Jia Xin commençait petit à petit à s’agacer et sévèrement. Elle lui avait proposé à plusieurs reprises de faire demi-tour mais il avait absolument tenu à venir. Alors qu’il n’avait que la moitié de son matériel ! Et encore, elle était persuadée qu’il n’aurait pas de quoi manger, ni de quoi faire réchauffer, ni de quoi mettre la nourriture… Finalement, il n’avait rien dans ce fichu sac. « Alors quoi ? » Demanda-t-elle, le regardant droit dans les yeux avant de lui expliquer qu’il faisait froid, la nuit. « Ben, oui. Tu croyais quoi ? Que j’ai un radiateur pour chauffer la tente ? » Dit-elle, railleuse en roulant des yeux. Puis, elle s’avança d’un pas décidé vers sa tente. Elle ne lui laissa pas d’autres choix que de l’aider. « Tu ne sais pas quoi ? » Demanda-t-elle, agacée, tournant la tête vers lui et le fusillant du regard. S’il lui disait qu’il ne savait pas monter une tente, elle le lui faisait avaler. Et elle en était capable. Elle n’était pas pour la violence mais, si au moins, ça pouvait le faire taire… Jia Xin monta la tente avec l’aide de Hoon. Ou plutôt, la plante Hoon. Elle s’occupa de tout, reprenant à chaque fois ce qu’il faisait. Finalement, la monter seule était plus rapide. « Maintenant, il faut gonfler les matelas. » Indiqua-t-elle en prenant son matelas et regardant rapidement la notice. Elle le gonfla en quelques secondes, ayant l’habitude. Et puis, les matelas de bivouac n’étaient vraiment pas épais donc très rapide à gonfler. ça ne les empêchait pas d'être confortable.

Il savait faire son beau et son malin mais il savait aussi reconnaître lorsqu’il était en tort et lorsqu’il ferait mieux de se taire. En l’occurrence, c’était un de ces moments-là : il était en tort, il avait insisté, et il devait donc maintenant se faire discret pour se faire pardonner. En temps normal, si la jeune femme n’avait pas été en colère et s’il n’avait pas été en tort, il aurait répondu avec ironie à sa question. Une tente avec un chauffage portable, pourquoi pas ? Or, il savait que ce n’était pas le bon timing. Tête baissée, il ne répondit rien. Il interrompit sa phrase d’après pile au bon moment pour ne pas déclencher une réelle crise de nerf chez la sango et il se mit à côté d’elle, essayant tant bien que mal d’imiter chacun de ses gestes. Bien sûr, il avait remarqué que ce qu’il faisait était inutile et que Jia Xin repassait derrière lui mais une nouvelle fois, il ne dit rien. Lorsqu’elle lui indiqua qu’il fallait gonfler les matelas, il se contenta de hocher la tête, de regarder ce qu’elle faisait, de lire la notice à son tour. Mais lorsqu’il entreprit de gonfler le matelas, il le fit avec beaucoup moins d’aisance qu’elle. Bien sûr, il finit par y arriver, car il n’était pas non plus un sombre idiot, mais c’était après quelques échecs. Gonflage de matelas terminé, il releva la tête vers Jia, sans rien dire, avec un regard qui attendait la prochaine instruction, comme les yeux d’un chien qui attend l’ordre de son maître.

