Je n’ai jamais été très fan des ascenseurs et pourtant, en ce moment, je n’ai pas envie qu’il s’arrête, je n’ai pas envie qu’il arrive à notre étage. J’aimerais rester dans cette pièce métallique plus longtemps, la retenir aussi avec moi. Je n’ose pas vraiment la regarder, pas parce que ça me dérange, mais parce que j’ai peur de rougir, de montrer ma vulnérabilité alors qu’elle ne ressent peut-être rien. L’ambiance est étrange, pas gênante mais elle est étrange tout de même et je ne sais pas vraiment quoi dire. Alors, comme si c’était tout à fait normal, comme une habitude, comme un geste qui réconfort, mes doigts viennent chercher les siens et ma paume vient une nouvelle fois contre la sienne. Elle ne la retire pas, ça m’arrache un petit sourire discret et presque soulagé. Je repense alors au baiser et à nouveau, les questions tournent dans ma tête mais je reste silencieux.

C’est elle qui brise le silence et je tourne alors enfin la tête vers elle et observe son visage qui se relève pour ancrer son regard dans le mien. Elle a simplement prononcé mon prénom mais c’est déjà tout ce que je voulais, je voulais juste entendre sa voix. Nous échangeons un regard et j’ai la sensation que ces regards n’appartiennent qu’à nous. Elle me remercie et un sourire naît sur mon visage. Je serre sa main dans la mienne et jette un coup d’œil aux étages qui continuent de grimper mais nous ne sommes pas encore arrivés. Je me tourne alors complètement vers elle et tire un peu sur sa main pour qu’elle se tourne vers moi à son tour.

-Tu n’as pas besoin de me remercier, c’est normal et le plus important c’est que je le pense.

Je lève lentement ma main libre pour caresser sa joue avec beaucoup de douceur. Ce moment dans l’ascenseur n’appartient qu’à nous, à Ella et à moi mais je ne sais du tout quoi lui dire. Je me tiens devant elle, j’ai tant de questions mais maintenant que je suis seul, devant elle, je ne sais pas quoi lui dire. Je laisse quelques secondes mes doigts frôler sa joue. Il y a quelque chose entre nous que je n’arrive pas à définir, quelque chose d’intriguant autant qu’attirant, de mystérieux et de passionnant. Je me rapproche un peu d’elle et ancre mes yeux foncés dans les siens si clairs.

-Je ne sais pas si tu m’as embrassé juste parce que tu en avais envie ou… ou parce qu’il y a plus que de l’envie mais…

Je laisse ma phrase en suspend et la regarde quelques longues secondes avant de serrer sa main dans la mienne comme elle l’a fait plus tôt. Je me penche alors et à mon tour, je pose mes lèvres sur les siennes. Je caresse doucement ses lèvres dans ce baiser qui n’est fait que de tendresse, de chaleur et de sentiments. De l’amour ? Je n’en sais rien, mon cœur bat vite alors que nos lèvres sont encore jointes et je finis par m’éloigner en osant à peine ouvrir les yeux. J’ancre mon regard dans le sien et lui souris légèrement avant de lui faire un petit clin d’œil.

-J’en avais aussi envie…

Je souris mais avant d’avoir le temps d’ajouter quoique ce soit, un tintement retentit et je m’éloigne à regret de la jeune femme puisque l’ascenseur s’arrête et que les portes s’ouvrent et derrière se trouve l’équipe au complet qui nous attend.

J'appréhendais l'idée d'être seule dans cet ascenseur avec lui. Mais c'était sans compter ce qu'il fit et dit, lorsque nous étions que nous deux. Ses mots. Ont-il un sens caché ? Ce baiser qu'il m'a, finalement, rendu. A-t-il un sens plus profond ? Je suis perdue et le regarde, sans trop comprendre ces derniers instants partagés. Pourquoi a-t-il fallu qu'il m'embrasse ? Pourquoi n'a-t-il, seulement, pas fait comme si de rien n'était ? Comme si rien ne s'était passé ?

