La remarque de Hae Jin eut pour effet de le dérider un peu puisqu'il pouffa même de rire en l'imaginant en psychologue. Tout de même, il pourrait assurer. Il venait bien de réussir à calmer Isaac, à le faire se poser un instant pour parler et c'était franchement plutôt pas mal. Car il faut bien le dire, c'était un cas assez difficile. Tu mérites une médaille je crois. Et il le pensait réellement. Même s'il ne se sentait pas vraiment à son aise et qu'il n'était pas tellement prêt à parler de tout ça, il savait qu'il allait y arriver. Hae Jin avait l'air patient et lui inspirait confiance. Il trempa une nouvelle fois ses lèvres dans sa tisane à la recherche du courage nécessaire pour livrer son fardeau à son ami. Il gardait ça en lui depuis tant d'années qu'il ne savait plus comment faire pour l'évoquer. Il pensa un instant que l'étudiant allait se contenter de ce qu'il connaissait en quelque sorte par procuration et qu'il comptait donc juste lui poser des questions. Cependant, Hae Jin avait l'air d'avoir compris qu'il fallait creuser pour comprendre. Un instant, Isaac paniqua et serra un peu plus fort sa tasse entre ses doigts. Pouvait-il vraiment le faire ? Pouvait-il se dévoiler et faire tomber le masque ?

Il leva les yeux et fit comme Hae Jin le lui demandait. Il jeta un coup d'oeil à sa boutique désormais vide. Aussi vide que la fois où les choses avaient totalement dérapé avec Macsen. N'était-ce pas pour cela qu'il s'était laissé aller d'ailleurs ? Il finit par poser son regard sur son ami et haussa les épaules. Tu sais, c'est pas facile de parler. Comme ça, il lui annonçait la couleur. Il risquait de mettre un certain temps à totalement vider son sac mais il avait envie de le faire, plus que ça, il en avait besoin. Il reporta son attention sur sa tisane dont il avala une grande gorgée. Il se mit ensuite à mordiller sa lèvre hésitant à se lancer, ne sachant pas vraiment comment faire. Puis il prit une grande respiration pour se calmer et sans regarder Hae Jin, commença à se confier. Je le sais depuis longtemps. J'ai essayé de leur dire. Il y a quoi, cinq ou six ans peut être ? Ils m'ont mis à la porte. Sa gorge se noua à ce moment là. Sa lèvre se mit à trembler. Replonger dans ses mauvais souvenirs n'était pas facile à faire. Surtout qu'il cherchait tellement à enfouir ça, à oublier, à ne surtout pas y penser. Dans un sens, il y arrivait et c'est pour cette raison que cela le blessait d'y songer à nouveau. Il s'attarda sur des explications plus précise. Mes parents croient en Dieu. Moi aussi d'ailleurs. Et tu comprends, aimer un homme n'est pas normal pour eux. C'est sale, c'est une malade, c'est contre nature bref. J'étais une honte pour eux, j'étais pire que le diable. Il fit une pause pour respirer car il venait de débiter ces quelques mots à une vitesse folle comme pour s'éviter de trop s'attarder, comme pour ne pas avoir trop mal. Mes amis m'ont hébergé pendant un temps mais ma famille c'est ce que j'ai de plus précieux et je peux pas vivre sans eux. Alors je suis rentré. Et je me suis excusé. Cela paraissait absurde maintenant qu'il le disait à voix haut et c'est pourquoi il eut un rire nerveux. Je me suis excusé d'être ce que je suis. J'ai même fini par croire ce qu'ils disaient, comme quoi j'étais malade. Il ravala difficilement sa salive alors qu'à nouveau les larmes se mettaient à couler sur ses joues. Il gardait néanmoins la tête baissée pour éviter que son ami ne le remarque. Alors j'étouffe tout. Je m'étouffe. Je m'interdis. Je me punis. Et pour oublier je bois. Deuxième rire nerveux, et cette fois il leva les yeux au plafond avant d'essuyer ses joues. Il renifla, secoua la tête. Qu'est-ce que c'était ridicule toute cette histoire. Depuis pas longtemps, y a de nouveau quelqu'un. Enfin, c'est pas sérieux. Je veux pas que ça le soit. En fait, je sais pas trop. Parce que je ne veux pas être un monstre pour mes parents. Les mots étaient prononcés. Il s'interdisait de vivre pour eux. Il se rendait malheureux pour qu'ils soient heureux, pour qu'ils continuent d'être la petite famille parfaite qui va à l'église tous ensemble. Et Isaac, bien, il a juste l'impression d'être une horrible tâche dans ce tableau.

