Assise derrière ce comptoir j’ai fermé le Kurss assez tard ce soir. Assez tôt selon les points de vu. Ce n’est pas si grave, de toute façon je n’arriverais pas à dormir. Tout le monde est partie, le Kurss est vide et je dois avouer que je n’en ai pas encore l’habitude. On empiétait jamais sur les plates bande des autres, on vivait tous dans nos coins, un brin sauvage, un brin isolé. Il y avait toujours de la vie dans le Kurss. Toujours. Des bruits de pas. Des engueulades. Le rire de Mia, ses pleures aussi. Je me demande parfois si ce n’est pas moi l’idiote qui m’accroche à cette bâtisse pour rien. Une part du passé qui n’est plus. Je devrais avancer moi aussi. Tourner la page, mais la vérité c’est que j’en suis incapable. Le modelling, jouer les mannequins ce n’est pas pour moi. Être au centre de l’attention non plus. J’aime vivre avec Shin, mais cet appartement … ce n’est pas le mien, ce n’est pas chez moi, quand bien même je m’efforce de m’y sentir à l’aise … Ce que je n’oserais jamais dire c’est que le Kurss c’est chez moi. C’est ma maison. Ma maison qui se vide, ma maison qui déserte. Il ne reste plus, ni personne, si ce n’est moi. L’idiote qui est incapable de tourner le dos à ce foyer. Et ce n’est pas grave si j’y vis seul. Et ce n’est pas grave si la poussière s’accumule à l’étage.

Je n’arrive pas à quitter définitivement le Kurss. Je me retourne pour l’observer. Je me cache derrière l’excuse que les clients ont besoin de moi, qu’on ne peut pas laisser ce bar à l’abandon. Je suis la co propriétaire après tout … C’est important ça … Parce que ce bar, c’est ma maison, ma seconde chance, la main tendue quand je croyais tout foutu … C’est Lui. C’est Kan. Ce prénom que je n’ai plus jamais prononcé en deux mois. Partir. Il devait partir. M’embrasser. Crever. Partir. Voilà. Notre relation se résumait à ça. Je ferme les yeux et soupire. Il me manque. Ce soir plus que d’habitude. Le bar a bien fonctionné. Les gens semblent toujours apprécier l’endroit. Ça me fait sourire, c’est au moins ça. Je rassemble l’argent et les papiers que je fini de remplir. Les commandes sont prêtes pour demain matin. Je n’ai plus qu’à me motiver pour aller dormir. Ce soir je reste ici. J’ai besoin de me ressourcer. Assise au comptoir je lance le pc portable que Shin m’a offert. J’ai encore du mal à m’en servir, mais je progresse. Je cherche un film à télécharger avant d’aller dormir. Avec un peu de chance je pourrais m’endormir devant.

Je lance une vidéo de bande annonce, une comédie, avec des explosions à tout va … des aboiements aussi. Qui me font sursauter tant ils paraissent réels. La vidéo se termine mais les jappements, eux, continuent. Je sursaute, je panique aussi. Parce que je n’ai pas l’habitude. Est-ce que j’ai fermé la porte derrière ? J’étais persuadée que oui … Le cœur battant je me retourne pour voir deux chiens arriver. Je les aurais reconnus entre mille mais la panique sème le trouble dans mon esprit. Ils foncent sur moi et pendant une seconde j’ai peur qu’ils ne m’agressent. Mais c’est avec allégresse qu’ils me sautent dessus. Ils sont heureux ? Heureux de me voir ? Mais qu’est-ce que … Je relève le regard, à travers mes cheveux blonds, derrière ses quelques mèches qui me tombent sur le visage, j’aperçois une silhouette. Sa silhouette. Mais la surprise sème le trouble dans mon esprit. Je me relève lentement, si lentement que j’ai peur qu’au moindre geste brusque tout ça disparaisse. Sa voix cassée résonne et j’ai du mal à réaliser. Il est là ? Je ne rêve pas ? Je vacille, me retient au tabouret en soufflant brusquement, les yeux écarquillé et le cœur fou.