Jia Xin aurait dû refuser catégoriquement qu’il vienne ou de le semer. En tout cas, il était certain qu’elle était en train de regretter d’avoir accepté. Parce que, déjà, il n’arrêtait pas de parler. En prime, il n’avait pas tout le matériel. Agacée, la jeune femme monta la tente, repassant à chaque fois derrière Hoon. Ce n’était pas très grave mais, ça lui faisait quand même perdre du temps. Seule, elle l’aurait monté beaucoup plus vite qu’à eux deux. Maintenant, elle passa à l’étape des matelas. Il n’y avait rien de compliqué là-dedans et même Hoon pouvait y arriver. Il savait lire une notice, il savait souffler. Il pouvait gonfler un matelas. Jia Xin ouvrit la tente quand elle eut terminé de gonfler son matelas et le plaça à l’intérieur, sur un des côtés. Elle referma la tente. Elle n’aimait pas spécialement avoir des bestioles à l’intérieur. Elle se tourna vers Hoon, le regardant galérer avec son matelas puis la regarder d’un air perdu. Elle ouvrit de nouveau la tente. « Mets le à l’intérieur. » Dit-elle, tentant de reprendre son calme et de parler doucement. Si elle avait envie de l’étriper ? Oui. Mais elle comptait se retenir, quand même. L’étudiante récupéra son sac et en sortit un plaid de randonnée pour le mettre par terre. Elle s’assit dessus, posant son sac juste à côté d’elle. Et, elle leva enfin la tête pour regarder le ciel qui commençait dangereusement à s’assombrir. « Tu as faim ? » Demanda la sango, jetant un regard à Hoon. Elle savait déjà qu’il n’aurait rien à manger. Et heureusement, elle avait prévu pour lui. Elle n’avait pas envie de l’entendre se plaindre d’avoir faim ou d’entendre son ventre crier famine toute la nuit.

Une des raisons qui poussait le jeune homme à rester silencieux, en plus de la tension qui était palpable, c’est qu’il savait que les forêts étaient propices aux meurtres et il ne voulait pas mourir aussi jeune. Il comptait vivre encore longtemps et survivre à cette soirée, aussi horrible soit-elle. Et pour cela, il fallait qu’il parvienne à ne pas énerver davantage Jia Xin, sinon elle en viendrait rapidement au meurtre et à cacher son cadavre. Alors, il restait silencieux, parlait avec ses yeux et rentra le matelas dans la chambre dès qu’elle lui eût dit ce qu’il fallait faire. Il n’osa même pas répondre lorsqu’elle lui demanda s’il avait faim. La réponse était oui mais il n’était pas certain que ce soit une bonne idée de l’admettre déjà, et ce même si son ton s’était adouci. Il attendit de longues secondes sans répondre, tantôt regardant la jeune femme, tantôt fuyant son regard, puis il hocha silencieusement la tête. Il tiendrait au moins sa promesse d’être silencieux… il devait au moins tenir cette promesse-là.

Jia Xin aimait le calme de la forêt. Mais celui-ci était perturbé par Hoon. Il l’agaçait, de plus en plus. Elle qui venait pour regarder les étoiles, au calme, dans le silence, se relaxer… Voilà que tout était fichu par terre. La jeune femme monta la tente, installa son matelas et demanda à Hoon d’en faire de même quand il termina de le gonfler. L’étudiante installa le plaid par terre, s’asseyant. Elle inspira profondément, soufflant longuement et silencieusement pour calmer ses nerfs. Elle parla plus doucement, plus posément à Hoon. Jia Xin tourna la tête vers lui, l’observant avant qu’il n’hoche enfin de la tête. Elle se pinça les lèvres et tapota la place à côté d’elle pour qu’il s’assoit. Elle sortit le réchaud, la petite casserole, les bols, les cuillères, tout pour pouvoir manger. Ce n’était pas un repas gastronomique, loin de là, même, mais c’était suffisant. Elle prépara silencieusement la part de Hoon avant de lui tendre, puis s’occupa de la sienne. « Ce n’est pas extra mais c’est le plus pratique à emmener. » Dit-elle au garçon avant de commencer à manger. Elle regardait le ciel qui était maintenant sombre. Des étoiles allaient bientôt apparaître, maintenant. Et parmi toutes les étoiles, une représentait sa mère. Elle en était certaine.

