C'était étrange comme cette entente entre eux avait le don de plaire autant à Kô. Lui qui, d'ordinaire, s'amusait souvent des hommes comme les hommes s'amusaient avec lui, il était aujourd'hui dans une position tout à fait différente de celles qu'il avait pu avoir depuis ces dernières années. En venant en Corée pour étudier, il avait fait le choix de repartir de zéro, de prendre une nouvelle direction afin d'oublier ce qui avait pu se passer sur sa terre natale. A l'évidence, il n'oublierait jamais. Mais il faisait chaque jour de son mieux pour concilier cette nouvelle vie qu'il menait avec les études. Ses ambitions étaient grandes et il n'avait pas envie de se laisser distraire. Et comme pour renforcer ces dites ambitions, Jiwoong était sorti de nulle part pour l'envelopper de sa chaleur - au sens propre comme au figuré. Kô trouvait une forme différente de motivation, possédant l'envie que ses créations plaisent réellement au sportif. Sa mode devenait en quelque sorte plus concrète pour la première fois et c'était sûrement pour cela qu'il pensait (très - trop) souvent à Jiwoong.
Quand il revint du comptoir avec de quoi boire, Kô le remercia doucement avant de se consacrer aux esquisses qu'il avait préparé au cours de ces derniers jours. Il lui expliqua ses idées en désignant chaque pièce de son crayon et un grand sourire ne manqua pas d'orner ses lèvres rouges quand le brun le complimenta de ce travail.

« Tu ne trouveras pas meilleur styliste que moi, affirma-t-il d'un mouvement du visage. En tout cas, je suis ravi que cela te plaise. Et mh... oui, je pense que c'est possible. Je n'ai pas grand-chose à modifier. Tu pourras me fournir votre logo pour que je l'appose sur la chemise ? »

Le blondinet but une gorgée après avoir trinqué avec Jiwoong et se mit légèrement à rire à ses paroles. Vraiment ? Dans ce cas, il était tombé sur la mauvaise personne. Kô prenait beaucoup de choses au pied de la lettre (quand cela l'arrangeait ou quand cela concernait la mode) et il était assez têtu pour s'y consacrer jusqu'à entière satisfaction.

« Tu peux m'embaucher pour faire beaucoup plus qu'une simple garde-robe, mais j'imagine que tu le sais déjà, n'est-ce pas ? »

C'était sorti tout seul, et d'un regard amusé vers son interlocuteur. Il pouvait bien flirter avec lui, après tout, jusqu'alors Jiwoong ne l'avait pas encore repoussé. Mais, étrangement, cela sonnait aussi de manière différente puisque son camarade l'avait vu derrière les fourneaux mais aussi à le soigner la fois dernière ; Kô était aussi capable de faire bien d'autres choses, mais Jiwoong ne pourrait que l'apprendre s'il souhaitait le découvrir autrement. D'autant plus qu'il continuait de le prendre pour Yon, cette demoiselle charmante... et charmée.
Il lui sourit de nouveau avant de reprendre une gorgée de son cocktail fruité, l'air inspiré.

« Et si on jouait à un petit jeu ? On dit une vérité chacun à tour de rôle et l'autre dit si oui ou non il y croit. S'il n'y croit pas... On boit. Bien sûr, j'irais prendre de l'alcool, sinon ce n'est pas amusant. »

Il plia ensuite ses affaires avec précaution pour les ranger dans son sac, attendant avec impatience la réponse de Jiwoong. C'était un jeu à double tranchant et qui pouvait néanmoins offrir de belles perspectives d'amusement. Kô se pencha alors légèrement vers la table, plantant ses prunelles rehaussées d'une paire de lentilles bleues dans celles brunes de son vis-à-vis.

