« Kitae, tu peux me prêter de l’argent ? Je te rembourserai le mois prochain. » Il arque un sourcil, interloqué. Il attend des explications, je le sais mais je n’ai pas envie de déblatérer des mensonges, alors je me contente de l’observer l’air impassible. « Ce n’est pas pour de la drogue ? » je plisse les yeux, mime un faux rire et soupir. Il n’y a que lui qui peut se moquer de ma vieille addiction, je ne le prends pas mal, alors qu’il sort déjà quelques billets de sa poche. Il n’est pas plus riche que moi. Ses fins de mois sont parfois difficiles et je m’en veux un peu de lui demander. Lui qui m’a déjà aidé à payer ce voyage. Il me tend l’argent, que je mets directement dans ma poche. « Merci » je souffle entre mes lèvres, alors que j’apprécie le fait qu’il n’insiste pas. Cet argent j’en ai besoin pour aujourd’hui, je sais que s’il le faut je ferais des heures supplémentaires pour lui rendre. Alors c’est l’esprit plus léger que j’arrive aux pistes. Cette fois-ci, c’est notre dernier jour ici. J’aurais le cœur serré en temps normal, devoir repenser à me priver de liberté, à vivre de nouveau enfermé dans une cage. Mais je reste focus sur ce que nous vivons tous ensembles. Je joue le jeu, reste avec eux pour récupérer mes affaires et les suis à l’extérieur. Pourtant, je reste un peu en retrait, une idée bien encrée dans la tête. J’y ai pensé à la minute où je l’ai vu entrer dans la pièce. Je sais que c’est bête, que je pourrais proposer ça à tout le groupe… mais je l’avoue, j’ai envie d’être égoïste ce matin. De ne penser qu’à moi, qu’à ce que je voudrais. Et ce que je veux c’est passer du temps avec elle ! Alors je les laisse s’éloigner avant de venir attraper subitement la main de Ye Won « Viens avec moi. » je la tire, sans lui faire la moindre explication et l’entraine dans une boutique et nous mettre à l’écart. Lâchant sa main, je prends mon téléphone et lui tends devant les yeux « ça te dit de faire ça avec moi ? » j’ai un sourire enfantin sur le visage, on dirait que je m’apprête à passer la plus belle journée de ma vie. Mais je me sens enthousiaste, j’ai envie de faire autre chose que du snow et descendre des pistes. J’avais vu ça ce matin, du vélo dans la neige ! Les critiques sont bonnes, les vélos particuliers et je n’en ai jamais fait. « On peut encore en louer. » je ne suis pas sensations fortes, pour être franc je le suis premier à détester les manèges dans les parcs d’attractions. Ce que j’aime surtout c’est la proximité avec la nature, sentir cet espace autour de moi, comme si le monde pouvait m’appartenir. Je me suis trop longtemps replié sur moi-même durant ce voyage. Cette fois j’aimerais en profiter. Je crois qu’elle, comme moi l’avons mérité. Elle a l’air un peu hésitante, je ne sais pas si c’est l’activité qui la fait douter, les autres…  « T’inquiètes pas pour eux. Ils penseront qu’on a fait du hors-piste. » Ça ne serait pas la première fois depuis le début de notre séjour. Je prends ça avec du recul et si le souci c’est « nous », alors je m’empresse d’ajouter « ça ne veut rien dire. C’est juste un truc fun qu’on fait tous les deux. » Rien de plus, rien de moins. Ce n’est pas un rencard, ou je ne sais quoi d’autre. Je ne veux pas lui mettre de pression, j’ai juste envie de partager un moment avec elle. Est-ce que je dois me justifier ? Je n’en sais rien, je ne sais pas à quoi rime tout ça. J’ai peur subitement qu’elle n’accepte pas et qu’elle préfère garder ses distances.

