Un peu nerveux, j’observe les alentours à la recherche de sa silhouette. Je ravale un soupir, jette un coup d’œil à mon téléphone et me demande si j’ai bien fait. C’est un peu bizarre quand on y pense, d’être là à l’attendre… comme si nous avions des vies normales. Je ne sais pas si j’aime ça… moi qui adorais ma liberté, ne jamais avoir de rendez-vous ou ce genre de contraintes. Désormais, je me retrouve planté là à l’attendre pour aller en cours. Pourtant j’ai beau grimacé, l’idée de ne me déplait pas. Du moins, pas complètement… peut-être parce-que cela rend les choses différentes ? C’est plus acceptable, plus facile d’aller s’enfermer dans une salle en sachant qu’elle m’y accompagne. L’idée me fait sourire tout à coup. Je relève la tête, mon cœur rate un battement en l’apercevant à quelques pas de moi. Elle est… belle. Comme d’habitude, presque naturelle et décontractée. Un peu prit au piège par ce qu’elle dégage, je n’ose plus vraiment la regarder et jette mon dévolu sur quelqu’un d’autre. Peut-être un peu moins intimidante, je crains qu’elle ne voie mon malaise et m’empresse de lancer « Non ! » Un poil un peu brusque, je me racle la gorge pour reprendre une constance. « Je veux dire non t’inquiètes pas, je viens d’arriver. » C’est faux, en réalité je suis prêt depuis longtemps mais c’était lui avouer que j’étais impatient d’être là. Je lui souris, venant toucher son pull « C’est mignon. Ça te va bien. » En réalité Ye Won est le genre de femme à qui tout va. Elle a une silhouette parfaite… des courbes à s’en faire damner, des jambes parfaitement dessinées. Quant à son visage… il n’a pas le moindre défaut. Et je me trouve idiot, encore plus aujourd’hui en me rendant compte de ce que j’ai perdu. Bien qu’il ne soit pas question simplement de son physique, c’est un tout. Je détourne les yeux, lui proposant d’y aller. Je commence à me dire que je n’ai pas envie que cette matinée s’arrête. J’aimerais que ça dure plus longtemps, qu’on ne soit pas obligé d’aller chacun de notre côté. Je ne sais même pas ce que cela signifie. Est-ce qu’on devient amis ? Est-ce qu’on recolle certains morceaux ? Ou est-ce qu’on tente juste de panser des blessures ? Tout est un peu flou pour moi, mais subitement j’ai peur de l’après. Et si ce n’était qu’un instant volé qui ne voulait rien dire ? Plus les jours passent et plus je pense à elle, à nous. Mais une fois de plus, je chasse ces idées, en lui demandant « Tu veux que je porte tes livres ? », et je lui adresse un nouveau sourire.

T'as l'impression de revenir plusieurs années en arrière. Quand tout allait bien - ou presque. Retourner à cette période ou rien ne vous empêchait d'être ensemble. Pas même la drogue et ses ravages. Ces instants où tu étais toujours présente pour lui, comme tu pouvais encore compter sur lui. Et ça tourne en boucle dans ta tête lorsque tu descends ces escaliers, que tu le vois déjà en train de t'attendre. As-tu ne serait-ce qu'un souvenir similaire ? Il y en a eu tellement... Tes pensées s'embrouillent, alors que tu réfléchis encore à la meilleure façon d'agir devant lui, sans trouver. Lui qui t'a connue si naturelle, tu ne sais plus vraiment si tu arriverais à l'être à nouveau. Pourtant, ce sourire qui se glisse sur tes lèvres ne trompe pas. Il ne peut pas cacher cette envie, au fond de toi, de retrouver ce que vous étiez. Mais est-ce une bonne idée ? Toi qui a tant souffert de son départ, ne