Et une fois de plus, il avait l'impression de n'être qu'une vulgaire poupée de chiffons quand Jiwoong glissa sa mèche blonde derrière son oreille. Kô s'en mordit doucement la lèvre, son cœur ratant un battement dans sa poitrine. Mais sous la lumière tamisée de l'endroit, il y avait peu de chance que cela se fut remarquer. Et tant mieux. L'étudiant en stylisme avait bien l'intention de rester droit et de ne pas fléchir ; alors quel était ce sentiment qui pointait le bout de son nez ? Cette chaleur réconfortante et apaisante que lui procurait le brun en face de lui le mettait dans tous ses états.
Il fallait qu'il se ressaisisse et ce fut ce qu'il fit en passant à autre chose. A un jeu. Un vrai jeu mentionné comme tel. Pas ce jeu-là qu'il jouait avec Jiwoong depuis leur première rencontre. Pour lui, il demeurait Yon, et peut-être était-ce finalement cette "Yon" qui tombait sous le charme du jeune homme. Kô n'avait rien à voir dans tout cela... Pourquoi s'en dédouaner ? Il secoua alors le visage, abandonnant un soupir tandis que son camarade partit quelques minutes lui chercher un verre d'alcool. Cela serait en effet beaucoup plus amusant de cette manière. Mais Kô avait plus d'une corde à son arc et il ne boirait pas plus que de raison. Il devait protéger ses arrières.
Quand Jiwoong revint, il se lança tout de suite dans la partie en abattant sa première carte. Le blond en ouvrit des yeux étonnés, son verre tournant entre ses mains. Lui, Jiwoong, aurait couché avec un homme ? Il essaya vaguement d'imaginer la scène avant de s'interdire de le faire. Il sourit en coin et porta son verre à ses lèvres rouges ; si son ami avait bel et bien couché avec un homme, il désirait le lui entendre dire une fois encore. Lui produisant une certaine électricité dans le corps, ce fut alors à son tour de donner une information sur son compte.

« Mmh, fit-il en réfléchissant un instant, alors, pour rester dans le thème, est-ce que tu me crois quand je te dis que moi aussi, j'ai déjà couché avec une personne du même sexe ? »

Nouveau sourire peint sur son visage, sûrement plus espiègle que jamais. Pour Jiwoong, une personne du même sexe sous-entendait que Kô ait couché avec une femme... Or, Kô était en réalité un homme. L'excitation germait dans tout son être et il était terriblement impatient de connaître la réponse de son interlocuteur. Il finit par quitter son fauteuil pour venir s'asseoir sur le canapé à côté de Jiwoong, ses pupilles ne manquant pas de le regarder en permanence.

Un point partout, la balle était au centre. Cela amusait vraiment Kô de voir que Jiwoong le croyait dans ses paroles. Car jamais, jamais, jamais, Kô ne coucherait avec une femme. Autant pouvait-il détester les hommes, autant il ne possédait pas la moindre attirance envers le sexe opposé. Mais pour expliquer cela à son interlocuteur, il serait bien obligé de se trahir. Alors il conserva le silence, sentant néanmoins le regard pervers que son interlocuteur lui lançait. Alors il avait des pratiques de ce genre ?

« Alors pourquoi ne te joindrais-tu pas à moi la prochaine fois ? »

Kô rit doucement. Il n'avait jamais pratiqué le sexe à plus de deux, mais ce n'était pas pour autant qu'il allait jouer la demoiselle effarouchée. Il avait déjà mis les pieds dans un établissement particulièrement... particulier, et il se doutait bien que les hommes de cet endroit s'adonnaient à tout genre de pratiques - sans jamais savoir un seul instant que Jiwoong passait de son temps libre au Why Not. Chose qu'il découvrirait qu'un peu plus tard.
Prochaine révélation qui fit tiquer le plus jeune. Dans un commissariat ? Pour le coup, cela lui sembla un exagérer et il décida de ne pas y croire. Il secoua alors le visage en signe de négation et ne but pas de gorgée. Pourquoi se serait-il envoyé en l'air dans un commissariat ? Cela n'avait pas tellement de sens pour le moment dans l'esprit du blond qui, à son tour, devait trouver quelque chose à dire au brun. Il réfléchit quelques secondes avant de lancer :

« Si je te dis que j'ai eu ma première fois à l'âge de quatorze ans, tu y crois ? »

Douloureux souvenirs qui remontaient cependant derrière le sourire mutin affiché sur les lippes rouges. La vérité était pourtant là, l'histoire d'un ami un peu plus âgé que lui qui accepta de coucher avec lui pour lui faire oublier les traces de son beau-père. Mais c'était bien connu, ça ne fonctionnait jamais avec autant de facilité. Être choyé et apprécié le temps d'une fois lui avait mis du baume au cœur. C'était sans doute grâce à cet ami qu'aujourd'hui Kô appréciait les hommes plus vieux que lui. Tout avait un sens.