Il est là … je fais un pas, puis deux, je trébuche légèrement mais rien ne m’arrête. Je cours jusqu’à lui et lui saute au cou à l’en faire reculer. « Kan ! » bredouillais-je en sentant un sentiment inexplicable m’exploser le cœur. Je me jette contre lui et le serre … si fort que je pourrais l’étouffer. Lui dire qu’il m’a manqué serait un euphémisme. Mais je n’ai pas besoin de mot. Les mots ça embrouillent les maux. Le silence est plus facile, il nous comprend lui au moins. Comme une droguée en manque je renifle son odeur, niché dans le creux de son cou, j’inspire de longue bouffé d’air en tremblant contre lui.

T’étais où ? C’était la première question qu’elle voulait lui demander. T’as pensé à moi ? En second. Et la dernière, la plus importante, comment tu vas ? Mais elle se contentait de sourire, de ce regard toujours aussi doux. De ce regard qui a toujours fait d’elle la femme qu’elle était. Elle met un temps avant de comprendre qu’il est là, qu’il est vraiment là. Elle a son cœur qui lâche et dans son ventre ce sont des montagnes russes viles et perverses. Elle s’accroche à lui de peur de tomber, mais au vu de sa gueule cassée il n’a pas l’air en forme pour la tenir. Pourtant il a du rouge sur ses joues qui ne sont plus creusé. Il a le regard brillant et pas seulement parce qu’il est défoncé. Il a cette aura qui respire la vie. Cette aura qui l’avait si longtemps quitté. Et Bae mentirait si elle ne disait pas que ça lui foutait le cœur en l’air de le voir heureux parce qu’il s’est éloigné d’elle. Oui, elle mentirait si elle disait que ça lui plaisait de le voir aussi bien aujourd’hui. Mais elle ne peut pas lui en vouloir et parce qu’elle tient à lui, et parce qu’elle se considère comme une amie, elle accepte, elle comprend, elle se force à apprécier. Qui voudrait voir la mort s’épuiser dans le regard de ceux qu’on aime. Alors elle accepte. Elle accepte de ne pas être celle qui l’a aidé. D’être son poison et sa fureur. Elle accepte d’être son démon. Elle rougi au compliment et passe une main dans ses cheveux sans savoir quoi lui répondre. Merci aurait été trop banal, et d’autres mots si superflus… elle trébuche contre lui quand il la ramène brusquement et elle s’accroche en posant ses mains sur ses hanches. Elle se blottit contre lui un moment. Sans trop réaliser le temps qui passe. Elle finit par se détacher de lui avec un petit sourire qu’on n’aurait pas su décrire. Un mélange de gêne, de bonheur, de complicité, de rancœur. Elle se détourna en faisant volant ses cheveux blonds qui avaient pourtant toujours le même parfum. « Allez viens là … je vais te faire un café. J’ai investi dans une vraie et grosse machine. Ça fait des cafés délicieux … » parlé de tout et n’importe quoi, sauf de ce qu’il faut. Pour commencer. Parce qu’il ne faudrait pas les tuer trop vite. 