peut t'empêcher de penser au pire. Tous ces 'et si' qui restent ancrés dans tes pensées, qui ne t'aident pas à retrouver celle que tu es au fond de toi. « Merci... » oses-tu souffler, alors que tu suis ses gestes du regard. Parfois encore incrédule face à cette façon que vous avez de vous comporter envers l'autre. Sans pouvoir définir ce que vous êtes l'un pour l'autre, à cet instant précis. Cette fausse idée de toujours vouloir mettre une étiquette sur les relations que l'on a. Tu t'apprêtes alors à partir, tes bras chargés de livres. Sa question pourtant te stoppe dans tes mouvements. Tu ne t'y attendais pas, comme si les changements qu'il a effectués étaient bien trop visibles pour ne pas être remarqués. « T'es ... sûr ? » demandes-tu, comme intimidée par cette proposition. « T'es pas obligé. » ajoutes-tu, toujours aussi peu assurée. Tu finis par ouvrir la porte du dortoir, prête à te rendre en cours. Et même si la présence d'Il Kyang pourrait continuer de te rendre nerveuse, tu préfères inspirer un grand choup, et te lancer. « On y va ? »

Je lui adresse un sourire, m’empressant d’attraper ses livres comme si c’était un geste naturel. Les plaçant entre mon bras « T’en fais pas. » j’ai envie de le faire Ye Won. J’aimerais pouvoir dire qu’entre nous c’est normal, que j’agis comme je devrais le faire. Mais je ne sais pas… je suis un peu perdu au fond. Parce-que j’ai cette image de nous qui me frappe en plein visage. Ce n’est pas normal, je le sais, quelque part une petite voix me le crie « laisse-la tranquille ». Et ouais putain, j’aimerais en être capable. Etre assez courageux pour l’oublier, pouvoir enfin la laisser respirer… traiter-moi d’idiot, je m’en fous, parce-que je n’y arrive pas. Je veux être ici, avec elle… tout recommencer. Mon ventre papillonne à mesure que j’entends sa voix, mes mains tremblent quand je la vois et mes lèvres crèvent d’envie d’embrasser les siennes. Oui, je suis un fou ! Et je me surprends à devoir me retenir, à devoir réfléchir à comment agir. Parce-que tout ça n’est plus vrai entre nous, parce-que qu’il y a ce fil sur lequel je marche. Je risque de tomber à tout moment, je le sais… mais cette adrénaline m’enivre et me pousse à aller vers elle. Je me mordille la lèvre, retenant un soupir avant de lui emboiter le pas et la suivre. Me retrouvant derrière elle, j’hume un peu plus la douceur de son parfum, comme un vieux toxico qui veut renouer avec sa drogue. Bon sang ! A quoi je joue ? Peur qu’elle me prenne sur le fait, je presse un peu plus mon pas pour me retrouve à sa hauteur. A ses côtés et l’air décontracté « Tu commences par quel cours ? » comme si ça pouvait m’intéresser vraiment. En réalité la seule question qui me brûle la bouche c’est celle de savoir qu’est-ce qu’on fout tous les deux. A quoi on est en train de jouer elle et moi ? Je serre les dents, balayant encore et encore ces pensées qui m’obsèdent brusquement. Mais mon regard se perd sur cette main désormais libre et je rêve d’y glisser la mienne. L’air de rien, d’un naturel insolent qui n’appartiendrait qu’à nous. Je tente de me résonner, pourtant mes doigts frôlent déjà les siens. C’est dans un éclair de lucidité, que je me ravise pour venir fourrer ma main dans ma poche. J’y trouve mon téléphone… alors me vient une idée un peu bizarre « T’as quoi comme téléphone ? » en vrai, je m’en fiche complètement de le savoir. Je veux juste qu’elle me le montre.

