Parce qu’il préférait sortir la nuit et fuir le jour, s’aérer l’esprit d’obscurité et de fraîcheur d’un soleil caché. Il préférait qu’on ne puisse pas le voir, sa misère et ces cernes. Il se cachait sous des vêtements trop sombres, il cachait son corps devenu frêle et trop maigre. Il avait presque honte de ce qu’il était devenu et pourtant, il ne comptait pas sortir de sa souffrance, de son silence. Parce qu’il criait bien trop fort à l’intérieur sans qu’on ne puisse l’entendre, il criait à l’aide, à la peine, à la mort. Il criait si fort pour qu’on l’entende alors il se taisait pour mieux savourer son malheur. L’esprit tordu et torturé, il avançait sur ce vieux skate sans chercher où aller. Il ne savait pas, il ne savait plus vraiment, alors il avançait sans même regarder. La solitude, les mains dans les poches, les écouteurs vissés aux oreilles. Il avançait sans but ni raison, juste une échappatoire, un vide où crier, où cracher le sang qui lui bousillait les veines.

L’air serein, pourtant vide, le regard sans vie, les contours violacés. Un mort-vivant, une sucette en bouche. Il glissait simplement sur son skate jusqu’à ce que ses roues ne s’arrêtent sans qu’il ne puisse s’en rendre compte. Il faillit tomber mais se rattrapa avec l’équilibre qui lui restait. Il enleva ses écouteurs avant de se tourner vers la perturbation. Désabusé, les sourcils froncés, il soupira alors qu’il voulait juste qu’on le laisse tranquille. Il en leva les yeux au ciel en reconnaissant son interlocutrice. « Tu crois vraiment que je n’ai que ça à foutre que de te suivre ? » lui lança-t-il alors, retirant son bâton de sucre et de plastique d’entre ses lèvres, déjà sur le point de repartir. Il n’avait pas de temps à perdre avec elle, il avait bien mieux à penser qu’un autre problème sur ses épaules faibles. Parce que ce n’était pas la première fois, son visage lui était familier, sa voix et ses mots, il les avait déjà entendus sans jamais s’attarder dessus. Parce qu’il ne voyait pas d’intérêt, juste des coïncidences. Il la voyait à peine sous les réflexions des réverbères de cette rue aussi sombre que son cœur. Et il soupirait, de désespoir, de tristesse, de colère. Jamais il n’arriverait à trouver la paix dans son silence, jamais il n’arriverait à être seul sans qu’on ne le dérange de toutes les manières.

Ça sera lui. Elle l’en avait décidé ainsi. Elle le voyait dans son regard qu’il avait ce même orage qu’elle tentait désespérément de faire taire. Elle l’avait promis à Kouji. Elle l’avait promis à son fiancé. A ses mots elle baissa le regard sur cet élastique qu’elle arborait aux doigts de manière si fière. Personne n’aurait pu comprendre, personne ne pouvait réaliser, à quel point cet élastique pouvait avoir une valeur à ses yeux. Mais il était lourd, pesant, brûlant son doigt comme un rappel de cette culpabilité qui lui bouffait le cœur. Elle ne devrait pas faire ça, elle ne devrait pas s’arrêter, ni poser son regard sur cette silhouette. Elle devrait continuer sa route. S’avancer, rentrer, oublier. Parce qu’elle court après un homme qui n’est pas là. Elle court après un besoin qu’elle aurait dû ne jamais vouloir retrouver. Elle se retient de penser à lui. Parce qu’elle a promis qu’elle ne le ferait plus. Elle ne veut pas retomber dans son piège et pourtant … Pourtant quand elle arrête Raï elle sait pourquoi. Elle sait qu’elle ne devrait pas. Elle le fait quand même. Elle a perdu ce roc qui la faisait tenir debout alors elle cherche, comme une enfant perdu, de retrouver cette main qui la guidait dans la foule. Elle s’est promis de ne pas paniquer, de ne pas pleurer, alors elle marche à l’aveuglette, fouillant les âmes à le recherche de cet alter égo qui lui reviendrait … Elle en trouve parfois des copies similaires mais jamais folle pour l’éblouir comme savait le faire … Non, elle est incapable de prononcer son nom … C’est encore trop douloureux mais ce secret elle ne peut le partager avec personne. Il a décidé de la sortir de sa vie. Elle ne pouvait qu’accuser le contre coup. Elle n’acceptait pas mais elle ne pouvait rien dire. Elle fixa Raï de son allure débrayé, de son regard douloureux. Il était une âme en peine, errant ici et là sans but précis, elle aurait pu le parier. Elle le fixait de ses noix noisettes qui avaient depuis longtemps perdu leur malice. Elle s’avançait vers lui avec la furieuse envie de le bousculer, pas physiquement, mais mentalement. « Peut-être parce que t’as plus que ça dans ta vie …. Armani Raï ! » Crache-t-elle de son air mauvais et moqueur.

