Depuis son accident, Jonah était quelqu’un de discret. On ne le voyait que rarement au dortoir, lorsqu’il avait besoin de manger, ou lorsqu’il entrait et sortait de celui-ci, pour se rendre à ses cours ou à l’hôpital. Rares étaient les fois ou il s’accordait du temps avec les autres, même s’il s’y efforçait parfois. Pour combler ce sentiment de vide, pour tenter maladroitement de vivre cette expérience universitaire. Il cachait ses démons, ce travail sur lui-même qu’il continuait de faire chaque jour, pour se reconstruire. On pouvait le voir aller courir, plusieurs fois par semaine, s’occuper de son chien. Mais de son accident, il faisait son maximum pour ne rien laisser transparaître. C’est aussi pour ça, qu’il prenait toujours son temps pour rentrer. Qu’il vagabondait dans les restaurants de la ville pour aller dessiner dans son carnet. Il mettait une distance avec les autres, qu’il instaurait de lui-même. Tant pour cacher son malêtre que pour se protéger. Mais que pouvait-on faire contre ça ? Qu’est-ce que Damon pourrait changer à ça ? Pas grand chose, finalement. Il n’y avait rien à faire, cette peur omniprésente qu’on se joue de lui et de ses souvenirs. Qu’on lui donne que de la pitié, des regards insistants parce qu’il ne serait pas à la hauteur de ce qu’il voulait devenir. « Y’a pas grand chose à faire… » avait-il simplement soufflé, toujours apeuré par ces idées qui fusaient en lui. Mais il l’écoutait, attentivement. Il s’imprégnait de ses mots et tentait de les assimiler correctement. Et peut-être que sa lucidité revenait peu à peu, alors qu’il plongeait son regard dans celui de son petit ami. Peut-être que ses doutes reprenaient place. « Je suis horrible de t’imposer ça… Je devrais pas… » Personne ne le méritait, devoir supporter tout ce que lui endurait. « Je te mérite pas… » C’était tout ce qu’il s’imaginait, sincèrement. Et certainement qu’il le pensait, sans savoir qui il était avant ça. Sans savoir s’il devait se racheter de quelque chose, ou s’il devait simplement reprendre sa vie en main. Mais tout était encore trop compliqué, éternellement. Rien n’avait de sens, et il avait peur, finalement, de ne jamais trouver de logique à sa vie sans ses souvenirs. Ses mains tremblantes, il avait récupéré ce cadeau que Damon lui tendait. Il l’avait observé de longues secondes, avant de finalement se décider à l’ouvrir. Un carnet, une couverture qu’il touchait du bout des doigts, alors qu’un sanglot avait secoué son corps. Les mots lui manquaient à cet instant, face à une telle attention. Il s’était simplement laissé retomber dans les bras de son petit ami, sans un mot. Il ne trouvait aucun courage, aucune force nécessaire pour réussir à le remercier comme il le devrait. Il  se demandait encore, comment cela pouvait-il être possible. Qu’on l’aime autant, malgré tous ses travers.

« Arrête je t’en prie … » murmure-t-il avec une grimace douloureuse. Il ne supportait pas de l’entendre lui dire ça, et si ses mots étaient remplis de beauté, ils ne renvoyaient au plus vieux que ses mensonges et sa honte. Il attrape le visage du garçon pour l’aider à tenir le coup, lui lancer ce genre de regards qui vous donne envie de tout surmonter, puis il le laisse enfin ouvrir ce paquet. Un carnet en cuir, simple, qu’il n’était même pas obligé d’utiliser. Mais Damon voulait tout lui offrir, tout ce qui pourrait l’aider, tous les outils et la force dont il aurait besoin pour faire face à sa vie. Le futur était tout aussi flou que son passé et Damon n’osait imaginer ce qu’il pouvait ressentir. A part son amour et une épaule pour pleurer, il avait le sentiment de n’avoir rien d’autre à lui offrir. Il mordille sa lèvre et passe une main sur sa nuque en voyant le garçon éclater en sanglot devant son cadeau. Que devait-il se dire ? Comprendre ? Il accueille contre lui, renferme ses bras de géant sur son corps. Il se maudit de le voir ainsi sans savoir soulager sa peine. Le plus vieux ne comprend pas. Ne saisit pas l’importance de son acte pour le gosse. il veut juste l’aider, l’aimer, être là pour lui. Il se redresse pour mieux le serrer contre lui et l’entraine avec lui pour s’allonger confortablement dans le lit. Il rabat la couette sur eux et caresse les cheveux de Jonah, glissant jusqu’à sa nuque. « Je suis là mon amour … ça va aller … » il le berçait contre lui et embrassait son front et le haut de sa tête, chaque parcelle que sa bouche pouvait atteindre. Il ne desserrait pas les bras, pas une seconde, pas tant qu’il aurait besoin de lui. Il passa une main dans son dos et le faisait doucement se balancer, comme on voudrait faire pour calmer un enfant. Il ferma les yeux et resta blottit à l’abri du monde contre son petit ami pour qu’il puisse déverser toute sa peine. Un jour, je te le promets, je te soulagerais de ce fardeau qui t’accable …