T'es surprise par son geste, pourtant, il y a cette part de toi qui te sens privilégiée, sans réellement savoir pourquoi. Ce léger sourire qui reste coincé sur tes lèvres, qui reste discret, de peur de trop en montrer. Tu te laisses faire, alors qu'au fond de toi, tu te demandes ce qu'il se passe exactement. Parce qu'il a des attentions particulières avec toi, t'as l'impression parfois de retrouver cette part de vous, de cette relation que vous aviez avant. Et c'est perturbant, ça laisse tout un tas de questions tambouriner dans ton crâne, même si tu tentes de les éviter. Mais c'est plus fort que toi, surtout. Tu ne peux pas t'empêcher de te rappeler, ce que vous étiez l'un pour l'autre, ce que vous avez partagé. T'aurais aimé que ça dure, longtemps. T'aurais voulu que rien ne vous sépare, même si, à vous voir, on peut avoir le sentiment que vous vous retrouvez enfin. Mais t'as besoin de garder tes distances, te protéger, toi et ton coeur encore meurtri. Ton regard se tourne vers lui, une certaine lassitude dans le regard lorsque tu lui réponds. "Droit fiscal, histoire de bien commencer... et toi ?" souffles-tu, presque dépitée par cette constatation. Mais tu n'as pas le choix, continue de suivre ce que dicte ton père. Même si ce n'est clairement pas ce que tu aurais souhaité pour ton futur. Mais tu l'oublies, alors que tu sens vos mains se frôler, comme un apaisement instantané, que tu n'aurais pas cru possible. Parce que tu te souviens, qu'il était là, pour te soutenir malgré ton mal-être face à cette situation. Et tu lui offres un sourire, encore un. Sa question pourrait te surprendre, pourtant, d'une manière si naturelle, tu sors ton téléphone de ta poche, le lui montre. "J'ai pris le dernier iphone. Tu m'connais, j'aime bien avoir les derniers modèles à chaque fois..." ta voix se faisant de plus en plus faible. Au final, tu gaspilles encore, et de toutes les manières possibles, l'argent de tes parents. Un de ces moyens pour leur gâcher la vie.

Je la regarde un peu surpris par ce cours qui l’attend. Je dois bien l’admettre je n’y comprends rien à ces trucs-là. Comme le dirait mes parents je suis un pauvre gamin immature qui devrait penser à grandir. C’est vrai… mais si il y a une chose que j’ai compris c’est que l’argent pourrie toutes les relations. Et même celles qui ne devraient pas être détruite. Ma famille en est l’exemple même, je ne suis qu’une vache à lait qui leur rapporte un peu de tune. Et cette idée me blesse, mais je tente de passer à autre chose. Peut-être puis-je imaginer qu’un jour tout rentrera dans l’ordre. Je n’en sais rien, tout comme je ne sais pas quel cours j’ai ce matin. Je fais la moue, hausse les épaules « Je ne sais pas, j’ai pas encore regardé. » Je suis de ce genre-là, je m’implique comme je peux dans mes études et si pendant un moment j’ai réussi à me concentrer dessus, depuis quelques temps j’ai un peu de mal. A croire que mon naturel reviendrait… Je ne sais pas si ce que fais Ye Won lui plait vraiment. Au fond, je sais qu’il s’agit de sa famille aussi… mais aurait-elle eut envie de faire autre chose ? Je garde pour moi la question, un peu perturbé par cette nouvelle proximité. Puis, me vient une idée stupide. J’attends qu’elle sorte son téléphone, souris « Hum, j’aurais dût m’en douter. » oui, Ye Won a toujours eut les derniers trucs sortis. Elle porte énormément de marques, et possède les nouvelles technologies. Tout le contraire de moi… pas que je déteste ça, juste que je n’ai jamais eu les moyens de le faire. Alors ça me fait sourire et ça me rassure aussi. Parce qu’elle n’a pas changé sur ce point. J’en profite pour lui demander comment est l’interface. Une excuse pour la voir déverrouillé son téléphone et venir lui prendre des mains. Je ris, et m’empresse de composer mon numéro et m’appeler. « C’est mieux que de s’espionner sur les réseaux sociaux. » ainsi, je lui donne le mien et j’ai le sien. Je laisse un blanc s’installer avant de me mettre à rire « Je plaisante, je fais pas ça. » bon, je mens un peu. Il m’arrive souvent, d’aller voir ce qu’elle poste sur les réseaux. J’avais réussi à ne pas m’en soucier durant trois ans… et depuis quelques temps ça deviendrait presque une… obsession ? Gêné, je lui rends son téléphone et prend le mien pour l’enregistrer à mes contacts. Je me sens comme un gamin qui vient de réussir à avoir le numéro de son crush. C’est un peu pathétique, je l’admets… « Je pourrais te harceler si j’ai des questions sur le… droit fiscal c’est ça ? » un peu moqueur, je regarde les titres de ses livres de cours. J’en feuillette quelques-uns en me disant qu’aucun d’eux ne m’inspire vraiment. « Sérieusement ? » ça n’a rien d’attractif. Je ne la juge pas, c’est juste que je n’aime pas les études, encore moins l’université. Alors oui, j’ai quand même eut un peu de chance de faire de la musique ici, mais ça… « Si tu devais être ailleurs là tout de suite, t’irais où ? » je lui lance un regard amusé et malicieux.

