Le dos droit, la démarche confiante et mécanique, le menton haut, le regard dressé vers l'horizon, les lèvres figées en une ligne droite. La froideur et la fierté de Jo Sun se lisent dans son attitude. Il n'inspire pas la chaleur, ne sourit que rarement, ne plaisante qu'avec cynisme et sarcasme. Jo Sun est l'archétype même du type sérieux : pas très bavard, il n'aime pas gaspiller sa salive pour échanger des banalités avec des inconnus.

En un mouvement de tête dédaigneux, il arque un sourcil. Ça, c'est le signe que vous venez de sortir une énorme connerie. Il faut le savoir : Jo Sun est quelqu'un qui a beaucoup de principes. Et pour lui, il n'y a pas matière à négociation : soit on les accepte et on s'y plie, soit on passe son chemin. Pourtant, il a horreur qu'on dise de lui qu'il est fermé d'esprit : c'est juste que selon lui, le monde doit obéir à certaines règles de bienséance pour continuer à avancer sur le bon chemin. Et ces règles, ce sont les siennes – et par extension, celles de ceux qui ont un avis qui confirme ou font avancer le sien. Et puis dans un sens, Jo Sun n'est jamais fermé à un débat avec une personne dont les avis divergent... Tant que c'est lui qui a le dernier mot, et que sa vérité triomphe. Pour le reste... Il n'hésite pas à assurer que les autres ne font pas partie du même monde, dans un petit soupir suffisant.

Ses lèvres se fendent en un sourire. Jo Sun n'a pas que des mauvais côtés. S'il est indéniablement froid et exigeant envers les inconnus, il n'est pas associable et reste une personne agréable avec les personnes qui ont acquis sa confiance et son respect. Dès lors, il se montre plus agréable et enclin à un humour moins cynique et grinçant qu'est habituellement le sien. Ses amis et proches laissent même entendre qu'il sait être une personne généreuse : et il serait ridicule de prétendre le contraire. Il sait tendre la main et aider autrui, du moment qu'on ne lui arrache pas le reste du bras. Qui plus est, du moment que le jeune homme a quelqu'un dans son estime, il saura se montrer incontestablement fidèle et respectueux.

Un rire méprisant perturbe son souffle. L'avantage de la fierté dont fait preuve Jo Sun est qu'elle laisse parfaitement entrevoir la confiance qu'il a en lui. Il ne peur de rien. Ou de pas grand-chose, du moins. Mais certainement pas de la compétition et de la confrontation. Il croit en ses moyens et sait qu'il peut atteindre quelque chose s'il le veut. S'il a un objectif, il saura se donner les moyens pour l'atteindre. Il n'est pas laxiste et encore moins fainéant : c'est une personne active, engagée, qui clame ses avis sans avoir peur des avis des autres – à quoi bon, puisqu'il sait qu'il a raison ?

Rapidement, il réajuste sa veste. Soigneux, c'est peu de le dire. « Un esprit sain dans un corps sain. », c'est un peu son leitmotiv. Ça ne sert rien d'avoir la répartie, si on a pas la gueule qui va avec, explique t-il souvent. Que ce soit dans son travail, chez lui ou dans son apparence, Jo Sun n'est pas du genre à se laisser aller. Il est toujours au top. Coiffé, impeccable, les fringues assortis et sans faux plis, toujours aux dernières tendances, tout aussi coûteuses soient-elles. Toujours du genre à réajuster ses vêtements, à replacer ses cheveux, à se passer un peu de parfum derrière les oreilles.

Son regard se plisse légèrement, sa tête se penche de quelques degrés sur le côté gauche. Signe d'intérêt. Et sitôt Jo Sun en flaire t-il un, il fonce. Opportuniste et manipulateur, il n'est pas du genre à laisser filer une occasion sans rien faire. Et si ses avis sont très tranchés et avoués sans tabous, il ne faut pas en conclure que le jeune homme est une brute de décoffrage. C'est un bon orateur qui sait choisir ses mots et qui sait convaincre les personnes qui l'écoutent.

