Dabin jeta une fois de plus un coup d'oeil au papier que le professeur lui avait donné, afin de vérifier qu'elle était bien à la bonne adresse et qu'elle ne s'était pas trompée de chemin. Sinon elle était bonne pour faire demi-tour et chercher une nouvelle place pour se garer, à cette heure ça allait être une véritable partie de plaisir si elle n'était pas au bon endroit ! Elle semblait pourtant bien avoir réussi la première partie de sa mission, maintenant elle devait entrer en contact avec le styliste qui allait les aider avec les costumes, un nom de famille griffonné sur le papier à côté de l'adresse et du nom de l'atelier. Dabin était curieuse de rencontrer celui qui allait travailler avec eux sur ce projet pour les prochaines semaines, les prochains mois même puisque la représentation était prévue d'ici trois mois, un délai court pour certains mais pas si surprenant que ça pour la jeune femme, elle y était habituée et elle espérait que le styliste en question avait été mis au courant de ce petit gros détail avant d'accepter de les aider pour la partie costume. Sinon elle allait devoir le mettre au courant qu'il ne devait pas prendre tout son temps non plus. Entrant dans le bâtiment, ses yeux bruns regardant autour d'elle pour observer les lieux, elle ne savait pas réellement à quoi elle s'attendait en arrivant ici, à tout et à rien en même temps ? Les ateliers des stylistes étaient un peu le reflet de leur personnalité, la façon dont ils étaient décorés et présentés aux autres était un premier message qu'ils faisaient passer au monde. Le styliste en question avait bon goût en tout cas. « Excusez-moi ? » Sa voix résonnait dans le silence de la pièce, peut-être qu'il était plus loin dans une autre salle ? Mais Dabin n'avait pas envie d'outrepasser ses droits alors elle resta où elle était. « Je suis Miss Yang, je viens pour discuter des costumes pour le cursus théâtre de la Yonsei. » Le propriétaire était bien au conrant qu'elle venait aujourd'hui non ?

Son mug posé sur une table à côté, Han Soo était concentré sur une tenue, qu’il finissait d’ajuster. Son assistante n’étant pas présente actuellement, il travaillait seul, au point d’en oublier le reste, parce qu’il avait des délais à respecter et parce que, perfectionniste, il aimait faire correctement son travail. Souvent, il était tellement perdu dans les tâches qu’il effectuait, qu’il en oubliait de manger, et c’était l’un de ses employés qui le rappelaient à l’ordre. Ce n’était pas de sa faute s’il ne voyait pas les heures passées, le temps s’écoulant à une vitesse folle, comme ce matin où le liquide à l’intérieur de sa tasse avait certainement refroidi, sans même qu’il n’y ait touché. Une dernière retouche puis le styliste se recula de quelques mètres, observant sa création avec attention, une esquisse fière étirant ses traits alors qu’il frappait naturellement ses mains entre elles. Oui, il était satisfait du résultat, elle était parfaite et il espérait sincèrement qu’elle plairait à la cliente qui l’avait commandée. D’un simple coup de main, il replaça correctement le tissu sur le mannequin, sincèrement content de sa conception, avant d’arquer un sourcil, à l’entente d’une voix qui résonnait dans l’atelier. Un atelier qui prenait de plus en plus forme au fil des années d’ailleurs, un atelier qui le décrivait entièrement, qui lui correspondait, même si à une époque, on ne l’aurait probablement jamais imaginé avec une telle personnalité. Han Soo était une personne classe, certes, néanmoins il avait sa part d’extravagance, son originalité, ce qui le caractérisait complètement. Et son atelier reflétait cela, tout était placé à des endroits précis pour une raison, c’était à la fois chic et coloré, sans être trop encombré, tout ce qu’il adorait.

