J’explosai de rire en l’entendant se plaindre de son sort. La pauvre Ivy, celle qui attirait tous les malheurs de la terre, les pires, les plus horribles, comme ceux qui correspondaient à prendre du poids trop facilement… vraiment, elle était à plaindre, elle était la plus grande victime de la boîte de Pandore ! Je souris à son exclamation. « Si tu veux, je courrai avec toi, par compassion. » Je suis ce genre d’amie dévouée, tout le monde ! Enfin, avec certaines personnes seulement…

« Une réputation de satanique ?! » moi qui ne me renseignais pas sur les rumeurs, j’étais surprise d’entendre ça… et en fait, pas totalement non plus. Ça me disait quelque chose, et sans doute Ivy m’en avait déjà parlée et j’avais fait la même tête. « À cause de ton attitude et de ton apparence ? J’te jure, les gens de ce pays sont beaucoup trop fermés ! Quelqu’un de différent, quelqu’un de libre dans sa tête, et ça y est, c’est la fille de Satan… ils sont jaloux, c’est tout, cette bande de rageux ! » Je ne pensais pas que Ivy soit réellement atteinte par de telles rumeurs mais des paroles comme celles-ci sortaient naturellement de ma bouche. Je me remis quand même à manger, l’attitude des autres ne suffisant pas à m’écœurer du délice qu’étaient ce que j’avais dans les mains. J’acquiesçai d’un grand mouvement de tête à sa question, ne pouvant pas le dire avec des mots car ma bouche était pleine. Je me dépêchais d’avaler le tout pour lui dire quelque chose mais avant que je n’en sois capable, elle se mit à ouvrir la bouche pour que je lui en donne un morceau. Je rigolai et le lui donnai comme promis et après une expression satisfaite, elle fit la même avec moi. J’allai dire mon avis sur le gâteau avant qu’elle ne m’interrompe de nouveau avec une question et je réfléchis quelques instants. « Non, pas vraiment… pour une fois, je prévois de rester plutôt dans le calme ? » Min Ah qui dit le mot calme, quel miracle !

L’étonnement de Ivy me laisse perplexe quelques secondes. Je ne comprends pas immédiatement ce qui la surprend tant que ça, jusqu’à ce qu’elle parle et qu’elle s’explique. Je la fixe quelques secondes avant de répondre. « Ce n’est pas que je ne les ai pas entendues… je sais les grosses lignes, je sais que t’as des rumeurs mauvaises sur toi, quoi… les détails, je n’ai jamais voulu les entendre et personne n’est assez fou pour me donner les détails d’une rumeur qui me mettra en colère. » Je ne donne que très peu d’importance à ça, dans certaines limites. Bien sûr, lorsque c’est une histoire de meurtre ou d’agression, je m’inquiète un peu plus. Mais Ivy, si elle a de telles rumeurs derrière elle – bien que j’en doute – ce n’est pas pour un comportement violent, juste pour une apparence différente. Alors, je ne donne aucun poids à tout ça et je ne veux même pas le savoir. « Il vaut mieux le prendre comme ça de toute façon, puisqu’on peut rien y faire. Mais franchement, faut se faire chier et avoir aucune vie pour faire ce genre de choses. » Je suis partagée entre la haine contre ses gens là, et la pitié. Ils sont pitoyables, dans le mauvais sens du terme.
Après avoir mangé, je fais face pour la deuxième fois à un air surpris de la part de Ivy et ça me fait rire, même si je ne le dis pas. Décidément, je suis surprenante aujourd’hui ! J’explose de rire quand elle relève le mot calme. D’accord, tout est relatif : je n’entends pas calme comme elle entend calme. Je veux juste dire que je reste à Séoul et que ce que je ferai, je le ferai avec ceux qui y restent aussi… « Non non, c’est un malentendu ! Je veux juste dire que je vais rester à l’université ! C’est ma dernière année – et bientôt la fin – ici, je veux en profiter à fond ! Je vais m’éclater avec ceux qui restent, c’est ça que j’appelle ‘’calme’’ ! ». J’acquiesce lorsqu’elle me parle de ses plans. Le Japon… oui, c’est bien. C’est bien, mais j’aurai tout le temps d’y aller après la fin de mes études. Je soupire quand elle relève le fait que tout dépend de son père. « Il a intérêt à te foutre la paix, oui. » M’exclamais-je, même si je suis impuissante quoi qu’il arrive.