Il n’était pas certain que sa technique du roi du silence était efficace pour calmer la colère de Jia Xin. Pour apprendre quelle méthode fonctionnait le mieux avec une personne pour calmer sa colère, il fallait y avoir été déjà confronté et avoir essayé plusieurs choses. Là, c’était la première fois qu’elle était en colère – vraiment en colère – en sa présence. Malheureusement, le lieu n’étant pas idéal, il n’avait pas d’autre arme que de se taire. Ça aurait été ailleurs, il aurait acheté un repas, payé quelque chose, fait n’importe quoi, mais dans un forêt, à part lui offrir le silence promis, il ne pouvait pas faire grand-chose. Alors il se tût. Il s’assit à côté d’elle lorsqu’elle lui proposa de le faire et il attendit calmement, sans un mot, qu’elle prépare le repas de la soirée. L’obscurité était déjà là, et avec elle, les premiers bruits d’animaux – sans doute une chouette ou un hibou. Pour l’instant, rien de réellement traumatisant. « Merci » répondit-il uniquement à l’exclamation de la jeune femme. Il ne savait pas ce que c’était et il n’en avait peut-être jamais mangé, mais même s’il n’aimait pas, il s’était décidé à ne rien dire. Heureusement, quand il goûta, le plat était à son goût et il termina son repas sans rien dire. Avec l’obscurité apparaissaient les premières étoiles et il les observait silencieusement. Ce n’était encore rien d’exceptionnel, cependant.

Jia Xin se calmait petit à petit. Elle reparla d’une voix assez douce et posée, avant d’inviter le jeune homme à s’asseoir à côté d’elle. Il n’allait pas rester là, debout, comme un idiot. Même si, peut-être que, il le méritait. Après tout, elle n’avait pas eu le silence promis. L’étudiante prépara le plat du garçon, lui tendant le bol avec une cuillère. Elle s’attaqua ensuite à préparer son repas à elle. Une fois prêt, elle éteignit le réchaud et le rangea aussitôt. Elle mangea silencieusement, regardant les étoiles. Elles commençaient petit à petit à apparaître mais ce n’était pas encore la vue qu’elle aimait tant. Il n’y en avait pas assez. Avec l’obscurité, la fraîcheur arrivait, les bruits des animaux aussi. Elle crut reconnaître le hululement d’une chouette. Jia Xin jeta un coup d’œil à Hoon. Il ne semblait pas apeuré, pas encore. Elle tourna la tête vers son sac, fouillant encore dedans pour en sortir une couverture en polaire. Elle la déplia pour s’enrouler dedans et être bien au chaud pour observer les étoiles. Elle repéra tout de suite l’étoile du Berger, celle qui brillait le plus fort, la plus lumineuse. Elle connaissait par cœur toutes les constellations, pouvait les repérer aisément, à force d’observer le ciel si régulièrement. « Tu connais les constellations ? » Demanda la jeune femme, brisant le silence. Après tout, autant partager, comme il était là...

Hoon n’était vraiment pas dans son élément. Il mangeait un plat qu’il ne connaissait pas, était entouré d’une nature à ses yeux hostiles, de bruits qui lui étaient inconnus. Il ne savait pas vraiment s’il devait s’inquiéter ou pas mais pour l’instant, de voir la jeune femme détendue à ses côtés lui permettait de garder son calme. Il ne savait pas jusqu’à quand ça durerait, mais pour l’instant, en tout cas, ça allait, et c’était déjà pas mal. « Les constellations ? » répéta t-il, un peu perplexe. « Je connais quelques noms, les plus connues, mais je ne saurais pas les reconnaître. » confia t-il. Il n’avait jamais montré un réel intérêt en tout ça, enfant de la ville qu’il était. A moins de se perdre dans de telles forêts, il était impossible de voir vraiment les étoiles en habitant à Séoul. Alors il se contentait des étoiles vues dans les films, ou dans les images, et ça ne lui permettait pas de développer une culture sur les constellations. « J’imagine que toi, tu les connais bien ? » demanda t-il ensuite, oubliant qu’il avait promis de se taire en l’accompagnant. Pour sa défense, c’était elle qui lui avait adressé la parole en premier.