Un instant, le plus jeune se demanda s'il n'en avait pas trop dit, ou trop montré. Ses paroles, empreintes de vérité, avait permis à Jiwoong d'en apprendre un peu plus sur cette véritable personne qu'il était. Il songea qu'il allait devoir redoubler d'attention pour ne pas se faire avoir encore une fois. De quelle manière ses barrières étaient-elles en train de s'effriter ? Il s'était juré de ne pas accorder sa confiance à un homme, il avait juré de ne pas s'investir autant sur le plan émotionnel, et pourtant... le plus âgé lui retournait le cerveau sans même qu'il ne puisse s'en apercevoir. Il se mordilla alors légèrement la lèvre inférieure, perdu quelques brèves secondes dans ses pensées avant de reporter son attention sur son interlocuteur. La soirée n'était pas finie et il ne comptait pas en rester là.
Jiwoong proposa même de changer de jeu, à quoi il hocha la tête en signe d'acceptation. Peut-être que cela serait moins dangereux pour lui. Kô n'avait pas envie de se faire repérer, pas envie que cet autre jeu qui s'était instauré au fur et à mesure entre eux cesse déjà. Il était Yon. Yon et que Yon aux yeux de son camarade sportif. Les pupilles braquées sur le brun, Kô finit par s'installer aussi un peu mieux dans la banquette, croisant les jambes, tandis que sa main gauche jouait avec son verre. Il réfléchit un instant. Il y avait bien des questions que le blondinet se posait au sujet de l'étudiant à ses côtés, mais il aimait aussi tous ces mystères qui demeuraient autour d'eux. C'était amusant. Néanmoins, il déclara :

« Qu'est-ce qui te plaît le plus chez moi ? »

De son plus beau sourire, il attendait la réponse avec hâte. Kô savait déjà qu'il plaisait au plus âgé, mais pourquoi ? C'était toujours bon à entendre, et il en jouerait probablement un peu plus encore par la suite... parce qu'il ne comptait pas laisser Jiwoong si facilement. Il voulait en avoir plus et, surtout, comprendre pourquoi cette douce chaleur l'enivrait de cette façon.

Nouveau jeu, alors nouvelle lueur de malice luisant dans les pupilles du jeune homme. Sa question posée pour Jiwoong, il but un peu de son verre tandis qu'il ne le lâchait pas des yeux. Il le vit porter deux doigts à son menton en signe de réflexion et un délicat sourire se traçait sur ses lèvres. Kô savait qu'il l'appréciait, indubitablement, sinon il ne serait pas assis à jouer avec lui et il n'aurait pas voulu prendre sa défense face à Azriel. Mais encore ? Et sa réponse ne tarda pas, ne manquant pas non plus de faire rire Kô de son rire cristallin, si franc. Ses yeux en amande plissés, il riait vraiment avant de s'apercevoir que cela pouvait très bien porter à confusion. Aussi joueur que lui ? A l'évidence, il ne devait parler que ce jeu instauré entre eux ; qu'aurait-ce pu être d'autre ?

« Et je ne suis qu'à peine à la moitié de mes capacités... » déclara-t-il en déposant sa main libre sur la cuisse du plus âgé.

En tout cas, Kô notait bien sûr la formulation que le brun avait choisi. Un "je t'aime bien" vaut toujours bien plus cher qu'un "j'apprécie" ou qu'un "j'adore" si peu classe, manquant cruellement d'élégance. Il n'en attendait pas moins de Jiwoong et il ne se départissait pas de son sourire. Ensuite, ce fut à son tour de devoir répondre, ou non, à une question qui allait lui être posée. Il fronça les sourcils à celle qui était choisie par son interlocuteur en se demandant si ce n'était pas un piège. Il lui demandait sa date de naissance alors qu'il connaissait déjà son âge...

« Pas très classe de demander ça à une demoiselle, s'amusa-t-il, mais si tu veux tout savoir, je suis né le 08 Février 1998 à Nagasaki, au Japon. »

Clin d'oeil complice avant qu'il ne se lance aussi pour une nouvelle interrogation.

« Est-ce que tu es déjà tombé fou amoureux d'une personne ? Un véritable coup de foudre, une évidence, pour toi. »

Parce que dans le fond, le blondinet était un rêveur dans l'âme, en plus d'être un artiste. Même s'il ne l'avouait pas toujours, il désirait plus que tout tomber lui aussi fou amoureux de quelqu'un, mais surtout, que ça soit réciproque. Il croyait en ce grand amour, pourtant, il aimait diablement jouer avec le feu.