Ici, nous sommes simplement les mêmes qu'auparavant. Nous avons beau jouer un rôle et être connus, à notre façon, nous sommes nous. Kwang Min et Ella. Nous sommes les mêmes. Pas besoin de pression. Pas besoin de changement entre nous. Nous sommes bien comme nous sommes. Non ? Ne dévoilons pas le jeu. Pas encore. Pas dans sa totalité. C'est bien trop dangereux. Il y avait un espace vide dans mon coeur et dans ma vie avant qu'il n'y entre. Une photographie sans visage. Mais avec sa présence et sa grâce , tout se met en place. Et cela me fait peur. Oui, cette sensation est terriblement effrayante. Les mots pesants sont difficiles à prendre. Sous la pression, les choses précieuses peuvent se briser. Et ce que nous pouvons ressentir est difficile à feindre. Alors ne dévoilons rien. Je t'en prie, Kwang Min. Va-t-il mal le prendre si je lui dis de telles choses de vive voix ? La passion rend fou. Et j'ai déjà été folle, avant. Cette fois, je vais ralentir. Je veux ralentir. Pour me protéger. Mais aussi pour le protéger, lui. Protéger sa notoriété et sa personnalité publique. Il le faut. Parce que je pense que ça pourrait être plus, entre nous. La chose que je cherche pourrait se trouver en lui. Est-ce que je le souhaite ? Peut-être que je l'espère, secrètement. Kwang Min. S'il te plait, ne me dis pas que tu m'aimes. Parce que je pourrais ne pas le dire en retour. Cela ne veut pas dire que mon coeur sarrête de sauter quand tu me regardes comme ça... Au contraire. Il n'y a pas besoin de s'inquiéter lorsque tu vois où nous en sommes, après si peu de temps. Mais peut-être que nous devrions, quand même, nous inquiéter et nous méfier ?

Il en avait simplement envie. Voilà ce qu'il répondit à mes inquiétudes secrètes et mentales. Je ne savais pas si je devais être soulagée d'une telle raison ou déçue. Que dois-je ressentir ? Je l'ignore et cela me fait du mal. Je ne pensais pas ressentir ce genre de choses, ici, maintenant, aujourd'hui, grâce et à cause de lui. Je pense que l'histoire de ce clip nous ait monté à la tête. Cela et notre soirée de la dernière fois. Nous devons redescendre sur terre et redevenir de bonnes connaissances qui sympathisent et s'apprécient. Ce sera mieux pour tout le monde. Et surtout pour lui. De toute façon, il n'y avait aucun sens caché à cet acte. Il en avait simplement envie. Alors, je ne dois pas me prendre la tête et avancer.

Nous nous éloignons donc, de nouveau, pour poursuivre notre travail. N'oublions pas que nous sommes réunis pour travailler, et non pas pour flirter ou faire je ne sais quoi. J'essaie d'oublier ce qui vient de se passer pour me concentrer sur mon rôle et sur la scène que nous devons tourner sur ce toit. Kwang Min sera installé dans le fond, à moins qu'il doit marcher jusqu'au fond,  je ne me souviens plus, et je dois arriver jusqu'à lui en courant. Je suis certaine de ce dernier point, en tout cas. Je dois le retourner, avec force et désespoir. C'est à ce moment là, qu'il va s'énerver contre moi, qu'il me repoussera et qu'il me demandera de partir. J'aurais beau le supplier, rien n'y fera. Il deviendra si violent qu'il finira par me jeter à terre. C'est une sacrée scène qui nous attend.

Mon geste fut aussi imprévisible que surprenant et je n’en connais même pas la cause. Je l’ai embrassée et je n’ai pas pu m’en empêcher. Elle était juste là devant moi, ses lèvres à quelques centimètres des miennes alors j’ai fait disparaître ces centimètres que je pensais de trop sans réfléchir. Qu’ai-je bien pu penser à cet instant ? Que je n’ai pas pu m’en empêcher ? Que j’en avais envie ? Que je l’aime ? Non, ça, je ne peux pas encore le lui dire parce que je ne sais pas si je le ressens, je ne sais pas si elle le ressent. Ce n’est peut-être qu’un jeu après tout ? Une histoire d’amour que nous prenons trop à cœur ? Le MV qui nous influence et nous fait croire qu’il y a quelque chose entre nous ? C’est peut-être tout cela à la fois. Cette fois, c’est moi qui ai fui, qui ai quitté l’ascenseur en premier avec des joues rougies et un regard peut-être fuyant. Elle sait que je ne regrette pas si elle-même ne regrette pas d’avoir posé le même geste un peu plus tôt dans la journée. Si je lui dis simplement que j’en avais envie, c’est parce que c’est ce qu’elle m’a dit un peu plus tôt et parce que lui dire tout ce qui me passe par la tête ne serait pas plus judicieux.