Le styliste abandonna donc ce qu’il faisait, attrapant le mug de ses doigts au passage, alors qu’il se dirigeait à l’entrée, lieu où une jeune femme paraissait l’attendre. Non, sur l’instant, même sa voix ne lui avait pas sonné familière, parce qu’elle l’avait coupé dans sa concentration, parce qu’il n’y avait accordé aucune attention particulière, et peut-être aussi parce que cela faisait si longtemps, il n’avait pas songé la recroiser après toutes ces années. « Excusez-moi, j’étais… » Commença-t-il, avant de faire son apparition dans la pièce, néanmoins à peine ses yeux se posèrent sur sa cliente, le garçon s’arrêta net, figé de ce qu’il découvrait, ses phalanges lâchant sa tasse qui s’éclata en morceaux sur le sol. Il n’avait pas les mots pour décrire les émotions qui l’accaparaient à cet instant précis, il était à la fois choqué, perturbé, décontenancé… Au point où même ses mains se mirent légèrement à trembler, les souvenirs d’un passé qui revenaient le hanter, pour lui rappeler cruellement quel homme horrible il avait pu être. Son teint devint pâle, comme s’il venait de voir un fantôme, et en un sens, c’était presque le cas. Yang Da Bin, la seule femme qui avait su atteindre son cœur, mais la seule femme à qui il avait fait tant de mal. La culpabilité ressentie autrefois n’avait jamais disparu, elle l’avait toujours rongé, particulièrement à cette époque où il avait l’impression de voir le monde s’effondrer sous ses pieds. Han Soo avait réussi à se relever, à se sortir de ce cercle vicieux dans lequel il était puis se reprendre en main petit à petit, cependant il avait eu besoin de temps, lui aussi. Mais, non, il ne l’avait jamais oublié. Cela lui arrivait encore parfois de penser à elle, de se demander si elle s’en sortait dans la vie, ce qu’elle devenait, si elle était heureuse… Et il priait pour elle, il espérait qu’elle n’en avait pas trop souffert à cause de lui, qu’elle était parvenue à se débrouiller malgré les actions de sa famille, et qu’elle était en bonne santé. La revoir, Han Soo ne l’avait jamais espéré. Parce qu’il ne le voulait pas, parce qu’il savait que ça le rongerait de plus bel, qu’il se retrouverait à nouveau torturer, et que toute sa culpabilité aurait raison de lui. Il n’avait aucune excuse pour ce qu’il avait fait, cela n’effacerait jamais toute la tragédie qu’elle avait vécue, et mis à part se soulager lui-même, Da Bin n’y gagnerait rien, elle. Il était désormais trop tard pour ce genre de chose, de toute façon. « Ah. Pardon ! » Se reprit-il, après quelques secondes, s’abaissant ensuite afin de ramasser les bouts de porcelaines cassés sur le carrelage. Chacun de ses gestes étaient précipités, son désarroi avait dû s’entendre autant que la manière dans laquelle, il essayait de nettoyer les morceaux, les mains tremblantes. C’était stupide, il ne savait même pas quoi lui dire, puisque quoi qu’il pouvait prononcer, elle ne voudrait certainement pas l’entendre.

Ce n'était pas la première fois que Dabin devait faire le trajet pour aller voir les différents prestataires qui aidaient les spectacles montés par l'université, on pouvait même dire que la jeune femme avait déjà eu l'occasion plus d'une fois de faire pratiquement le tour de la ville pour aller aux endroits divers et variés dans la capitale, on pouvait presque dire qu'elle la connaissait sur le bout des doigts. À force elle finissait même par trouver quelques adresses plutôt intéressantes, et elle s'était fait un petit carnet de relations qui sont toujours utiles dans le milieu. Que cela soit pour les tenues, les décors ou tous autres domaines qui étaient liés au théâtre et aux spectacles organisés sur le campus. Aujourd'hui c'était un nouveau styliste, monsieur Han, qu'on lui avait demandé d'aller voir et de ce qu'elle pouvait observer de son atelier lorsqu'elle arriva à ce dernier, Dabin était curieuse. Elle avait vu des photos de certaines créations, que le professeur lui avait montré afin qu'elle comprenne ce qui l'avait tant charmé dans les créations de l'homme. Il avait du talent c'était certain, même si elle ne connaissait pas le créateur, il fallait dire que question mode et elle, Dabin ne s'intéressait pas réellement à tout ça, elle se contentait de prendre ce qui pouvait lui plaire (et ce qui était dans ses moyens). La jeune femme observait les lieux, brisant le silence de l'atelier en demandant si il y avait quelqu'un sans vraiment recevoir de réponses tout de suite, ce qui la fit se mordiller la lèvre, peut-être qu'elle s'était trompé d'heure ? Peut-être que la personne s'était absentée aussi, mais alors pourquoi laisser la porte ouverte ? Finalement il y eut enfin du mouvement un peu plus loin, Dabin se tournant vers le nouvel arrivant... et dire que le choc fut grand, c'était loin, très loin de la vérité, c'était bien plus qu'une grande surprise. Dabin était sciée. Si elle avait eut quelque chose dans les mains, son portable par exemple, sûrement qu'il aurait terminé comme la tasse de Hansoo qui s'était explosée au sol pourtant aucun des deux ne bougea de sa position pour en ramasser les morceaux. Elle ne saurait décrire les émotions qui la frappaient de plein fouet, rancoeur ? Colère ? Peine ? Et au fond de tout ça, les souvenirs d'un amour si fort qu'elle avait eu pour lui, sans pour autant l'avouer au garçon. Tout ça se mélangeaient pour donner un mix étrange, et Dabin n'aimait pas ça, les souvenirs remontaient et ils étaient loin d'être tous beaux. Tous agréables. « C'est... rien. » Elle murmura après lui, sentant son coeur tambouriner dans poitrine, était-ce une bonne chose ou non, elle l'ignorait encore, car si cela signifiait qu'une crise de panique n'était pas loin, c'était jamais bon. Hansoo s'était baissé pour ramasser bouts de la tasse, mais Dabin pouvait en voir quelques uns un peu plus loin, alors elle combla la distance avec hésitation, se baissant à son tour pour récupérer les morceaux manquants. « Fais attention à toi. » Elle murmura, fronçant les sourcils en prenant un morceau et le plaçant dans sa main. Elle ne s'était pas attendue à ce que soit lui, le styliste auquel son aîné avait fait appel, depuis quand même Hansoo s'était lancé dans tout ça ? Aux dernières nouvelles, à ses yeux, il avait suivi les traces de son père, comme ce dernier le souhaitait. Mais bon, ça faisait aussi des années qu'ils ne s'étaient pas vues, et qu'elle n'avait pas cherché à savoir ce qu'il était devenu alors... peut-être que certaines choses avaient changées en cours de route.

