Kyungboo est un implacable et insipide menteur. C'est triste à dire. Le problème réside dans son fond trop honnête et sa crédibilité frôlant le zéro absolu, il est absolument impossible de croire à ses mensonges à moins d'être d'une niaiserie miraculeuse. C'est à dire à peu près équivalente à la sienne. Car en plus d'être quelqu'un qui se justifiera en paniquant de cette manière suivante non, désolé, j'ai pas le temps de répondre à tes questions il faut absolument que je rentre chez moi fixer le mur pendant trois heures et rien faire il est capable de gober tout ce qu'on va lui servir. Un éléphant jaune qui vole ? Il lève les yeux. Un tremblement de terre qui a déchiré l'Australie en deux ? Il va vérifier tous les sites d'informations pour voir la nouvelle. Une réelle pluie de chats et de chiens ? Il va ouvrir la bouche grand. Sa stupidité n'a d'égale que son hystérie. Le jeune garçon n'est pas né avec les gênes de l'intelligence dû à ses parents – et même s'ils se bat contre eux en faisant de prestigieuses études, son naturel revient au galop un peu trop souvent pour qu'on le prenne au sérieux. Son jemenfoutisme habituel atténuant la douleur de ne pas être crédible aux yeux de trop peu de monde, il hausse les épaules quand on l'insulte et tourne le dos afin que son assaillant puisse avoir une jolie vue sur son derrière. Il se fiche des rumeurs et des 'on dit que' désormais – même si cela n'a pas toujours été le cas – et dieu merci, il est loin d'être susceptible ou même violent. Il préfère rire et laisser tomber, estimant n'avoir rien à prouver à personne autre que lui. Au fond, il se sait stupide mais il se sait surtout altruiste et la main sur le cœur – c'est beaucoup plus que ce qu'un bon nombre de personnes ne seront jamais, et cela lui convient. Il a cette idée utopique que faire de bonnes actions, quitte à tendre la joue pour se prendre un bon coup, fera que le karma reviendra plus fort contre celui qui aurait osé se dresser sur sa route.

En dépit de cela, il reste plutôt sérieux dans ses études. Il ne souhaite nullement perdre des années ou perdre du temps – mais préfère toujours une bonne grosse beuverie à une soirée révision. Sensiblement irréfléchi et carrément inconscient, il est le premier à se mettre dans des situations improbables et dangereuses juste pour le fun. Kyungboo possède ce tout petit égoïste qui lui fait penser que tout ce qu'il fait, il le fait pour lui seul. De ce fait, s'il se met dans des situations embarrassantes, ce sera souvent dans le but de se faire rire lui-même sur sa connerie fantastique. Extraverti et constamment souriant, il possède néanmoins son petit caractère si on le pousse dans ses retranchements. À partir de l'instant où il cesse de faire le pitre et où son sourire s'efface, c'est que la personne est allée trop loin et qu'il va se transformer en godzilla destructeur sur son passage. Bien heureusement, cela ne dure jamais longtemps. Il dit ce qu'il a à exposer sur un ton monocorde et linéaire, puis tourne le dos – et cela n'est arrivé que deux fois dans sa vie. Le jeune homme n'aime pas être trop sérieux, de toutes façons, il se trouve bien trop jeune pour cela !

Kyungboo croisa les bras sur sa poitrine et arqua un sourcil sur son arcade. Ses amis à ses côtés avaient des yeux exorbités et la bouche grande ouverte. Le jeune garçon n'avait jamais osé dire à ses parents que se courir après dans leur immense villa avec pour seul apparat leurs sous-vêtements, n'était pas exactement la meilleure chose à faire entre dix-sept et dix-huit heures. En bref, l'heure où il finissait les cours. Premièrement parce que c'était extrêmement gênant pour lui de voir deux adultes agir aussi impunément – mais surtout parce qu'il ramenait parfois ses amis afin qu'ils s'entraident dans leurs devoirs. Les susnommés décampèrent aussi vite et ce fut à ce moment-là que l'heureux couple remarqua l'arrivée de leur fils unique. C'était déjà pas simple d'avoir un tel prénom, mais se trimbaler ces deux hystériques était pire. Le petit garçon soupira alors que sa mère courait se jeter sur lui pour le couvrir de baisers. Il grogna et lui tira la langue avant de fuir au premier étage, dans sa chambre.

