Les joues rondes, les yeux brillants. Une innocence, la naïveté même. Doux, calme, patient, il était un élève, un frère, un enfant modèle. Une aura d’une pureté étincelante. Comment ne pas aimer cette bouille angélique et souriante? Reira savait le faire. Un petit cœur meurtri, des apparences trompeuses. C’était un enfant étrangement serein et silencieux, un enfant aux mille secrets. Déjà, à cette époque, il savait se fondre dans la masse, s’intégrer, mentir, ne plus se connaître. Au fond, il ne savait pas qui il était réellement et s’en souciait peu jusqu’à ce que les yeux de sa sœur se posent sur sa personne. Et, à ce moment, il doutait, il admirait. Il aurait voulu lui dire, il aurait voulu qu’elle s’intéresse, qu’elle comprenne. Qu’elle comprenne que cette image donnée n’était que l’œuvre de leurs parents.

Les choses n’allaient pas en s’arrangeant, ou peut-être que si? La famille Armani, les bras ouverts, les a accueillis chaleureusement. Un jour, pour une fois, il s’est senti lui-même. Il n’avait pas à faire semblant mais il ne savait faire autrement, il ne savait lui-même pas qui il était, à l’intérieur, tout au fond. Mais il avait ce sentiment de sécurité, de se sentir aimé, protégé, couvé de la façon la plus étrange qu’il soit mais il appréciait, on lui portait intérêt. Il se découvrait doux, bon et farceur, docile et loyal. C’était peut-être ce qu’il était vraiment.
Devenu efficace et débrouillard, il n’était pas moins imprudent. Toujours à s’attirer les pires galères, il était réputé comme aimant à embrouilles. Il savait pourtant se tirer de ses affaires, ne voulant rester dans l’ombre de ses grands frères et sœurs.

Au fur et à mesure que les années passèrent, il développa sa nature changeante. Pratique pour ses nouvelles activités auprès de ses frères et sœurs, il savait se montrer réfléchi ou impulsif, froid ou attentionné, égocentrique ou dévoué, arrogant ou aimable. Rien n’était stable. Détestable comme attachant, sociable comme solitaire, personne n’avait jamais réellement su comment cerner le personnage qu’il était. Contradictoire mais surtout malin. Il savait jouer sur ses différences. Il mentait, il était secret et peut-être trop silencieux. Il était loyal, il était souriant.

Qui était-il vraiment?

Les mots venaient mal, les mots n’avaient jamais réellement su sortir tels qu’ils étaient. Enfermé, étriqué, dans un esprit condamné à ne jamais s’exprimer.

La blancheur grisâtre du plafond hypnotique, allongé sur les draps fatigués. Fatigué. Exténué de jouer à être lui. Les yeux rivés, bloqués, penseurs, rêveurs. Scotché. Un corps de marbre, fatigué lui aussi. Les traits d’un enfant parfait n’arrivaient à s’effacer. Un enfant façonné afin de plaire, de trouver sa place, d’être aimé et cajolé. Les battements de son cœur frappant ses tempes. Il saturait.

Des voix lointaines se faisaient entendre et il ferma les yeux fortement. Il avait mal, des énièmes coups, comme si on brisait ses propres côtes, comme si, pendant un instant, il se mettait à la place de Reira. Plus d’une fois, il avait vu ce visage, ce regard remplis de rage, rouges de colère. Les poings fermés, la mâchoire serrée. Plus d’une fois il avait été témoin d’une haine sans limites arrivée à un point de non-retour, s’abattant sur le visage pur de sa sœur, sur son corps frêle, détruit. Impuissant face à cette violence, il s’en sentait presque coupable. Coupable de ne pas pouvoir la sortir de ce martyr. Cette même sœur qu’il n’avait jamais connue. Une distance depuis le début, et il ne comprenait pas. Et elle ne le comprenait pas.
Cloisonné dans un monde monstrueusement sécurisé, il admirait Reira. Rebelle, franche, réaliste. Elle, elle n’avait pas besoin de faire semblant. Lui, il avait choisi la sureté. Etrange, déséquilibré, dévoré. Son esprit lui jouait des tours, le sentiment d’être incompris, d’être différent.

Sans vraiment comprendre, sans vraiment s’y attendre, la nouvelle était tombée.
Sans vraiment comprendre, sans vraiment s’y attendre, orphelin il devenait.

Il n’avait pas su comment réagir, il n’avait pas su ce qu’il fallait faire. Maman n’avait pas pleuré, Reira non plus. Et bientôt, une nouvelle famille les accueillit. Et le premier regard fut le bon. Ce sentiment de renaître, ce sentiment de délivrance, d’être libéré. C’était triste, malheureux, de ne pas se préoccuper de la disparition brutale de son géniteur mais il ne ressentait rien. Il graciait presque le ciel d’avoir libéré sa sœur de tout ce mal, il graciait presque le ciel d’offrir une once de bonheur aux personnes qu’il aimait le plus au monde. Et les Armani. Il était aimé de la façon la plus inhabituelle et il se sentait bien. Il forgea son caractère petit à petit et il savait à présent là où était sa place. Il réussissait à s’affirmer et à trouver l’attention, la plus étrange soit-elle, dont il avait besoin pour se rendre compte de ce qui l’entourait.

Bien vite adopté par la famille italienne, il fut rapidement emmené dans les trafics de meth, mettant sa bonne conscience à mal et ses talents de manipulateur en œuvre afin de prouver qui il était, afin de prouver qu’il méritait d’être ici.