Détruite, brisée, jusqu’à l’oubli de sa propre existence. Avant même de pouvoir essayer de se souvenir, elle a été poussé à se reconstruire, à se détruire plus qu’elle ne l’était déjà. Ses mains sont liées et ne semblent être faite pour frapper, briser, tuer. Sa voix ne sait que séduire et mentir. Sa conscience est broyée et hantée par un unique objectif, un seul nom. Elle n'est plus que l'esclave de souvenirs dont elle n'a plus de trace.

Dis-moi qui tu es et je te dirais si je te tuerais ou non.

            À mon réveil, j’avais l’impression d’avoir fait un très long voyage, mais de cet étrange périple, il ne me restait rien, si ce n’est une lourdeur pesante sur mon cœur. Le seul souvenir qui me reste n’a ni odeur, ni son, ni image, simplement un sentiment béant qui me coupe le souffle et me donne le vertige. Un sentiment de tristesse infini,  de vide incommensurable qui me déchirait de l’intérieur. Pourquoi, je ne le savais pas, mais l’homme qui se trouvait à mon chevet a mis des mots sur ce sentiment pour me sauver de l'ignorance, il m’a raconté une longue histoire et lorsqu’il l’eut terminée, il m’a simplement pris la main et il m’a murmuré : « maintenant, lève-toi, il est temps pour toi de te venger ». À partir de ce jour, j’ai simplement cessé de vivre ou alors, je n’ai pas eu le temps de vivre. Il m’a forgé à son image, il m’a polie de ses convictions et de ses ambitions, et il m’a testé à de nombreuses reprises pour voir, s’il avait suffisamment anéanti en moi, toute trace de volonté, toute trace d’humanité. Alors j’ai appris à refouler au plus profond de moi, tout doute et toute question, je me suis interdite de penser car je redoutais sa froideur et sa violence. Et lorsqu’il me surprenait, à remettre en question sa parole, il m’enfermait et me punissait, me rappelant ma misère et son auteur. Lui, ne faisait que cela pour mon bien-être et si je devais en vouloir à quelqu’un, c’était bien à celui qu’il appelait, « mon frère ».

Ce frère, je ne l’ai détesté que parce qu’on m’y forçait et que le détester était la réponse qu’on attendait de moi. En réalité, je n’éprouvais rien, il n’était qu’un mot comme un autre. Même lorsque je l’ai retrouvé, il ne m’était qu’un parfait étranger. Mais c’est en le regardant vivre, rire et s’amuser de façon si insouciante et si heureuse que tout mon monde a pris sens : je réalisais l’enfer dans lequel il m’avait plongé. Toute la souffrance que j’avais jusque-là endurée me rongeait les entrailles, et toutes mes blessures s’ouvraient, béantes et si laides, qu’elles en devenaient insupportables. Le conditionnement dans lequel j’ai formaté s’est alors emballée. Je n’étais qu’un objet au creux de leur main. L’un m’avait poussé dans le vide et l’autre m’a sauvé par des mensonges. Lui, ce père que je pensais avoir, au final, ne me voyait pas : au travers de moi, il ne voyait que mon frère. Durant toute ses années, il n’avait fait que l’attendre. Cette vengeance qu’il avait fait germé en moi n’était qu’un outil pour le retrouver.

Libérée secrètement de mes enclaves, je me suis lancée dans un nouveau jeu, ou du moins, la suite de celui au cours duquel j’ai failli perdre la vie. Mais les règles sont différentes : ma cible n’est plus unique, mais double.