Le cadeau que Damon venait de lui faire était marquant. Il était la preuve que le plus âgé avait une attention particulière envers lui. Et avec cette journée si éprouvante, il n’avait su réagir autrement. C’était fort, c’était puissant. Difficile à exprimer, surtout. Pourtant, ce soir, il venait de faire un grand pas. Il avait déjà réussi à poser quelques mots sur ses maux. Mais cette fois, face à ce carnet qu’il lui offrait, il ne savait plus quoi dire. Ce trop plein d’émotions n’était plus gérable pour lui. Il voulait lui dire merci, ce que ça pouvait représenter pour lui. Mais rien n’était sorti d’entre ses lèvres. Il avait simplement éclaté en sanglots, ce carnet serré contre lui. Et les gestes que Damon pouvait avoir à son égard était tout ce dont il avait besoin, en fin de compte. Malgré ces larmes qui avaient redoublé, il se laissait bercer, lentement. Il fermait ses yeux pour mieux ressentir la présence du plus âgé, et se perdait dans ses bras. Il suivait ses gestes sans un mot, se laissait emporter en retombant sur le lit. Blottit contre son petit ami, il faisait face, comme il pouvait, à ces dernières heures si éprouvantes. Il avait eu besoin de longues minutes, avant de retrouver un semblant de clame. Ces larmes continuaient encore de perler sur ses joues, mais sa respiration revenait enfin à la normale. Peut-être se rendait-il compte de tout ce que Damon pouvait bien faire pour lui. Qu’il continuait de se dire qu’il ne méritait pas autant. Mais Damon était toujours là, à le tenir dans ses bras, comme si jamais il ne le lâcherait. Et c’était ce qui comptait le plus pour lui. Il avait eu besoin d’un temps supplémentaire, avant d’être capable de murmurer un simple « merci » mais qui était chargé de sens. Merci d'avoir tout lâché pour lui. Merci d’être là et de supporter tout ça. Merci pour ce cadeau qui signifie tant. Merci d’être là, tout simplement.

Damon sourit et caresse sa joue avant de l’embrasser. Dévore ce merci qu’il lui murmure faiblement en les lèvres. Merci ? Si tu savais tout le mal que j’ai pu te faire … Tu ne me remercieras jamais pour ça. Damon espérait que dans le fond, ces efforts du présent puissent un jour pardonner ses erreurs du passé, mais ce qui serait le plus dur à se faire pardonner resterait ses mensonges du présent. Comment pourrait-il réellement construire quelque chose avec Jonah s’il n’était pas sincère avec lui … enfin s’il n’était pas honnête, car sincère, dieu qu’il l’était. Il l’aimait tant son amant. Son bel amant. L’amour de sa vie. Il avait peur parfois de trop en montrer, de faire peur à Jonah, lui qui peinait à s’ouvrir aux autres, comment pouvait-il supporter de voir les sentiments exaltés de Damon. Trop l’aimer, trop vite, ça pouvait tout gâcher. Mais comment lui résister, comment résister à lui crier son amour ? Il se laisse tomber dans le lit et caresse sa nuque tendrement en croisant son regard et souffle « Ne me remercie pas … je t’aime, c’est normal d’être là pour toi … » il soupire tendrement en venant embrasser son front et le blottit contre lui. « Tu dois être épuisé … dort si tu veux, je ne bougerais pas d’ici. » Jamais. Il tend d’ailleurs le bras pour attraper son téléphone et lui glisse un écouteur dans l’oreille. « On va se caler une petite musique, une ambiance cocooning, qu’en penses-tu ? » sourit-il avant d’aviser la lumière de l’extérieure. Il grogne et souffle « Attends j’arrive ! » Il se redresse, va éteindre la lumière, ferme les rideaux pour les plonger dans le noir, il était encore tôt, mais une sieste ne serait pas de refus. Il allume son petit projecteur portable, un mini qui projetait sur les murs de la chambre une galaxie. Une ambiance copiée à la salle de relaxation qu’ils avaient en bas. Il se met en boxer pour être plus à l’aise dans le lit et rejoint rapidement son petit ami. « Viens là, je vais t’aider » souffle-t-il en le mettant à son tour en boxer. Il se laisse alors tomber sur le lit et soupire d’aise en regardant les points lumineux sur le plafond. « Ça te plait ? Je l’ai reçu aujourd’hui … » il sourit, content de ces petites surprises qu’il pouvait offrir à Jonah, ce n’était jamais grand-chose, mais … c’était des détails qui notaient l’attention qu’il lui portait. Une ambiance apaisante rien que pour eux. Des souvenirs. Il lui tend à nouveau l’écouteur et murmure « Chill & Kisses. » avec un sourire craquant.

