Je souris au faux compliment de Sae Yeon. « N’est-ce pas ?! Il est beau, mon poème. C’est la prof qui a pas le même sens de la beauté que moi ; c’est son problème ! J’ai toujours trouvé cette note injuste. » Dis-je en faisant une moue et en buvant mon jus d’orange. L’avantage avec les boissons froides, c’était qu’on pouvait les boire immédiatement sans stupidement leur souffler dessus. Après avoir bu, je pris un visage affolé, vexé, outré à son exclamation. « Pardon ?! Comment oses-tu… ! » Je plaça ma main sur mon coeur et je fis naître de fausses larmes au bord de mes yeux. « N’importe quoi ?! Comment peux-tu dire que mes poèmes sont n’importe quoi ! » J’eus un sanglot inventé. « Je me sens terriblement trahie, Sae Yeon… je pensais trouver en toi une âme ouverte aux différences, sans discrimination… je pensais que je pouvais m’ouvrir à toi ! Il n’y a personne pour soutenir mes rêves ici ! »
Mes rêves. Poète n’avait jamais été mon rêve, ni l’écriture mon don. Non pas que je me considérais comme une médiocre écrivaine mais pas non plus comme suffisamment douée pour percer dans ce métier. Les seuls vrais écrits que j’avais rédigés étaient des journaux de bord et les quelques devoirs de littérature… je trouvais plus mon épanouissement dans les activités avec les autres. L’écriture nécessitait une certaine solitude, la création de son propre monde où seul soi-même et les lecteurs pouvaient pénétrer et je n’étais pas une personne qui correspondait à ces critères. Si j’étais capable de rentrer dans le monde d’autrui rapidement, je ne savais pas m’isoler dans quelque chose d’intérieur. La solitude était ce qui m’effrayait le plus, j’avais besoin de compagnie, de me sentir utile, de me sentir aimée. De sentir que personne ne m’abandonnerait, sans doute une conséquence du malheureux accident de mon enfance. Enfin, bref. Il valait mieux changer de sujet. Je repris un visage parfaitement normal en un quart de seconde. « Sinon, comment t’as géré l’examen de la nouvelle directrice ? Tu l’as pas trop foiré ? » Je lui souris, engageant un sujet qui faisait rage ces derniers temps. En effet, j’avais eu la chance d’avoir 68/100 et si c’était une note considérée comme moyenne, au moins, elle m’évitait tous les trucs embêtants des élèves en-dessous de la moyenne. Mon frère, par exemple, s’était complètement loupé et… je le plaignais fortement.

Je bus mon jus d’orange jusqu’à ce qu’elle me réponde. Dire autant de bêtises et jouer la comédie m’avaient donné soif. Je l’écoutai avec attention, m’imaginant la scène et en effet, ce n’était absolument pas crédible. Elle avait raison, poète n’était pas quelque chose fait pour moi ; je resterai sur avocate, finalement. C’était bien, avocate, c’était agressif, on défendait les victimes et on enterrait les coupables ! Enfin, dans mon objectif. Je ne passerai jamais par la case d’avocat commis d’office parce que c’était hors de question que j’ai à défendre des ordures. Ces gens-là, qu’ils meurent, qu’ils pourrissent en prison parce que pour la plupart, ils ne méritent que ça. « En effet. Ça ne le fait pas trop, je suis faite pour un métier qui bouge plus, avec de l’action, des clashs ! De l’humanisme ! Poète, c’est trop calme. En plus, tu imagines un poète qui boit du jus d’orange ? Non, ça le fait pas. J’abandonnerai jamais cette boisson juste pour un métier, tu comprends ? »
Elle ne comprendrait certainement pas. Il n’y a que moi pour comprendre des trucs pareils. Mais je m’aimais bien, alors ce n’était pas grave.

Je l’entendis parler de ses résultats et du fait que ceux en dessous de soixante devaient passer par la case entretien, colles… en effet. Je le savais bien. Plus que bien, même… « Ouais. Je sais. Mon frère il est pas passé… et euh… Ivy non plus… Ju Hyeon non plus… » Je soupirai. La liste était longue. « Mais moi, j’ai géré aussi. Soixante huit. Je suis outrée que tu sois passée avec un point de plus que moi. C’est juste que ton cursus est plus simple ! » Dis-je en tirant la langue, ne pensant pas un seul des mots dits. Je m’en foutais pas mal, en fait. Et je n’y connaissais rien en arts du spectacle.