Han Soo n’avait pas les mots pour décrire les émotions qui le traversaient à cet instant précis, celles-ci étaient indescriptibles. Pendant toutes ces années, jamais il n’avait espéré revoir ce fantôme du passé, et pourtant, il s’était questionné à son sujet à plus d’une reprise. La retrouver et s’excuser, il y avait bien eu une époque où il avait songé le faire, sans jamais s’y résigner… Parce que Da Bin était mieux loin de lui, parce qu’il le ferait uniquement pour soulager cette culpabilité qui le rongeait, et que c’était sa punition d’encaisser. Après tout le mal qu’il lui avait infligé, il n’avait pas le droit d’être égoïste, il devait supporter la douleur quelle qu’elle soit, puis souffrir en silence. Ainsi était la manière qu’il avait vécu jusqu’à présent, n’oubliant jamais les actes horribles qu’il avait commis, néanmoins, même s’il était satisfait de sa vie professionnelle, pour sa vie sentimentale, c’était une tout autre histoire. Et, alors qu’il essayait d’avancer, alors qu’il reposait ses ailes, mettant de côté son passé compliqué, la vie lui rappelait brutalement combien il ne pouvait pas se permettre d’oublier. C’était comme ça à chaque fois hors, pour aujourd’hui, c’était différent, tellement différent. Parce qu’elle était là, devant lui, et qu’il n’avait pu réagir autrement que par le choc, sa tasse se brisant en morceaux sur le sol. Peut-être qu’avec du recul, il réaliserait à quel point en vérité, cela lui avait fait plaisir de la voir, pouvoir constater de ses propres yeux qu’elle semblait bien se porter, et être parvenu à avancer… Toutefois, en cet instant, le styliste n’était pas en mesure de s’en rendre compte, parce qu’elle était son plus grand amour, mais aussi cette grosse épine qui lui piquait douloureusement le cœur. Et tout était de sa faute, il n’avait pas son mot à dire, et encore moins le droit de se plaindre.

Incapable de prendre correctement la parole, le garçon s’abaissa enfin, de manière à ramasser les bouts éparpillés sur le carrelage, complètement déboussolé. Comment était-il censé réagir ? Da Bin, n’était-elle pas la cliente avec qui il avait, normalement, rendez-vous ? Réussiraient-ils vraiment à coopérer ensemble ? Han Soo était sérieux dans son travail, il était capable de faire la différence entre le privé et le professionnel, néanmoins il pouvait entièrement comprendre, si ce n’était pas le cas de son ancienne camarade. Après ce qu’elle avait vécu à cause de lui, à sa place, lui non plus ne désirerait sûrement pas partager la même pièce qu’un tel abruti. Pourtant, Da Bin n’avait pas encore pris la fuite, elle venait même de se retrouver à sa hauteur, s’attelant à ramasser quelques morceaux de son côté. La distance entre eux restait raisonnable, cependant la jeune femme s’étant rapproché afin d’apporter son aide, lui pouvait plus aisément l’observer de plus près. Et si l’envie de la détailler avec intensité l’accaparait, il ne le fit pas, se contentant simplement d’attraper délicatement son poignet, pour la motiver à s’arrêter. « Laisse, je m’en occupe. » Déclara-t-il à son tour, d’une voix basse, sans jamais la regarder. Parce qu’il avait honte, parce qu’il était incapable de la regarder dans les yeux en réalité, parce que même s’il le souhaitait, au plus profond de son âme, il n’y arrivait juste pas. Da Bin lui avait demandé de faire attention, mais lui ne désirait pas la voir se blesser, une nouvelle fois à cause de lui. Plus jamais. Et c’était d’ailleurs la raison pour laquelle, probablement, en plus de l’avoir retenu doucement par le poignet, il n’avait pas hésité à s’emparer des bouts de porcelaine, amassés par la jeune femme. « Je vais balayer le reste. » Précisa-t-il, tandis qu’il se redressait, peu de temps après l’avoir relâché, non pas sans lui demander de s’éloigner. Et, de plus bel, il disparut de la pièce, les minutes paraissant défiler si lentement…

