J’avais assez entendu parlé de Antidote et de pièces de théâtres pour le mois entier et je m’étais, accessoirement, assez ridiculisée pour l’année aussi… Quelle idée de me parler de trucs comme ça aussi… on dirait qu’elle cherchait à me rendre stupide ! Il faudrait que je demande à mon frère s’il connaissait Anti… anti… bref, la fille quoi. S’il ne la connaissait pas, je me moquerais de son manque de culture – en mentant sur le fait que moi-même je ne la connaissais pas avant – et s’il la connaissait… je me sentirais vachement stupide, quand même. À la limite, je pourrais l’engueuler pour ne pas m’en avoir parlé mais ça paraissait un peu tiré par les cheveux. Et il risquait de se moquer de moi.
Bref. Je n’avais plus envie de penser à ça, mais alors plus du tout. Le shopping, par contre, rien que d’y penser, ça me calmait et ça me faisait oublier la scène précédente.

« Ouais ! Shopping ! Shopping ! Shopping ! »

On devrait pouvoir faire des études en shopping. J’aurais choisi ça sans aucune hésitation si un tel cursus offrait des stages en magasin pour faire du shopping. Quand l’argent ne manquait pas, le shopping c’était le bonheur, le paradis, la perfection. Mon frère et moi en étions la preuve-même.

« Au fait ! N’oublie pas, je dois t’acheter un truc pour ton anniversaire. Et je n’achèterai pas un petit truc à dix balles, hein. Si t’as un vêtement que t’adores mais qui es trop cher, je te le prends. Et si tu ne veux pas me le dire, je trouverai un truc vraiment hors de prix et tu seras trois fois plus mal-à-l’aise, alors je te conseille d’être honnête ! »

Pour avoir été moi-même pauvre à un moment de ma vie, je savais qu’on était un peu mal-à-l’aise quand d’autres personnes nous offraient des choses chères. Mais maintenant que j’étais celle qui pouvait offrir, je m’en fichais.

Pour moi, qui me savais très accrochée au matériel, aux choses chères et tout ce qui était lié, les cadeaux étaient un moyen parfait pour montrer à quelqu’un que je l’appréciais. C’était quelque chose d’obligatoire à mes yeux, je me devais offrir quelque chose lors de l’anniversaire d’une personne que j’appréciais et parfois, même, sans occasion particulière, si je pensais à elle en voyant quelque chose qui pourrait lui plaire. Par conséquent, elle n’allait pas être une exception dans cette règle. Tout le temps où elle et moi n’étions pas dans le même établissement, je n’avais pas pu lui faire de cadeaux – j’étais encore jeune et c’était compliqué – mais j’étais prête à me faire pardonner toutes ces absences en lui achetant des choses bien chères et très belles, désormais. Quoi qu’elle dise, quoi qu’elle fasse, je ne reviendrai pas sur ma pensée.

« Je peux même t’en acheter plusieurs ! »

Dans le cas où ce qu’elle me demanderait ne soit pas très cher – parce que, parfois, ce qu’elle portait ne coûtait pas très cher – j’avais prévu de lui acheter plusieurs choses. Je n’allais pas me contenter d’un seul cadeau au prix moyen mais de plusieurs cadeaux, peut-être même par dizaine.

« Je peux même te payer la journée : tous les achats d’aujourd’hui sont pour moi ! »

Je fis un grand sourire à cette idée. Ça me ferait vraiment plaisir qu’elle accepte et qu’elle se fasse plaisir sur mon compte, sans limite – mais c’était peut-être un peu trop et je ne voulais pas l’étouffer. Je n’étais pas du style à aimer afficher mon argent, c’était juste que j’aimais beaucoup trop faire plaisir aux autres… Je ne comprenais pas les gens radins, qui gardaient toujours tout pour eux alors qu’ils avaient largement les moyens de faire plaisir autour d’eux… N’était-ce pas la moindre des choses, de faire ça ? En tout cas, pour moi, ça l’était et plus la personne était précieuse à mes yeux, plus elle serait garnie de cadeaux.

Quand Sae Yeon ne disait rien, je ne savais jamais si c’était parce qu’elle était d’accord ou pas. En fait, je la connaissais depuis longtemps mais il fallait aussi savoir que pendant de nombreuses années, jusqu’à ce qu’on se revoit à l’université, on ne s’était pas trop vues… voire pas du tout. Du coup, je ne la connaissais peut-être pas comme une meilleure amie. Je connaissais plus de choses que sa meilleure amie sur un certain point de vue ; et en même temps, j’en connaissais moins. Parce que les réactions de Sae Yeon, ses habitudes, ses goûts, j’avais loupé pas mal de trucs pendant ces dernières années. Bon, ça faisait maintenant un moment qu’elle était à l’université et qu’on se côtoyait de nouveau, ça faisait aussi un bon moment que je voulais lui parler du secret qu’elle cachait depuis beaucoup trop longtemps maintenant. Sauf que ces années d’absence se faisaient tout-de-même ressentir dans de telles circonstances ; et là, je continuais à parler de cadeaux multiples, à imaginer des trucs, sans savoir jamais si elle approuvait ou pas, puisqu’elle restait silencieuse.
Cela dit, dès que je commençai à parler de lui payer la journée… là, elle surenchérit. Je souris et en déduit que quand elle ne disait rien, c’était qu’elle n’était pas totalement contre l’idée proposée. C’était utile à savoir ça, quand on voulait « manipuler » les autres. Jamais manipuler pour de mauvaises choses, bien entendu. Juste des trucs futiles.