Jonah était encore trop bouleversé par cette journée, tout ce qui s’était passé. Ses émotions, ses sentiments venaient d’être mis à rude épreuve. Et il se sentait simplement épuisé, encore trop chamboulé. Chanceux d’avoir Damon si près de lui, mais à bout de souffle. Il arrêtait de penser au fait qu’il dévoilait la plupart de ses faiblesses, tentait encore de reprendre totalement ses esprits. Mais il avait besoin de repos pour ça. D’un autre moment de calme, pour se sentir plus serein. Se blottissant contre Damon, il fermait déjà les yeux. Continuait de serrer ce carnet contre lui. Son corps et son âme réclamaient un moment de répit. Quelques heures à l’abris du reste, pour essayer de se ressourcer. Et Damon semblait l’avoir compris. « D’accord… » soufflait-il simplement à la proposition de son petit ami. Il n’avait plus la force d’en dire plus. Commençait finalement à lutter pour ne pas s’endormir. Seuls les mouvements de Damon le maintenait éveillé. Parfois, il ouvrait les yeux pour voir ce qu’il faisait, se recroquevillait un peu plus contre lui-même. Il ne se rendait pas encore totalement compte de la chance qu’il avait, d’avoir quelqu’un près à accourir quand rien n’allait, mais le saurait bien assez vite. Il avait besoin de calme, de bras pour le rassurer. Et c’était tout ce qu’on lui offrait à cet instant. Laissant son compagnon gérer la situation pour lui, Jonah s’était rapidement retrouvé en sous-vêtement, sous les draps. Un cocon dans lequel on l’enveloppait, pour qu’il puisse trouver un semblant de paix. observant le plafond quelques secondes, Jonah peinait à esquisser un sourire. « Ca me plait… » avait-il simplement répondu. Une attention de plus, à laquelle il n’était pas réellement capable de répondre convenablement. Mais son esprit était encore trop embrouillé. Il allait s’en vouloir, peut-être, pour autant, il avait encore du mal à réfléchir convenablement. Reprenant place dans les bras de son petit ami, il se concentrait plus que sur ce contact bienveillant. Un écouteur dans son oreille, cette musique parvenant à lui, il avait rapidement fermé ses yeux, sa respiration arrivant finalement à se faire moins forte. Son bras enroulé autour de Damon, il avait simplement soufflé un autre « merci » avant de se laisser emporter par cette fatigue qui le clouait encore au sol. S’endormant un peu plus paisiblement. Peut-être un peu plus sereine, malgré ses peurs et ses angoisses récurrentes. Enfin, il semblait trouver un moment de paix après qu’une telle torpeur l’ai secoué.

Il ne suffisait de pas grand-chose dans le fond pour savoir combler la personne que vous aimiez. La plupart du temps un peu de temps et d’intimité permettait au cœur de se réconforter. Aujourd’hui était un jour compliqué pour Jonah. Il avait subi un retour en arrière brusque, sans pouvoir l’anticiper. Son sérieux professionnel l’avait fait culpabilisé d’avoir ainsi délaissé cette femme pour céder à la panique, mais sévère avec lui-même, il n’avait fait que se rajouter encore et encore un peu plus de pression. Lui qui portait pourtant déjà tant de choses … c’était le cœur lourd que Damon l’observait ainsi souffrir. Il n’avait fait qu’effacer ses larmes (et c’était déjà beaucoup, il en avait conscience) mais son mal être il ne pouvait lutter contre. Il ne pourrait effacer son passé et lui retirer ce qu’il avait vécu, ni les traumatismes, ni les cauchemars. Mais peut-être qu’en restant près de Jonah, à lui tenir la main quand il en avait besoin, il pourrait l’aider à traverser ces tourments sans cette solitude pesante. Damon ne pouvait pas faire grand-chose de plus et savait pertinemment qu’un jour ou l’autre il deviendrait le bourreau de l’homme qu’il aimait. Mais ce soir, alors que le plafond s’illuminait d’étoiles, il savait qu’il avait fait ce qu’il fallait pour Jonah. Se tournant vers lui, alors que la musique l’emportait déjà vers un sommeil profond (surtout ses émotions) Damon passant une main dans ses cheveux et déglutit doucement. Il l’aimait tellement que s’en était fou, même pour lui. Etait-ce possible d’aimer une personne à ce point ? De l’aimer au point de vouloir tout renier pour elle ? De vouloir déplacer des montagnes ? Il aurait décroché la lune, aussi stupide et cliché que pouvait-être cette image, si Jonah la lui avait demandée. Tout ce qu’il voulait c’était la rendre heureux. L’accompagner dans ce quotidien tourmenté et remplie d’embûches. Damon voulait être ce rempart quand, par le passé, il lui avait fait défaut. Il l’avait abandonné une fois, jamais il ne se pardonnerait de recommencer. Jonah méritait mieux, mieux que lui de toute évidence. Mais Damon était égoïstement trop amoureux de Jonah pour le perdre à nouveau. Se penchant vers lui il embrasse son front, laissant ses lèvres l’embrasser de longues secondes avant de se coucher du mieux qu’il pouvait avec son épaule déboitée récemment. Il ferme les yeux et se décide à se laisser aller au sommeil lui aussi, en manquant cruellement ces derniers temps …