Peu importait ô combien il essayait, il ne parvenait pas à retirer ce poids lourd qui lui martelait l’âme ; pendant tout ce temps, Han Soo ne s’était même pas rendu compte que sa respiration lui faisait défaut, et qu’il l’avait retenu, pour ne pas flancher. De l’autre côté de l’atelier, il en profita pour souffler, hésitant même à se pincer afin de s’assurer que tout ceci n’était pas le fruit de son imagination… Mais tout était bien réel, et il n’avait pas la moindre idée de comment le prendre, les souvenirs d’autrefois l’attaquant de plein fouet. S’ils en avaient partagé des bons, des moments qui le faisaient sourire bêtement à l’époque, lui ne gardait que les images de comment tout s’était terminé. Il revoyait le désespoir dans les yeux de la jeune femme, ce sentiment de trahison alors qu’il l’accusait de tricherie. Il revoyait ces élèves qui n’éprouvaient aucune honte à la critiquer, à la rabaisser, l’isoler et, faible, lâche, impuissant, il n’avait été que spectateur de sa descente aux enfers. S’il avait pu la défendre parfois, discrètement, ce n’était rien comparé à l’impact mental qu’elle subissait chaque jour… Même s’il n’avait pas pu tout savoir, Da Bin ayant changé d’établissement ensuite, il savait qu’il l’avait détruite, et que plus rien ne serait jamais pareil. Et c’était le pourquoi, aujourd’hui encore, ce sentiment de culpabilité ne l’avait jamais quitté. Hors, il n’était pas celui qui devait se morfondre, et si sa camarade souhaitait l’asséner de coup, lui hurler ses quatre vérités, il devait tout encaisser, sans rechigner. Une résignation qui le motiva finalement à revenir, quelques instants plus tard, le balai et la pelle en mains, afin de ramasser le reste des petits morceaux, étalés sur le sol. Toujours sans prononcer un mot, parce qu’il réfléchissait, mais peut-être aussi parce que, si Da Bin avait quelque chose à lui dire, il lui donnait l’opportunité de le faire maintenant.

Si on lui avait dit que ce matin, elle allait croiser plus tard dans la journée, celui qui avait su faire battre son coeur comme aucune autre personne jusqu'à maintenant (mais qui l'avait également réduit en miettes), probablement que Dabin aurait ri en disant que ce n'était pas possible. La ville était bien trop grande, de plus ce n'était pas comme si c'était obligé qu'Hansoo vive encore dans la capitale coréenne, bien qu'il n'aurait pas réellement eu le choix si il avait repris les traces de son père. Dans tous les cas, rien n'aurait pu préparer la jeune femme à se retrouver nez à nez avec son ancien amour, et il semblait tout aussi choqué qu'elle, peut-être même plus à en voir la tasse éclatée au sol. Avait-il l'impression lui aussi de revoir un fantôme du passé ? Parce que c'était clairement l'effet que ça lui faisait à elle, un fantôme lointain et si proche à la fois. Hansoo avait fini par se baisser pour ramasser les bris de verres, Dabin comblant la distance pour aller récupérer les quelques bouts qui avaient pu voler plus loin, son coeur battant si fort qu'elle sentait ses oreilles vibrer. Combien d'années déjà ? Elle n'arrivait plus à compter, ça lui semblait être une éternité autant que comme si c'était hier, l'amertume laissant un goût désagréable sur sa langue alors que son coeur lui semblait être en joie de le voir face à elle. Sa raison et son coeur n'avaient jamais été d'accord de toute façon en ce qui concernait Hansoo après ce désastre. Elle avait approché sa main des morceaux pour les ramasser, quelques uns déjà posés dans sa paume libre quand elle sentit la main du jeune homme attraper son poignet, le corps de la brunette se figeant entièrement alors que ses yeux ses posèrent sur la main de Hansoo. Pinçant les lèvres, elle reste là à regarder leurs mains, si proches l'une de l'autre, prenant