C'était peut-être bien l'alignement des planètes qui faisait que Mee Joo était d'humeur si conciliante ce soir. Il était néanmoins vrai que ça ne lui ressemblait pas, et la surprise était visible dans le regard de Dambi. En même temps, la blonde s'en prenait toujours plein la figure de la part de la coréenne, pas étonnant que de la voir aussi compréhensive soit perturbant. Elle haussa néanmoins un sourcil en regardant les robes de Dambi. Un échange de robe ? Depuis quand elles étaient devenues potes ? Enfin, si ça pouvait soulager la culpabilité de la blonde ... " Euh ... va pour la robe t-shirt. " elle avait choisi au pif pour être sincère, mais Mee Joo n'était pas vraiment une spécialiste des robes, préférant shorts et jeans destroy. Mais c'était au moins une affaire de faite. " Et tracasse pour le bar, on verra bien. Au moins j'irai en cours demain comme ça. " ou peut-être pas vu l'heure qu'il était. Mais au moins, elle aurait bonne conscience, ce qui la changerait un peu de d'habitude. Quand le sujet revint sur la cleptomanie, Mee Joo haussa un sourcil à la réponse de Dambi " Je vois ... " ok, elle allait donc s'assurer d'indiquer ses initiales sur toutes ses affaires, histoire d'éviter les embêtements. Heureusement qu'elle n'était pas très bijoux, sinon ça aurait été le bordel le plus total. " Et t'as ça depuis longtemps ? J'veux dire ... t'as toujours été cleptomane ou ça t'est tombé dessus un beau jour ? "

J’avais toujours été comme ca. J’avais cette sensation de devoir être reconnaissante envers tous ceux qui émettaient un geste de bonté envers moi, même celles qui me persécutaient. Peut-être était-ce une façon pour moi de leur montrer que j’étais heureuse de leur gentillesse et que je voulais les encourager, nourrissant une envie pour une amitié se développant ? Pensée bien naïve pour la grande fille que j’étais. Je lui présentais mes robes préférées, étant certaines que celles-ci m’appartenaient. Je jetais un coup d’œil à la robe t-shirt et la lui tendit avec le sourire. « Tu pourrais commencer par celle-là pour noter tes initiales dessus. » Je rangeais les autres sur leurs cintres et refermais la penderie. Ma cleptomanie me faisait honte, mais j’avais appris à vivre avec grâce aux loups qui m’aidaient au quotidien chacun à leur manière. Certains plus compréhensifs que d’autres. Je tournais tête vers elle surprise par sa question. Depuis combien de temps ca durait ? Je réfléchis un instant, me replongeant dans mon passé douloureux qui n’était plus un problème pour moi aujourd’hui. Je le vivais bien et avais toujours retenus les points positifs que l’on m’offrait. « mmmmh, je pense pas que je sois né avec si c’est ce que tu penses. » riais-je avant de reprendre. « Je crois que ca a commencé au début de mon adolescent quand j’ai vu un ami crevé de faim à l’orphelinat parce qu’il se faisait prendre son repas par les plus grands. J’ai commencé à voler dans les étalages de nourriture, puis par la suite, c’est devenu si naturel que je ne m’en suis même plus rendue compte. » Je vins m’assoir sur le bord du lit. « même si être cleptomane est un défaut, si je devais le refaire, ca serait sans aucune hésitation. » Je n’avais aucun regret d’avoir aidé cet enfant à vivre.

Sans discuter, Mee Joo se saisit d'un marqueur permanent pour noter ses initiales sur l'étiquette de la robe que Dambi venait de lui donner. Probablement celle-ci pensait-elle que c'était une forme d'armistice, mais cela n'empêchait que l'on parlait de Mee Joo, et que ce n'était probablement rien d'autre qu'une trêve qui prendrait fin une fois que le soleil se lèverait à nouveau. Mais tant qu'elles s'entendaient, autant en profiter pour discuter un peu. Si bien que la coréenne écoutait la blonde parler de son enfance à l'orphelinat sans broncher. Tant de bons sentiments en une seule personne ... c'était d'une navrante naïveté comme le dirait M. Rhee, mais Mee Joo trouvait cela malgré tout attachant. « On dirait un scénario de film » souffla-t-elle en remettant ses cheveux en place avant de réfléchir à sa propre enfance « J'ai jamais été dans la misère. J'veux dire ... La seule fois où j'ai fait affaire à des bullies, c'était au pensionnat en Angleterre » Là où son père les avait envoyées, afin qu'elles grandissent à l'abri, loin du trafic d'armes « Les filles se moquaient souvent de moi et de ma soeur, nous traitaient de chinoise, nous tirait les cheveux, tout ça tu vois ... » expliqua-t-elle sans exprimer la moindre émotion, preuve qu'elle avait depuis longtemps laissé ses fâcheux événements derrière elle « Mais c'est pas dans le tempérament de ma famille de se laisser faire. Alors, avec Soo Mee, on leur a fait regretter. Il n'a fallu que quelques mois pour que ces filles aient peur de nous. En fait, quand j'y pense, je finis toujours par faire peur.  » finit-elle en riant doucement. Oui, elle faisait peur aux gens, et à raison sans doute. Et si elle en riait, peut-être qu'au fond, ça ne la laissait pas si indifférente que cela.