Parler. C'est communiquer avec les autres. C'est aussi dévoiler ses sentiments. Ou encore partager ses pensées. Pour tout ça, Isaac est de loin l'être le plus maladroit. Handicapé de la parole même en présence de ses amis les plus proches. Il arrive qu'on le compare à une plante verte. Une belle plante verte parce qu'il est mignon mais à part décorer il ne sert pas à grand chose puisqu'il n'échange pas beaucoup avec les autres. L'exercice auquel il allait se livrer là, avec Hae Jin, était donc presque une épreuve pour lui. Il n'avait pas l'habitude. Puis il gardait tout ça pour lui depuis tellement d'années. Il aurait dû se douter qu'il finirait par craquer. Et plus on cherche à étouffer ce qu'on ressent plus il est difficile ensuite de tout laisser sortir. Il commença son récit calmement. Seuls les tremblement de sa voix donnaient à voir combien cela le bouleversait d'évoquer son passé. Au fur et à mesure qu'il se rappelait de tout ça, sa gorge se nouait. Sortir un son devenait compliqué mais il continuait. Lentement, en essayant de retenir ses larmes qui, malgré tout, se mirent à couler sur son visage d'ange. Il revoyait le rejet si violent de ses parents. Sa mère en larmes, les cris de son père et sa petite sœur terriblement choquée. Il se souvenait des nuits qu'il avait passé chez ses amis à sangloter. Des mois passés sans se nourrir, totalement déprimé et affecté. Ne pas être accepté par sa propre famille, sa chair, son sang, était ce qu'il y avait de pire. Il aurait préféré que le monde entier le déteste. Il finit son récit les yeux levés vers le plafond comme s'il demandait une énième fois pardon à Dieu.

Il finit par évoquer ce qu'il se passait en ce moment avec Macsen sans trop entrer dans les détails pour le moment. Il baissa à nouveau la tête. Le poids de la honte, de la culpabilité, la gêne, la peur, la tristesse. Trop de sentiments différents en même temps. Le constat était sans appel : Isaac faisait clairement une dépression et il était malheureusement dans cet état depuis son arrivée en Corée. Sentir la main d'Hae Jin sur son épaule lui mit du baume au cœur. Il se sentait soutenu pour la première fois de sa vie. Il se remit ensuite à rire nerveusement et secoua vivement la tête. Non, non ! Je ne l'aime pas. Je peux pas tu sais. Il est pas pour moi en plus mais... Il me force à me remettre en question parce qu'il se moque de moi. Et il a raison de se moquer de moi. Après tout, n'était-ce pas ridicule d'être ainsi à presque vingt-cinq ans ? Incapable d'assumer. Peureux comme pas possible. Et malheureux par dessus le marché. Il écouta ensuite Hae Jin sans broncher alors qu'il recommençait à pleurer. Son ami avait totalement raison. Il en avait conscience. Il avait lu tellement de livres, fait de longues études. Son ouverture d'esprit était grande et bien différente de celle de ses parents. Il avait conscience qu'ils étaient horribles de lui faire ça. Mais ils restaient ses parents. Il leur devait tout. Il renifla bruyamment et réessuya ses joues qui commençaient à rougir à force. Mon plus grand regret ? Il renifla une seconde fois et leva les yeux vers Hae Jin. Ce qu'il comptait répondre n'allait pas lui plaire du tout mais c'était ainsi qu'il voyait les choses. De ne pas avoir été un fils parfait. J'irai en enfer pour ça. Voilà ce qu'il se passe quand on vous bourre le crâne avec la religion depuis votre naissance. Aveuglé par sa foi et par les respect qu'il portait à ses parents, Isaac se faisait bouffer par la douleur de ne pas pouvoir vivre en étant lui-même.