une inspiration avant de répondre. « Ça ira plus vite à deux, » elle se contenta de répondre, pourtant elle ne bougea pas plus, refusant au début de lever son regard des bouts de verre pour voir le visage d'Hansoo si proche, parce qu'elle avait peur au fond, de ce que ça allait lui faire. Et si Dabin n'osait faire un mouvement, Hansoo le fit pour elle, se relevant après avoir récupéré le plus gros et lui disant nettoyer le reste avec un balais, la distance nouvelle entre eux semblant marcher comme un électrochoc pour elle. Se redressant, elle passa ses doigts sur le tissu de son haut, cherchant ses mots, quoi dire alors que c'était si simple pourtant, elle était là pour le boulot mais revoir Hansoo n'avait pas fait partie de ses projets et clairement il lui faisait perdre tous ses moyens. Reprends-toi bon sang. Le temps lui parassait comme suspendu, ses yeux observant les lieux tandis que Hansoo avait disparu plus loin, elle ne savait pas trop où, étudiant l'atelier du garçon, elle avait connu sa passion, il lui en avait parlé mais à l'époque, ça avait semblé si impossible pour lui de se plonger dedans à cause de sa famille... mais à voir tout ça, il avait réussi. Elle était contente pour lui, au fond d'elle mais c'était enfoui si profondément en-dessous de tout le reste. Quand elle vit revenir, Dabin se mordit l'intérieur de la joue, le silence était pesant, montrant clairement que le passé, et ce qui était arrivé, avait bel et bien rompu quelque chose entre eux. Avant jamais ils n'auraient laissé les choses ainsi, chacun dans leurs pensées à songer comment parler à l'autre. « Hansoo, » son prénom glissa entre ses lèvres enfin, pour la première fois depuis si longtemps. « Je ne... m'attendais à te voir. » C'était le moins que l'on puisse dire. « J'ignorais que tu avais choisi ça. » Choisir, ça avait semblé vraiment être une illusion quand ils étaient au lycée. Prenant une nouvelle inspiration, elle raidit son dos et posa son regard sur lui, soudain sérieuse. Professionnelle, elle pouvait l'être, elle devait l'être. « On m'a envoyée ici, il parait que tu vas nous aider pour les costumes de notre pièce. » Elle lâche enfin. « Cursus théâtre de la Yonsei. »

« Le plus gros est presque fini. » Déclara-t-il avant de lui prendre les morceaux des mains puis partir à la recherche du balai, afin de ramasser le reste des morceaux étalés sur le sol. Quand il revint quelques instants plus tard, il ne fut pas capable de prononcer le moindre mot ; le silence se voulait pesant cependant il ne parvenait pas à trouver comment le combler. En avait-il seulement le droit ? Dans cette histoire, lui n’avait pas son mot à dire, il l’avait assez saccagée par le passé et cela lui semblait plus normal de lui laisser la parole, si Da Bin désirait s’exprimer. Han Soo ne souhaitait pas lui mettre la pression, ni la braquer, il ne voulait pas l’obliger à travailler avec lui non plus… Après tout le mal infligé, c’était compréhensible et il ne la jugerait jamais pour cela. Evidemment, ça lui briserait certainement le cœur de la voir lui tourner le dos définitivement, cependant c’était tout ce qu’il mériterait et il n’était personne pour lui demander de faire un effort. S’excuser, probablement qu’il pourrait le faire, c’était même la première chose qu’il aurait dû dire en la voyant, mais à quoi bon ? Qui est-ce que ça soulagerait d’apprendre que lui aussi en avait terriblement souffert, que ses mensonges n’avaient jamais cessé de le ronger et qu’il avait toujours prié, muettement, à ce qu’elle n’en pâtisse pas trop ? Cela ne ferait du bien qu’à lui-même, mais qu’est-ce que ça changerait pour elle ? Peut-être le détesterait-elle moins, peut-être elle accepterait également de le pardonner, hors Han Soo ne voulait pas être pardonné. C’était trop facile, et il ne méritait pas ça.