Jia Xin était complétement dans son élément. Elle appréciait la nature, le doux bruit du vent dans les feuilles des arbres, l’hululement de la chouette et pouvoir observer, dans cette ambiance qu’elle aimait tant, les étoiles. Ce n’était pas silencieux, la nature parlait et l’étudiante aimait l’écouter. La fraîcheur arrivant, la jeune femme sortit son plaid bien chaud et s’enroula dedans avant de relever la tête et de regarder, toujours avec admiration et les yeux pétillants, les étoiles qui apparaissaient petit à petit. La première fut l’étoile du Berger et Jia Xin la repéra de suite. Elle esquissa un sourire, avant de poser une question à Hoon. Ça la rendait curieuse. Et elle brisait elle-même la promesse qu’il lui avait faite. « Hm, je vois. » Dit-elle, pensive. Pour l’instant, on ne voyait clairement que l’étoile du Berger. Les autres étoiles étaient encore faiblardes mais, ils n’avaient qu’à attendre quelques minutes avant d’avoir un véritable spectacle devant eux. « Oui, je les connais par cœur. » Répondit-elle en le regardant avant de perdre de son nouveau son regard dans les étoiles. « Pour l’instant, on ne voit que l’étoile du Berger. C’est l’étoile qui brille le plus fort. » Informa-t-elle le garçon. « Il faut attendre encore un peu pour voir les constellations. » Ajouta-t-elle. Finalement, qu’ils parlent ne gâchait en rien l’observation des étoiles. Mais, elle n’était pas prête de resigner pour ça. Une fois mais pas deux.

Jetant un regard en biais vers l’étudiante, Hoon fut surpris de la voir avec une expression qu’il n’avait alors jamais vue. En sa présence, pour l’instant, elle affichait la plupart du temps un visage las et agacé – mais alors qu’elle levait la tête vers les étoiles, elle avait un léger sourire, des traits du visage détendus, comme si elle avait supporté sa vie jusqu’à là uniquement pour être capable d’être dans cette forêt, ce soir-là, et y observer les étoiles. C’était un sentiment avec lequel il pouvait difficilement compatir puisque, contrairement à elle, il n’attendait qu’une chose : que le jour se lève pour qu’il puisse reprendre la vie qu’il a toujours eue, dans la civilisation. Lorsqu’elle reprit la parole, il s’empressa de lever de nouveau la tête vers le ciel – si elle le surprenait en train de la regarder, elle se ferait peut-être des idées – et chercha du regard l’étoile qui brillait le plus. Il y en avait bien une qui se démarquait des autres. Ignorant quoi répondre aux informations, il ne dit rien et le silence s’installa de nouveau. Honnêtement, Hoon n’avait jamais été très curieux à propos des constellations dans le ciel, ou des noms des étoiles. S’il n’avait pas suivi Jia Xin ce soir, il n’aurait jamais découvert que ça pouvait être intéressant. A part en étant seul dans une forêt, il n’y avait aucune situation où il aurait « perdu son temps » à observer les étoiles. Désormais, il le ferait probablement un peu plus régulièrement, en gardant en tête les mots de Jia Xin. Si du moins, il sortait vivant de cet endroit hostile. « Qu’est-ce qui t’a poussé à regarder les étoiles ? » demanda t-il lorsque le silence lui parut difficilement supportable. Une question qui pouvait paraître étrangement formulée, mais au fond c'était ça dont il était curieux. Parce que lui trouvait toujours d'autres choses à faire que regarder les étoiles. Bien sûr, il jetait parfois un coup d'oeil vers le ciel étoilé, disait que c'était joli, pour passer à autre chose. Mais jamais il ne l'avait contemplé avec attention. Hoon avait déjà entendu le discours de personnes qui aimaient les étoiles. Le classique ça m’aide à relativiser, mes problèmes semblent petits face à l’immensité du ciel, ou ce genre de phrases clichées. Peut-être que c’était vrai pour certaines personnes, mais Hoon n’avait jamais eu la sensation que regarder le ciel le faisait relativiser sur ses soucis personnels. Ses problèmes étaient peut-être minuscules à l’échelle de l’infini, mais ils étaient immenses à son échelle à lui, donc ça ne l’avait jamais consolé.