Je pensais que je verrai mon monde s’écrouler si tôt, si vite. Mon monde, il tournait autour de mon père, ce héros, celui qui aurait tout fait pour sa famille; ma mère, Lei et moi. Mais apparemment, il en aurait fait de même pour l’autre famille. Je pige que dalle, ma mère pleure, mon père a l’air dépassé, il se prend la tête dans les mains et moi, je m’occupe de Lei, je lui promets que tout ira bien. C’est un mensonge, je le sais mais je le dis quand même, peut-être que j’essaie de me convaincre moi-même, de me dire que tout ira pour le mieux. On finit par mettre nos pieds dans une salle de tribunal, pour un procès qui durera des années. Personne n’aurait pu imaginer comment les choses allaient tourner. Mon père, seul contre tous. J’aimerai me tenir à ses côtés, prendre sa main et lui dire que je suis là, que tout ira bien mais je ne peux pas, je ne veux pas. J’y peux rien, j’ai un sentiment de trahison et d’abandon au fond de moi alors je me contente de le regarder avec de la haine plein les yeux. Il s’y attend pas, moi non plus mais je commence déjà à me renfermer, je ne suis plus la petite fille à son papa, je ne suis plus que Nuo, gamine qui a découvert que la vie était plus merdique que ce qu’elle croyait. J’essaie de rassurer Lei, de la rassurer quand on voit notre mère avec l’autre mère et qu’elles se rapprochent. Moi-même j’essaie de comprendre ce qu’il se passe.
Le procès dure des années et à chaque fois, j’y vais, je fais face à mon père mais je ne lui parle pas, je me contente de le regarder et je vois que ça le perturbe. Tout comme ça le perturbe de voir les deux femmes qu’il a trahi ensemble, reconstituant une nouvelle famille. Sans lui. Tant mieux.  
Nous n’étions que trois puis ma famille s’est agrandie. J’ai du mal, j’ai l’impression que ma propre vie m’échappe, me file entre les doigts, je contrôle plus rien. Puis je finis par m’adapter et j’apprends à les aimer et je finis par les aimer comme j’aime Lei. Cami, c’est vraiment ma soeur, je lui dis tout, je l’emmerde comme j’emmerderais Lei. Et Yuki, je me vois en lui, je me dis que c’est comme lui que j’aurais été si je n’avais pas changé, mais je ne le suis pas, alors je m’accroche à lui. Il me fait oublier mes problèmes et me fait sortir de ma carapace, je suis celle que j’aurais dû être avec Yuki et j’aime ça, j’ai l’impression qu’un poids s’enlève de mes épaules quand je suis avec lui.
Puis il y a eu Dambi. Dambi et ses longs cheveux blonds, ses grands yeux bleus et cette expression innocente que je n’arrive pas à cerner. Elle me vole Yuki, elle me laisse derrière pour que je me renferme dans ma boule de colère. J’ai du mal à m’adapter alors je la pousse à bout. Je sais, c’est pas bien, c’est vilain mais je veux voir qui elle est Bambi. J’apprends à l’aimer avec le temps et à la considérer comme ma soeur, comme un autre trésor à protéger mais je peux pas m’empêcher de la chercher, de voir de quoi elle est faite.
Je finis par grandir et j’ai accepté ma vie même si j’ai toujours cette trahison au fond de moi. J’ai pas revu mon père depuis des années mais je m’y fais. Je l’aime ma famille comme elle est, j’essaie de me convaincre que j’ai pas besoin de lui. Mais même si j’aime ma famille, un point me dérange, Lei. Elle est trop naïve, elle est trop considérée comme un bébé et je sais que son innocence lui fera du mal un jour. Alors j’essaie de la pousser à faire des trucs, j’essaie de la pousser à grandir mais ça marche pas. Alors je fais ce que je fais de mieux, j’attaque psychologiquement, je plante l’idée dans l’esprit de mes mères d’envoyer Lei en internat, comme ça elle grandira. Elle sera loin de nous, qui essayons de la protéger du monde extérieur, elle apprendra la vie.
On m’en veut d’avoir envoyé Lei loin de nous mais je sais que c’est pour le mieux. En attendant, j’accepte la faute mais je sais qu’on me pardonnera, j’ai fais ce que je pensais être le mieux pour Lei.