« Quelques notes de guitare dans l’air, une clope au bec et des lunettes de soleil haut perchées, Nonomi se souvient de ses fines épaules camouflées dans un énorme manteau imprimé et de longs cheveux peroxydés. »

Au grand dam de sa mère, la jeune fille était encore partie en week-end chez son père. Elle qui avait réussi à le tenir à l’écart d’au moins un de leurs enfants, le vieux Hideki mettait le grappin sur la cadette quand il le pouvait, pour le plus grand bonheur de cette dernière.

Il faut dire qu’il était son modèle, son exemple. Elle voulait tout faire comme lui… Roter à table, rigoler de pleine voix, chanter grave et se laisser pousser les cheveux. Elle touchait la guitare du bout des doigts, goûter les fonds de bière et lisait les partitions de musique pour s’endormir. Dès qu’elle put marcher, ses pas partaient en direction du punk, s’accrochant à son pantalon déchiré et se perchant sur ses bottines de cuir renforcées.

« Mais au bout d’un moment, la seule chose qu’elle pouvait voire c’était son père se retourner, son dos élancé disparaissant petit à petit… »

Nonomi a toujours trouvé cela injuste, une famille séparée c’est une pilule dure à avaler même lorsqu’on a que trois ans et que la profondeur de la situation nous échappe. En grandissant, c’était encore plus frustrant, les souvenirs d’une famille unie ne lui revenaient plus et elle se retrouvait coincée avec sa mère et sa tante, toutes les deux se plaisant à critiquer celui qu’elle admirait le plus. Peut-être était-ce de la naïveté ou simplement l’amour qu’une fille éprouve pour son père, mais il était sa divinité, elle ne voulait pas croire en tous ces dires.

Ma foi, cela est vrai, ce n’est pas un exemple le daron Hideki : Il lui a appris à gratter, à apprécier la musique qu’importe le genre, il lui a appris à assumer sa personnalité, à pisser debout, à aimer son corps et à ne pas se laisser faire. Elle prit toutes ces mauvaises manières et sa façon de parler. Son air provocateur et sa façon d’aimer.  Alors bien sûr, elle n’avait pas grand-chose d’une « fillette », c’était un garçon manqué, à part la jupe ma foi. Au primaire déjà, elle montrait des talents pour faire régner la terreur, courir plus vite que les grands et chanter plus fort que le professeur.  Il fallait bien qu’elle brille quelque part puisqu’apparemment la belle n’a pas hérité du don de son ainé « surdoué malgré lui » … Dirons-nous que pour sa part, elle est plutôt pas très douée.

De l’autre côté, son frère l’inspirait pour tout autre chose. Il était un peu son guide spirituel, son gourou, celui qui la soutenait en cas de besoin. Parfois elle ressentait de l’envie envers Kouji, une certaine jalousie mais au fil des années, au final des péripéties, elle ne fit que l’aimer encore et toujours plus. Et Bouddha sait combien elle avait besoin de se sentir proche de quelqu'un car quand on vit avec une mère stricte et sévère qui au final angoisse surtout pour son fils et un père qui lui ne stresse pas pour un sou, parfois on se sent bien vite esseulé... Il était logique que les deux enfants s’aiment et se chérissent et ce, qu’importe la distance qui les séparent. Ce n’était pas the best of the best de parler à Kouji via Skype ou e-mail mais c’était mieux que rien et surtout assez pour colmater les plaies béantes insidieuses et faire s’envoler les mauvaises pensées.

« Après tout, Nonomi est une galaxie, un univers, une idéologie. Ses lèvres s’étirent autant que les emmerdes l’attirent. Elle ne baisse pas les bras et encaisse durement, avançant toujours tout droit. »

Ce n’est donc pas une surprise quand on voit Nonomi sourire et rigoler, ce n’est pas une surprise quand on l’entend parler de son père et de son frère comme s’ils étaient des déités, ce n’est pas non plus surprenant de la voir passer de tendres moments avec sa maman. Qu’on le veuille ou non, elle grandit en grande partie qu’avec elle et la vit pleurer plus d’une fois. Elle vit sa propre mère perdre sa supériorité, elle n’était plus un simple parent, elle était une femme au cœur brisé, frustrée néanmoins digne.

La mère avait aimé le père Hideki de tout son être à une certaine époque, elle le raconta à Nonomi quand celle-ci avait eu la curiosité de lui demander. Les deux adultes s’étaient rencontrés alors qu’ils étaient adolescents, une histoire d’amour de lycée, celle où la fille plaque tout pour suivre son amant, sa star préférée. Et comment le regretter ? Il était beau, facile à vivre et bon heureux, sa carrière marchait et marche toujours du tonnerre et croyez-le ou non, c’est au fond un bon père… Toutefois, ce n’est plus à quoi aspire la femme, elle veut un pied à terre, pas un simple mini-bus, elle veut sentir l’odeur de la vanille sur les sofas, pas celle du tabac. C'était toutes ces petites choses qui les avaient fait se séparer.

