Liên avait pu profiter de son jour de repos pour rester tranquillement chez elle, profiter de son équipement très moderne qui lui permettait de jouer avec de la très bonne qualité que ce soit de l’image et du son. Elle avait aussi pu en profiter pour aller voir une de ses maîtresses, ou simplement une belle femme qu’elle aurait rencontrée au détour d’un couloir, quelque part. Elle ne se disait pas romantique, pourtant elle aimait créer une situation qui l’était tellement que celle-ci pouvait certainement sonner faux. C’était forcément à prendre au second degré et parce que la vietnamienne savait qu’elle ne reverrait jamais cette femme.

Alors, de son jour de repos, et vêtue simplement d’un jogging noir, un peu trop large et d’un pull à capuche de la même teinte, elle profitait d’une salle d’arcade. Pour une fois, elle n’était pas maquillée et se montrait autrement que vêtue de son luxe. Elle était concentrée dans son jeu, battant tous les records lorsqu’elle leva les yeux, perturbée par une présence. Pour une fois, il ne s’agissait pas d’une âme perdue parmi le monde des vivants, au contraire. C’était une présence humaine et bien vivante, qui venait de pénétrer la salle d’arcade. La sensation était différente et loin du malaise et de l’odeur de jasmin de lorsqu’elle rencontrait un esprit. Il s’agissait d’un garçon, beaucoup plus jeune que la vietnamienne. Elle avait cette impression, au fond d’elle de le connaître. Pourtant, c’était un parfait inconnu. Son regard ne le quittait plus et, même lorsque leurs yeux se rencontrèrent, parfois. Finalement, elle le perdit puis revint sur son jeu pour remarquer qu’elle avait perdu à force de n’y avoir prêté aucune attention. Elle changea de borne, puis alors qu’elle allait placer l’argent dans la fente prévue à cet effet, elle eut un déjà-vu. Les gestes étaient les mêmes, les paroles aussi, mais l’environnement était légèrement différent, plus ancien.

« Eh petit. » Répondit-elle dans un accent à couper au couteau. « Ok, mais je n’aime pas perdre, attention. » Ce n’était qu’une seule sensation de déjà-vu, ça ne voulait pas dire grand-chose pour l’instant. Alors d’un large sourire Liên finit de placer l’argent dans la machine et commença à jouer.

Réussite : Au fil du temps, des scores affichés, Liên se voyait gagner jusqu’à un cri de victoire lorsque la première manche se termina. « Alors, pas trop triste de perdre contre une vieille personne ? » Finit-elle sur un ton léger.

Échec : La langue tirée, trop concentrée pour le remarquer, Liên voyait du coin de l’œil les scores qui prouvaient qu’elle n’était pas à son avantage. La première manche se finit trop rapidement à son goût et elle avait perdue. Elle donna une petite tape sur l’arrière de la tête du garçon (pas assez fort pour lui faire mal). « J’ai dit que j’aimais pas perdre ! »

Elle l’avait prévenu. Elle n’aimait pas perdre et Liên avait l’habitude de jouer à des jeux vidéo. Son salaire et toutes les femmes avec qui elle avait été lui permettait de rester à jour dans les sorties gaming. Ses réflexes étaient au point et la victoire s’en suivit. Elle ne put empêcher un cri de victoire sortir de sa gorge, faisant tourner quelques regards des personnes aux alentours. Ce n’était pas un soucis pour la vietnamienne qui avait l’habitude de, parfois, passer pour une fille illuminée. Elle s’amusait, elle qui approchait de beaucoup trop près de la trentaine, avait parfois l’envie de se sentir plus jeune, de retrouver les moments où elle allait se déhancher presque tous les soir en boite de nuit sur les sons d’une playlist qui tournait en boucle car les DJ n’étaient là que pour faire joli.

Elle haussa un sourcil, étonnée par l’audace du garçon qui lui demandait de lui payer une boisson. Il faisait encore plus jeune que Liên ne le pensait avec une telle moue mais les paroles qui suivirent calmèrent la jeune femme. « Quel culot, j’ai gagné si quelqu’un doit offrir à boire, c’est toi ! » Elle lui donna une petite tape sur le haut du crâne pour appuyer ses propos, mais assez légère pour ne pas faire de mal. « Mais comme t’as l’air jeune – t’es étudiant ? » Elle préférait demander au cas où elle avait affaire à un mineur. « Allez, comme je suis trop gentille je paie la boisson car je travaille, mais je ne vais pas le laisser faire encore.»  Elle lui prit le poignet et l’entraîna derrière elle jusqu’à la machine distributeur qui proposait plusieurs boissons fraîches. « Fais-toi plaisir, noona te le paie.»  elle avait pris une voix plus aiguë, comme si elle parlait avec un enfant. Elle le taquinait mais en même temps aimait jouer aux grandes sœurs, surtout avec les garçons. Car pour les femmes c’était différent, elle était trop rapidement distraite par la beauté de leurs courbes.