Déjà prêt à continuer son chemin, à repartir arpenter les rues sans quelconque ambition ou heure pour rentrer. Déjà prêt à remettre la seule nourriture qu’il arrive à coller sur son palet depuis déjà trop de temps, entre ses lèvres, à glisser sur ses roues jusqu’à trouver un endroit où il pourrait simplement profiter de l’extérieur, à l’ignorer, à oublier son existence. Il n’avait pas envie de s’attarder sur ces détails qui faisaient de lui un être qui pouvait s’exprimer, parler, échanger. Raï voulait tracer son chemin sans embûche, sans gamine perdue en quête d’un peu de rebondissements et d’emmerdes pour pimenter sa vie. Il avait bien plus à s’occuper; son silence, ses démons, son cœur. Il était prêt à repartir comme si rien ne s’était passé jusqu’à ce qu’elle prononce des mots qu’elle n’était pas censée savoir. Dubitatif, presque surpris, il se retourna vers elle avec l’air de vouloir en savoir davantage. « Que veux-tu dire par-là… ? » Devenu curieux, il plissa les yeux pour connaître ses sources. Pourtant toujours discret, trop peu loquace pour donner son nom à une inconnue, il se demandait même s’ils se connaissaient d’un autre moment, d’une autre époque ?

Raï attendait des réponses alors qu’il les connaissait déjà mais pas de ses lèvres, juste de son esprit. Peut-être qu’elle avait raison, il n’avait plus rien à faire d’autre que de sortir la nuit pour fuir le soleil qui lui brûle désormais la peau. Il n’avait plus rien à faire d’autre que s’enfermer dans une chambre trop sombre, dans une maison devenue trop vide d’espoir, de vie. Mais comment pouvait-elle savoir tout ça ? Comment pouvait-elle savoir qu’il était juste trop seul pour être devant elle ce soir-là ? A cette pensée, il serra la mâchoire alors que les images de son soleil aux cheveux de lumière passaient en boucle dans son esprit, et ses jambes et son sourire. Il revoyait encore l’animal frapper au visage de cet homme pour lui apprendre une violence qu’il ne connaissait que par l’entente des coups de son père biologique. Même le visage de la belle blonde qu’il avait tant aimée, qui l’avait tant entraîné, tant épuisé. Pourtant, il n’oscilla pas du regard, droit, un peu trop froid. Il la regardait de sa carrure devenue mince mais grande, restée sombre et peut-être impressionnante. Il voulait savoir pourquoi elle mentionnait des choses qu’elle ne connaissait pas.

