde extérieur. Il devient ambitieux, sans doute un peu trop. Han, ce procureur si réputé, il entend parler de quelques rumeurs le concernant, alors qu’on le suspecte de vouloir se lancer dans la politique. C’était un coup de poker, peut-être perdait-il son temps tout en risquant gros. Il lit ses emails, écoute ses conversations, même personnelles avec sa femme et ses enfants. Petit à petit, il semble investit dans cette famille plus qu’il ne le devrait, cherchant les visages, les noms. Il recommence à rêver sans le réaliser, d’être le héros de son propre film. Cette fois, il avait le premier rôle, et Saebyeol, la fille du procureur, serait le love interest. Il imaginait une rencontre possible, il imaginait comment les choses se passeraient… Pourtant, il oublia tout alors que les appels devenaient plus personnels. De l’argent sale, des rumeurs qui s’avéraient vrais sur des tromperies qui pourraient salir son image, des conseillers plutôt douteux. Il en a assez pour le contacter, mais Han ne le prend pas au sérieux. Quand la police vient l’arrêter deux jours plus tard, Jinho se demande s’il regrette, d’avoir pensé à une mauvaise blague. D’avoir douté une seule seconde lui. il était le héros de sa propre histoire, il était invincible.