Mee Joo ne put s'empêcher d'esquisser un sourire à la remarque de Dambi. Elle préférait les femmes, disait-elle. La coréenne pouvait comprendre ... Pour autant, elle avait grandi dans un milieu extrêmement masculin, et encore aujourd'hui, elle faisait sans arrêt face au sexisme. Son père avait essuyé de nombreuses critiques en présentant ses filles comme héritières de son business. Beaucoup pensaient que les femmes n'avaient pas les épaules pour ce genre de rôle, qu'elles étaient trop faibles, trop fragiles. Mee Joo devait donc constamment prouver sa valeur, sans jamais relâcher sa vigilance. Aussi ne répondit-elle rien, savourant simplement que pour une fois, c'était mieux d'être une femme. « T'as l'air trop gentille, c'est pour ça que tu t'attires des ennuis ! » s'exclama alors Mee Joo « Et c'est facile de t'ennuyer, tu te laisses faire... » poursuivit-elle, une légère moue sur le visage. Oui, si Dambi s'endurcissait un peu, elle aurait moins d'ennuis, et ce serait plus simple pour elle, alors que Mee Joo avait légèrement la capacité de se défendre par ses propres moyens. Là était la plus grande différence entre elles, et ce malgré les points communs que cette soirée semblait mettre en avant.

Je ne pouvais pas la contredire au fond. J’avais pleinement conscience qu’elle avait probablement raison. Plus d’une fois, on me l’avait répété. Chaque fois que mes larmes coulaient. Chaque fois que je me sentais faible face au monde. Chaque fois que j’étais blessé et que les mots se taisaient. Chaque fois que je me retrouvais seule. Chaque fois que j’étais malmené par les autres. A chaque fois, c’était ma faute. Trop douce. Trop gentille. Peut-être un peu trop naïve aussi. Je m’obstinais à voir la positivité dans les moindres recoins du monde, même là où l’obscurité persistait. Nous avions peut etre des points communs l’une avec l’autre, mais elle se distinguait par son caractère à toute épreuve. Elle montrait qui elle était avant d’être écrasé par le poids du monde. Ce qui n’était pas mon cas. Trop faible, je subissais au lieu d’imposer. Comment pouvais-je changer à présent ? Les seules fois où j’avais vaguement essayé, on m’avait gentiment remis à ma place. Cette place que j’avais appris à connaitre avec les années. « J’ai toujours été comme ca … » répondis-je simplement tout en m’allongeant sur le lit, fixant les lattes qui maintenaient le matelas du dessus. Croissant les mains sur mon ventre, je tirais sur mon haut nerveusement. « Tu as fait comment, toi ? Pour te différencier au debut ? … »

Mee Joo quant à elle n'avait pas toujours été comme ça. Enfant, elle était plutôt du jour douce et innocente, à se laisser faire, à ne jamais riposter. Il n'y avait que sur le tatamis qu'elle faisait preuve de combativité, s'illustrant parfaitement dans le taekwondo. Mais lorsqu'elle était arrivée au pensionnat, elle était loin d'être la garce sans coeur qu'on a tendance à détester aujourd'hui. « Hum, je ne sais pas pour être franche... » souffla-t-elle en s'installant en tailleur, se décalant légèrement pour pouvoir voir Dambi. « Au début je me laissais faire, c'est Soo Mee qui m'a secouée. Elle a toujours été pire que moi ! » Mee Joo se permit de rire doucement en revoyant sa soeur du haut de ses douze ans, tenter de s'imposer auprès de ses camarades de chambre. Elle se souvenait parfaitement de leurs premiers jours, leurs premières semaines « Mais même si on se ressemble comme deux gouttes d'eau, Soo Mee n'a jamais ... forcé le respect disons » et c'était sans doute pour cela qu'avec les années, elle avait fait de la ruse son arme de prédilection, là où Mee Joo préférait la force brute. « Mais un jour, elles ont manqué de respect à nos parents et j'ai décidé que ça suffisait. » Elle s'appelait Emma cette petite idiote, et s'en souvenait probablement encore. « Je me suis énervée, et me suis mise à parler comme mon père. Je les ai prévenues que si elles continuaient, je le leur ferais regretter très amèrement, des menaces en l'air, mais ça a plus ou moins fonctionné sur le moment. » Haussant alors doucement les épaules, Mee Joo conclut « À partir de là, on a commencé à imposer notre loi. J'ai repris les cours de taekwondo, et du coup elles avaient peur que je les frappe. J'étais une menace, et Soo Mee se chargeait de le leur rappeler. Bon, après, on en a bien profité je t'avoue, mais elles l'avaient pas volé. » Au fond, elles n'avaient jamais été que les reines des pestes dans un cour de récré où les enfants se tiraient déjà dans les pattes. Pouvaient-on vraiment les blâmer ?

Je l’écoutais. Silencieuse. Je souris même en l’entendant expliquer qu’elle avait menacé celle qui avait manqué de respect à ses parents. Je comprenais son geste. Moi aussi je n’aurais pas aimé qu’on s’en prenne à mes parents. A mon sang. Une triste pensée à cette mère qui n’avait pas voulu de moi dès la naissance, m’abandonné devant l’orphelinat. « Si je faisais pareil, on ne me prendre guère au sérieux. » Je n’avais pas sa capacité à me battre, mon corps étant trop faible pour le supporter. Alors, moi être menaçante ? Je n’avais guère de chance de faire peur à qui que ce soit avec des menaces en l’air. Et puis, elle avait le soutien de sa sœur jumelle. Une chose que je n’avais pas. Même si j’avais hérité de 3 sœurs adoptives, elles étaient plus du genre à me protéger de tout qu’à me pousser à tenir tête face à l’adversité. « C’est beau le lien de jumelle, vous vous soutenez l’une, l’autre. J’aurais bien aimée en avoir une… » Je tirais mes chaussettes, que je laissais glisser sur le sol avant de me tourner sur le côté pour voir Mee joo. « Tu as réussi à faire ta loi, même si parfois elle est bien rude. » ajoutais-je, lui tirant une langue taquine. J’avais la volonté, mais pas le tempérament.

