Je souriais dès que je voyais un binôme tomber. Nous n'étions plus très loin de la victoire désormais car il restait très peu de couples à passer. Je resserrais mon étreinte autour de l'épaule de Yi Hao, lui offrant un autre sourire lorsqu'il ne resta plus qu'un couple. Le dernier, le tout dernier. Je stressais comme si la Corée était en finale de la Coupe du monde de foot et que le destin de notre nation se jouait sur un dernier tir au but. Lorsque le mec tomba moi j'exultais et je me sentais aller vers le ciel. C'était Yi Hao. Il était venu me prendre dans ses bras et me soulever de terre. Je n'avais jamais été aussi heureux, tout ça parce que j'avais gagné je sais même pas quoi à une journée d'intégration. Finalement je ne regrettais pas de m'être fait aborder par cette fille dans les allées de l'université pour participer à la journée. J'avais râlé au début mais la victoire au bout du compte venait d'ensoleiller ma journée. « On a gagné !! » Je donnais des tapes amicales dans le dos de Yi Hao. Mais on avait gagné quoi au juste ? Je ne savais même pas ce qu'obtenaient les vainqueurs. Lorsqu'il me fait redescendre, j'écoute avec attention le discours des organisateurs.

« Quoi ? » Y avait pas trois épreuves mais beaucoup plus ? Mais on allait être là jusqu'au bout de la nuit…!

« QUOI !? » Je me retournais vers Yi Hao alors que le mot "argent" venait d'entrer dans mes oreilles. « Parce que y a du fric à gagner ? » Pourquoi personne ne me l'avait dit plus tôt ! Voilà qui me motivais encore plus à me dépasser et à remporter la victoire. Je défaisais rapidement notre lien et j'embarquais Yi Hao par le bras vers l'épreuve suivante, l'ambition du champion marquée dans mon regard. Je me tournais vivement vers lui, le choppant par les épaules avant que l'épreuve ne commence. « Yi Hao, j'ai entièrement confiance en nous, on peut le faire, on peut gagner et on peut remporter ce putain de chèque ! » Peu importe le montant, même 10000 wons ça allait m'aider pour mes débuts à l'université.

J'étais concentré comme jamais dans notre sac bien trop étroit pour deux mecs aussi grands que Yi Hao et moi. Les petits gabarits allaient être à leur avantage et nous on allait salement lutter. Mais je n'allais pas me déclarer vaincu avant d'avoir vaillamment combattu. Notre sac, lui, en avait décidé autrement. A peine parti qu'on galérait déjà, première chute au sol. Yi Hao m'aida à me remettre debout, il fallait qu'on se coordonne. « Ok, à trois ! » Je lui avais lancé un regard d'encouragement avant de commencer le décompte. A trois, on se mit enfin à sauter et on était lancé. On avait beaucoup de retard à rattraper mais j'étais confiant, on faisait de jolis sauts, digne d'un de mes entraînements au parkour. Maiscomme lors de la première épreuve, on s'est emmêlé les pinceaux une nouvelles fois et on retournait faire un petit coucou à la pelouse. Au moins cette fois-ci on s'était pas ramassé dans une flaque de boue. Les bras posés sur mes genoux, je regarde tous les binômes qui nous dépassent, ça ne servait à rien qu'on se démène, on était bons derniers. Je baisse la tête pour me marrer avant de regarder Yi Hao et de lui tendre ma main. « Tu me lèves ? » J'étais dépité, je voyais le chèque s'éloigner mais il fallait que je sois bon perdant, ce genre d'épreuve, ce n'était pas pour nous. Est-ce que c'était fini ou y avait-il encore une lueur d'espoir ?

« Il reste encore une épreuve à faire ? » Si oui, on était encore dans la course. Si non, on allait pouvoir aller prendre une bonne douche. C'était bien l'une des rares fois de ma vie que j'essayais de voir les choses du bon côté…

Je ne peux pas m'empêcher de sourire en l'écoutant s'excuser. Si on avait perdu, c'était notre faute à tous les deux mais Yi Hao prenait les choses trop à cœur. Est-ce que j'avais eu l'air fâché ou en colère ?