Pour la première fois depuis longtemps, tu sens cette forme de bonne humeur en toi, de bon matin. Tu ne te souviens même plus de la dernière fois où un sourire s’est dessiné sur tes lèvres aux premières heures de la journée. Et ça peut paraître étrange, pourtant, t’apprécies bien plus que tu ne le montres. Tu t’empêcherais même de rire à sa réponse, cet air détaché qu’il a lorsqu’il t’avoue ne pas savoir par quel cours il va commencer. Une insouciance certaine, même lorsque tu sors ton téléphone de ta poche. Et lorsqu’il prend l’objet, tu ne peux plus retenir ton rire, alors que d’un geste peu assuré tu tentes de le récupérer, sans succès. « Mais arrête ! Rends-le moi ! » lances-tu, sans réelle conviction, une certaine forme d’amusement dans la voix. Mais tu le laisses faire, finalement, alors que tu le vois appeler un autre numéro. Tu te doutes qu’il fait sonner son téléphone, et ça se confirme quand il te rend son sésame. « J’espionne personne moi. » réponds-tu, les sourcils légèrement froncés, mais cette moue qui pourrait te trahir. T’as l’impression futile de retomber à l’adolescence, ces instants où l’on aurait fait n’importe quoi pour obtenir le numéro de téléphone de la personne qui nous plaisait. Ce coeur qui tambourine dans la poitrine une fois obtenu ce qu’on voulait. Et t’es un peu dans l’état de cette demoiselle qui se fait avoir, mais qui en est heureuse. Les souvenirs des premiers émois, des premiers rencards comme il ne se fait plus. Tu ranges alors ton téléphone, donne un petit coup d’épaule à Il Kyang, cet air insouciant. « Je sais qu’tu l’as fait exprès. » Et t’en ris, une fois de plus. T’oublies tout ce qui peut y avoir autour de vous, en fin de compte. « J’espère pour toi que t’auras pas trop de questions à te poser sur le droit fiscal, c’est un enfer. » répliques-tu, tentant de ne pas penser à ces contraintes qui empoisonnent encore ta vie. C’est ton quotidien depuis toujours, et tu suis tes études depuis si longtemps, qu’au final, t’as appris à t’y faire, aussi. « Là tout de suite ? J’serais sûrement à Milan, en train de travailler avec les plus grands stylistes. Ca m’aurait bien plu, en tout cas. » Tes lèvres qui se pincent, cette idée omniprésente. T’aurais apprécié pouvoir travailler dans la mode, après tout, tu t’y intéresses depuis si longtemps. T’aurais arrêté tes études pour ça, volé de tes propres ailes sans penser aux conséquences. « Ou alors, j’ferais des études en design, devenir architecte. Concevoir toutes ces maisons ultra modernes. J'trouve ça classe, et bien plus intéressant. »

Je ris, prit sur le fait et ne démentirai pas. Oui, je l’ai fait exprès, je ne regrette déjà pas. Au moins, si j’ai envie de lui envoyer un message je pourrais le faire, sans avoir à me demander si c’est bien ou mal. J’aime cette nouvelle proximité entre nous, cette complicité qui n’annonce que des bonnes choses. Je ne sais pas de quoi on a l’air vu de l’extérieur. De simples amis ? J’en doute… mon regard me trahirait presque. Je souris à sa remarque, et me laisse tenter par cette question qui me brûle les lèvres. Je crois qu’au fond jamais nos parents nous ont demandés ce qui nous plaisait vraiment dans la vie. Bien que les miens l’ait comprit, ils ont réfutés cette idée pour m’imaginer rentrer dans les rangs. Ye Won et moi on ne se projetait pas