Une fois que j’ai quitté l’ascenseur, je suis à nouveau emporté dans le sérieux du MV, du script que nous avons lu et qui nous a été expliqué. Je repense à la scène qui va arriver, elle est terrible, elle contraste avec ce qu’il vient de se passer dans la cabine de métal. Je jette un coup d’œil par-dessus mon épaule pour croiser le regard de la jeune femme. Ce baiser va rester secret, n’est-ce-pas ? Quelle que soit sa signification, quel que soit la tournure que prend la relation qu’Ella et moi entretenons. Pour le moment, il vaut mieux que cela reste entre nous, tant que ce n’est pas clair et que ce flirt –si c’en est un- soit expliqué. Je me tourne à nouveau vers l’équipe et me rappelle ce que je dois faire. Avancer jusqu’au fond, entendre Ella arriver près de moi en courant, elle me retournera avec force mais j’en ai plus qu’elle et elle va devoir la subir… Je vais devoir la repousser, violemment cette fois, jusqu’à ce qu’elle tombe au sol alors que dans ma colère, je lui demanderais moins gentiment de partir avant de le faire moi-même et de quitter à nouveau la scène. Nous savons tous les deux que l’équipe nous a demandé de faire en sorte que la scène ait l’air la plus réaliste possible mais je ne veux pas la faire souffrir, je ne veux pas la blesser. Je veux m’approcher d’elle avant de jouer la scène mais on m’en empêche et on me dit de me placer pour commencer à filmer. Je hoche la tête et obéis avec application à ce qu’on me demande de faire.

Les caméras se lancent et je reprends ce masque d’acteur, ce rôle qui me plaît de moins en moins comme à chaque pause entre les scènes, Ella et moi nous rapprochons peut-être trop ou peut-être pas assez. Mais suffisamment pour que ça mette mon rôle en danger. J’avance alors, le regard fixé droit devant moi, le pas lent mais dur et ne transmettant aucun autre sentiment si ce n’est la froideur et le détachement. Je sais qu’elle s’apprête à intervenir, elle attend juste que je m’arrête au bout du toit pour m’approcher et je n’ai pas envie de me dépêcher mais j’arrive déjà là où je dois cesser ma marche et attendre. Attendre qu’elle joue à son tour, qu’elle me rejoigne dans cette histoire montée de toutes pièces et elle va se répéter encore et encore jusqu’à ce que ça se finisse enfin. Mon regard droit sur l’horizon, je me concentre sur une colère présente n’importe où dans ma vie et je la fais remonter à la surface pour trouver la force de m’en prendre à la jeune mannequin.

Je ne le regardais presque pas. À peine. J'avais peur d'un échange de regards. Je ne voulais pas être plus perturbée que je ne le suis déjà. Avoir plus de questions sans réponses. Je souhaitais simplement effacer, de façon provisoire, cet acte innatendu et me concentrer sur mon travail. Je me dois de faire une performance digne de ce nom pour que ma notoriété augmente. C'est essentiel pour une personnalité comme moi. Kwang Min ne peut, sans doute, pas comprendre. Peut-être que je me trompe. 

Mais je n'avais plus le temps de me poser des questions, le tournage reprenait. Immédiatement. Comme s'ils étaient au courant et qu'ils ne voulaient pas nous laisser le temps de communiquer, une fois de plus. Je me fais des idées. Je le sais. Mais c'est vrai qu'ils semblent bien rapides et pressés tout à coup. Je me demande bien pourquoi. Mais avant même de pouvoir tergiverser davantage, on me demande de jouer ma partie du script. On me rappelle à l'ordre. Ce n'est pas bon. Je dois me reprendre. Tout de suite.

Je regarde, alors Kwang Min, qui est encore de dos. Cela va devenir une mauvaise habitude entre nous. Je me précipite donc jusqu'à lui en courant. Je le retourne vers moi en lui attrapant le bras. Et je me surprends de la force que j'y mets. Je n'ai eu aucune difficulté de le retourner. Je regarde alors ses yeux et me lance dans un discours. Discours qui nous plongera toujours, un peu plus, dans cette affreuse séparation amoureuse. 


