Mon père, Han Kwang-Ho (광 호) ne s'est pas marié par amour. Il a simplement épousé la femme que ses parents ont choisie pour lui. Celle-ci s'appelait alors Lee Suk-Hee (숙희=fille mûre, bien élevée, dinstinguée selon racinescoréennes). Elle non plus n'avait pas choisi cela, mais qu'importe, les aînés eux avaient choisi. Ainsi, le 23 octobre 1988 elle changea son nom pour prendre celui des 'Han". Le couple donna tout de même naissance à deux enfants. Je n'en suis pas.
Mon père est pourtant bien ce même Han Kwang-Ho ; en revanche ma mère s'appelle Choe Hyeon-Jung (현정=femme vertueuse, chasteté, modestie selon racinescoréennes), je suis ce que l'on appelle un enfant adultérin. Évidemment, ça ne se sait pas. Comprenez, mon père vient d'une illustre famille, il est aujourd'hui à la tête d'une grande entreprise, la 8e plus importante de Corée. Ainsi, officiellement, je suis le fruit de son mariage, officiellement Suk-Hee a porté ses trois enfants. C'est mieux ainsi, pour tout le monde. Ma mère n'est pas digne de Biyong...
Choe Hyeon-Jung vient d'un quartier pauvre de Séoul, Guryong, à l'époque un bidonville étouffé dans l'opulence grandissante de Gangnam. Elle n'était pas très douée à l'école et n'osait rêver de l'université. Ma mère ne possédait pas grand chose, mais elle était belle. Ma mère est très belle. Elle s'est servie de ce qu'elle avait pour séduire un homme riche, malheureux en ménage. Elle avait tout calculé pour que son ventre s'arrondisse dans les mois suivants leur nuit d'amour.
J'ai toujours su que "madame" n'était pas ma mère, même si je devais l'appeler ainsi. Cependant, ce n'est qu'à l'adolescence que j'ai obtenu plus de détails sur les négociations entourant mon existence.  
C'est d'ailleurs "madame" qui m'a tout révélé, dans un flot de remarques blessantes à mon égard. Sans mon grand-père paternel, qui tenait plus que tout à sa descendance, j'aurais sûrement été abandonnée et adoptée à l'étranger…

Spoiler:

A ma naissance, quand on s'est aperçu que j'étais une petite fille, l'abandon n'était plus possible, un petit cercle s'était déjà arrangé pour que l'on croit la femme légitime enceinte. J'ignore quel genre de contrat ont alors signé mes parents, mais il stipulait certainement que ma mère biologique devait rester vivre cachée avec nous, puisque c'est ce qu'elle a fait, pendant un temps. Je me souviens, lorsque j'étais petite, je l'entendais régulièrement se disputer avec mon père. Il lui reprochait ses sorties trop fréquentes dont elle ne rentrait quelques fois qu'au petit matin. Elle, se plaignait de manquer de liberté. Elle répétait souvent que n'étant ni sa fille, ni sa femme, il n'avait pas à lui donner des ordres où lui interdire quoi que ce soit, que s'il voulait qu'elle lui appartienne, il n'avait qu'à l'épouser… Elle devait ignorer que ses chantages ne servaient à rien, que jamais il ne l'aurait épousée.  

Et puis un jour elle est partie. Je devais avoir 7 ans. Mot pour mot, je me souviens de ce qu'elle m'a dit.

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Vous devez vous en douter, je n'ai pas eu la plus heureuse des enfances. Malgré la fortune de ma famille. C'est bien connu, l'argent ne fait pas le bonheur. Mais ne vous y détrompez-pas, j'ai tout de même été aimée. Mon père me le disait souvent, qu'il m'aimait, qu'il ferait tout ce qu'il faudrait pour moi. Il ajoutait néanmoins toujours : « c'est normal, tu es ma fille. Pourtant, tu ne seras jamais comme mes enfants légitimes », parfois il s'en excusait, ou il détournait le regard, certainement parce que ses paroles étaient sincères. Je n'ai malheureusement jamais entendus quelque chose comme cela de la part de "madame", ni de maman d'ailleurs. Néanmoins, je n'ai aucun doute sur leur amour envers moi. Les mois qui suivirent le départ de maman, le regard que "madame" posait sur moi était différent.
Une fois, alors que j'étais en larmes, elle m'a prise dans ses bras et ne m'a pas lâchée jusqu'à ce que je m'arrête de pleurer. Elle a prit ma tête entre ses mains, a essuyé les traces de mes pleurs de ses pouces tout en me disant que ce serait la première et la dernière fois qu'elle m'autoriserait à me montrer comme cela devant elle, qu'à partir de maintenant, j'avais interdiction de me plaindre, de pleurnicher ou de me laisser aller d'une quelconque façon ; parce que le monde est cruel et ne laisse aucune place aux pleurnicheuses.
D'un hochement de tête, je lui ai promis qu'elle ne m'y reprendrait plus. J'ai tenu parole jusqu'ici.