Je me mets à sourire moqueuse en le voyant me faire face, soudain curieux. J’avais attisé ce qu’il y avait de plus indiscret chez sa personne et son regard s’animait soudain d’une flamme que je ne lui connaissais pas. Il n’était pas hostile, il n’était pas même méchant, mais il avait cette façon de marquer une distance entre les gens et lui. sans même le savoir, Raï était devenu ma nouvelle obsession, comme si j’avais besoin de faire du mal aux autres pour compenser mon propre mal être. Je serrais les bras en avançant vers lui ménageant mon suspense en serrant les dents. Quand je fus suffisamment près de lui je le toisais avec un mélange de froideur et d’amusement. « Tu sais très bien ce que je veux dire par là pas vrai ? » Je fis tiquer ma langue en secouant la tête. J’en avais fait des recherches sur lui. Me faisant peur dans l’ardeur que je mettais à découvrir sa vie. Ses liens de parentés avec Reeva et Renzo et toutes les rumeurs que j’avais pu récolter sur lui … ça avait été très amusant, assez pour me changer les idées et me libérer de toute la pression que l’hôpital et Kouji me mettait. La vérité c’est que depuis que Kazuya avait refusé de me revoir je n’avais plus aucun moins de me libérer de ma rage. Elle bouillait en moi et je tentais t’en bien que mal de la masquer derrière un sourire. Personne n’était dupe mais tout le monde se contentait de me laisser crever avec ma rage parce que personne n’avait la moindre idée de comment m’aider. La seule option que je voulais, la seule option qui s’offrait à moi n’était pas envisageable pour le commun des mortels. Pourtant j’essayais, je tâtais, jusqu’à trouver la bonne cible, la bonne personne qui sera capable de m’offrir ce que Kazuya m’offrait. « T’as des nouvelles de Reeva ? De Renzo peut être ? Ou peut-être qu’ils sont avec Rivael ? Ça serait triste pour toi » murmurais-je dans une moue faussement compatissante. La haine à l’état pur. Le démon sous sa forme la plus séduisante. Elle se moquait. Se fichait bien de la douleur qu’elle causait, à ses yeux, jamais elle n’aurait d’égale à la douleur qu’elle ressent. Je croise les bras guettant sa réaction, la moindre parcelle de colère, de frustration qu’il pourrait ressentir. Haine moi Raï, c’est tout ce que je demande. Ta seule erreur aujourd’hui aura été de croiser mon chemin. Parce que je suis dans l’ombre. Tapis à t’en faire crever le cœur.

Un regard qui traça tout son être, du haut jusqu’en bas, jusqu’à l’intérieur de tout son elle, de tout son sœur. Il la regarda de ses yeux perçants, hypnotiques, captivants. La noirceur de tout en dedans peinte sur ses iris qui la toisaient sans gêne ni peur qu’elle prononce les mots qu’il gardait au fond de lui. Parce que la jeune femme doutait certainement à qui elle s’en prenait, machine créée pour manipuler, parfois tuer mais surtout détruire moralement d’un sourire narquois qui se dessine sur ses lèvres à l’odeur du sang coulant sur les mains de son frère. Une arme dans l’âme, une poitrine sans cœur et des yeux sans vie. Il la regardait pourtant, relevant la tête pour jauger la brune face à lui. Ne disant mot, il la laissait continuer sans qu’elle n’ait besoin d’une quelconque réponse, qu’il ne lui aurait de toute façon pas donnée.

Et parce que Raï avait été fabriqué pour réfléchir, pour méditer puis comprendre pour mieux gérer, un robot sans humanité qui n’obéissait qu’aux cordes qu’on lui avait nouées aux poignets, il se surprit à serrer la mâchoire à l’entente de ses noms qui ne partageaient pas son sang mais sa vie. Il vit rouge, aussi rouge que ses yeux devenus. Une grimace se dessina presque sur ses lèvres alors que sans pouvoir réfléchir, sa main brandit la gorge de la brune, serrant sa peau et son souffle entre ses doigts assassins, la mort dans le regard, la rage du désespoir qu’il avait peint sur ses os. Il la regardait de haut alors qu’il en vint presque à la soulever d’une force qu’il n’avait plus, qu’il avait trouvée dans ses mots qu’elle avait minutieusement choisis, qui l’avaient touché, là, au plus profond de lui.