J’éclatais de rire en l’entendant commenter mon histoire comme était un scénario de film. « Peut-être devrais-je vendre mon histoire à un réalisateur. » cela dit, je pourrais aisément faire les montages vidéos moi-même, même en faire la promotion via les réseaux sociaux. Je l’écoutais à son tour raconter une partie de son enfance. Soirée demi-révélation. Une trêve qui amenait à mieux se connaitre. Je l’écoutais attentivement, restant silencieuse lors de son récit. Plus je l’écoutais et plus je me disais que nous n’étions pas si différentes que cela. Elle aussi, on s’était moquée d’elle quand elle était petite. Mais, à l’inverse de moi, on disait qu’elle était trop chinoise pour son pays, moi, trop occidentalisée. Comme si nos places avaient été échangées à la naissance. « On aurait dû échanger nos places étant petites, on ne se serait pas moquer de nous. » murmurais-je telle une promesse ponctuée d’un sourire. Je ris nettement moins quand elle dit qu’elle avait mis le temps qu’il fallait, mais elle avait réussi à se faire obéir des autres filles par la peur. Je me tus, préférant ne pas imaginer ce qu’elle avait pu leur faire subir avec sa sœur.

Mee Joo haussa les épaules : c'est vrai qu'au final, les deux avaient subi des moqueries pour des raisons inverses, mais la coréenne ne l'avait jamais vraiment mal vécu, sans doute parce qu'elle avait toujours eu des préoccupations plus importantes. Puis, elle savait, lorsqu'elle était en Angleterre, qu'elle devait rendre honneur à sa famille. Ce sentiment ne l'avait par ailleurs jamais quittée « Tu sais, c'était la première fois que je me défendais par moi-même » commença-t-elle avait de marquer une pause, tout en souriant « Enfin, Soo Mee y était pour beaucoup » il était vrai que des deux, Soo Mee avait toujours été la pire, quand bien même le monde entier pensait le contraire. Les airs innocents de sa soeur n'allait qu'à elle. « Mais dans ma famille, on n'a pas trop d'autre choix que de se faire respecter, peu importe le moyen » elle adressa un faible sourire à Dambi, ignorant la raison pour laquelle elle lui disait tout ça ; probablement parce qu'elle n'en avait jamais parlé à qui que ce soit « Alors l'Angleterre, c'était pas le pied, mais ça a été une bonne école de la vie » avant de bousculer légèrement l'occidentale « Tu devrais essayer de ne pas te laisser faire des fois, ce serait pas plus mal tu sais » 

Je l’écoutais silencieusement se justifier comme si elle essayait de me rassurer sur ce qu’elle avait pu faire à ces filles. C’était la première fois qu’elle se défendait par elle-même. Apres tout moi aussi je pouvais sortir les griffes quand de grands méchants loups s’attaquaient à mon amour de petite sœur encore plus influençable que moi. D’un certain point de vue, je peux comprendre ses actes. Je la fixais un peu trop intensément avant de poser une main sur son épaule, la serrant doucement. « T’as pas eu une vie facile n’est-ce pas ? Tant de pression… » Murmurais-je. Ca ne devait pas etre facile tous les jours de devoir se faire respecter par tous et ne pas juste vivre sa vie. Elle devait faire sa place au quotidien. Cela devait être fatiguant. Je haussais les épaules alors qu’elle me faisait remarquer que je ne devrais pas me laisser faire si souvent. « Je sais, on me le dit souvent… » je pensais à Iggy qui s’énervait parfois sur ce sujet, mais il était le seul contre qui je parvenais à me rebeller. « Je n’aime pas le conflit.. je préfère le fuir que d’y faire face. »