En grandissant j'ai commis quelques erreurs. J'avais comme besoin de rejeter toute cette frustration que j'accumulais à la maison... Alors, au collège, je suis devenue ce que les anglais appelent "bullies". J'en ai honte aujourd'hui. Je suis sincère. C'est assez comique d'ailleurs, c'est une de mes victimes qui m'a aidée à redevenir humaine... Il est pas passé par quatre chemins, il a choisi la méthode brutale. Direct et efficace. Il a voulu se tuer devant moi.
C'était... ... mon corps entier se sert rien que d'y repenser.  Je n'aurais jamais eu ce courage... faire ça devant témoin, je n'aurais jamais pu. Si vous le permettez, je préfère arrêter d'en parler...

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Au fond j'espère qu'il s'en est sorti, qu'il est quelque part et qu'il va bien. Il faut qu'il aille bien... Sinon ça voudrait dire, que je l'ai tué.

J'évite de trop y penser. Aujourd'hui ce, cette histoire est derrière moi. C'est du passé après tout. Je me contente de suivre l'exemple de mon père : je cache tout, j'oublie et je passe à autre chose. Je ne sais pas si c'est la bonne solution, mais pour l'instant ça marche. Je fais la même chose pour les souvenirs de ma mère, je les caches, les oublis et continue d'avancer.
Malgré tout, malgré mes efforts, au lycée je n'étais plus la même. Je ne pouvais plus être la même. Je me consacrais aux études et j'essayais de ne pas prêter attention aux autres. Quand on s'approchait un peu trop de moi, je devenais agressive, irritable. Encore maintenant, il m'arrive de me brusquer de cette façon lorsque je me sens menacée.
Ce comportement m'a permis d'exceller à l'examen finale du lycée. Sur le conseil appuyé de "madame" je suis d'abord partie étudier l'histoire de l'art entre Florence et Paris.

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Après deux ans en Italie et un an en France, j'ai obtenue ma licence et suis finalement rentrée au pays, non sans un pincement au cœur. Je serais bien resté plus longuement en Europe, mais mon père m'a réclamé. Il m'a confié avoir l'intention de laisser les reines de l'entreprise à qui de droit pour se lancer en politique, le pays en a besoin selon lui. Il commencerai par la mairie de Séoul pour viser de plus en plus haut. Il avait depuis quelques mois déjà commencé à investir sérieusement dans la ville. Il attendait de moi que je m'inscrive dans une université coréenne, selon ses conseillers, c'était nécessaire que tous ses enfants soient en Corée pour sa campagne.
Pour séduire un maximum de monde, Yonsei semble être le meilleur choix. Une université d'élite, de plus en plus ouverte sur le monde, gagnant chaque année en popularité chez les jeunes diplômés du secondaire. Au moins pouvais-je choisir mon cursus.

Droit, médecine, science politique, langue étrangère, lettre, histoire, presque trop de choix. J'avais envisagé la médecine, je suis même allée à quelques réunions d'informations et rencontre avec les élèves. Puis je suis tombée sur une brochure de cette filière si particulière : "apprentissage de la langue et de la culture coréenne". La brochure était en anglais, car cette spécialité est principalement ouverte aux étudiants étrangers. Pourtant j'ai tout de suite été séduite. Lors de mon inscription on m'a conseillé le double cursus, car en tant que coréenne j'étais dispensée de plusieurs cours, ce qui me laissait pas mal de trous dans mon emploi du temps.
Finalement je suis donc en double cursus droit, science politique et apprentissage de la langue et de la culture coréenne, deuxième année à l'université Yonsei. C'est cette année que mon père compte se présenter aux municipales.