La brunette ne portait pas le nom de la déesse de la fécondité sans raison ! Outre l’amour de la culture, des mythes anciens des différentes civilisations antiques et au fil des époques de son père, outre les piliers symboliques de sa naissance et toute la mystification que son entourage avait érigé autour de sa personne, Hera se targuait aussi d’avoir le terrible pouvoir de nuire aux espoirs de descendances des hommes qui s’attiraient son courroux. Dans un élan d’agacement, de surcroit quand celui-c-i était accompagné d’une consommation « excessive » de l’alcool, la jeune femme se révélait facilement sans pitié. Elle n’y alla pas de main morte, ou en l’occurrence plutôt de genou, pour asséner ce coup terrible au service trois pièces de ce pauvre type qui venait de leur gâcher la soirée.

Merveilleuse première expérience… Emmenant Caden avec elle à l’extérieur, Hera n’hésita pas à jeter un regard froid au vigile qui les dévisagea l’air sombre afin de lui signifier : « Ça va, on se casse, alors nous faites pas plus chier que votre soirée pourrie ne le fait déjà ! » Avec l’alcool, elle risquait fort de se montrer bien plus cash dans ses propos. Si d’ordinaire, la singapourienne avait facilement la langue bien pendue et que personne ne pourrait guère lui reprocher un manque de spontanéité, elle savait néanmoins tenir son langage. Sauf que ce soir, l’alcool circulant dans son sang avait rendu certaines cases de son cerveau quelque peu inefficaces. L’air plus frais et, à défaut d’être pur, plus respirable qu’à l’intérieur de la boite de nuit, elle prit une assez profonde inspiration une fois dehors. Ses paupières s’abaissèrent sur ses yeux une fraction de seconde. Pas plus, car elle sentit déjà sa tête tournée. Elle eut l’impression de vaguement chanceler, peut-être fut-ce le cas, avant de se rééquilibrer. Hera ne savait plus vraiment si elle s’était amusée ce soir. Peut-être ? Ses yeux balayèrent autour d’eux, passant sans y prêter vraiment attention sur les gens qui faisaient encore la queue pour rentrer dans le club – tant de monde pour ça ? –, ceux qui en sortaient titubant, bruyant, ceux qui tombaient sur le trottoir, ceux qui vomissaient un peu plus loin dans le caniveau, celui qui s’avança un peu trop près sur le bord de la chaussé faisant retenir le son assourdissement d’un klaxon. Et elle, elle se sentait enveloppée dans une étrange torpeur, un esprit à demi-assoupi dans un corps trop énergique. C’était étrange. Ce n’était pas franchement agréable. Avec toute cette agitation qui lui était si inconnue tout autour, elle avait l’impression d’être dans une autre dimension. Rêvait-elle ? Ses iris furent happés par la flamme qui jaillit du briquet de Caden lorsque celui-ci s’alluma une cigarette. Elle la fixa quelques instants. Hypnotisée par les étincelles qui consommaient peu à peu le tabac ? Non plutôt une étrange réflexion qui cogitait dans son esprit. Plongée dans son débat intérieur, elle ne l’écoutait tout d’abord avant que son cerveau ne parvienne à analyser les paroles de son interlocuteur. Hera sursauta légèrement, manquant une nouvelle fois de perdre l’équilibre sans raison apparente autre que son état d’ivresse, en redressant les yeux pour rencontrer ceux de son interlocuteur. La comparaison à un dindon, lui déroba un sourire ainsi qu’un léger éclat de rire.
« Je ne me prénomme pas Hera pour rien ! J’ai pouvoir de vie ou de mort sur la fécondité d’un homme ! » rétorqua-t-elle avec une once d’espièglerie en abordant un thème qui habituellement la mettait plutôt mal à l’aise.
Elle ouvrit la bouche pour lui répondre mais se sentant toujours aussi flottante, Hera commença finalement mettre sa réflexion précédente à exécution. Elle saisit la cigarette entre les doigts de Caden et en déposant le bout brûlant sur le dos de sa main.
« Aish ! gémit-elle en secouant sa main par réflexe. Je ne suis malheureusement pas en train de rêver… » put-elle en conclure en rendant la cigarette à son propriétaire.
Et elle n’était pas non plus totalement défoncée au point de ne plus sentir la douleur. D’ailleurs, ce petit coup de fouet lui permit de se ressaisir quelque peu :
« Ne t’excuse, je te suis plutôt reconnaissante… »
Hera baissa les yeux, croisant les bras devant elle, se recroquevillant instinctivement sur elle-même à la seule pensée de ses mains sur son corps. Une telle sensation la dégoutait particulièrement. Souvenirs d’avoir un jour été salie…
« Ce fut sympa de m’avoir proposé mais je crois que définitivement, ce genre de soirée, ce n’est pas pour moi. »
Elle ne comprenait pas quel plaisir ils pouvaient tous avoir à s’enivrer de la sorte, à attendre impatiemment le soir pour faire la fête, encore et encore. Ce n’était pas son monde. Quant à la proposition d’aller manger, elle avait déjà abusé sur l’alcool pour sa ligne, elle ne pouvait se permettre un autre excès.
« Je suis affamée ! » répondit-elle pourtant.
Comme pour confirmer ses dires, son estomac se mit à gargouiller. L’alcool lui avait creusé l’appétit. Une partie de son esprit prônait encore de se montrer raisonnable sauf que ce fut l’autre qui détenait visiblement le contrôle de la parole.
Et comme c’est toi qui m’a entrainé dans cette soirée pourrie, tu m’invites ! »
Ébriété ou pas, la tempétueuse brunette n’avait toujours pas de doute.