- Arrête de fuir. Reviens à la maison, reviens avec moi ! Je ne veux pas que tu t'en ailles, pitié.. Reprends moi ! 

Elle m’a rattrapé et je sens sa présence derrière moi mais je ne peux pas me retourner, pas encore parce que c’est elle qui doit me retourner et je suis surpris face à la facilité avec laquelle elle me retourne. J’ancre immédiatement mon regard froid dans ses yeux qui me supplient comme ses paroles et soupire de colère. Elle me demande de rester, de revenir à la maison et de la reprendre mais je ne peux tout simplement pas et même si je le voulais, le destin est écrit différemment. Je la fixe et laisse la colère s’emparer de moi pour jouer mon rôle, à fond.

-Je ne veux plus jamais te voir ! Qu’est-ce que tu ne comprends pas ?!

Je la repousse un peu, pas encore pour qu’elle tombe mais suffisamment pour qu’elle s’éloigne de moi. Parce qu’elle doit comprendre que je ne la veux plus mais je sais déjà qu’elle ne va pas abandonner et je me demande si pour Ella serait aussi obstinée mais elle joue à merveille le rôle de la jeune femme voulant à tout prix me récupérer. Je me demande qui a pu écrire un scénario pareil et imaginer que les hommes puissent être aussi cruels. Être suffisamment lassé de sa petite amie pour aller jusqu’à la rejeter avec autant de violence jusqu’à ce qu’elle tombe est horrible et même si je suis connu pour être quelqu’un de si peu sympathique, je ne traiterais jamais une jeune femme ainsi. Alors qu’elle insiste, mes traits se font plus durs et mon nez se plisse sous l’effet de l’agacement qu’elle fait naître en moi. Je la repousse alors plus fort et elle tombe cette fois.

-Je ne veux plus être avec toi ! Je ne t’aime plus !

Mes mots sont durs et tranchants, c’est comme ça que je parle lorsque je suis face à des gens que je n’aime pas alors je ne suis pas dépaysé même si je ne pense pas un mot de ce que je lui hurle. Je la regarde essayer de se rattraper mais je ne dois pas y faire attention, je ne peux pas et je lui lance un nouveau regard détaché avant de passer à côté d’elle et la regarder du coin des yeux.

-Arrête de me suivre. C’est fini.

Notre histoire est brisée. Il vient de tout détruire. C'est, désormais, totalement et entièrement fini. Je regarde, fixement, le sol. Les larmes me montent et me piquent les yeux. Tout change autour de moi, je ne suis plus sur un lieu de tournage mais bel et bien ce jour là. Face à lui. Je revis la séparation qui aurait du avoir lieu, si j'avais essayé de le retenir, ne serait-ce qu'un peu. Au début c'était presque rien. J'avoue, je l'ai pas vu venir l'éclat de son sourire. Au début c'était tellement beau. Il vient, il porte mes fardeaux. Je me sens plus légère, comme un prisonnier qu'on libère. À qui on redonne des printemps. À qui on vole ses hivers. Et qui espère. Oui, qui espère. J'aurais dû passer mon chemin. Je suis réduite en cendres entre ses mains. Toi, t'appuies encore, tu ne vois rien. J'aurais dû m'en tenir aux faits au lieu de rêver à des contes de fée. Plus je le serre fort, plus il ne fait rien. Au début c'était du hasard. Quelques fois il rentre un peu tard et il me dit que je m'enflamme. Je ne dois pas en faire un drame. Ce n'est rien. Non, ce n'est rien. J'aurais dû aller chercher de meilleurs lendemains. Sans le vouloir, tu me retiens. Tu as gagné, tiens voilà ton trophée. Mes larmes enfin, tombent en vain. La chute est lente et il me hante. Encore plus, depuis que sa voix chante trop loin de moi.