Ah, si Hae Jin savait la vérité il ne serait sans doute pas si enthousiaste à l'idée qu'Isaac fréquentait plus ou moins quelqu'un. On ne pouvait même pas dire ça d'ailleurs. Il avait certes couché avec ce type mais ça n'allait pas plus loin. Du moins, pour le moment. Impossible de mentir à Hae Jin, cela se lisait sur sa gueule qu'il ressentait un truc. Il ne serait pas dans cet état là sinon. Mais Macsen n'était pas vraiment le petit prétendant idéal. À son tour, Isaac fronça les sourcils tout en secouant la tête. Mais je ne me laisse pas faire. Je dis juste qu'il a raison de se foutre de ma gueule. Regarde-moi ? Je suis sur que tu penses aussi que je suis un cas désespéré. Il haussa les épaules parce qu'il s'en fichait un peu et que finalement il avait l'habitude qu'on se moque de lui à cause de ses croyances. Il ne prenait même plus vraiment ça pour un manque de respect puisque dans sa situation c’était un peu différent. Et puis on a juste couché ensemble... plusieurs fois. C'est du sexe pour du sexe, ça ira pas plus loin. Comme ça au moins, les choses étaient dites. Après, cela ne voulait malheureusement pas dire qu'Isaac n'avait pas envie de plus que du sexe avec ce mec tout en ayant conscience qu'il risquait gros avec un enfoiré pareil.

En vérité, toute cette histoire ne faisait qu'accentuer la culpabilité qu'il ressentait envers sa famille et en même temps son mal être. Il souffrait de ne pouvoir être lui-même et culpabilisait d'avoir envie de l'être. Son éducation lui avait retourné le cerveau à tel point que le deuxième sentiment l'emportait sur le premier. Il leva un sourcil en imaginant l'espace de quelques secondes Hae Jin en médecin puis eut un petit rire amusé. Mais ils sont encore là, non ? Tu peux encore les voir. Si je me met à vivre comme je le voudrais, je vais me retrouver tout seul. Il haussa les épaules et but encore un peu de son thé. C'est soit regretter ma famille ou regretter ma nature. A choisir, tu sais. Je préfère avoir ma famille à mes côtés. Eh oui, il les aimait malgré les horreurs qu'il avait subi de leur part par le passé.