Elle laisse le chien vagabonder dans la pièce et retrouver ses marques avec un fin sourire. Elle a une boule au ventre en sentant son regard sur lui. Elle est partagée. Entre l’envie de lui sauter au cou et l’envie de le gifler. Mais elle sait pourquoi il est partie. Elle est la fautive. Elle ne sait pas pourquoi il est revenu par contre, et ça la gêne. Elle ne sait pas comment elle peut aborder le sujet avec lui. Parce qu’elle sait qu’elle n’a pas le droit de savoir ce qu’il a dans sa tête. Il faut qu’elle garde désormais sa place, ses distances, parce qu’à trop jouer avec le feu on se brûle. Et qu’à trop se brûler on se fait quitter. Elle se contente d’acquiescer quand il lui dit qu’elle lui a manqué. Vraiment ? Elle mordille sa lèvre et se retient de lui dire que lui aussi putain, il lui a manqué … Il a bien vu son trouble pendant une longue seconde alors qu’elle le fixait. Il voit le rouge de ses joues. Il voit son regard fuyant. Il voit aussi la commissure de ses lèvres se relever très légèrement. Si fugace qu’il peut croire à une illusion. Elle se met à leur faire du café et s’agite pour ne pas avoir à le regarder mais dans sa tête c’est une explosion de questions et de doutes. Elle en tremble et pourtant garde un calme presque affligeant. Elle devrait agir, la tempête Bo Bae qui ne sait pas contenir ses émotions pourtant … la seule chose qui lui retienne de lui hurler dessus c’est la peur de la voir partir à nouveau. Mais il a l’air tellement tellement bien, tellement mieux. Sans elle, il va mieux, et cette simple constatation lui fait de la peine. Mais qui pourrait le blâmer ? Il a tous les droits et toutes les raisons du monde de la fuir. Elle finit de préparer leur tasse et fait tout glisser jusqu’à lui comme si elle refusait de s’approcher. Elle lui en veut tellement mais jamais autant qu’elle s’en voudra elle-même. Elle retourne s’asseoir à sa table et reprends la gérance de l’administratif du Kurss. Elle l’a modernisé, apporté une touche de nouveauté et de renouveau. Elle ne sait pas comment le prendre Kan mais elle pourra toujours lui rappeler que maintenant ils ont 50-50. Mais c’était tellement débile de se contenter de ça. Elle attrape nerveusement son stylo et se met à signer là où elle doit signer, là où Kan signait avant … mais c’était une autre vie. Les baisers dans la cave, ça aussi c’était dans une autre vie. Elle mordille son crayon et l’ignore dans le seul but de savoir ce qu’il compte faire …

Ca l’agace de savoir qu’il est là, à la fixer avec son sourire cassé et sa fumée de cigarette qui l’entoure comme un voile qui le protège. Elle tente d’agir comme si de rien n’était, comme si elle pouvait l’ignorer mais il ne lui en laisse pas l’occasion. Les minutes défilent et elle prend son rôle de jeune femme travailleuse au sérieux, surtout pour ce donner une contenance et ne pas le regarder. Elle glisse ses mèches blondes derrière son oreille d’un geste nerveux et doit se forcer pour ne pas lever les yeux vers lui quand il s’assoit en face d’elle. Elle peut sentir que son regard la cherche mais elle ne lèvera pas les yeux. Elle ressent des fourmis dans tout son visage et elle mordille sa lèvre. Il l’énerve. Tellement. Elle finit par lâcher un rire. Comme ces jeux d’enfants où l’on doit garder son sérieux pour ne pas rire. Elle a essayé mais il est trop fort pour elle, son regard trop perçant. Elle relève son visage vers lui en riant doucement. Elle croise les bras en se voulant boudeuse est contrariée. A-t-elle seulement conscience d’être aussi craquante que possible ? Ses cheveux blonds légèrement en bataille, son t-shirt qui lui tombe négligemment sur l’épaule et son short trop grand pour elle. Elle arque un sourcil amusé et croise ses jambes en posant ses chevilles sur une cuisse de Kan sous la table. Elle soupire et fini par lui jeter un bouchon de stylo au visage sans trop de force. « Tu fais chier putain. » Elle laisse un râle s’échapper alors qu’elle penche la tête en arrière. Elle se redresse et vient lui piquer sa clope. « Donne-moi ça. » qu’elle grogne en lui lançant un regard faussement blasé. Elle recrache la fumée avec un bien être non feint. Ce connard lui a manqué mais elle ne lui dira pas. Elle laisse juste la fumée se dissipé pour pouvoir croiser le regard de ce western boy. Elle passe une main dans ses cheveux pour retirer l’élastique et laisse sa chevelure blonde tomber sur ses épaules lui donnant un petit côté sauvage. Ses yeux se plissent comme pour jauger le jeune homme en face d’elle et le silence leur sert d’arme. Il sert de trêve aussi. Pieds nues elle pose son pied sur la cuisse de Kan, prenant toujours autant ses aises ; pour simplement remonter sa jambe et s’assoir plus confortablement. Elle ne lui posera pas de questions pour savoir où il était mais préfère agir comme s’il n’avait quitté qu’une journée. « Tu me changeras l’ampoule de ma salle de bain, elle a encore pété. » Cette phrase du quotidien, de leur quotidien, arrive comme une hache de guerre qu’elle enterre. Ok Kan. Je te laisse une dernière chance. La dernière avant la prochaine.