Alors que je me retrouvais par terre, j'entendis la voix de mon ancien petit ami s'éloigner. Une fois de plus. Je relève alors la tête pour le regarder partir. Les caméras peuvent, donc, s'en donner à cœur joie. Rien de plus beau et de plus vrai qu'un visage, rempli de larmes, détruit par la tristesse. À croire que toutes les histoires d'amour doivent finir ainsi. On commence par se promettre avant de se compromettre. On fait des mea-culpa. Chérie, je n'étais pas moi. Chérie, pardonne-moi. On croit qu'on va disparaître mais on finit par s'en remettre de notre amour. C'est du passé. On file en aimer d'autres. On part au plus pressé. Sous le soleil, on voyage. À deux. Ensemble. Puis vient le temps des orages. Ça devient comme l'hiver. Chérie, pardonne moi. Je ne veux plus de toi. On s'aime parce qu'on se ressemble. Pourquoi ne pas vieillir ensemble ? La routine nous caresse. Disons qu'on s'aime bien. Disons que c'est mieux que rien. On résiste tant qu'on peut le temps qu'on existe à deux. On s'en met plein la tête, puis de tout on se traite avant de se dire adieu. Est-ce que ça vaut le coup de se faire de la peine ? Est-ce que ça vaut la peine de prendre tant de coups ? Est-ce que ce n'est pas fou, quand la douleur vous siffle, quand l'amour vous gifle, de tendre l'autre joue ? Est-ce que ce n'est pas fou quand l'amour vous tiraille, vous tient dans ses tenailles, de vivre, de vivre sous son joug ?

J'entends, alors, que la scène est enregistrée. J'essuie alors mes larmes et je n'entends même pas les compliments sur mon, soit-disant, jeu d'acteur. Je me relève lentement et arrête de regarder mon partenaire. Le fait d'être tombée au sol m'a fait vriller. Cela m'a changé. La colère monte en moi, désormais. Mon ancien petit ami aurait été capable de réagir ainsi, et de me faire du mal. Alors qu'il y a encore quelques minutes je pensais l'aimer, me voilà désormais en train de le détester. Je voudrais qu'il passe sous une échelle et qu'il se mette à trembler. Qu'on lui jette le mauvais œil. Qu'on te jette le mauvais œil. Qu'il glisse dans l'escalier, qu'il ait au moins trois côtes pétées. Qu'il se brise comme du verre. Qu'il se coince la main dans une portière et, sur cent mètres, qu'il se fasse traîner. Qu'il se la joue collé serré avec le béton ou le gravier. Qu'il se cautérise le nez à la cigarette allumée. Que tu brûles de l’intérieur. J'aimerais qu'il se fasse casser les dents. Qu'il s’écrase sur le bitume. Que tout le monde sache ce qu'il est vraiment. Montre nous ce que t'es vraiment. Les gens lui cracheraient dessus quand ils le croiseraient dans la rue. Tu seras montrer du doigt alors tu culpabiliseras jusqu'à devenir plus que taré. Je veux qu'il souffre dans les miroirs. Qu'il se coupe la jugulaire avec l'image de ce qu'il est. Je veux que ça pisse, que ça saigne, et mettre une pièce dans sa fontaine. Ça va bientôt arriver. Oui, tu vas bientôt le payer. Il a eu de la chance que je sois forte. Il y en a que ça aurait pu briser. Il y a des limites à ne pas franchir mais il a déjà tout dépassé. C'est triste de devoir y repenser mais je ne pouvais pas l'effacer. T'es pas un homme.

Je me laisse entourer par les équipes pour la dernière scène qui se passera sur une plage. On me couvre et on m'encourage à les suivre. Des voitures vont nous y conduire. Je garde cette colère en moi. Elle me fait du bien. Elle me rend vivante. Elle me fait devenir encore plus forte. J'en ai besoin pour passer l'épreuve et franchir le cap. Une nouvelle Ella pourra en naître. Pour le bien de tout le monde mais aussi, et surtout, pour mon propre bien-être. En enfilant un plus gros manteau pour me protéger du froid, je me rends compte que mon poignet droit me fait mal. J'ai du me blesser en tombant au sol. Je grimace et l'on remarque, rapidement, ma gêne. Je suis donc prise en charge afin de traiter cette petite blessure, au plus vite. Nous n'avons pas de temps à perdre, il faut croire.

