Pas un instant, elle ne pense à la possibilité que leurs gamineries puissent réveiller l’ensemble du dortoir. Ils sont comme à la maison ici, alors ils font comme à la maison – sans y réfléchir à trois secondes. Déjà qu’ils sont rentrés à pas d’heure – Lily avoue volontiers que Théo n’y peut rien, c’est la faute de la police coréenne, voilà tout – mais si en plus, ils commencent à se chamailler vocalement à travers le dortoir, s’en est fini pour le sommeil des autres baekje. Pourtant, Lily ne se retient aucunement de hurler à la mort quand l’eau chaude n’est plus si chaude. Se précipitant hors de la douche, elle sait directement qui elle doit accuser pour ce problème technique de température. Peu importe ce que son frère peut bien dire. « Fais au moins un effort pour mentir correctement ! » son grognement résonne dans tout le dortoir alors qu’elle tourne en boucle dans la salle de bain, échafaudant déjà ses meilleurs plans pour se venger de cet affront. Car il est hors de question que cette mauvaise blague reste impunie. Alors que les pas de Théo se font entendre dans le couloir, elle s’approche à son tour de la porte. « Si je finis en prison, c’est parce que j’ai tenté de t’assassiner ! ». Menace en l’air, elle aime bien trop son frère pour cela mais menace méritée. C’est qu’elle va choper un rhume avec ses bêtises. Lily se remet à tourner dans la pièce à la recherche de la vengeance, mais les options sont limitées dans cette salle de bain. Ses yeux se posent avec malice sur un gobelet en fouillant dans les placards – tiens, quelle idée. « Je sais pas… » elle répond sur un ton presque trop calme vu la fureur dans sa voix quelques secondes plutôt à peine. Le gobelet en main, Lily s’empresse de le remplir d’eau avant de se diriger à nouveau la porte de la salle de bain. Lorsqu’elle ouvre la porte, elle prend bien soin de cacher le récipient dans son dos. Un sourire innocent s’affiche sur sa bouilles l’espace d’une milliseconde avant que ses sourcils se froncent lorsqu’elle prend l’élan nécessaire pour jeter l’eau au visage de la grande perche qu’est Théo. « Alors est-ce que c’est revenu ? » demande-t-elle en riant, totalement satisfaire de voir la tête bien mouillée de son aîné. Cette mission vengeance est un succès.

Sa petite blague fonctionne et il peut donc retourner sereinement vers le couloir. Le hasard fait parfois des caprices mais la jeune femme n’est pas pour autant naïve. Depuis le temps, elle le connaît son grand frère. Elle l’accuse donc rapidement et il fait semblant de rien, pour l’allumer encore plus. Peut-être qu’à force de pester, la température de l’eau va augmenter. Il a du mal à cacher son sourire même si en réalité, il ne fait pas trop d’efforts. Il veut l’entendre ruminer sachant que Lily ne se laissera pas faire. Les Ryeo ont du caractère, y compris en plein milieu de la nuit. Dire que leurs parents les ont éduqués avec la notion de respect. Tout a fini aux oubliettes ce soir. “ Tenté ? T’es déjà assez nulle pour te faire coffrer et en plus tu ne parviens pas à me tuer ? Je te pensais badass, Lily. “  Badass, ce n’est pas forcément le terme à utiliser pour une criminelle potentielle mais apparemment, Théo abuse de la prise de risque. Toujours devant la porte de sa chambre, il patiente et lui demande si l’eau chaude est revenue. Sans le vouloir, cette fois-ci, il lui tend une perche considérable qu’elle saisit quelques minutes plus tard. La porte finit par s’ouvrir, par surprise et alors qu’il commence à peine à se redresser pour lui faire face, il est finalement accueilli par un arrosage manuel. Il échappe un léger cri de surprise dans le couloir. “ Mais t’es pas possible ! “ L’arroseur arrosé comme on dit dans le métier. Il le mérite, il le sait et c’est qui le pousse à éclater de rire à son tour. Malheureusement, leurs petites blagues n’amusent pas tout le monde. En effet, un étudiant se lève, la tête dans les nuages (pour être poli) et rumine : “ Vous êtes vraiment chiants les Ryeo ! Fermez-là. “ Theo se tourne vers lui d’un air faussement désolé et évite de mettre sa main dans les cheveux. Ils sont pris en flagrant délit et on risque de leur demander de nettoyer le bordel dès demain. Donc, s’il peut éviter de mettre de l’eau dans le couloir, ça serait sûrement une bonne nouvelle. Heureusement pour eux, il fait trop sombre pour qu’il puisse s’en apercevoir. Il referme la porte derrière lui, laissant un gros silence s’installer. Il jette un seul regard à sa sœur et tente de rire discrètement. “ Putain, on est vraiment des gamins. “ Surtout lui. Vous parlez d’un aîné...Il fait ensuite un pas vers elle et décide de lui pincer le bout du nez. “ A charge de revanche. Je vais aller me coucher, morveuse. “ Enfin, il va surtout attraper une serviette dans sa chambre. C’est qu’il est désormais bien réveillé, le petit.  

Beaucoup de bruit pour pas grand-chose, c’est le moins que l’on puisse dire. Et alors leurs cris enfantins qui résonnent contre les murs des couloirs, la moitié de la fraternité doit avoir envie de leur faire la peau – c’est certain. C’est même étonnant que personne ne se soit encore levé pour les mettre à la porte du dortoir. Et si quelqu’un finit au commissariat pour tentative de meurtre, il y a plus de chance que ce soit un autre baekje que Lily elle-même. Pour toute réponse, la cadette grogne de toute son âme – pas loin du chiot enragé – avant de se concentrer sur sa vengeance. Parce que oui – peu importe si Théo a fini par remettre l’eau chaude ou non, il est impossible que cet acte reste impuni. Dans un silence presque anormal pour eux, Lily attend le bon moment pour entrouvrir la porte et faire goûter à son frère un peu de sa propre blague. La réaction ne se fait pas attendre et le niveau sonore reprend à nouveau bon nombre de décibels. « J’ai appris des meilleurs ! ». L’abandon n’est pas Ryeo, enfin ce n’est surtout pas Lily mais elle aime bien se rassurer en se disant que toute la fratrie a le même souci d’acceptation des défaites. Les éclats de rire entre la petite famille reprennent, sous la bêtise décidément intarissable ce soir.  Lorsqu’un étudiant finit par se manifester – probablement agacé de les entendre ricaner comme des poules – Théo et Lily se taisent un instant. Mais si son frère s’excuse d’un geste de la main, la cadette se contente de se focaliser sur le rire qu’elle tente de contenir entre ses lèvres. De nouveau seuls, son frère l'a rejoint dans un dernier rire qui se veut des plus discrets. « C’est toi le gamin. » rétorque-t-elle du tac au tac. Bon, clairement cette réponse très mature de la part de Lily montre bien que Théo n’est pas le seul gamin dans cette histoire mais soit. Ce petit échange se poursuit par un couinement de la plus jeune quand son idiot de frère vient lui pincer le nez. Elle frotte son nez comme pour faire disparaître la douleur. « Bonne nuit, vieux phoque ! » conclue-t-elle avant de lui refermer la porte au nez. C’est que la journée a été épuisante, elle va bien dormir cette nuit.