Assis sur le rebord de la baignoire, il inspirait et expirait profondément, se répétant en boucle qu'il avait huit ans et qu'il était désormais un grand garçon. Toutefois, dès lors que le coton imbibé de désinfectant toucha sa plaie, il grinça des dents et retint un cri d'effroi parce que ah, ça pique sa mère. Il passait son temps à se battre, à l'école. On se moquait de lui et de sa famille – mais surtout de lui. On disait que sa mère était muette comme si il s'agissait du pire des défauts au monde – et que son père était un bon à rien. La plupart du temps, on disait de Kyungboo qu'il était monstrueux. Qu'il était stupide en plus d'être moche, et qu'il ferait mieux de retourner dans le pays d'origine de sa mère parce que l'Australie ne voulait pas de lui. Ainsi, le dît coréano-australien revenait toujours de l'école avec des bleues et des plaies, de la crasse et les yeux larmoyants. Il était avant-gardiste, peut-être un peu trop mature pour son âge. Et il ne comprenait pas pourquoi on s'amusait tant à le dénigrer. Son père parlait de jalousie, sa mère ne pouvait pas dire grand-chose, mais lui pensait surtout qu'il y avait peut-être réellement quelque chose qui clochait chez lui.

Ses histoires s'amoindrirent dès qu'il fut séparé des personnes qu'il avait fréquenté pour être mis dans cette école de fils de riches à ses dix ans. On ne l'embêtait plus pour les mêmes raisons. Mais la rivalité était encore plus grande. Et Kyungboo, dans sa bonté et sa fragilité, supportait difficilement la pression et les ennuis. Il ne se battait plus. Plus depuis que sa mère avait décidé d'achever le peu d'estime qu'il avait de lui en le déguisant en une petite fille. Elle en voulait une – et il arborait des traits assez androgynes pour que cela fonctionne. Presque tous les soirs, il courait dans leur grande maison pour tenter d'échapper à sa mère – puis arrêta éventuellement de se battre pour rien. Ainsi son cauchemar interminable se prolongea quand ses nouveaux amis entrèrent dans sa demeure afin de vérifier qu'il allait bien et qu'ils le virent vêtu d'une robe de princesse. La terreur revint à sa nouvelle école. Néanmoins, cette fois, il ne se battait pas. On le regardait de travers et il entendait des gloussements dès qu'il passait à côté de jeunes filles. Il pensait être un aimant à poisse, des petits détails étranges se passaient toujours lorsqu'il était dans les parages. Petit à petit, il se sentait seul et rejeté. L'avantage que cela avait, c'est qu'il commençait à se moquer de ce que l'on pouvait dire sur lui et qu'il agissait enfin comme le vrai gamin qu'il était. Insouciant et inconscient, sa bonne humeur et sa jovialité entachaient les regards noirs auxquels il avait droit – et plus le temps passait, plus il s'enfermait dans sa bulle de bonheur qu'il s'était créé, s'évadait dans des contrées imaginaires où plus personne ne riait de lui.

Sa vie bascula quand la société de son père coula à pic et qu'ils furent forcés de quitter l'Australie pour venir se réfugier en Corée du Sud. Passant d'un statut de riche à pauvre, passant d'heureux à malheureux, avant de se redresser et d'apprendre que fondamentalement l'argent n'était pas si vital que cela et que ce qui comptait, c'était que le soutien familial demeure entre eux. Kyungboo s'adapta plus ou moins, laissant l'hystérie et la stupidité de ses parents prendre le pas sur lui et détruisant les quelques restes de son intelligence qui refait parfois surface dans ses études. Car Kyungboo se l'est promis, il serait médecin. D'autres n'ont pas pu sauver sa mère du mutisme, mais lui, il sauvera tout le monde – de n'importe quoi. Utopique.