Des mots aussi tranchants que le froid d’hiver, un regard aussi détaché que celui d’un mort, un comportement aussi détestable que je m’étonne moi-même de l’avoir. C’est avec cette combinaison d’attitudes que je m’éloigne à nouveau, que je quitte le toit en la laissant encore seule dans ce monde qui n’est pas réel. Pourtant, une fois les caméras désintéressées de moi, je peux me retourner et voir ses larmes. Je perds mon souffle, je ne la quitte pas des yeux alors qu’elle est sous le feu des caméras ne ratant pas une seule de ces perles de tristesse qui parcourent ses joues. On dit que les acteurs pleurent sur commande en pensant à leurs souvenirs tristes mais quel souvenir pourrait être suffisamment horrible pour amener la jeune femme a pleuré autant ? Tout le monde est subjugué, surpris par un tel jeu d’acteur mais en est-ce seulement un ?

Les caméras se coupent, Ella essuie ses yeux mais ne se tourne pas vers moi. Elle m’ignore, encore, comme si j’étais la cause de ses blessures, comme si j’étais le fautif dans l’histoire ou qu’elle voulait également me faire souffrir. Je fronce les sourcils, il est vrai que les femmes sont difficiles à suivre, compliquées à cerner et Ella prouve dans toute sa beauté qu’elle est bel et bien une femme. Je ne comprends pas et j’essaye de croiser son regard comme si seuls ses yeux bleus pouvaient donner réponses à mes mille et une questions. Je l’ai peut-être poussée trop fort ou trop bien joué mon rôle d’homme insensible mais tout cela n’est que du faux, du jeu d’acteur et elle plus que quiconque devrait savoir que je ne pense pas ce que je viens de faire ou de dire. Mon regard se perd une seconde, le doute s’immisce alors en moi face à la tournure que prend son attitude hors caméra avec moi. Nous nous sommes pourtant bien embrassé et à deux reprises déjà mais si tout cela n’est qu’un jeu, si rien n’est sincère et si ses larmes sont fausses, ses baisers le seraient aussi ? Elle m’est une distance entre nous aussi facilement qu’elle nous a rapproché comme si chaque étape du MV avait une incidence directe sur notre relation. Comme je réfléchis à tout cela, je ne fais pas attention à l’équipe qui se jette sur moi pour les retouches inlassablement précises. Mon attention est tournée vers elle et je m’en surprends pour la première fois.

Je ne connais pas Ella, je ne sais pas ce qu’elle ressent, si elle est du genre à jouer avec les cœurs, à séduire pour mieux détruire ou si elle est plutôt détruite d’avoir été séduite. Je ne parviens pas à la discerner et c’est une partie d’elle qui m’attire, une partie d’elle qui m’a poussé à l’embrasser en retour, moi, Kwang Min, celui qui déteste tout le monde. Ella me pousse dans mes retranchements par une attitude bien différente de notre première rencontre où tout était plus simple. Nous arrivons à la dernière scène et je sais que c’est celle que je redoute le plus bien qu’elle et moi nous nous sommes déjà entraînés en quelque sorte… Entraînés… Les mots de la jeune femme me reviennent en tête : « J'aurais du te prévenir avant de le faire. Je voulais juste que notre premier baiser ne soit pas une pauvre scène dans un clip vidéo.  » Notre premier baiser. Devait-il seulement en avoir un ?

Non. C’est la première réponse qui me vient en tête. Je ne suis pas fait pour l’amour ou alors, l’amour n’est pas fait pour moi. Je le laisse volontiers à mon frère, il saurait bien mieux s’y prendre avec des sentiments aussi étranges, des émotions aussi inhabituelles que l’amour sait provoquer. Si j’ai déjà côtoyé des jeunes femmes, il n’y avait rien de sérieux parce que ce n’est pas ce que je recherche. La compagnie d’un être aimé dans ma vie ne m’a jamais semblé indispensable et si je décidais de tenter l’aventure, je sais que je finirais par faire souffrir ma compagne par mon caractère, par mes sautes d’humeur. Personne n’a à subir ça, même pas mon frère jumeau alors pourquoi le ferait une inconnue ? Je la regarde du coin des yeux et la grimace passant sur ses traits m’inquiète tout de même. Je me dégage des mains s’affairant autour de moi à une vitesse qui m’exaspère et je m’approche d’Ella qui subit déjà différent soin pour ce qui serait une blessure.

-Tu t’es fait mal en tombant ? Excuse-moi, je ne pensais pas que je te pousserais si fort.