Elle avait l’impression d’être avec un petit frère, mais c’était une impression qui arrivait souvent chez la vietnamienne. A chaque fois qu’elle était en présence d’un homme, soit ça se passait très mal, car Liên faisait partie de cette catégorie de femmes qui donnaient trop son opinion selon certains mâles, où ça se passait parfaitement bien. Surtout lorsque l’homme en question était plus jeune qu’elle. La jeune femme n’était pas de ces clichés d’homosexuelles qui méprisaient l’autre genre, au contraire, elle profitait de sa sexualité pour être totalement à l’aise en leur présence. Elle ne pensait pas donner des signes qui pourraient leur faire penser qu’ils avaient une chance avec elle, cependant. Au moins, gagner cette manche l’avait mise de très bonne humeur et elle ne se priva pas certains gestes. Elle rit face à la réponse du garçon, la main devant la bouche comme s’il pensait garder un minimum d’élégance. « C’est bien, c’est important de rester en bonne santé ! » Elle avait presque envie d’appuyer légèrement sur le bout de son nez, joueuse, mais s’arrêta dans son geste. Après tout, elle venait à peine de rencontrer ce garçon. Pourtant, les taquineries fusaient et Liên haussa un sourcil, surprise par la question. « Dis, petit, tu ne me ferais pas des avances par hasard ? Désolée, noona n’est pas intéressée. » Amusée, elle l’emmena au distributeur et lui demanda ce qu’il voulait boire. Elle ne tarda pas avant de choisir un Sprite pour le garçon et se prit du Pocari Sweat pour elle (bien qu’elle aurait préféré une bière). Seulement, elle se stoppa alors qu’elle eut, de nouveau, cette impression déjà-vu lorsqu’elle déposa la canette dans sa main. Elle revoyait cette même scène, seulement l’objet passé n’était pas une canette mais un parchemin enroulé. « Oui, viens on va s’asseoir. » Une fois, ce n’était qu’une coïncidence, mais maintenant la vietnamienne commençait à croire que ses déjà-vus n’étaient pas là par hasard. « C’est quoi ton nom ? » Il était sûrement temps de faire les présentations, surtout si d’autres parties aux arcades étaient prévues. « T’es étudiant du coup, hm. Tu étudies quoi ? » Elle posa la main sur son épaule, l’invitant à s’asseoir sur le rebord en pierre devant la salle d’arcade, à l’extérieur. Elle l’imita, croisant ses jambes. « Moi c’est Liên, et t’inquiète pas, je ne me laisserai pas faire pour la prochaine partie. » Elle ouvrit sa bouteille et prit une gorgée, avant de reporter toute son attention sur le garçon.

Elle ne regrettait pas cette rencontre, bien qu’il était encore trop tôt pour se faire un avis définitif. Mais ce jeune homme l’amusait beaucoup avec cet air faussement déçu lorsqu’elle lui annonça qu’elle n’était pas intéressée. Elle répondit rapidement qu’elle pourrait toujours lui acheter du scotch pour lui réparer le cœur dans un rire légèrement enfantin, qui se rapprochait du gloussement. L’ambiance était joyeuse et ils s’échangeaient des ondes positives alors de prendre à boire et se poser. Liên apprit que le garçon était japonais (grâce à son nom) et ses études. Elle avait vu juste même si elle ne pouvait encore dire quel âge il avait, mais au moins il était bien plus jeune qu’elle. « Renji, c’est joli. » Elle prit une gorgée de sa boisson. « Mais comment ça se fait que tu te retrouves en Corée du Sud, et non au Japon ? » Elle pouvait parler, elle-même était étrangère et, même si elle ne cherchait pas forcément à taire la raison, elle savait qu’annoncer qu’elle s’était retrouvée dans le pays car elle avait suivi une femme plus âgé pourrait être mal perçu. Ce n’était pas le genre d’informations que l’on donnait à une première rencontre. « Je tiens une galerie d’art sur Gangnam. » Elle remit une mèche de cheveux en arrière, plus pour la frime et la blague. « Faudra que tu y passes un jour, il y a des jolies filles. » Elle pensa aussitôt à cette Wang Dana, une de ses visiteuses régulières et très jolie. Tellement que Liên s’était parfois oubliée en plein travail pour fantasmer sur la jeune femme. Au moins, son patron était trop rarement présent pour qu’elle puisse se faire prendre en train de ne rien faire. Un rire s’échappa de sa gorgée alors qu’elle posa sa main dans les cheveux du garçon, comme une mère qui jouait avec son garçon. « Oh, tu aimerais bien ? Je te plais c’est ça ? » Cette sensation étrange revenue, le sourire de Liên faiblit légèrement mais se maintint tout de même. « Juste que j’avais l’impression de t’avoir déjà vu, de te connaître. Mais je sais que c’est pas le cas, étrange non ? » Elle n’allait pas commencer à lui sortir ses théories sur les effets de déjà-vu et ses réincarnations. Elle risquerait de lui faire peur. « Tu dois ressembler à quelqu’un que je connaissais très bien. » Quelqu’un de son passé, d’une autre vie.