J’explose de rire en imaginant Ivy être la fiancée du diable. « Yah yah, tu me l’as jamais présenté ton fiancée ! Je suis vraiment outrée ! » Dis-je en prenant un air vexé. À ce niveau-là, les gens ne savent vraiment pas inventer. Non seulement ça manque de réalisme, mais en plus c’est marrant, pas effrayant. Qui croirait réellement à de telles choses ? Rien qu’imaginer un mariage entre le diable et une autre personne… ça se passerait comment ? Au lieu d’un baiser pour marquer l’appartenance à l’autre, ils avaleraient des âmes ensemble ? Ou brûleraient les invités ? Au moins, ça aurait un côté amusant. En imaginant ce spectacle, je terminais de savourer cette nourriture. Vraiment, je n’aurais jamais rêvé d’une meilleure après-midi. Je tourne le regard vers elle quand elle sous-entend que j’ai des rumeurs à mon sujet. J’en connais quelques unes sur mon comportement de gamine mais pas énormément. Sauf que maintenant que je sais que les rumeurs sont aussi amusantes, j’ai envie de savoir ce qu’il y a sur moi et, sans doute aussi, sur mon frère. Quoi qu’encore, mon frère j’ai une idée un peu plus exacte. « Ah ouais ? C’est quoi les plus récurrentes et amusantes tu crois ? Moi je sais que les gens racontent que j’ai donné de l’argent pour avoir mon permis et que même avec une somme généreuse, l’inspecteur aurait eu trop peur pour la vie des autres et ne me l’aurait pas donné. » Celle-là, quand je l’ai entendue, j’ai beaucoup rigolé… et en même temps… je le veux, mon permis !
Je souris légèrement en voyant la réaction de Ivy. Ayant quasiment que des amis plus jeunes, la plupart oublie que c’est ma dernière année. Mon sourire disparaît un peu. C’est triste, et quelque part, leur réaction me flatte toujours un peu. « Je vais devenir avocate. » Comme ma mère. Mais ça, je ne peux pas le dire. Ivy ne sait pas non plus pour mes parents. Je reprends un air souriant quand on reprend le sujet des vacances. « Ouais ! De très bonnes vacances, en soit. » Pour mes dernières vacances, je vaux bien ça. C’est à mon tour de soupirer quand elle parle de son père. L’imitation un poil exagérée de Ivy me refit sourire un peu, mais je savais que sa touche d’humour n’était là que pour dissimuler l’énervement qu’elle ressentait à propos de ça. « C’est vrai que j’ai de la chance. » Je ne sais pas si c’est parce que nous ne sommes pas leurs vrais enfants et qu’ils nous pensent trop précieux pour nous imposer de telles choses, puisque nous sommes les enfants qu’ils n’ont jamais eus, ou si c’est juste parce qu’ils n’ont jamais voulu organiser de telles choses. Dans tous les cas, je suis bien heureuse que ni mon frère, ni moi, n’aient à subir de telles choses. « En tout cas, si tu veux un jour, je veux bien te remplacer pour un blinddate. Je me ferai passer pour toi et je les ferai fuir pendant que tu pourras t’amuser ! » Je rigole à cette idée. « Après tout, ça aurait un côté amusant et ce serait un moyen de défier ton père, non ? »

Le permis de conduire étant un sujet sensible chez moi, j’ai l’habitude d’être taquinée en permanence dessus, par Se Ah, par mon frère, par Ivy et par tous les gens qui savent combien de fois j’ai tenté de passé le permis en vain. C’est presque – voire totalement – une tradition de se moquer de moi si le sujet arrive. Alors que, honnêtement ! Personne n’est jamais doué dès le début. Il me faut juste un peu plus de temps et en plus, je suis certaine que c’est juste un manque de chance. Il y a toujours cet élément perturbateur quand moi je passe le permis. Un complot. « Ha. Ha. Ha. » Rajoutais-je en voyant Ivy exploser de rire face à sa pique. Si un jour je l’ai, ce permis, je ne manquerai pas d’en faire des photocopies.