Je me retrouve à encore m’inquiéter pour elle malgré son attitude distante. Peut-être m’en veut-elle pour cette blessure ? Je devais dans ce cas m’excuser que ce soit pour qu’elle me regarde à nouveau ou simplement qu’elle sache que je ne voulais pas la blesser et ce n’est jamais ce que je voudrais même si elle le sera automatiquement en restant près de moi.

Tandis que l'on s'occupait de mon poignet, je me permis de regarder dans la direction de Kwang Min et je le vis arriver. Cela ne m'a même pas surpris, à vrai dire. Je souriais doucement en l'entendant s'excuser et en le voyant si inquiet. Il était assez mignon, avec cette petite bouille bien distincte. Mais je me retenais de le dire, bien entendu.

- Ne t'inquiète pas, ce n'est rien, rien du tout...

Je lui souriais, de nouveau, comme avant. Après tout, il n'y était pour rien, dans toute cette histoire. Au contraire, il était là pour m'aider à penser à autre chose. Je ne devais pas tout gâcher et rester la jeune femme bienveillante et joyeuse qu'il connaissait depuis ce soir-là.

Je me suis, alors, imaginée une conversation avec lui. Je me suis mise en situation. Une situation où Kwang Min et moi, on se connaitrait depuis longtemps. Une situation où l'on s'égarerait en sentiments. Une discussion où l'on parlerait de nos aventures passées. On se lancerait des piques, affectueusement. De quoi prouver la sincérité de nos rapports.

- Je t'avais prévenue que c'était qu'un sale con.
- Un sale con qui m'embrassait bien.
- Il était bien trop grand pour toi.
- J'aimais me sentir petite dans ses bras.
- Est-ce qu'il t'a déjà dit pardon ?
- Pour pas ranger ses caleçons.
- Et que t'étais belle à en crever ?
- Est-ce que ça compte si c'est l'alcool qui parlait ?
- Tu vois, ce n'était pas un gars pour toi.
- Cela m'allait tant qu'il ne le savait pas.
- Sur les derniers mois, il n'avait pas un tout petit peu pris du cul ?
- Mmmmmh, je préfère trop que pas assez.
- T'aimais vraiment ses cheveux de blond ?
- C'est châtain clair...
- Je te le dis mais t'es mieux toute seule...
- Tu veux vraiment qu'on s'engueule ?
- C'est là que je te trouve la plus jolie.

Mais mes pensées furent, vite, interrompues par les équipes du tournage. On me demandait de garder une poche de glace sur mon poignet, tout e me demandant d'avancer. On doit rejoindre les voitures pour nous rendre sur le dernier lieu du tournage. Nous n'avons, alors, pas eu le temps de communiquer davantage avec mon partenaire. On fut séparés pour le trajet en voiture et c'était ainsi. Pas autrement. Rendez-vous sur la plage pour le point final de notre fausse histoire. Le moment tant attendu... Ou pas.

Elle me dit que ce n’est rien, que je ne devrais pas m’inquiéter mais je ne peux pas m’en empêcher. La jeune femme a été blessée et c’est par ma faute. Je me demande comment elle fait pour ne pas m’en vouloir ne serait-ce qu’un peu. Ce n’était pas intentionnel, je ne voudrais jamais lui faire de mal mais j’ai apparemment échoué… Elle doit mettre de la glace, ce n’est pas qu’une petite égratignure et j’aurais préféré lui éviter ça, le tournage n’a déjà pas l’air d’être chose facile pour elle. Je m’approche malgré qu’elle semble perdue dans ses pensées. Alors que ma main se lève sans qu’elle ne puisse le remarquer, je suis coupé dans mon élan par l’équipe qui nous invite à partir. Ma main retombe, je soupire. Nous ne sommes pas seuls, c’est un fait que je ne dois pas oublier. Nous ne serons jamais vraiment seuls. Amenés à des voitures, nous sommes ensuite séparés dans deux voitures différents et cela m’arrache un autre soupire mais je ne dis rien, je n’ai rien à dire. Me voilà alors à nouveau seul dans un véhicule mais c’est bien différent que pendant le trajet pour venir jusqu’au tournage. Beaucoup de choses ont changé depuis et cela en quelques heures. Nous nous sommes embrassés. Que ce soit sérieux ou pas, que ce soit sincère ou dénudé de sentiment, je ne peux pas m’empêcher d’y penser parce que c’était inattendu. C’est comme un rêve dont on se réveille en se demandant pourquoi notre subconscient à imaginer une relation aussi improbable, des baisers échangés avec une personne à laquelle je ne pensais pas spécialement. Je fixe encore le paysage, une mélodie en tête et mes pensées concentrées sur la chaleur de ses lèvres contrastant avec la froideur des scènes que nous devons jouer.