Tu tentes de garder la face, un air impassible qui, à cet instant, ne te ressemble pas. Mais, tu sais, en voyant les pistes se rapprocher de toi, que tu sauras profiter pleinement de cette journée, avec eux. Un sourire que tu offres à ton ami, avant d'aller récupérer votre matériel, comme si de rien n'était. T'es déjà prête à aller parcourir les pistes, tu te dis que cette fois, tu pourrais même faire une course avec eux, malgré ton état de santé. La neige, le soleil qui se profile à l'horizon, tout s'y prête pour rendre cette dernière journée mémorable, quelque part. Sortie de la boutique de skis, tu t'apprêtes déjà à partir avec eux, quand tu peux sentir une main te retenir. L'un de tes sourcils qui s'arque sous la surprise, alors que t'es entrainée plus loin, voyant le groupe s'éloigner. T'as du mal à retenir ton étonnement, encore moins lorsque tu vois Il Kyang tendre son téléphone devant toi, te proposant une activité dont tu ne connaissais pas l'existence. Tes yeux qui s'écarquillent, sans savoir quoi répondre. Ton doigt fin qui vient pointer l'écran devant toi, un léger sourire qui se glisse sur tes lèvres. « Tu veux faire ça ? Avec moi ? Tu sais quand même que je tiendrais pas cinq minutes dessus. » T'aurais envie de rire, mais tu te contiens. Tu vois bien dans son regard qu'il est sérieux, qu'il y a un réel enthousiasme qui se dégage de lui. Et tu ne peux pas le nier. Pourtant, lorsqu'il parle des autres, t'y penses instinctivement, te demandant déjà si cette excuse pourrait réellement être valable. Après tout, c'est disparaitre tous les deux, si tu t'y risques. Un soupire, des questions qui te viennent, des excuses que tu tentes déjà de chercher. Ce n'est pas raisonnable, te crie ton esprit. Mais ton coeur lui, t'implore d'y aller, qu'importe ce qu'il se passera après. Une moue qui se dessine sur tes lèvres à ses mots. Ca ne veut rien dire. Est-ce que t'espérais autre chose dans cette proposition ? Certainement, mais tu ne dis rien, baisse ton regard un instant. Mais tu sais aussi, que t'as envie d'être avec lui. Passer un moment à deux, sans les autres autour. Tu veux retrouver cette liberté qui vous caractérisait tant, et tu peux le faire, tu n'as qu'un seul mot à dire pour ça. « D'accord. » lances-tu enfin, reportant ton attention sur lui. Et si ça ne veut rien dire, tant pis, t'auras malgré tout le plaisir de rester en sa compagnie, juste lui. De toute façon, tu n'es pas là pour réfléchir, pour mettre un mot sur ce qu'il se passe entre vous. Le mot d'ordre que tu t'es donné aujourd'hui est celui de profiter. Alors autant le faire. Et si en plus, il peut être là pour ça, ce n'est pas quelque chose que tu peux renier. « Mais j'te préviens, j'vais pas tenter des trucs de fou là-dessus, j'tiens à ma vie quand même. » Et tu ris, légèrement. Quelque part, tu retrouves ce naturel, le même que celui dont t'as su faire preuve sur cette plage, deux mois plus tôt, alors que vous aviez fini dans l'eau. Alors que t'y penses, il y a une certaine malice qui nait dans tes yeux, inlassablement posés sur lui. Prête à faire un nouveau saut dans l'inconnu, encore avec lui.

Ça ne veut rien dire… serait-ce un nouveau mensonge ? Je crois… en quelque sorte oui je ne suis pas franc, que ça soit avec elle, comme avec moi. En réalité j’aimerais lui dire que ça représente quelque chose, un nouveau départ, une nouvelle opportunité. Un nouveau chemin qu’on pourrait prendre tous les deux. Mais j’ai peur de compliqué les choses. Peur qu’elle ne veuille pas, que dans son esprit tout soit encore un peu frais. Je prends sur moi, voilà ce que je fais. Il faut que j’arrête d’être déraisonné. De toujours vouloir plus alors qu’elle ne peut m’offrir que ce qu’elle a. J’espère tellement, la retrouver, être avec elle… former un nouveau nous. C’est trop ! Je le sais, je ne l’ai jamais autant souhaité de toute ma vie. Et c’est bête, car à trop vouloir on finit par passer à côté de ce qu’on peut avoir. J’essaie donc de me freiner, de voir cette journée comme une occasion de s’amuser. J’aimerais qu’on est de beaux souvenirs tous les deux. Qu’on ne parte pas d’ici avec des regrets. J’en ai certains avec les autres. C’est vrai, malgré les disputes que j’ai eu, les bagarres aussi. Je ne regarde pas en arrière avec amertume. Finalement, j’ai passé de bons moments avec tous… et avec Ye Won… égoïstement j’aimerais m’en construire davantage. Pouvoir profiter plus, me l’accaparé… est-ce mal ? De vouloir être avec elle, tout seul ? Quelque part oui un peu, mais je m’en fous. Je balaye rapidement cette pensée et souris lorsqu’elle accepte. Enthousiaste, je me presse pour qu’on aille rendre notre équipement. C’était bête finalement, mais au moins les autres penseront qu’on continue à être sur les pistes. « Il faut que j’aille louer les vélos. » alors je vais déjà vers la caisse pour demander des renseignements. J’avais déjà regardé les prix, l’une