Coudes sur la table en linox, mains jointes et avachi en avant, No Ah attendait. Il fixait la glace sans tain juste devant lui, sachant pertinemment que son oncle était derrière, qu’il le regardait et qu’il le faisait poireauter pour que cela lui serve de leçon. Sauf que ce n’était pas la première fois que le garçon se retrouvait là et ça ne serait sans doute pas la dernière. Soupirant bruyamment, il se recula contre le dossier de sa chaise et posa ses jambes sur la table, faisant balancer sa chaise. Ce n’était qu’un petit vol de rien du tout, ils n’allaient quand même pas le garder ? Et puis c’était le mec qui l’avait cherché, complètement bourré, à montrer son fric à tout va, alors forcément qu’il s’était pas gêné pour se servir et l’autre avait crié au voleur. La porte s’ouvrit brutalement, laissant passer son oncle, Commandant de Police.« Enlève tes pieds de la table No Ah et debout. » soupira-t-il alors qu’il le fixait un peu désemparée par une situation qui semblait se répéter sans qu’il ne puisse rien y faire. « Allez viens, je te ramène. J’ai arrangé l’affaire, tu iras travailler pendant une semaine chez l'homme que tu as volé et il retirera sa plainte. »  No Ah se releva et s’avança vers lui, passant simplement la porte avant de continuer son chemin. Son oncle le suivit et ensemble ils se dirigèrent au parking. Le garçon grimpa et s’affaissa dans le siège, regard fixé sur l’extérieur. Il allait avoir le droit au discours paternaliste. « No Ah … »  commença son oncle. Bingo. « Tu as 15 ans. Si tu continues comme ça, je pourrais plus rien faire… Tu penses que ta mère serait heureuse de savoir ce que tu deviens ? »   « Qu’est-ce qu’elle en a à foutre de toute façon ? Elle est partie. »  rétorqua l’adolescent, d’une voix sèche. « Et tu lui en veux, je comprends. Mais elle m’a confié ta garde le temps d’aller mieux … Tu sais que ta mère a beaucoup souffert, elle a besoin de temps pour elle, auprès de sa famille … » continua son oncle. « Parce que moi je suis pas sa famille peut-être ? Si elle voulait pas de gosse, elle avait qu’à pas en faire. »   répliqua-t-il, dur. « Ton père n’est pas quelqu’un à qui on dit non, tu le sais mieux que quiconque non ? »  Cela laissa le jeune homme muet et il croisa les bras contre son torse. « Tu es allé le voir aujourd’hui, n’est-ce pas ? »  No Ah resta muet, se contentant finalement d’un bref hochement de tête. Ça le rendait toujours furieux de devoir s’y rendre, mais il n’avait pas le choix. Il entendit son oncle soupirer. « Bon, on ne va rien dire à ta tante, mais s’il te plait, fais lui plaisir et mange avec nous. »

Quelques années plus tard, No Ah se retrouvait toujours dans des situations semblables. Néanmoins, il se faisait moins attraper par la police, son agilité et sa rapidité lui permettant de s’enfuir plus vite et de se cacher là où on n’irait pas le chercher. Apprendre à se cacher, ça il connaissait plutôt bien. C’était même son premier souvenir d’enfant. Il se souvenait de sa mère, terrorisée dès qu’elle entendait la porte de la maison s’ouvrir avec fracas, qui le poussait dans sa chambre en lui mettant entre les mains sa peluche préférée avant de fermer la porte. Au départ, No Ah ne comprenait pas. Il s’asseyait par terre et attendait sagement qu’on lui ouvre, sa peluche dans les bras. Il entendait la voix grave de son père et était heureux de savoir qu’il était rentré car il aimait beaucoup son père étant petit. Mais il entendait aussi celle de sa mère et fronçait les sourcils car il ne comprenait pas pourquoi elle semblait si triste, pourquoi aussi elle semblait avoir mal. Il était encore trop petit pour comprendre, mais la vérité s’imposa dans son esprit assez rapidement. Il vit enfin son père comme le voyait sa mère. Comme un monstre, violent et très souvent ivre. Pourtant il avait été le petit garçon qui sautait dans les bras de son père quand il rentrait et qui était si heureux de grimper sur sa moto pour faire comme les grands.