« Pourquoi je t'en voudrais ? T'as rien à te faire pardonner Yi Hao, on a joué ensemble, on a perdu ensemble. Notre équipe, c'est tous les deux, y a personne de plus fautif que l'autre. »

Une nouvelle fois, je me surprenais à passer énergiquement ma main dans ses cheveux pour le rassurer. Il était légèrement plus grand et plus costaud que moi et pourtant, tout dans son attitude faisait que je le voyais comme un enfant. Il se dégageait de lui tellement de naïveté et d'innocence que c'était au dessus de mes forces de ne pas le considérer comme un dongsaeng, ce qu'il était peut-être, je ne lui avais pas encore demandé son âge. Yi Hao était un étrange spécimen mais sa bizarrerie me touchait. Mon innocence à moi s'était envolée dès mon enfance, j'avais grillé bien trop d'étapes et grandi trop vite alors voir tant de candeur dans les yeux de quelqu'un, je n'avais pratiquement jamais vu ça. Je l'enviais, je l'aimais son regard et j'aimais surtout le sourire qu'il m'apportait aux lèvres dès que nos prunelles entraient en contact.
Lorsque l'organisateur annonce le dernier jeu, je la vois cette étincelle s'allumer dans son regard, confiant tout à coup…. alors que moi j'ai envie de jeter l'éponge rien qu'en m'imaginant la scène dans la tête. Le dernier jeu, c'était le clou du spectacle, ça rebutait tout le monde autour de nous. On voyait ça souvent à la télé dans les émissions niaises où passaient les idols des groupes de kpop. Ca faisait de l'audience, ça trouvait toujours son public ce genre de connerie. Aujourd'hui aussi il y avait du public…. Il y en a qui criait pour encourager les duos restants et il y avait les duos restants qui criaient parce qu'ils ne voulaient pas jouer à ce genre de jeu. Je tirais la tronche parce que bien sûr, notre duo de 2 gars allait être le plus scruté.
J'allais vers l'épreuve à reculons mais ce n'était pas le cas du tout de Yi Hao. Il me faisait limite peur à être aussi sûr de lui. Embrasser un mec même par papiers interposés, c'était vraiment pas ma came. Je l'avais zappé cette histoire de billets à gagner, ou plutôt j'avais fait une croix sur la possibilité de gagner. J'allais faire perdre notre duo, c'était couru d'avance….
Top départ sifflé et le premier papier se pose sur mes lèvres. Je suis arc-bouté, le dos complètement vers l'arrière mais je me fais attraper par la main ferme de Yi Hao qui me ramène vers lui. Et il y va franchement, je sens son souffle qui aspire à travers le papier pour venir le récupérer. La forme de ses lèvres qui viennent épouser les miennes. Je suis abasourdi, complètement léthargique jusqu'au moment où il me tape sur l'épaule pour que je mette un nouveau papier sur mes lèvres. J'obéis et je me laisse faire. J'entends les cris du public devant nous, sidéré de l'habileté de Yi Hao à la manœuvre. Je le suis aussi alors que ses lèvres viennent récupérer le deuxième morceau de papier, puis le troisième, puis le quatrième.
Je me prends au jeu, je souris face à sa dextérité, ma main se perd dans la naissance de ses cheveux pour qu'on perde le moins de temps possible et qu'on soit au plus proche l'un de l'autre. Nos gestes deviennent plus sûrs au fur et à mesure de l'épreuve. Je nous fais tout de même une frayeur lorsqu'un des papiers glisse et que je vois les lèvres de Yi Hao s'approcher des miennes. J'ai juste eu le temps de glisser une main entre nous pour faire rempart. Pfiou, on était pas passé loin de la catastrophe.
Temps écoulé, papiers en train d'être comptés, j'offrais un autre sourire à Yi Hao. Je n'avais pas vu comment s'étaient démerdé les autres couples mais on avait pas de quoi rougir.

« C'était toi le chef d'orchestre Yi Hao. » Et j'avais été obligé de le suivre. Mais ses mouvements parfaits m'avaient donné le rythme et de la motivation. Peut-être y avait-il encore de l'espoir pour gagner, je me prenais à rêver.

« Hé qu'est-ce que tu fabriques…. ! » J'attrapais une bouteille d'eau posée au sol ainsi que les quelques papiers qui restaient de notre épreuve. « Tes vêtements sont tout dégueulasses, fais attention à ce que tu fais… T'as envie que ta blessure s'infecte ? » Il avait essuyé sa lèvre qui saignait avec sa manche plein de boue... J'humidifiais quelques papiers pour les passer sur sa lèvre, en prenant soin de ne pas trop lui faire mal. « Ta lèvre s'est rouverte pendant qu'on s'embrassait… » Je sentais mes joues se mettre à chauffer dès que ma bouche avait sorti malencontreusement ces mots. Yi Hao semblait fort heureusement plus concentré sur le nombre de papiers qu'on avait réussi à récupérer plutôt que sur mes paroles.

« Et notre duo gagnant est.... »

Je me retournais pour regarder les organisateurs. Cinq secondes plus tard, je me retrouvais dans les bras de Yi Hao à sautiller sur place en tournant sur nous-mêmes. Deux vrais gamins.

