FLOAT La Thaïlande elle l’aura jamais vue. Pas de Bangkok surpeuplé, pas de mousson, pas d’éléphants torturés.  Juste Séoul la grande ville allumée même en plein jour et le pont sur lequel on s’est dit que graver des messages mignons ça remontrait le moral des suicidaires. Pas vraiment d’père non plus, une photo coincée dans le porte-monnaie de maman qu’a dessiné des moustaches au feutre dessus. Il lui manque pas ; elle l’connait pas. On en parle pas à la maison. Pas d’frère, pas d’sœur mais les camarades de classe et les voisines de droite et d’en face. Les deux gamines avec qui elle joue tous les soirs, quand elle rentre de l’école, un kinder pingui sur la table basse et doremon qui passe à la télé. Dao c’qu’elle aime c’est leur montrer ses dessins. Puis monter les escaliers quatre à quatre en criant et les redescendre sur les fesses avant qu’la vieille du troisième se mette à grogner. Rire avec elles, leur sourire. Manger des pastilles à la violette en chantant ses tables de multiplication. La table de neuf c’est celle qu’elle déteste le plus. Dix-neuf heures plus l’temps de jouer ; la première fillette disparaît à droite, Dao qui secoue la main et qui sourit, au revoir et à demain, l’autre reste encore un peu. C’est Mo Yeon son prénom. Dao l’aime bien ; elle a un joli sourire. Le temps de manger Dao s’retrouve seule dans le salon ; maman bosse tard et peut pas l’emmener, la baby-sitter est malade, grippe ou rhume elle en sait rien. C’est con à dire mais c’est pour ça qu’elle a peur du noir et d’être seule, Dao. Mais c’est pas grave, demain elle ira jouer avec les autres au parc, elle pourra s’imaginer princesse guerrière qui chasse un dragon pour sauver son prince ou pirate cruel. Gamine elle aimait la vie, elle la trouvait chouette. Elle s’faisait des bleus sur les genoux à force de tomber de vélo, en voulait pas à sa mère de pas la rattraper ou d’oublier de la soigner. Le monde c’était beau, c’était coloré. On en voyait presque des morceaux d’étoiles dans ses yeux noirs. Dao elle était jamais triste, jamais bleu mélancolie ou violet nostalgie.

LEAVING TONIGHT L’aube des quinze ans qui se dessine à la craie rose sur le mur des mesures ; c’est écrit Dao quatorze ans trois-quarts. Le trio qu’est toujours pas défait ; l’une dont elle s’éprend en secret, qui fait fleurir son cœur d’enfant, l’autre qu’elle aimerait sauver sans savoir trop comment. Des fois elle a l’impression qu’sa vie lui file entre les doigts. Son amour de jeunesse, la première fille, qui disparaît, tout juste seize ans. Et Mo Yeon qu’est toujours là mais qu’a l’air de lui échapper, de s’effondrer aussi. Dao qui prend peur et qui serre ses bras maigres autour de son corps ; reste un peu avec moi. Première réelle soirée et Mo Yeon toujours dans un coin ; l’ajout de couleurs au tableau, détester être là puis finalement plus pouvoir s’en passer. Première cuite, toujours quand la jeunesse éclot, Dao qu’était sage se noircit au contact de son amie. L’impression d’être increvable, de pouvoir voler. Jusqu’au ciel, jusqu’aux étoiles. Éclats de voix répétitifs, éclats de rire qui suivent. Maman plus trop à la maison, encore moins qu’avant, et première cigarette sur le balcon avec Mo Yeon qu’elle surveille du coin de l’œil. Dao en nuisette qui découvrira comme le feu fait peur et qui se plaindra du coup d’froid à cause d’une soirée passée dehors à discuter de comme la vie peut être grise des fois. Mais toujours en s’disant que le rose est pas trop loin. Premier rapport dont elle voudra pas se souvenir, tout juste dix-huit ans et les sentiments mal dosés. Maman qui se soucie, qui s’inquiète et Dao qui rassure, Dao qui s’émancipe doucement, qui lâche les p’tites roues et qui pédale toute seule.

SWEATER WEATHER Vingt-deux ans et déjà plus l’envie de penser à demain. Dao étudiante brillante et étudiante cassante ; l’envie de pousser plus loin ses études de psychologie, l’envie de comprendre le monde et d’le défaire comme on défait un nœud, l’envie d’mettre des mots sur les maux, la rage d’aider et de tout saisir. Vie prenante et pressante mais sourires épanouis. Un peu la mort dans l’âme quand même depuis que maman s’perd dans la dépression qu’elle essaye de pas attraper. Dai joie enivrante,  rires bruyants et silence inquiétant, quelques fois. Larmes chaudes et souffle froid ; la vie ça va et ça va pas mais elle te répondra toujours qu’elle se sent bien. Parce que Dao tout c’qu’elle veut c’est vivre à fond et vivre vite et mine de rien ‘y a tout pour qu’son cœur batte encore. Les autres surtout. Toujours et encore eux.