Son index droit vient courir l'arrête de son nez. Un esprit mathématique et peu enclin à la fantaisie. Il n'est pas du genre à croire aux choses non fondées et dénuées de logique, et encore moins aux choses obscures. Jo Sun est un réfléchi qui cherche des explications à tout et qui cherche des solutions pour chaque problème. Pas du genre à foncer dans le tas, il réfléchit avant d'agir.

Sois belle et tais-toi. Ces mots n'ont jamais franchi les lèvres de mon mari. Mais je sais qu'il les pense. Il me l'a toujours fait sentir. Un regard sévère, un silence pesant. Il ne m'en fallait pas plus pour avoir conscience que j'étais au courant de certaines choses, et que je devais absolument garder ma langue là-dessus. Notre fils en serait déstabilisé, lâchait-il de temps à autres.

Quand j'ai mis Jo Sun au monde, Jin Won – son père – était déjà marié depuis plusieurs années à une autre femme. Ça ne nous a pas empêché de continuer à nous fréquenter. J'étais jeune et amoureuse. Pour moi, rien n'avait de plus d'importance que cet adultère et mon enfant. J'étais heureuse. Et je ne pensais pas pouvoir l'être davantage, jusqu'au jour où il m'a annoncé qu'il quittait son épouse pour s'installer avec moi. Ou plutôt, avec nous.

Jo Sun avait alors deux ans. Jusqu'à là, c'était moi qui m'était exclusivement occupée de son éducation. Mais quand Jin Won et moi nous sommes mariés, il a décidé de reprendre les rennes. J'étais heureuse de le voir aussi investi.

Pourtant, maintenant que j'ai un peu de recul... Je ne peux pas m'empêcher d'émettre quelques réserves, même si je ne les ai jamais admises. Mon mari a toujours été d'une immense mauvaise foi envers notre fils. Rester fidèle, fier et intègre. Le véritable dessein d'une femme est d'être dévouée à sa famille. Si les non-coréens sont nos égaux, ils n'en restent pas moins des étrangers. L'homosexualité est une maladie. Jo Sun a été bercé par tous les principes conservateurs du genre.

Je ne suis pas spécialement contre tout ceci, ne me faîtes pas dire ce que je n'ai pas dit. J'ai moi-même fini par intégrer ces notions, à force de les entendre. Mais disons qu'à vue de notre passé commun, j'ai toujours pensé que Won Jin cachait les choses à notre fils. Peut-être avait-il honte ? Peut-être voulait-il expier ses fautes ? Peut-être voulait-il que notre enfant devienne un homme meilleur que ce lui n'avait été ? Je pense que c'est bel et bien le cas. Et les choses sont sûrement mieux ainsi, j'imagine... Même si quelque part, Jo Sun a un peu grandi dans le mensonge.

Mon mari a du saisir que dans mon mutisme, je ne cautionnais pas toujours ces belles paroles. Et c'est sûrement la raison pour laquelle il m'a ordonné de ne plus me mêler de l'éducation de notre fils. Ça ne m'a pas empêchée de l'aimer et de prendre soin de lui, comme toute bonne mère se doit de le faire. Mais de fait, je n'ai jamais été très proche de mon fils.

Je crois même pouvoir assurer que Jo Sun n'a pas beaucoup d'estime pour moi. Il ne m'a certes jamais manqué de respect, et m'a toujours aimée à ma juste valeur. Mais je crois que me voir dans ce rôle de mère au foyer l'a toujours conforté dans cette idée que la femme n'a que pour seul dessein que d'être dévouée à sa famille.

En revanche, il avait une admiration sans faille son père. Si je ne compte aucun débat passionné entre lui et moi, je ne pourrai lister ceux qu'il avait avec Won Jin, tant ils étaient nombreux. Et à chaque fois, j'étais fière de voir à quel point mon fils s'investissait, grandissait et devenait un homme de carrure intelligent, de jour en jour.