L’appel soudain de son prénom crispa son corps tout entier, comme une vive décharge électrique qui l’attaquait, alors que son cœur manqua un battement. Jamais il n’avait pensé que l’entendre l’interpeler de la sorte pouvait lui faire encore autant d’effet, le déstabilisant au point d’avoir l’impression que le monde sous ses pieds tanguait. Parce qu’elle le touchait de plein fouet, parce qu’il éprouvait la sensation d’être revenu des années en arrière, quand tout allait encore si bien, et qu’il n’était pas certain d’être en mesure de l’affronter. Il n’osait pas la regarder, il le voulait cependant ses yeux s’égaraient déjà toujours ailleurs que sur ce visage qu’il avait tant aimé. Il l’écouta, sans l’interrompre, comme s’il était devenu muet tout à coup ; les mots restaient coincés dans le creux de sa gorge et semblaient refuser de sortir. Comment faisait-elle pour s’adresser à lui de cette manière ? Comment faisait-elle pour ne pas lui sauter au cou et lui hurler des horreurs à la figure ? A chaque fois qu’il avait imaginé leur retrouvaille, en partant du principe s’ils se recroisaient un jour, il avait toujours pensé lire la haine et l’amertume dans le creux de ses pupilles, mais aussi dans le son de sa voix. Et pourtant, Da Bin était si calme… Une réaction qui le perturbait, qui le frustrait aussi parce que lui ne voulait pas de cette gentillesse, incapable d’accepter son comportement d’autrefois. Au bout du compte, probablement que non, il ne s’était jamais pardonné. « C’est tout ? » L’interrogea alors le styliste, se motivant enfin à détourner son regard en sa direction. « C’est tout ce que tu veux me dire après tout ce temps ? » Il comprenait l’importance de rester professionnel, et il le ferait si c’était ce que la jeune femme désirait, néanmoins il ne parvenait pas à comprendre sa réaction. Pourquoi ne le réprimandait-elle pas ? Pourquoi ne lui reprochait-elle pas l’injustice dont elle avait été victime, par sa faute ? « Tu ne t’attendais pas à me voir, tu ignorais que j’avais choisi le stylisme, et tu es prête à travailler avec moi, c’est vraiment tout ce que tu veux me dire ? » Non, vraiment, peu importait ô combien il tournait les choses dans sa tête, Han Soo ne comprenait pas.

Dabin ne saurait pas expliquer toutes les émotions qui la traversaient actuellement, un mélange de colère, de peine, d'amertume, de manque aussi... et cachée tout en dessous profondément, cette affection qu'elle avait toujours ressenti pour Hansoo et dont elle n'arrivait pas à se débarrasser alors qu'elle avait toutes les raisons pour ça. Elle aurait sûrement dû faire demi-tour d'ailleurs en le voyant, prétendre aussi au professeur qu'elle ne pouvait s'occuper de tout cela, et peut-être même le convaincre de choisir un autre styliste pour les aider avec la pièce. Ce n'était pas comme si le travail avait commencé avec Hansoo et son atelier non ? Mais Dabin ne fera rien de tout cela, non, elle n'avait pas le cœur à gâcher le travail de tout le monde pour une histoire qui appartenait au passé, ou plutôt qui devait appartenir à une autre époque... Ça faisait toujours quelque chose de le revoir, ça n'avait pas changé même après tout ce temps. Elle ne s'était pas attendue à le retrouver ainsi, après tant d'années, leurs chemins n'étaient plus censés se recroiser c'était ce qu'on lui avait toujours rabâché bien qu'au fond elle espérait... que ça arrive un jour. Elle aurait dû lui en vouloir, dans le fond c'était le cas, l'amertume et la colère étaient toujours là quelque part, mais plus que tout, en le voyant face à elle maintenant, Dabin songeait à ce qui aurait pu être, et ce qu'ils avaient loupé. Le voyant revenir, Dabin chercha comment combler le silence, ce n'était pas quelque chose qui lui plaisait, avant qu'ils n'arrêtent de se parler, avant toute cette histoire, jamais ils n'avaient eu de silence aussi lourd entre eux. Elle finit par le briser, les mots glissant entre ses lèvres, banales presque mais qui semblaient important pour elle pourtant, elle ignorait qu'il avait rejeté la voie tracée par ses parents pour suivre ce qu'il aimait. Elle était contente pour lui. Mais elle était là surtout pour le travail, elle ne l'oubliait pas, reprenant son sérieux, et apparemment Hansoo s'attendait à une toute autre réaction de sa part. Quand il reprit la parole, elle pinça les lèvres, consciente que son attitude pouvait paraître détachée, trop même. « Oui, c'est tout ce que j'ai à dire. » Elle souffle, détournant le regard, serrant son dossier contre elle comme une protection. « Tu l'as dit, ça fait longtemps, pourquoi s'accrocher au passé ? » Parce que c'était ce qu'on attendait d'elle, parce que oui intérieurement elle n'avait pas oublié, il avait raison d'être surpris. « Tu aimerais que je fasse quoi ? » Dabin murmure, un soupir glissant entre ses lèvres, ses épaules s'affaissant. « Tu crois que je vais gâcher le travail de mon supérieur parce qu'on a un vécu ensemble ? Je suis quand même plus mature que ça. » Sa voix se faisait plus amère à présent. « Tu aimerais que je te hurle dessus ? Que je te dise que tu as été responsable de milliers de larmes ? De cris ? De l’humiliation que j'ai subite parce que tu as fait croire que j'avais fait tout ça? » Ses yeux vinrent retrouver ceux d'Hansoo, bien plus froids à présent. « Ça nous mènera à quoi de ressasser tout ça? » Ils n'étaient plus des enfants, elle en avait vu aussi depuis et Hansoo aussi elle imaginait sans mal, si il avait réussi à se lancer dans son atelier et le stylisme, il avait dû aller contre ses parents, et ce qu'elle connaissait d'eux, ça n'avait pas dû être une partie de plaisir.