« Ooh ! Give & take ?! Ça me va ! »

Je ressortais cette expression anglais que j’avais appris récemment, et j’en étais fière. Ça pouvait paraître stupide mais j’étais intéressée par l’anglais, ces derniers jours… et ne me demandez pas pourquoi. j’avais des folies comme ça, des trucs insensés et stupides puisque je n’allais pas parler anglais couramment juste par un intérêt soudain, mais c’était ainsi. Des fois, c’était le chocolat, des fois, c’était les ramen, des fois, c’était l’anglais.
Bon, d’accord, c’était plus souvent la nourriture qui m’obsédait.

« Bon ! On commence par quoi ? Tu veux quoi ? Hein ? On va dans un magasin de luxe pour tes cadeaux ! Je t’achèterai pas des habits de mauvaise qualité. »

Matérialiste ou pas qu’elle était, moi en tout cas, je tenais à offrir quelque chose de précieux. Quelque chose qu’elle pourrait porter des années, pendant plus de trois générations, et qui la ferait penser à moi si un jour on était amenée à être séparées.

Pouvoir vanter mes connaissances, c’était plutôt rare pour moi, pour ne pas dire improbable. Non pas que je n’étais pas cultivée, j’en savais des choses, mais pas dans les domaines classiques, tels que le théâtre, l’étranger, les livres… moi, c’était plutôt les films. Récents. La musique, récente aussi. J’en savais des rayons sur ces sujets-là, mais bien sûr, ça n’était pas considéré comme de la culture, ici ! Pourtant, bon nombre de personnes n’en savaient pas autant que moi, alors je pensais que ça mériterait d’être reconnu comme un talent comme un autre. Visiblement, j’étais seule dans cette pensée, alors il valait mieux pour moi la laisser de côté.
Je rigolai en la sentant prendre mon bras en avançant. Ça, des magasins de luxe, j’en connaissais ! Je m’habillais pas mal dans les trucs de marque et quand je faisais du shopping avec hyung, ces magasins-là étaient régulièrement les premiers d’une liste sans fin. Avec Sae Yeon, c’était un peu plus limité parce que jamais je ne me sentirai aussi à l’aise avec un ami qu’avec mon frère et que donc, je me limitais moi-même. Parce que oui ; moi aussi, j’avais conscience du fait qu’il fallait se limiter pour pas saouler les autres. Je le cachais bien et, en effet, mes limites étaient bien moins marquées que les autres mais elles existaient aussi.

« Pas de souci ! Laisse ta eonni te guider ! »

Et je me mis à marcher vers un des magasins que je connaissais le mieux, le plus proche. Malheureusement, la voiture de hyung n’était pas à notre portée… et même si c’était le cas, il nous fallait le chauffeur aussi, à cause des mes échecs répétitifs au permis… bref. Il ne fallait pas que je pense à ça. Ça allait pourrir ma journée !

Je me disais que si Sae Yeon avait eu la même chance que moi, d’avoir de l’argent, peut-être qu’elle aurait pu être bien plus heureuse. Ça n’aurait, certes, jamais rien arrangé à ses soucis de vision mais au moins, ça lui aurait permis d’être plus respectée. C’était bien connu, on avait tendance à être beaucoup plus hypocrite avec les riches qu’avec les gens de la classe moyenne. Ce n’était pas qu’elle aurait été moins moquée, mais plus discrètement, parce que tout le monde voulait les faveurs des riches et paraître bien face à eux. Peut-être était-ce ma chance aussi, peut-être n’aurais-je jamais survécu au collège avec mon caractère de petite sœur capricieuse si je n’avais pas eu l’argent pour impressionner – et mon frère par-dessus, bien sûr. Peut-être n’aurais-je donc pas eu cette force de caractère ; peut-être n’étais-je pas née avec mais l’avais-je juste acquis à cause de ma mauvaise expérience de la perte de mes parents. Je n’en avais aucune idée, mais peut-être, encore une fois, que Sae Yeon aurait était plus heureuse si elle avait été riche. Peut-être qu’elle ne serait pas en train de mentir aux autres, comme maintenant, peut-être qu’elle s’assumerait mieux.
Tout en pensant à cela, je nous dirigeai vers le magasin de luxe le plus proche que j’avais en tête et je ris en voyant l’expression émerveillée de Sae Yeon, ainsi que ses mots.

« Tu as intérêt, même, à te faire plaisir ! » Affirmais-je, la voix forte.

Sae Yeon savait aussi bien, voire mieux, que la plupart de mes amis qu’il ne valait mieux pas contrarier mes plans. Je fis le tour de plusieurs rayons et m’arrêtai devant une belle écharpe, mais qui me paraissait peut-être pas assez chère, et j’entendis Sae Yeon m’appeler. Je la rejoignis donc pour regarder la robe qu’elle me montrait, l’air enjoué mais perplexe.

« Elle est jolie ! Simple, mais jolie. En plus, le rose pâle fera sans doute ressortir ton teint. »

Était-ce maladroit de le formuler comme ça, pour lui indiquer la couleur ? Je ne savais pas trop. Dans le passé, je ne me serais pas souciée de tout ça mais désormais, j’avais tendance à être plus craintive à l’approche de gens complexés. Je réfléchissais plus longtemps à mes mots.