Ses yeux noircis par la colère, il coupa son souffle pendant quelques secondes devenues une éternité et il la relâcha sans douceur avant de se rendre compte de ses actes. Ce n’était qu’une femme et il avait réussi à oublier ce qu’il avait appris, à faire renaître une nature qu’il avait pourtant oubliée. Souvent, lorsque les prénoms de ses sœurs venaient en bouche, c’était aux hommes qu’il s’en prenait alors, d’un regard de mépris, il humidifia ses lèvres avant de mettre ses mains dans les poches de son sweat à capuche. « Evite de parler de choses que tu ne connais pas à des personnes que tu ne connais pas la prochaine fois. » Il tourna le regard, engouffrant dans sa bouche la sucette qu’il tenait dans sa main libre avant de remonter sur son skate, prêt à repartir.

Elle avait cherché cette rage, ce regard noir et cette violence. Elle avait cherché comme une droguée en manque cette douleur et ces marques sur son corps. Elle avait cherché dans le regard vacillant de Rai la réponse. Elle avait cherché dans son regard acier le moyen de soulager ses propres souffrances. Elle voulait qu’il la libère, de sa rage, de sa colère, elle voulait qu’il le remplace. Lui. Lui qu’elle avait fini par détesté parce qu’il l’avait laissé tomber. Parce qu’elle était toute seule maintenant dans cette rage qui l’a pourrissait. Parce qu’elle avait la trouille. Parce qu’elle n’arrivait pas à se défaire de sa colère. Parce qu’elle cherchait en Rai la réponse à ses souffrances alors qu’elle était la seule maître de ce contrôle … Elle le provoque, sans savoir où elle met les pieds. Elle ne sait pas ce qui le touche, ce qui le détruit, elle agit, en jolie égoïste qui nappe ses lèvres de rouge pour se sentir moins seule. Ses mots sont rudes, ses mots sont forts. Les souvenirs qu’elle fait naitre sont ravageurs mais n’ont d’égal que sa fureur. Elle pourrait prétendre vouloir crever entre ses doigts, mais elle n’est que rage et peur. Elle veut juste qu’il la libère comme le faisait K… non, ne serait-ce que penser à son prénom la tue. Elle souffle d’aise quand elle le sent la soulever du sol. Elle pourrait avoir peur mais elle se contente de fermer les yeux et de s’accrocher à cette sensation. La vérité c’est que c’est différent. C’est que dangereusement étranger. Elle cherche Kazuya, mais ne trouve que son ombre, une ombre maladroite et qui ne la comble pas. Parce qu’elle se rend compte qu’elle ne retrouvera pas ce qu’ils avaient. Parce qu’il lui manque mais qu’il s’en fou. Parce qu’il la laisse crever. Parce qu’il ne succombera plus sous ses coups. Non il ne voudra plus lui faire face. Parce qu’il va la laisser se consumer. Elle manque d’air et trébuche au sol douloureusement. Et ça fait. Mal dans son cœur. Elle veut crier mais elle se contente de reprendre son souffle. Elle veut pleurer mais elle se contente de sourire en coin. Elle veut Kazuya mais se contente de l’italien. Elle se redresse en vacillant. Elle tousse, les larmes aux yeux du manque d’air qu’elle casse bien vite. Il ne faudrait pas qu’on la prenne pour faible. Elle ricane, se force, tousse encore. elle le regarde s’éloigner et souffle avec cette aigreur douce « Pourquoi … tu vas me faire assassiner … moi aussi. »  Elle n’a pas besoin d’ajouter comme les autres, parce qu’elle le sous entend avec une telle hargne que s’en était presque indécent. Elle pourrait mourir pour ces quelques mots mais dans sa folie, elle ne sait plus ce qui est bien ou mal.