« On a gagné ? » On était vraiment les vainqueurs du jour ? J'en revenais pas....! C'était la toute première fois de ma vie que je gagnais quelque chose et qu'en plus le prix était un chèque....!
Ma main se posa sur l'épaule de mon binôme et j'amenais son crâne sur mes lèvres pour un bisou bien sonore. J'étais tout content de cette putain de belle journée, même si on était dégueulasse, même si j'avais sûrement niqué mon jean, même si Yi Hao avait fini la lèvre en sang. J'étais sur le podium et je serrais Yi Hao contre moi, narguant de toute notre hauteur le connard qui nous avait emmerdé durant toutes les épreuves. J'étais le maître du monde et je me sentais invulnérable dans les bras de mon partenaire qui me retenait pour m'empêcher de tomber de la marche.

J'avais rarement connu une telle joie auparavant. Il faut dire qu'avec la vie de merde que je menais depuis ma naissance, je n'avais pas eu beaucoup d'occasions de me réjouir. Pas la peine de sortir les violons, la séquence émotion ne va pas débarquer sur vos écrans. J'avais aucune envie de me rappeler tous les moments noirs, tristes et glauques de ma vie, là je voulais profiter du moment présent et me rendre compte que j'étais vraiment, mais vraiment, heureux. Tel un gosse je sautillais dans les bras de mon binôme qui devait me tenir contre lui pour que j'évite de me casser la gueule du podium. On avait eu notre lot de chutes aujourd'hui et ça aurait été con que je termine à l'infirmerie maintenant alors que j'étais sorti indemne de toutes leurs épreuves bizarres.
Je crois que ce sourire ne va jamais se départir de mon visage. Je regarde avec des yeux amoureux le montant indiqué sur le chèque et je n'en reviens pas. C'était un sacré coup de pouce pour moi qui débarquais ici sans un rond ou presque. Mon regard se lève sur Yi Hao qui vient de glisser son chèque par-dessus le mien, je comprends pas tout de suite ce qu'il vient de faire et lorsque je le réalise, il est déjà trop tard. Je me mets sur la pointe des pieds pour tenter de le voir parmi la foule en train de quitter le terrain mais je ne le vois pas. Pourquoi est-ce qu'il avait fait ça ? C'était une sacrée somme qu'il venait de me donner et je ne la méritais pas, c'était à lui, on avait gagné ensemble et on méritait chacun notre part du butin.
J'avance vers ma valise et glisse nos deux chèque à l'intérieur, c'était plus prudent que de glisser ça dans la poche dégueulasse de mon jean plein de boue. J'étais vraiment dégueulasse et j'allais devoir traverser le campus comme ça jusqu'à mon dortoir. Mais je tirais pas la tronche, j'avais encore ce sourire sur mon visage, je tirais péniblement ma valise derrière moi, faisant appel à mon sens de l'orientation pour me rappeler du chemin qu'on avait pris tout à l'heure avec l'organisatrice de cette journée d'intégration. Je reconnaissais la petite fontaine à côté de laquelle j'avais été quand elle m'avait interpellé; au moins j'étais sur le bon chemin. Quelques tours de roues de valise plus tard, à l'angle d'un bâtiment, je voyais cette silhouette au loin que je connaissais maintenant par cœur pour avoir été collé à lui tout l'après-midi. J'étais vanné et j'avais aucune envie de courir mais mes jambes passèrent la vitesse supérieure pour arriver à le rejoindre.

« Yi Hao !!! » J'avais pas la voix qui portait spécialement alors il avait fallu que je fasse un effort pour arriver à me faire entendre. Il se retourna vers moi et je finissais les derniers mètres en marchant vers lui.

« Pourquoi t'es parti aussi vite ? Je… Tu m'as même pas laissé le temps de te dire merci… » Je marchais lentement à côté de lui. J'aurais bien ouvert ma valise pour rechercher le bout de papier rempli de quelques zéros derrière un chiffre qu'il m'avait laissé avant de partir sans un mot mais tout ce que j'allais réussir à faire c'était de mettre plein de boue sur toutes mes fringues.

« Pourquoi tu m'as donné ton chèque ? T'étais pas sérieux en me le donnant quand même ? C'est une sacrée somme…! On a gagné à deux, on mérite chacun d'avoir notre part du gâteau. »

Je ne disais rien mais j'avais bien remarqué qu'on prenait le même chemin et si mes souvenirs ne me faisaient pas défaut, il ne restait plus qu'un bâtiment au bout du chemin et c'était le dortoir.

Pourquoi Yi Hao se dirigeait là-bas lui aussi….?