vraiment, c’était aussi notre force. Savoir profiter de l’instant, du présent. Parler d’études, ce n’était pas notre truc, j’aimais à croire qu’on aurait toujours cette vie-là. Je lui aurais peut-être même demandé de me suivre complètement… Je l’observe du coin de l’œil « Tu pourrais. » parce-que je suis comme ça. A aimer y croire, à me dire que dans la vie rien n’est impossible. Du moins, c’était ce que j’étais avant. Kitae se moquerait de moi et il aurait surement raison. Mais au fond c’est ce que j’étais et ce que je suis surement encore un peu. Je me souviens qu’elle aimait dessiner « T’es juste une artiste contrariée. » et je ris un peu, sans me moquer. « Je sais que avec ta famille c’est compliqué… mais il est jamais trop tard. » pour prendre son indépendance, tout envoyé balader. Pourquoi pas ? On pourrait être capable de le faire tous les deux. Arrêter de se mettre des barrières pour juste vivre la vie qui nous plairait. « Regarde-moi, j’avais pas écrit une chanson depuis des mois. » et il a fallu que tu débarques dans ma vie pour tout chambouler. Mais ça je ne peux pas lui dire… « Si Ilmatic perse un jour, tu pourras devenir notre styliste. » je ris un peu plus, cette idée serait plutôt drôle bien qu’elle pourrait être vraie. Enfin, avant qu’on ne perse il faudrait que je sois motivé à quelque chose. « Tu t’enfouirais sur les routes avec nous. Sans rien devoir à personne. » c’est une belle idée finalement. Elle me plairait à moi, une façon de tout recommencer, mais en mieux cette fois. 

T'aurais voulu avoir le courage de tout lâcher, envoyer tes parents balader. Mais il y a cette appréhension, cette peur de te retrouver seule face à toi-même. Parce que tu n'as plus rien à quoi te raccrocher. Ton frère est parti depuis si longtemps maintenant. Quelque part, tu te dis qu'il a eu la force de faire ce que tu ne feras jamais. Même si pour ça, il t'a abandonnée. T'évites malgré tout de penser à ça. Même si t'apprécies parfois imaginer ce qu'aurait pu être ta vie si tes parents n'étaient pas si pointilleux sur ton avenir. T'imagines ce que tu aurais pu vivre en faisant quelque chose qui te plairait réellement. Ca semble trop utopique pour y croire, malgré tout. Et malgré tout, même les mots d'Il Kyang n'arriveraient pas à te faire sauter le pas. T'es assez brisée comme ça, pour imaginer lâcher cette situation confortable que tes parents t'offrent. Ca peut paraître superficiel, mais sans eux, tu n'aurais même pas les moyens de te payer un toit. Tu tournes la tête vers Il Kyang, riant à sa remarque. "Moi, une atiste contrariée ? J'ai rien d'une artiste comparé à toi." Et t'es sincère dans tes mots. T'as beau savoir dessiner, il n'y a rien à tes yeux qui vaille la peine d'être vu. Tu fais ça pour le plaisir, pour remplir ces feuilles de cours de quelque chose. "Ca serait drôle, t'imagines. Moi vous habiller pour vos concerts. Tu pourrais le regretter tu sais." Tu préfères rire du sujet plutôt que d'en faire quelque chose de sérieux, finalement. Parce que t'as arrêté de rêver depuis trop longtemps. Désillusionnée avant même d'avoir appris le sens de ce mot. "Pas sûre que vous aimiez le style quand même." Tu ris de plus belle, imaginant avoir le pouvoir les habiller comme tu le souhaite. Pas sûr que ce soit une bonne idée, pourtant, elle a le don de te faire rire.