Mee Joo sursauta légèrement au contact avec la blonde, avant de la fixer quelques instants. Si elle n'avait pas eu une vie facile ? Et bien ... elle n'y avait jamais vraiment pensé, et ne s'en était jamais vraiment plaint. Bien sûr, c'était pas toujours évident mais d'un autre côté ... « Ma famille vaut tous les sacrifices du monde » oui, elle était capable de mourir pour eux, et quand on était la fille des Rhee, ce n'était pas vraiment le genre de déclaration que l'on faisait à la légère. Pourtant c'était la vérité, et cette vérité ne l'effrayait pas. Au contraire, elle avait envie d'en faire tellement plus pour ses parents qui avaient toujours tout fait pour qu'elle et sa soeur ait la vie qu'elles méritaient. Peut-être était-ce ce qui lui donnait autant de force, alors que Dambi n'avait probablement pas eu le même genre d'éducation « Tu sais, il arrivera un jour où tu ne pourras pas fuir, tu ferais mieux de t'y préparer » cela pourrait paraître être une menace si seulement Mee Joo n'avait pas poussé un si profond soupir. C'était plutôt un conseil, tout maladroit qu'il était « Et il n'y aura pas toujours quelqu'un pour te protéger non plus ... » Mee Joo était bien consciente qu'au sein des Neugdae, Dambi pouvait compter sur ses fervents chevaliers. Sans doute en avait-elle en dehors de la fraternité également, mais ce ne serait sans doute pas suffisant le jour où elle quitterait l'université.

Mee Joo avait l’air de tenir beaucoup à sa famille au point de se sacrifier pour elle. J’étais capable de beaucoup de choses pour ma nouvelle famille qu’était les No. Je leur devais beaucoup, mais de là à leur donner ma vie, je n’étais pas certaine. Je haussais les épaules alors que la chinoise insistait. « Jusqu’à présent, je ne m’en suis pas si mal sortie. » parce qu’il y avait toujours eu quelqu’un pour m’aider d’une façon ou d’une autre sans aucun doute. Mais pour l’heure, je n’avais pas réellement conscience du danger imminent. Je voyais bien sa mine exaspérer par mon insouciance, mais que pouvais-je y faire ? « Tu peux devenir mon garde de corps attitré si ca t’inquiète autant. » plaisantais-je alors qu’elle avait l’air de se trassaser de mon sort lors des mauvais jours. Je savais qu’elle n’avait pas tort, mais je n’avais aucune envie de m’obliger à prendre part à des conflits dont je ne comprenais ni les enjeux, ni les conséquences.

Peut-être que du haut de ses vingt-et-un ans, Mee Joo avait-elle une vision trop sombre, trop morose du monde. Cela ne l'empêchait pas d'en profiter bien sûr, mais elle avait tendance à voir le mal à tous les coins de rue, c'est vrai. Sans doute parce qu'elle-même était loin d'être une personne exemplaire, le genre de fille qu'il convenait de fréquenter. Pourtant, ironiquement, elle avait toujours été populaire, avait toujours attiré les gens qui la trouvaient cool, ou badass. Ridicule. Elle n'était que le produit d'un univers qui dépassait les individus. Si elle avait grandi dans une autre famille, elle aurait probablement été plus sympa, plus conciliante, mais ce n'était pas le cas, et au fond, elle le vivait parfaitement bien. Elle ne put néanmoins s'empêcher de ricaner lorsque Dambi lui proposa de devenir son garde du corp attitré « Merci mais non merci » commença-t-elle en secouant la tête « J'ai pas envie de voler la vedette aux garçons » justifia-t-elle ensuite, avant de poursuivre « Et pour être parfaitement sincère, j'ai d'autres chats à fouetter » après tout, son père impliquait de plus en plus ses filles dans son business, et de son côté, Mee Joo commençait à très sérieusement à s'intéresser à la famille de sa mère, et aux dangers qu'ils représentaient. Bref, elle n'avait pas vraiment le temps de s'occuper d'une blonde insouciante, sinon pour la secouer et lui faire réaliser que le monde n'était pas un écrin de douceur et de gentillesse « Puis, je suis plus douée pour créer des ennuis que pour protéger les gens » la railla-t-elle en ébouriffant la tignasse blonde de Dambi. Ouais, elle protégeait quand il le fallait, mais clairement ce n'était pas son truc.

Trop sincère, trop franche. Je parlais sans réfléchir, me fichant bien de parler trop et de dévoiler des parties de ma vie qu’il aurait mieux fallu taire. Rayon de soleil, amie de tous. Douce créature trop innocente pour ce monde. Il était vrai que souvent, je devais requérir de l’aide des autres, bien que j’essaye d’y parvenir par moi-même avant. Peut-être faisais-je pitié, ou avait-on réellement le désir de me venir en aide ? Peu importe. J’avancais quoi qu’il arrive. « Je préfère les femmes. » lâchais-je d’un coup sur un ton léger. « Il y a bien quelques hommes qui me protègent, mais étonnement, ce sont plutôt les femmes. Du coup je les préfère, puis elle me comprenne mieux. » Je rentrais ma tête boudeuse à l’intérieure de mes épaules alors qu’elle me disait avoir d’autre chat à fouetter et qu’elle m’ébouriffait les cheveux. Au fond, j’avais cette pointe de déception que d’être juste la blonde écervelée à qui il fallait ouvrir les yeux sur le monde pour elle. « On se ressemble au moins sur ce point. » raillais-je. Les ennuis, c’était si facile à les attirer. De vrais aimants. Quelle paire elles faisaient !