Mee Joo se demanda soudain si les autres allaient rentrer bientôt ? Pas que cela lui importait, mais qu'elle était agréable, au fond, cette conversation, et qu'elle n'avait pas vraiment envie d'y mettre un terme dans l'immédiat. Alors si les garçons pouvaient rester loin du dortoir, au moins pour l'instant, cela l'arrangeait, il fallait bien l'admettre. Dambi n'avait pas tort sur un point : si elle jouait les gros durs, personne ne la prendrait au sérieux. Mais au final, ce n'était pas le seul moyen, si ? « T'as pas besoin d'être une brute pour te faire respecter tu sais ... Mais tu peux montrer les dents, de temps à autre, ça aide. » Et cela, tout le monde pouvait le faire, c'était dans l'instinct de survie humain, en quelque sorte, écrit en lettres d'or dans notre patrimoine génétique. Mee Joo ne put néanmoins retenir un léger rire tandis que Dambi évoquait le lien de jumelle « Ouais enfiiiin c'est pas non plus évident tous les jours tu sais ! » Au quotidien, Soo Mee était une plaie, mais au moins, elles étaient là l'un pour l'autre et c'était probablement le plus important « Mais tu as des soeurs toi aussi, non ? » Quand à la loi de Mee Joo et bien ... « Ma loi n'est pas dure. Elle est juste, c'est totalement différent ! Tu as quelque chose à y redire ? » demanda Mee Joo, amusée, d'un air vaguement menaçant. Juste pour elle, certes, mais juste quand même.

Je posais ma joue sur mon bras tout en la fixant, n’étant pas certaine de comprendre ce qu’elle racontait. « Montrer les dents ? » elle me demandait de montrer les dents, mais je n’allais pas réellement mordre comme un loup quand même, si ? Par réflexe, mes lèvres s’étirèrent pour laisser sortir mes dents, j’entrouvris ma bouche et fis claquer ma mâchoire en grognant. « Comme ca ? » lâchais-je avant d’éclater de rire devant le reflet que me renvoyait le miroir derrière elle. J’étais ridicule. La colère donnait des rides, pourquoi lui accorder tant d’attention ? Sans en avoir conscience, Mee Joo s’ouvrait un peu à moi ce soir, révélant des choses sur son passée qu’elle n’avait encore jamais partagé avec ma personne. Peut-être avait-elle besoin de juste parler à quelqu’un ? Quel qu’en soit la raison, je lui en étais reconnaissante. Ca me donnait l’impression d’être un peu plus proche d’elle. J’avais peur qu’on reste au stade de victime de bourreau, mais la victime avait appris à apprécier son geôlier, et ce dernier s’était attaché à celle qu’il gardait. Un lien difficile à comprendre pour ceux de l’extérieur, mais fort entre les deux concernés. Je souris alors qu’elle disait que ce n’était pas facile tous les jours d’avoir une jumelle. Elle disait cela, mais j’étais certaine qu’elle ne l’échangerait pour personne d’autre. Je hochais la tête. « J’ai été adopté à l’âge de 15 ans par un couple de lesbiennes. Elles se sont mises ensemble quand elles ont découvert que l’homme qu’elles aimaient, menait une double vie. Elles ne cessent de me répéter que je suis le symbole de cette union. » Riais-je un peu gênée avant de reprendre. « Je suis la cadette d’une fratrie de 3 sœurs et un frère. Autant te dire qu’ils ne m’ont pas tous accueilli avec un grand sourire. » Je l’écoutais à nouveau alors qu’elle prenait son air légèrement menaçant pour affirmer que sa loi est juste. J’éclatais de rire, et déclarais-je sans vraiment réfléchir : « Juste pour toi, oui ! »

Mee Joo en avait bien conscience : Dambi était incapable de se montrer menaçante. Pourtant, la jeune coréenne ne savait que trop bien ce que l'on faisait aux gens trop gentils. Peut-être sa vision des choses était-elle biaisée par la vie qu'elle avait mené jusqu'ici, bien sûr. Après tout, ne pas être gentille, c'était l'une des premières leçons que lui avait donné son père. Elle avait mis du temps à l'apprendre, mais elle avait fini par réaliser qu'être dure à l'égard des autres était la seule façon de se préserver. C'était d'autant plus important lorsqu'on vivait dans l'environnement que connaissait si bien Mee Joo. Néanmoins, elle écouta Dambi parler, lui expliquer comment elle avait été adoptée. Un sourire étira les lèvres de Mee Joo, qui au fond ne pouvait s'empêcher de trouver cela touchant « Ils ont pourtant eu de la chance, ils auraient pu demander sur une fille autrement plus insupportable » du genre qui frappait, parlait fort, et se croyait tout permis. « J'ai personne à part ma soeur ... et un gamin que mon père m'a élevé, mais nous n'avons pas grandi ensemble, ma mère l'interdisait » souffla-t-elle à mi-mot en pensant à Se Jin. « Alors sache, mademoiselle No Dambi, que ma loi est juste pour quiconque y est confronté. Je la tiens de mon père, et la transmettrai à mes enfants. Et encore, estime-toi heureuse, je n'applique pas encore la peine de mort. » dit-elle en finissant sa phrase sur un ton mystérieux, adressant un regard plein de sous-entendu à la blonde.