Ce fût une décision dure pour elle et encore plus de devoir partager ses enfants comme ils l’ont décidé et ce, à un si jeune âge. Nonobstant, pour le bien de sa famille, pour son propre bien, des sacrifices dû être pris. Bancale ou non, une famille reste une famille. Nonomi grandit turbulente comme son frère, on ne s’en doutait pas. Académiquement parlant ce n’était toujours pas ça et socialement parlant, c'était un vrai papillon. Elle n’était pas l’enfant parfaite mais elle souriait et c’est tout ce qui comptait. C’est pourquoi cela paraissait le bon moment vers ses 13 ans pour annoncer un remariage. Les débuts furent compliqués : Déménager, accepter des étrangers, supporter un nouvel homme à la tête du foyer... Cependant revoir la maison se remplir, partager de nouveaux les repas, se retrouver avec un nouveau frère, c’était pinçant et délicat à la fois, une Bise fraiche qui l’entraînait et ne la laissait plus se disperser. Elle en oublia un instant combien Kouji lui manquait, elle en oublia momentanément combien son père pouvait l’apprécier et Kazuya son demi-frère prit naissance parmi les étoiles qui y brillaient déjà. Il ne remplaçait personne mais à son tour aussi, il plaça sa pierre pour le grandiose édifice que pouvait être Nonomi.

« De quelques « Doigtés », elle pouvait faire exprimer une chaleur tendre et un profond amour. De quelques « La », elle pouvait chanter sa rancœur et son désarroi. De quelques « Traits », elle faisait le tour du monde et même par-delà. »

Tout en poésie, la jeune fille devint d’une féminité brute et d’une élégance crue, elle avait ses charmes et ses défauts, des coups de poings rapides et des blasphèmes à la pelle. Encore manquée mais peut-être plus autant garçon, elle battait au baseball et se retrouvait parfois en taule. Une petite délinquante insolente et effrontée que rien n’avait réussi à briser malgré l’équilibre fragile de sa vie. Et pourtant, celui qui lança la pierre de trop, ce qui fit déborder le vase, celui qui fit couler Nonomi sous ses propres larmes salées, ce fût celui qui prenait soin à les sécher alors qu’elle était bébé.

Un scandale affreux éclata, la Rockstar Hideki qui était connu pour coucher à droite et à gauche depuis sa séparation avait eu une relation avec une mineur. Pour elle, ce fût déjà une descente de piédestal brutale toutefois s’il n’y avait eu que ça, l’affaire aurait été vite oublié par Nonomi. Or, quelques mois après, Kouji parti pour la Corée et la japonaise fit le rapprochement entre ces deux événements bien évidemment, il fallait trouver quelqu’un à blâmer. Elle vit son ciel étoilé s’éteindre progressivement, les deux satellites s’écrasant dans une autre galaxie, s'éloignant de sa voie lactée.

Elle était en rage, elle était en nage, elle suffoquait et se noyait, il fallait que ça sorte, tout ce qu’elle pensait, il fallait que ça sorte : sa colère, sa fureur. Elle brandit sa batte plus d’une fois sur le mini-van qui représentait tout ce dont elle avait toujours rêvé. Elle explosa les vitres et creva les pneus, hurlant des injures dans le vent, hurlant combien elle pouvait le détester. Quand son père sortit paniqué, il ne vit que sa fille en nage, en rage, noyée sous les larmes qui cachaient ses lèvres d'habitude enchantées.

« D’une mélodie triste à énergique, Nonomi sait faire vibrer, chanter et chouiner les cordes, elle les maitrise et les dompte à sa guise, illustrant ses dessins d’une voix suave et puissante, sa personnalité pétillant de millions de couleurs. »

Par conséquence, elle se mit donc en tête de suivre les traces de son frère et de partir en Corée aussi. C'est bien vrai, non ? Elle ne pouvait faire que regarder de l’autre côté de la haie en se demandant si l’herbe y était plus verte. Elle prit son destin en main, elle prit son avenir en main. Intéressé de base dans tous les arts et surtout ceux de la scène underground, elle finit par aspirer à devenir une grande Artiste altruiste et engagée, à tagguer les murs et chanter pour les oppressés. Elle fît d'abord une année au Japon par obligation de sa mère et finit par partir à Yonsei pour peut-être pouvoir y percer.

Peut-être que c’est trop beau d’espérer ça, peut-être que c’est trop beau de penser à une utopie aussi grande que cela mais Nonomi rêve de paix et d’amour et un jour, elle le sait, les gens lèveront le nez vers l'univers tout entier et se rendront compte qu’il ne suffit que de sauter pour pouvoir l’explorer.