Nous arrivons trop vite à la plage, je n’ai pas vu le temps passé, toujours perdu dans les événements récents. Un flirt, une relation secrète durant le temps de deux petits baisers, ce n’était sûrement que ça et je ne suis pas du genre à m’en faire pour si peu. Mais j’avais senti qu’Ella avait un effet sur moi qui est bien différent de mes relations avec les autres. Je ne devrais pas m’arrêter sur des coups de tête qui nous ont poussés à joindre nos lèvres… La portière de mon côté s’ouvre et je me surprends à sursauter un peu mais, reprenant rapidement mes esprits, je sors de la voiture et croise les yeux bleus d’Ella, arrive simultanément. La scène finale arrive et comme au début du tournage, je me retrouve à redevenir nerveux malgré nos « entraînements ». Un feu a été allumé assez proche de l’eau et c’est là que je me tiendrais quand elle fera sa dernière tentative, quand elle me demandera encore une fois de rester sans aucun «oui» en retour, sans aucun baiser en réponse du sien.

Tout est allé si vite. Bien trop vite. Je me laisse conduire sans chercher à fuir. Pour une fois. J'ai simplement envie de me poser et de réfléchir. Cette journée ne m'a pas fait autant de bien qu'elle aurait dû, à la base. Alors, assise dans la voiture, je me pris pour une de ces filles de cinéma. Vous savez, celles qui posent leur tête sur la vitre et qui ne ressentent aucune secousses. Alors que si nous, personnes normales, le faisions, on en sortirait, à coup sûr, avec un traumatisme cranien. Cela ne m'empêcha pas, par contre, de penser. Comme à chaque fois que je me fais conduire quelque part. Et comme toujours, je pensais à lui. Mais aussi à Kwang Min. J'aimais sa compagnie, même si nous ne nous connaissions pas vraiment. C'est un fait. C'est ainsi. Mais l'état dans lequel je me trouve, mentalement parlant, en ce moment même, est assez inquiétant. Il faut bien l'avouer. Mais c'est entièrement de ma faute. Mon esprit chancelle souvent. Mon bonheur tangue de temps en temps. Bien trop souvent, à vrai dire. J'aimerais tant que ça marche, pour que je puisse redevenir heureuse. Mais j'ai jamais cessé d'être amoureuse. Alors, j'attends que la vie passe, que le temps fasse son effet. Mais il prend son temps. Bien trop de temps. J'ai peur quand j'y pense. Peur d'oublier qui j'étais. Lorsque je l'aimais. J'étais si différente. J'attends, donc, de son désir qu'il réssuscite. De ma colère qu'elle se dissipe. De mon espoir qu'il se décide. Je me dois de prendre les choses en main. Même si tout est vain. J'attends, donc, de son désir qu'il réussisse. De nos enfants futurs qu'ils s'épanouissent. Comme convenu. De moi, que je m'évanouisse, devant ce qui m'attend demain. Notre ambition était digne, pourtant. Avec un soupçon d'utopie. Notre passion était fine. Pas du genre de celles qui détruisent. J'en avais la certitude. J'aimerais m'habituer. Pouvoir remettre mon titre en jeu. Je pense qu'on aurait pu faire mieux mais il est trop tard, malheureusement. J'ai peur de m'user. De m'éroder.

- Nous sommes arrivés !

Cette simple phrase me sortie de mes pensées. J'acquiesce doucement et sors, donc, de la voiture pour me retrouver face à la plage et face à la mer. C'est si beau. Mais pourtant, si triste à la fois. Et c'est bien dommage. Je vais devoir vivre un autre instant sur cette plage pour conserver un moment de bonheur. Alors que l'on nous explique, une dernière fois, ce qui est attendu pour cette ultime scène, mon esprit divague, une nouvelle fois. Je me mets à réfléchir. Quel souvenir pourrais-je créer sur cette plage pour en garder une note positive ?