Phil, c’est le type un peu louche sur lequel tu tombes inévitablement dans l’université. Qu’il ait un bras coincé dans le distributeur ou en train de promener son iguane domestique. Phil, tu t’en approches pas, c’est lui qui s’approche de toi, quand il est de bonne humeur. Phil, tu le crois sans-abri, à cause des chapeaux moches qu’il a enfoncé sur ses oreilles et à cause de ses cheveux décolorés à cause d’un pari. Phil, il te ferait un peu peur s’il n’avait pas cette dégaine si ridicule. Même si tu lui parles pas, parce que c’est pas très bien vu de lui parler, il saura plein de choses sur toi, adossé comme il est, dans un coin, contre la machine à café, rien qu’en regardant ta tête ou en observant le jeu de tes mains. Malgré sa tête d’ahuri, il est pas si débile que ça, Phil. Il dit qu’il a l’œil. Il a cette mimique insupportable de celui qui a pigé, celui qui te prend la main dans le sac. Big bro’ is watching you. Big Bro’ aime bien te conseiller sur le parfum de café qui te brancherait le mieux ou la barre chocolatée qui te plairait le plus, à tes fesses un peu moins. Il s’y connaît, Phil, il passe sa vie au distributeur (si vous n’aviez toujours pas compris), et du coup, est un peu un excité de la cervelle. Il fume comme un pompier et des trucs chelous, qu’il cultive lui-même, c’est plus sûr ; en petite quantité certes, ses cultures, mais de la qualité, ma chère madame. Par contre, gare à celui qui lui demandera un stupéfiant plus dangereux que le petit joint inoffensif et grisant qu’il coince entre ses dents abîmées par le tabac : la drogue, c’est mal, les enfants.
Il collectionne les plantes, donc, plus ou moins licites, et son bout de chambre ressemble à une véritable jungle tropicale dont il serait l’aventurier casanier. C’est en effet un flemmard de première, Phil, qui a développé la capacité incongrue de manier les objets avec ses orteils, avec presque plus de dextérité que ses mains. Il est pas très élégant, Phil, sur lui et dans ses manières : il mâche la bouche ouverte, et a la mauvaise manie de se foutre la main dans le futal n’importe quand. Silhouette longiligne, épaules larges, cernes creusées et tête de pétard savamment entretenue témoignent d’une hygiène de vie douteuse.

Il ne compte qu’une seule histoire d’amour à son actif, mais une ribambelle de râteaux et autres coucheries n’aboutissant à rien. Depuis, il fourre davantage son nez dans les affaires sentimentales de ses clients réguliers. Conseiller conjugal et sexologue à ses heures perdues, moyennant une clope ou un kebab –vous pouvez prendre rendez-vous à son bureau, derrière la machine à café. Ses conseils auront beau être tous plus farfelus les uns que les autres, vous vous surprendrez à apprécier sa manière de raconter des histoires. C’est à se demander s’il ne se moque pas de la cohérence douteuse de son récit, et vous aussi, parce qu’il raconte bien. Il a cette voix grave, un peu cassée et rauque, qui bugue des fois, mais toujours feutrée, adéquate pour raconter des histoires. Il a une imagination perchée, Phil Hyuk. Presqu’une imagination de gamin, un gamin un peu sale, qui a su des trucs sur la vie trop tôt, qui en joue, quand d’autres se jouent de lui.

Il passe pas mal de temps sur les réseaux sociaux, sur son pc et son téléphone en général. Attention à vous, s’il récupère votre numéro, il risque de vous spammer de snapchats tous plus débiles les uns que les autres, si bien que votre mémoire serait envahie de photos d’Iggy Pop deuxième du nom. Il collectionne les comptes bidons sur Twitter ; et oui, Sida Korea, Jésus et Grand Méchant Clown, c’est lui. Mais il songe à abandonner ce dernier, depuis qu’il s’est fait interpeler dans la rue par la police, parce que son iguane était déguisé en clown…
Reblogger passionné, il a une bonne dizaine de tumblr chacun pour un thème différent, et suit Miss Chiwa sur Facebook, mais ça, c’est une erreur de jeunesse. Toutefois, il a commencé une collection de chapeaux swag pour son iguane. En fait, son iguane s’habille mieux que lui, parce que lui au moins ne se balade pas toujours avec une affreuse banane. D’ailleurs, ladite banane et son contenu sont devenus une légende urbaine, un mystère irrésolu encore aujourd’hui. Les paris vont bon train, entre les préservatifs à la banane –applaudissez le jeu de mots- et un couteau à cran d’arrêt, carrément.
C’est un bagarreur, Phil. Dû à quelques troubles plus ou moins bénins dans son enfance, c’est un type à ne pas chercher, donc, parce qu’il joue bien des poings et des pieds. Ses phalanges en ont d’ailleurs subi les conséquences, puisque rouges et boursoufflées à cause des coups. Mais il est rangé maintenant, si on peut dire, coincé entre le distributeur et le groupe de potes dont il ne fait pas partie.