Il avait été témoin trop souvent de violences, des gifles qui partaient toute seule sans que sa mère ne s’y attende, des assiettes qui volent car la nourriture qu’elle leur servait « c’était d’la merde ». Dès que son père commençait à la frapper, No Ah voyait sa mère tenter de l’éloigner à tout prix de lui et suppliait silencieusement son fils de garder le silence pour ne pas s’attirer les foudres de son paternel et s’en prendre une. Et puis en grandissant, il en eut marre de se cacher, de rester passif face à ça. Il était furieux de voir leurs voisins volontairement aveugles face à la violence conjugale qui se passait sous leur toit. Le garçon voulait protéger sa mère. Cette idée fut vite balayée par son père qui lui en mit une alors qu’il s’interposait entre ses parents avant de le foutre à la porte. Il avait 9 ans. Sa mère finit par faire de même dès que son mari rentrait ivre. No Ah se retrouvait dans la rue le temps que son paternel passe ses nerfs sur sa mère. Alors il courrait, il s’éloignait loin de cette maison pour ne pas entendre celle qu’il aimait par-dessus tout souffrir et supplier. Et il rentrait ensuite, quand la maison était calme et sans bruits.

No Ah avait compris en grandissant que son père était, en plus d’être un homme violent et alcoolique, loin d’être un enfant de chœur. Il faisait partie d’un gang assez conséquent, plutôt bien placé hiérarchiquement, qui s’occupait de divers trafics depuis bien plusieurs années sans jamais se faire prendre. Du moins jusqu’à un certain temps, aux 14 ans du garçon, la police débarqua chez eux en pleine nuit et arrêtèrent son père. Ce dernier tomba pour au moins 10 ans sans possibilité de sursis. Si No Ah avait pu penser que cela serait la fin d’un cauchemar, il fut vite rattrapé par la réalité. Son père lui fit un chantage pour que son fils vienne le voir plusieurs fois par an sous peine d’envoyer des hommes à lui voir sa mère. Le comportement de No Ah finit par se détériorer. A l’école, il n’avait jamais été très bon, mais ses notes dégringolèrent, il devient adepte de l’école buissonnière et multipliait les insolences en cours. Le garçon se mettait également à voler, commettre des petits délits, il se battait régulièrement et sa mère eut beaucoup de mal à le gérer. Celle-ci préféra confier son fils au frère de son mari, un policier et décida de retourner quelques temps en Russie. No Ah se senti profondément abandonné par sa mère et lui en veut encore malgré tout l’amour qu’il lui porte.

Son attitude empira et il finit par participer à un braquage d’une petite épicerie qui blessa sérieusement le gérant. Son oncle, qui réussissait à arranger les choses pour ses petits délits, ne put rien faire et le garçon fut envoyé en maison de redressement pour jeunes à l’âge de 15 ans. Il y resta 2 ans avant d’en sortir et de reprendre le chemin de l’école suites aux supplications de son oncle et sa tante. Son ancien lycée ne voulant plus de lui, il se retrouva dans un lycée où il ne connaissait personne alors que l’année avait déjà commencé. Il s’était rapidement fait une réputation en rabattant leur caquet à des garçons qui avaient voulu lui faire comprendre qui commandait ici. Il ne s’était plus jamais fait emmerder de l’année. Les filles de sa classe lui collaient néanmoins aux basques et le garçon ne leur accorda aucun intérêt jusqu’à ce qu’il fut témoin d’une scène qui le mit hors de lui. Du harcèlement assez poussé sur une fille de sa classe. Il ne comprenait vraiment pas, le monde était déjà assez pourri comme ça pour faire la misère à une camarade de classe, non ? Il avait fait comprendre à ses filles le fond de sa pensée avant d’aider sa camarade, se désignant officieusement et sans lui dire, son garde du corps. Il ne supportait pas de voir les autres s’acharner sur elle et il avait clairement signalé que toute personne voulant s’en prendre à elle devrait d’abord lui passer dessus. Elle ne s’était plus fait emmerdé et lui avait écopé sans trop le vouloir au départ d’une amie.

Grâce à Mi Young, il s’était mis à bosser un peu plus, malgré un lot de conneries encore conséquente à côté. Il avait réussi à se faire accepter à la Yonsei sans trop savoir comment, suivant Mi Young faute de trop savoir ce qu’il voulait faire dans la vie. Sa mère choisit son entrée à l’université pour revenir en Corée et le garçon abandonna la vie chez son oncle et sa tante pour retourner chez sa mère. Néanmoins il changea vite d’avis quand celle-ci se remaria avec un autre homme qui avait déjà une fille, un militaire de formation. Ce dernier semblait vouloir remettre No Ah dans le droit chemin, tandis que sa mère désirait plus que tout qu’ils forment une vraie famille. Le garçon ne l’entendait pas de cette oreille et rentra dans une fraternité pour ne pas avoir à rentrer chez lui, et les rares fois où il le devait, il filait rapidement hors de la maison pour trainer dehors, à continuer de mal agir. C’est d’ailleurs lors de l’une de ces petites escapades et l’un de ses vols nocturnes qu’il se fit choper par deux mecs d’un gang qui semblaient connaître son père. No Ah n’eut pas trop le choix de les suivre et se retrouva sans l’avoir trop décidé dans un gang, ses capacités de voleur étant particulièrement appréciées.