Des rires d'enfant et des petits souliers dont l'écho se faisaient entendre dans les trop longs couloirs de la demeure Kwon ? Enfin ! Un couple bien sympathique, les Kwon-Seo. Peut-être trop gentils pour leur bien, dont les proches se souvenaient l'existence seulement dans le besoin. Mais aussi gentils pouvaient-ils être, la vie était bien cruelle. Personne ne savait pourquoi, puisque ni l'un ni l'autre n'avait voulu s'épancher, mais procréer leur était impossible. Et vraiment, qu'on se le dise, l'annonce de cette nouvelle avait déprimé tout le monde, du couple aux employés de maison. On disait même que certains d'entre eux étaient près à leur donner leur dernier né pour les consoler. Mais le malheur des uns faisant le bonheur des autres, une solution s'offrait même dans les heures les plus sombres. Et lorsque leurs yeux se posèrent sur le petit Jae Won, leurs cœurs avaient battu à l'unisson. La décision était prise sans qu'ils n'aient besoin de se consulter. Ils l'adopteraient ! Et puis, c'était franchement pratique, il s'appelait déjà Kwon !

Jae Won ne se rappelle pas de sa petite enfance. Souvenir traumatisant ou simplement cerveau lent, on ne saurait dire. Ses parents formaient un couple uni, aimant, laxiste et presque hippie. Pourtant issus de familles aisées et rencontrés suite à des fiançailles arrangées, ils étaient profondément amoureux l'un de l'autre, et incroyablement ouverts d'esprit. Ça n'avait que peu d'importance, que leur fils adoptif soit le cadet d'une fratrie dont les parents avaient été assassinés. Ce petit méritait d'être heureux, de l'être avec eux. L'aîné avait déjà été adopté, une famille avait déjà rempli un dossier pour la benjamine, et s'ils craignaient qu'un jour la vérité soit découverte, ils se disaient qu'ils auraient le temps de voir venir. Qu'en lui faisant vivre de beaux souvenirs, il ne leur en voudrait pas – trop. Parce que Jae Won ne se douta pas une seule seconde, jamais, avoir été adopté. Il se trouvait même des ressemblances envers ses parents, ne manquant jamais de les souligner lors d'un dîner, entourés de la famille ou d'amis. Il ne remarquait jamais les sourires parfois forcés, les regards fuyants. Il ne voyait que les sourires doux et les regards aimants de ses parents. Et si ces derniers avaient bien, à un moment, considéré une deuxième adoption, c'était pour protéger Jae Won qu'ils renoncèrent. Il risquait de s'interroger, et il était hors de question de lui briser le cœur !

Enfant unique, Jae Won grandit donc en étant gâté. Petit prince dans son royaume, il était choyé par tous. Non seulement ses parents, mais ses nounous, ses professeurs, et tous les employés de maison se pliaient en quatre pour lui. Il tombait ? On courait immédiatement pour le consoler, alors qu'il n'avait même pas vraiment envie de pleurer (parfois, il laissait bien une ou deux larmes couler, histoire de les satisfaire). Il se sentait mal ? On appelait le médecin de famille, même au beau milieu de la nuit (bon acteur, il savait tousser comme un pro). Il avait envie d'un jouet ? On le lui achetait (et dans tous les modèles, s'il en existait). Il voulait adopter un chien ? On adoptait un bichon sur le champs (enfin, évidemment, on ne parlait pas d'adoption, c'était tabou). Chaque désir était ses ordres. Et, cerise sur le gâteau, plutôt que de devenir un petit garçon insupportable comme tous le craignaient sans oser le dire, Jae Won était la douceur incarné. Sur son nuage, il ne pouvait se douter que le monde était beaucoup moins sympathique qu'il ne le pensait.

Ce ne fut qu'une fois entré au collège que Jae Won se rendit compte que le monde ne se limitait pas à la demeure Kwon-Seo. L'univers ne tournait plus autour de son nombril, et plutôt que de l'effrayer, ça le fascinait. Bien sûr, une fois rentré chez lui, il retrouvait ses parents avec bonheur. Sa scolarité se passa sans mal. Après ses professeurs particuliers, le voilà dans un collège privé. Des enfants comme lui, issus de famille fortunées. Certains timides comme lui en société, d'autres arrogants mais pas foncièrement méchants. C'était là ses premiers amis de son âge. Si on lui promettait un grand avenir dans la médecine ou dans l'aérospatial, ce fut une toute autre voie qu'il s'était choisi. Féru de théâtre, amateur de cinéma, Jae Won voulait être acteur, comédien. Et si le cœur de ses parents s'était un peu brisé, il fut vite réparé : leur fils était si beau, si doué, il y parviendrait ! Et puis, si c'était son rêve, pourquoi le brider ? De vrais hippies.

Et puis un jour, son monde parfait change. Il ne comprend pas. Assis sur cette chaise, devant un notaire, il observe cette fille et ce gars. Sa sœur et son frère. Comment ça ? Pourquoi ? Il ne comprend pas. Il devait y avoir erreur sur la personne. Kwon, ce n'était pas si rare. Et puis niveau ressemblance, ce n'était pas vraiment ça non plus. C'était raciste même. Juste parce qu'ils étaient asiatiques ? Mais les larmes dans les yeux de sa mère, la mine grave de son père. Adopté. Il faudra deux bonnes et le jardinier pour le consoler, et finalement sa mère et son père. Adopté à seulement cinq ans, presque six. Le début de ses souvenirs ! Des parents assassinés. Un frère et une sœur retrouvés. En éternel optimiste, Jae Won relativise. Le plus possible, il prend contact avec eux, persuadé que s'ils ne répondent pas toujours, c'est par pudeur. S'il veut retrouver les assassins de ses parents biologiques ? Certes. S'il n'a pas les capacités intellectuelles, lui a l'argent.