Je fais une moue quand elle parle de taille. Elle est bien placée pour se moquer, elle fait la même taille que moi – elle est même un peu plus petite ! « T’inquiètes pas, ma réputation sera assez grande pour rattraper mes centimètres manquants. » Après tout, pour devenir avocate, j’ai fait plus d’étude que nécessaire. Un doctorat n’est pas nécessaire mais avec ça, je suis certaine de trouver quelque chose d’intéressant et sûre d’avoir une renommée particulière. « Celui qui essaiera d’écraser mon client aura le droit à une Min Ah enragée… » Ce qui est loin d’être chaleureux. Je soupire en entendant parler des soucis d’argent de Ivy. Quelque part, elle force l’admiration. Jamais je ne pourrais minimiser mes vivres comme elle le fait, surtout en sachant qu’un simple coup de fil à ma famille me permet de remplir les caisses. Et puis, vu combien j’aime le shopping, ce serait encore plus impossible pour moi de vivre avec peu d’argent. « En tout cas, si un jour il ose te couper les vivres, n’hésite pas à me demander de l’argent. » Je lui fais un sourire. Il y a des sujets sur lesquels je pourrais plaisanter et d’autres sur lesquels je suis sérieuse, et celui-là en fait parti. Je ne laisserai jamais une amie avoir du mal financièrement alors que je dépense des centaines d’euros dans des habits, je l’admets difficilement, pas forcément nécessaires. « Ouaip, moi aussi… je te propose de passer la fin de la journée ici ? » Je rigole. D’accord, deux manèges c’est pas énorme mais on pourra revenir une autre fois, au pire. « On se lèvera quand ça ira mieux pour partir. »

Le métier d’avocat, je l’ai choisi pour honorer ma défunte mère. Je l’ai choisi parce que c’est ce qu’elle aurait voulu être si elle n’était pas tombée enceinte, si elle n’avait pas abandonné ses études. En faisant ce choix, elle avait non seulement sacrifié la belle carrière d’avocate qui aurait pu l’attendre mais elle avait même sacrifié les liens avec sa famille, qui ne voulait pas qu’elle nous donne naissance. En apprenant ça, j’avais de suite choisi d’honorer la carrière que ma mère n’avait pu avoir. Mais ce n’est pas non plus que pour ça. j’aime ce métier et je le trouve compatible avec ma personnalité : après tout, je suis une bonne oratrice et manipulatrice, agressive à souhaits avec la parole ou les gestes. C’est certain que j’aurai vite une réputation d’avocate à ne pas embêter, de pit-bull comme le décrit si bien Ivy. Je rigole donc à l’entente de cette comparaison. « Ah bah ça c’est sûr ! »
Je hoche la tête quelques secondes quand elle dit qu’il n’osera peut-être jamais. « Quoi qu’il en soit, si vraiment il ose faire ça, tu sais que tu peux me demander de l’aide… Je veux dire, entre nous, y’a pas de quoi être gênée, mh ? » Je souris et mon sourire s’agrandit quand elle approuve mon idée. « Je suis totalement d’accord ! Le soleil, c’est bien et il faut savoir en profiter avant qu’il ne disparaisse. » Parce que après l’été, c’est l’automne… et l’hiver…  « Non, je veux passer un moment parfait en étant éveillée ! Je me sens en pleine forme. Du coup, j’te réveillerai ! » Je rigole en sortant mon téléphone.