Peut-être aurait-il dû être moins sarcastique cependant cela avait été plus fort que lui. Da Bin lui donnait l’impression d’avoir oublié quel homme horrible il était, alors que lui-même n’était toujours pas capable de se pardonner. Il ne supportait pas de la voir aussi nonchalante, de le traiter correctement, quand il mériterait le pire, et ce n’était même pas une question de professionnalisme. Puisque lui-même ne sacrifierait pas un travail à cause de problèmes personnels, peu importait quels étaient ces derniers, néanmoins il n’était pas en mesure d’accepter la naïveté de la jeune femme. C’était stupide, probablement, parce que n’importe qui à sa place aurait apprécié la revoir, aurait apprécié de la voir l’accueillir avec moins d’animosité qu’il ne le pensait, mais Han Soo lui n’y parvenait pas. Il ne pouvait pas la regarder dans les yeux et mettre de côté tout le mal qu’il lui avait infligé, comme si de rien était, sous prétexte que pour elle c’était sûrement déjà du passé. Aussi idiot que cela pouvait sonner, il ne souhaitait pas voir de la douceur dans ses yeux, ni de la compassion, il voulait qu’elle le détester, car c’était ce qu’il méritait. Da Bin aurait dû l’assassiner du regard, l’insulter, même le frapper. Et il aurait encaissé sans rechigné, parce que ce ne serait jamais comparable à toutes les atrocités qu’elle avait subis par sa faute. Le pourquoi il ne recula pas lorsque son ton devint plus amer, lorsqu’elle devint enfin celle qu’elle aurait dû être dés le départ. « Oui, tu aurais dû. Parce que c’est la vérité. » Répondit-il, une fois que la jeune femme eut fini de s’exprimer. « Parce que tu as sûrement des choses que tu voulais savoir, parce que je ne pense que faire comme si de rien n’était soit également la solution. Je sais parfaitement séparer le travail et le privé, simplement que faire semblant ne mènera nulle part non plus. » Ils avaient forcément des choses à se dire depuis tout ce temps non ? Tout garder ne les aiderait pas à avancer, et ça ne les aiderait pas à travailler correctement non plus. « Je ne vais pas sacrifier ton travail même si tu venais à m’insulter, Da Bin. Mais je ne crois pas être celui qui doit obtenir une quelconque attention de ta part. » Carrément pas. Elle n’avait pas à se soucier de l’homme qu’il était devenu, elle aurait dû l’ignorer, se contenter de mentionner uniquement le travail et rien d’autre.

Ce n'était pas comme ça qu'elle avait imaginé leurs retrouvailles, mais en même temps... était-ce si surprenant que ça ? Dabin avait eu le temps depuis cette époque de laisser les choses derrière elle, en tout cas plus ou moins, pas parce qu'elle avait oublié loin de là mais parce que les nombreuses séances qu'elle avait eu avec sa thérapeute lui avaient fait comprendre que s'enfermer dans le passé et ses ressentiments, ça ne la conduira nulle part. Ça ne signifiait pas que c'était plus facile pour elle de se retrouver face à Hansoo aujourd'hui, surtout quand elle ne s'était pas attendue (et du coup pas préparée) à croiser sa route dans de telles circonstances. Le destin avait une façon bien à lui de faire bouger ses pions et de s'amuser avec eux. Dabin pinça les lèvres quand Hansoo reprit la parole, il l'avait laissé parler jusqu'au bout, n'essayant pas de la couper et elle ignorait si elle devait l'en remercier ou non car maintenant que tout remontait à la surface, la brune avait du mal à garder un visage neutre comme elle avait voulu le faire. Ne pas s'énerver et gâcher ce pourquoi elle était venue, elle n'aurait pas de bonnes excuses à sortir à son tuteur si elle tournait les talons et claquait la porte. « Oui c'est la vérité. » Elle souffle à peine, laissant à son tour le garçon conduire la conversation là où il le voulait, il avait laissé commencer à mettre le sujet sur le tapis et maintenant c'était à elle d'écouter Hansoo. Dabin se mordit l'intérieur de la joue, détournant un instant le regard pour le poser sur un point invisible sur le mur, dans le fond il n'avait pas tort lui non plus. Ne pas ressasser le passé était une chose, mais ce n'était pas comme si ils pouvaient faire semblant, comme si il ne s'était rien passé. Mais elle ne voulait pas revivre le même état, et pourtant... c'était quelque chose qu'ils ne pouvaient pas ignorer. Posant à nouveau son regard sur lui, Dabin réfléchissait à ce qu'elle pourrait dire par la suite, encore une fois sa logique voulait prendre le dessus sur ses émotions alors qu'Hansoo lui demandait tout le contraire. Il ne voulait pas qu'elle réfléchisse et agisse avec la logique, en tout cas c'était comme ça qu'elle prenait ses réponses, mais c'était sa manière à elle aussi de se protéger. « Parce que tu crois que t'insulter ça changerait quelque chose ? C'est un peu trop tard pour ça. » Tu devrais te lâcher, Dabin. Sa petite voix intérieure semblait d'accord avec Hansoo. « D'accord ça servira à rien ni pour toi ni pour moi de faire semblant que tout va bien mais c'est pas comme si ça allait aussi nous amener quelque part si l'ambiance est tendue à cause de tout ce qui est arrivé. » Et dans le fond, Hansoo avait toujours cette place dans son coeur, même si elle avait tenté d'oublier, même si elle avait connu d'autres hommes depuis, il était toujours là. « Si comme tu dis tu mérites pas mon attention, je suis censée faire quoi ? Je vais pas me comporter comme une garce avec toi juste parce que tu crois que c'est mieux ou dieu sait quoi. » Elle avait jamais été comme ça, la preuve elle avait réagi instinctivement quand la tasse était tombée.