Dans la grande famille des Kang, il y a une branche qui résiste encore et toujours au faste et à la classe familiale. Une branche un peu éloignée, on ne sait même plus trop comment elle y est reliée, mais le fait est qu’elle squatte l’éloquent patronyme. C’est la branche qu’on oublie volontairement d’inviter aux repas de famille mensuels. Ou au contraire, celle qu’on se plait à inviter justement, car on est sûr de ne pas s’ennuyer, puisque ça ressemble alors à une véritable visite au zoo.
Phil est donc l’un des rejetons de cette glorieuse branche haute en couleurs de mauvaise qualité. Un terrible rejeton, tout étiré comme des pattes d’araignée. Qui tendait des toiles en legos sous les pieds des adultes. Sa mère a essayé de lui inculquer les valeurs ancestrales de la famille, notamment en faisant semblant de l’éduquer, en lui collant un saxophone dans les mains. Grave erreur. Il ne l’a plus lâché. Et a fait encore plus de bruit.
Même si aujourd’hui, Phil est un type sans complexe apparent et à l’art de vivre très simple, ça n’a pas été toujours facile. Pas de morts dramatiques ni de frère caché tueur en série, non. Juste un pauv’ gamin aux tendances hyperactives et assez brutales. Accès de violence exceptionnels, certes, mais non moins troublants. Il a été traité assez tôt, n’en conserve donc que de rares séquelles. Les médicaments ont cependant laissé la place à quelques joints bien placés, tranquille posey au fond de l’amphi. Et on peut vous assurer que vous préférez le voir les yeux rouges à cause du bédo plutôt que de colère. Il était turbulent, donc, passait ses journées dehors à en découdre avec la terre entière. Revenait à la maison, la larme à l’œil, rageur, la morve au nez et le genou écorché. Il se défendait pas mal, le bougre, et même contre des plus grands que lui, enfin plus âgés, parce qu’il a toujours été trop grand. Sa mère s’arrachait les cheveux sur son cas, ne sachant comment contenir cette tornade maigrelette, incapable de tenir en place dans une pièce fermée. Le padre, lui, a fait la sourde oreille. Ne voyait rien, par la simple volonté de ne rien faire. L’absence d’autorité paternelle ne pouvait que servir le petit Phil Hyuk qui se gargarisait d’être le véritable homme dans la maison. Sa grande sœur était déjà bien loin quand il a commencé à faire ses poings dans les meubles du salon.
C’est donc tout seul qu’il s’est frité contre le monde entier. Et également tout seul qu’il s’est calmé. Ignorez le caprice d’un enfant à la longue, et il finira par se taire tout seul. Oh, ça tournera vite et fort dans sa petite tête. Mais au moins, il s’est tu. Presque du jour au lendemain. Il s’est remis à étudier, un peu maladroitement. A poussé le vice jusqu’à entrer à l’université. Il a entamé un cursus de japonais, parce que mangas et animes obligent –il est convaincu d’avoir été un ninja dans une vie antérieure-, quand bien même il excellait auparavant en biologie –parce que c’est vers les plantes que porte son affection ; elles le calment, à voir le soin méticuleux avec lequel il s’en occupe. Toutes nommées sans exception, elles font partie intégrante de sa vie, de même que son vieil iguane, Iggy Pop deuxième du nom, Poop pour les intimes, que vous verrez souvent promené en laisse, à moins que ça ne soit l’inverse ?