Je fis une grimace en l’entendant dire ça. « Le mauvais cursus ?! Pff ! Soyons réalistes, tu m’imagines dans les arts du spectacle ? » Si le théâtre pouvait me correspondre parce que je savais me faire passer pour extrêmement triste quand je faisais un caprice, c’était tout. Étudier tout ce qui correspondait à ça… c’était pas assez réglementé pour moi. Il me fallait un cursus avec des règles, des choses précises. Si je n’avais pas assez de limites, j’avais tendance à déraper sur des choses affolantes, comme par exemple le poète au jus d’orange… alors il ne valait vraiment pas pour moi que je sois dans un tel cursus. C’était vrai que parfois, je me demandais si j’avais bien fait de prendre le droit au lieu de la psychologie. C’était quelque chose qui me touchait personnellement la psychologie et je prenais plaisir à aider les gens dans le besoin. Cependant, être avocate, c’était quelque chose qui me tenait à coeur depuis toute petite. Depuis que j’avais appris que la raison pour laquelle notre famille était pauvre, coupée des grands-parents et du reste de la famille, c’était parce que ma mère avait renoncé à son rêve d’avocate pour nous avoir, mon frère et moi… depuis ce jour-là, j’avais voulu être avocate. Réaliser le rêve à la place de ma défunte mère – et ça me correspondait aussi. Aider les gens dans le besoin, accusés faussement, c’était bien. En plus, il fallait avoir un pouvoir de persuasion et si je n’étais pas encore très bonne dans le mensonge, je savais que je pouvais apprendre de mon frère dès que ce serait nécessaire. Et j’étais quand même plutôt bonne pour persuader les autres : c’est pour ça que mes caprices fonctionnaient si bien. Je m’imaginais parfaitement avec la robe classe d’avocate, défendant passionnément mon client dans un procès, fusillant du regard le procureur qui demandait la peine de mort pour une personne innocemment accusée…
Bon. C’était un peu fantaisiste, bien sûr. Très peu de procès ce passaient comme ça et c’était un métier qui demandait beaucoup d’investissement personnel – émotionnel, aussi ; mais je me sentais prête. En plus, si je travaillais dans un cabinet et pas seulement à mon compte, alors je pouvais avoir des collègues… parce que travailler seule, ce n’était pas fait pour moi. Alors que psychologue, la plupart du temps, c’était en cabinet personnel. À moins de travailler dans un asile, ou quelque chose du style, mais pour cela il fallait prendre dans la science plutôt : ce n’était pas psychologue mais psychiatre. Donc, si, mon cursus était très bien choisi et très réfléchi ! Même si parfois, je me remettais moi-même en question.

En fait, je n’étais même pas certaine de savoir tout ce que recouvrait le terme « arts du spectacle ». Est-ce que le chant était considéré comme tel ? Ou le rap ? Personnellement, je me voyais trop bien la casquette à l’envers, un air sévère sur le visage, un micro près de la bouche et rapper comme une folle sur des sujets sérieux ou puérils. L’image pourrait en faire rire plus d’un mais je trouvais que c’était un bon délire, moi. Quand j’étais en colère, j’aimais écouter du rap pour soulager ma haine et je m’étais déjà surprise à rapper toute seule… bon, c’était pas le talent du siècle, mais il y avait quelque chose, vraiment. Je devais être parfaite, en fait… je savais tout faire. Tout !
À sa question, je réfléchis quelques instants. Antigone… Antigone… Antigone ? Je me mordis la lèvre et je me raclais la gorge.

« Antidote ? »

Un brin d’espoir pouvait se lire sur mon visage, mais j’avais l’air d’une conne. De toute évidence, elle ne me demandait pas de chercher le mot corrigé de Antigone, mais elle me parlait d’un personnage… un personnage de quoi, je ne savais pas trop… En même temps, Antigone ! C’était un prénom vraiment absurde, non ? Qui appellerait sa fille Antigone ? C’est une fille au moins ? Je fis un petit rire mal à l’aise. On aurait dû jamais parler des arts du spectacle. Pour mon amour propre, c’était un vrai coup. Je n’y connaissais rien, moi, à tout ça. Lire, c’était pas ma plus grande passion mais quand je le faisais, c’était des livres récents, les basiques, genre Harry Potter… Je ne regardais pas non plus trop de pièces de théâtre – voire pas du tout – et les films, pareil, je ne regardais que les classiques comme Le Seigneur Des Anneaux, Harry Potter, Ahjussi… le films que tout le monde connaissait, quoi ! Elle, elle me parlait d’un truc d’intellos… ça me correspondait pas.

Bon. Je savais que je m’étais ridiculisée mais bon, je savais aussi une chose : au moins soixante pourcents des élèves de notre université ne connaissaient pas non plus anti… anti… antidote, ou je savais pas quoi. Enfin, du moins j’espérais que c’était le cas sinon, j’aurais l’air vachement stupide… Quelle idée de me parler de trucs comme ça, elle pensait que j’allais connaître ? Vraiment ? À tous les coups, elle voulait juste me ridiculiser.

« Écoute ! Je suis peut-être capricieuse et tête mais !! »

Mais ? Il fallait que je trouve un truc, moi, maintenant.

« Mais moi, j’ai un beau prénom. Un prénom qui ressemble à celui de mon frère en plus. »

Argument aussi nul que mon essai sur les poèmes, mais ce n’était pas grave. On n’était plus à ça près et le ridicule ne tuait pas. En revanche, je connaissais certains de mes proches qui ne m’assumeraient pas s’ils m’entendaient là. Par exemple, si je parlais à Tae Woo… oui, non. Je voulais bien être proche de lui et l’aider mais jamais je ne lui parlerais comme ça. Si je le faisais, il penserait que j’ai un problème psychiatre et il ne voudrait plus jamais me confier son deuil. J’espérais juste qu’il n’était pas autour… ou que cette conversation n’était pas enregistrée…

« Bref. On va pas s’attarder sur ça, on y va ? »

Je n’avais pas fini ma boisson mais je sentais que la discussion allait encore déraper et que j’allais passer pour plus stupide que je ne l’étais vraiment.