Isaac plissa les yeux alors qu'il écoutait ce que son ami lui disait. Il ne pouvait naturellement pas le contredire. L'américain avait conscience que Macsen était peut être l'un des pires enfoirés que la terre ait porté mais pourtant il n'arrivait pas à s'empêcher de penser à lui. Sans y mettre trop de force, Isaac bouscula son cadet comme pour l'avertir. Raconte pas n'importe quoi. Ce mec c'est mon problème. Tu le verrais tu comprendrais la merde dans laquelle je suis. Il secoua la tête tout en soupirant. Enfin calmé, il pouffa légèrement de rire face à sa réaction. Il avait l'air scandalisé qu'on puisse coucher avec quelqu'un sans une once de sentiment. Ce n'était pas tellement le cas quand il y pensait. Il y avait des sentiments entre lui et Macsen. La haine, ça compte non ? Pas juste comme ça. J'ai couché avec lui parce qu'il me harcelait et puis je le déteste, anyway. C'est quand des mots de sa langue natale se glissent dans ses paroles que tu découvres qu'Isaac a vraiment baissé ses barrières. Maintenant qu'il était lancé, il était prêt à parler de tout et rien avec Hae Jin. Il se rendait en plus compte que cela lui faisait un bien fou de discuter comme ça avec lui. Et décidément, personne n'avait la vie parfaite. Pas même Hae Jin. Il soupira en cœur avec celui-ci. C'était vraiment déprimant comme discussion et il lui semblait que son ami étudiant baissait les bras. Il devait réaliser qu'il n'y avait rien à faire pour son cas. Une cause perdue, voilà ce qu'Isaac était. Et comme ce sont mes parents, ils resteront mon problème pour la vie. Il leva sa tasse comme s'il portait un toast à cette révélation qui n'en était pas réellement une. Il termina sa tasse qu'il posa sur le comptoir et frotta ses jambes avec ses mains. Puisque je suis lancé, hm. Comment revenir sur la question précédente qui était en fait ce qui le mettait dans cet état. Parce qu'en fait, s'il déprimait autant c'était juste à cause de l'autre pauvre con. Il était un peu la goutte d'eau qui avait fait déborder le vase. J'fais comment si j'le déteste mais que je peux pas le repousser ? Il était sûr qu'Hae Jin allait tout de suite comprendre qu'il s'apprêtait à parler avec lui du fameux jeune homme pour lequel il ressentait plus ou moins quelque chose.

Une fois de plus, Hae Jin marquait un point. C'est pourquoi Isaac approuva ses paroles d'un petit hochement de tête résigné. On ne pouvait malheureusement pas choisir sa famille et Isaac avait beau adoré la sienne, elle lui menait la vie dure. T'inquiètes, bientôt je quitterai les jupes de ma mère et je prendrai mon envol. T'sais sinon à part ça j'ai vingt cinq ans dans quelques jours. Je me désespère. Il secoua la tête en riant nerveusement. Y avait presque plus d'espoir pour lui. Il approchait dangereusement de la trentaine et à ce rythme il n'allait jamais être capable de s'imposer. Il ne lui restait qu'à s'en prendre à lui-même pour cette situation de merde. Il ne servait même plus à rien qu'il se lamente sur son sort. Cette histoire l'emmerdait. Au moins autant que ce qui se passait avec Macsen. Là, concrètement, il perdait la tête. C'était à s'en arracher les cheveux même. Il n'en avait encore parlé à personne, même pas à son meilleur ami, et pensant que puisqu'il était lancé il ferait mieux de continuer, il décida de saisir l'occasion pour obtenir un avis extérieur sur la question. Mais là encore, allez expliquer une relation aussi complexe que celle-ci. Visiblement, Hae Jin avait du mal. Bon en même temps, il ne connaissait pas toute l'histoire. Mais bien sur que je le déteste ! Il en a qu'après mon cul ! Hurla-t-il dans la boutique en agitant les bras. Heureusement qu'ils étaient seuls. C'était du har-cè-le-ment je te dis. Il appuya bien sur chaque syllabe en secouant son index à chaque fois. Il voulait juste me baiser. Et moi ça faisait des mois tu comprends, alors au bout d'un moment j'ai craqué, puis faut voir les avances qu'il me faisait. Là, sur le comptoir. Il désigna le comptoir du menton. Pauvre oreilles innocentes d'Hae Jin. Mais Isaac était lancé, et un poil énervé aussi. Et putain, c'était bon. Il rejeta la tête en arrière puis la releva d'un coup. J'peux pas sortir l'excuse comme quoi j'étais ivre, je le suis tout le temps en ce moment et puis je savais ce que je faisais les deux fois. Ouais y a eu une deuxième fois. Mais maintenant j'sais plus trop ce que je veux. Il s'arrêta et prit enfin une grande respiration après cet énorme déballage. Il regardait Hae Jin, nullement gêné, et avec un sourire, plutôt fier d'avoir réussi à raconter tout ça.