Il ne demandait pas à la jeune femme de l’insulter hors lui ne pensait pas avoir le droit de recevoir un quelconque intérêt de sa part. Le mal qu’il lui avait infligé était ineffaçable, il n’osait pas imaginer ô combien Da Bin en avait souffert et le simple fait d’y songer suffisait à lui briser le cœur. S’il était à la place de son ancienne camarade, il ne pourrait pas rester de marbre, faire comme si de rien n’était, elle avait sûrement des choses à lui dire non ? Comme le pourquoi il avait pris cette décision, le pourquoi il avait choisi de détruire leur amitié de cette façon, savoir s’il avait été sincère et si au moins, ne serait-ce qu’une once des moments passés ensemble étaient vrais, pas de faux semblants. Lui, à chaque fois qu’il y songeait, il était rongé de regrets parce qu’il aurait voulu être en mesure de faire plus, parvenir à contredire son père, ne pas se laisser bouffer puis être plus fort que cela. Hors, à cet âge, que pouvait-il faire contre son patriarche qui contrôlait tout ? Lui n’avait aucun pouvoir à ce moment là et, bien qu’il n’en avait toujours pas actuellement, il avait choisi de s’en détacher, refusant de laisser son nom le dévorer entièrement. « Ce n’est pas ce que j’ai dit. » Il ne s’attendait pas à ce qu’elle se comporte comme une garce, elle n’avait jamais été ainsi, Da Bin… Il ne s’attendait pas non plus à ce qu’elle lui crie dessus, et lui balance des horreurs à la figure, cependant de là faire comme si rien n’était arrivé, cela ne faisait aucun sens aux yeux du styliste. « Mais je ne crois pas devoir recevoir quoi que ce soit de ta part, et encore moins de l’intérêt sur comment je vis. » Puisque n’était pas ce qu’elle avait fait en commentant le travail qu’il effectuait à présent ? Elle n’avait pas à se demander comment il allait, s’il avait réussi ou s’il était désormais dans son existence. Il n’était personne pour mériter autant d’attention, elle devrait le maudire plutôt que s’intéresser à lui, et il ne parvenait pas à comprendre son comportement. Lui ne voulait pas être pardonné, parce qu’il était incapable de se pardonner ses erreurs d’antan, et encore moins toutes les blessures qu’il lui avait assénées à l’époque. Dire que c’était de la faute de son père n’était aucunement une excuse ; il l’aimait mais il n’avait pas été fichu de la protéger.

« C’est pour ça que si jamais tu as quelque chose à dire, autant le faire maintenant. » Parce que ce n’était pas en faisant semblant que cela diminuerait les tensions, bien au contraire. N’était-ce pas mieux d’étaler les cartes sur la table, une bonne fois pour toute ? Han Soo n’était pas certain d’être prêt à entendre les reproches de la jeune femme, cependant pour avancer, c’était probablement une étape à passer. S’il le fallait, il encaisserait tout, chaque épine plantée dans le creux de son cœur ; pour elle, il le ferait. Parce qu’il ne l’avait jamais oublié, parce qu’une pensée à son égard se trouvait toujours dans un coin de son esprit et c’était sûrement la raison pour laquelle il n’était jamais chanceux en amour. L’ombre de son amour passé le suivait éternellement, la trahison commise, le choc et la déception dans le regard de celle qu’il aimait, son cœur qu’il avait pu entendre se broyer, à la réalisation du garçon horrible qu’il était.