C’est toujours plus facile quand on le dit. Je me souviens des nombreuses discussions avec Kitae. Celles où il me disait sans cesse « tu t’en fous de tes parents, fais ce que tu veux ». Oui, c’est facile à dire, mais il n’a jamais été confronté à ça lui. Une famille, il n’en a pas eu, il s’est fait tout seul, il a grandi par lui-même et n’a jamais rendu de compte à personne. C’est aussi ça qui nous a rapproché, le fait qu’il ait cette vie que j’aimais tant. Mais moi… moi j’avais mes parents adoptifs, ils m’avaient tout donné, cette chance que lui n’a pas eu. Alors oui, c’est vrai je suis faible, nous le sommes face à notre famille mais comment leur tourner le dos ? Finalement je comprends Ye Won, elle est coincée, encore plus depuis le départ de son frère. Elle a beau sourire, faire comme si de rien n’était, c’est une femme blessée et enchainée. J’aimerais pouvoir lui briser ses chaînes, lui offrir une meilleure vie loin de tout. Mais je ne suis pas idiot… je n’ai jamais rien eut à lui offrir. Je ne veux pas rendre cette discussion triste, alors je n’insiste pas. Je me contente de sourire et d’être un peu flatté par ce qu’elle me dit. Ça me fait chaud au cœur, malgré les années elle semble encore croire en moi et ce talent que je n’ai plus vraiment. Je ris en imaginant ces tenues qu’elle aurait eu idée de nous faire. « Effectivement c’est peut-être une mauvaise idée. » J’observe les alentours, les couloirs sont déjà pleins d’étudiants se rendant à leur cours. Certains plus stressés que d’autres, et moi au milieu de tout ça. Sans aucune conviction aujourd’hui, je n’ai pas envie de m’enfermer dans une salle. Je regrette que cette cage soit aussi grande. Jetant un coup d’œil à mon téléphone, je redoute presque le moment où elle me dira que nos chemins se séparent. Mais je sais qu’il ne tardera pas, alors je profite juste pour ajouter « C’est plutôt cool de faire le chemin avec quelqu’un le matin. C’est un peu plus motivant. » Si elle savait comme je traine du pied. Je ne suis pas matinal en plus, alors il m’arrive souvent d’être en retard. Je fais du mieux que je peux, me persuadant de déjà faire beaucoup à côté pour m’accorder quelques erreurs de parcours. « Si tu veux on pourra peut-être le refaire. » oui, je lui demande sans oser vraiment la regarder. Ne sait-on jamais si je m’emballe trop vite.

T'as pas vraiment envie de penser à tes parents à cet instant, ni même à ce qu'ils continuent de t'imposer malgré ta majorité déjà acquisse. Eux qui ont une si grande emprise sur toi. Qui arrivent encore à concevoir ta propre vie sans même demander ton avis. Mais tu n'as pas spécialement envie de penser à ce qu'aurait pu être ta vie si t'avais eu le courage de te rebeller. Parce que ces images de toi, vivant une autre vie, sont parfois douloureux. Ils te montre d'une manière trop violente que t'es faible, emprisonnée éternellement dans cette prison dorée. Pourtant, tu gardes ce sourire sur tes lèvres. T'as plutôt envie de rire à cette idée qu'il te donne. Parce que dans le fond, tu sais que ça ne marcherait pas vraiment. Tu serais la première à vouloir faire d'eux des mannequins alors qu'ils vivent d'une musique qui vient du coeur, à l'opposé de ce que la mode veut bien montrer. Ton regard qui se pose furtivement sur lui, alors que vous vous engouffrez finalement dans les couloirs de l'université. Une foule qui se déplace dans tous les sens, comme tous les matins. Et tu te rends compte que ces premières heures de la journée sont passées si vite en sa compagnie. Une sensation nouvelle que tu découvres à ses côtés, alors que pour une fois, tu gardes ce sourire sur tes lèvres en t'apprêtant à aller en cours. "Ca serait cool oui." réponds-tu, presque gênée face à cet aveu. Tu te rends compte, finalement, que t'apprécies encore sa présence à tes côtés. Que tout semble plus simple quand il est là, même les gestes les plus habituels. "Va falloir que j'y aille." finis-tu par lancer, récupérant tes livres. "Merci, en tout cas." Jouant nerveusement avec tes doigts, tu te décides finalement à déposer un léger baiser sur sa joue, avant de te reculer, lui offrir un dernier sourire. Puis, en quelques secondes à peine, tu disparais dans la foule, rejoignant déjà ta salle de cours, tête baissée. Toi qui marche d'habitude avec tant d'assurance, es perdu dans tes pensées. Et tu te demandes, stupidement, à quoi vous êtes en train de jouer, depuis quelques jours, depuis ton anniversaire sur la plage. Une question qui reste ancrée en toi, à laquelle tu ne saurais répondre. Tout ce que tu sais, c'est que tu te sens plus apaisée quand il est là. Mais tu renies tout sentiment encore présent, encore une fois. La peur omniprésente d'être brisée de nouveau.