des raisons pour laquelle j’avais emprunté de l’argent à Kitae. Alors je paye, tandis que la jeune femme me demande « C’est la première fois ? » « Oui. » je crains brusquement qu’elle me dise qu’il nous faut un moniteur. J’avais espéré pouvoir me débrouiller seul. « D’accord, alors vous aurez un guide pour vous orienter sur les sentiers prévus. Vous allez voir c’est super en plus il fait beau temps. » Je garde un soupir pour moi et n’ait pas d’autre choix que d’accepter. Tandis qu’elle appelle le guide, je retourne vers Ye Won avec un bracelet coloré. « Tiens il faut mettre ça. Et on peut aller prendre les protections là-bas. » Je l’invite à me suivre vers le fond de la boutique que m’a indiqué la vendeuse. Regardant les équipements, je me tourne vers elle « On a un guide. Au cas où on se perdrait je suppose. » Je ris doucement, plutôt téméraire, je ne suis pas du genre à suivre les règles à la lettre. Je trouve ça même un peu chiant de devoir suivre quelqu’un. Mais il faut faire avec. Finalement, il ne faut que quelques minutes avant qu’un homme apparaisse devant nous. « C’est vous pour le vélo ? Je me présente Nishikido. » Je fais un signe de tête, tandis que je le dévisage un peu. Il est grand pour un japonais, plutôt svelte et une belle allure. Je l’avoue… il a de la classe malgré ses habits de montagne. Il ne tarde pas à aller à l’extérieur, nous prévenant de bien mettre les protections adéquates et un petit discours rébarbatif. L’écoutant à moitié, je reste les yeux rivés sur les vélos aux énormes roues. Je me demande s’il y aura assez de poudreuse pour pouvoir aller dedans. En dehors des quelques règles, ça reste du vélo, alors je n’ai aucune inquiétude en montant dessus. « Suivez-moi on va commencé la balade. » Je lance un regard complice à Ye Won et la laisse passer avant moi. 

 

L’effet de surprise s’estompe rapidement, alors que ton regard reste posé sur lui. Une sensation étrange qui te parcoure d’un seul coup. A vrai dire, tu ne sais plus vraiment quoi penser, te retrouve une nouvelle fois perdue. Cette fois, tout est plus agréable, certes, mais tu ne le pensais pas capable de vouloir s’échapper du groupe, et t’embarquer avec lui. Il assure même que ça ne veut rien dire, mais une part de toi a envie d’en douter. Peut-être que c’est plus réconfortant, de cette manière. Peut-être que ça te laisse croire que rien ne viendra entacher ce moment avec lui, comme ça a été le cas quelques semaines plus tôt. Tu préfères te raccrocher à ce doute minime, plutôt qu’au reste, et lui offre un sourire alors qu’il part déjà louer les vélos. Tu rends à ton tour ton matériel, retourne à ses côtés. Tu ne peut pas nier que tout ça reste un peu étrange pour toi, te voir partir dans une nouvelle aventure avec lui. Mais t’aimes ça, quelque part. T’aimes à penser que tout ça t’aidera à te remémorer plus intensément encore tout ce que vous avez pu vivre, pendant ces années adolescentes. D’un geste fin, tu lui tends ton poignet pour qu’il y accroche le bracelet qu’on vous donne, et le suit jusqu’au fond de la boutique pour récupérer les protections. Tu restes silencieuse, observant ce qu’il se passe. Quelque part, t’essaies de te faire à l’idée que vous allez partager quelque chose de nouveau, et ça n’est plus arrivé depuis si longtemps. Alors tu tentes de garder en mémoire tout ce qu’il se passe, le grave dans un coin de ta tête. Une autre façon de ne pas oublier ce dont vous êtes capables, lorsque les disputes arrêtent d’animer votre quotidien. « Dis plutôt qu’ils ont peur qu’on s’en aille avec les vélos. »  et tu ris de ta propre remarque, aussi stupide peut-elle être. T’en as assez de trop réfléchir, à ce que tu devrais faire, ou dire. Tu laisses tout ça de côté pour simplement profiter. Une fois que vous êtes prêts, le guide arrive devant vous, te surprend par sa taille. Tu l’écoutes, mais te perds facilement dans ses explications. Parce qu’Il Kyang est là, à côté de toi. Tu peut aisément sentir son odeur, et ça te perturbe, finalement. T’aurais envie d’en rire mais n’en fait rien, alors que tu sors finalement de la boutique, attrapant le vélo qu’on te donne. T’as le coeur qui bat un peu plus vite, ce serait mentir que de dire que tu n’as pas peur de faire cette activité pour la première fois. Mais t’avais ce côté aventureux, avant, et t’es prête à renouer avec cette part de toi aujourd’hui. Un regard en direction d’Il Kyang, et tu t’élances, peu sûre de toi. Il ne te fait pas bien longtemps pour voir un nouveau sourire se dessiner sur tes lèvres. Tu peux déjà sentir ces nouvelles sensations t’envahir, cette découverte que tu fais, alors que tu pédales pour la première fois dans la neige. Impensable, quelques heures plus tôt. Mais t’y es, prête à avancer sur le sentier qui se dessine devant vous. A vrai dire, tu n’écoutes déjà plus le guide, tourne ta tête en arrière pour voir comment il se débrouille. « C’est trop bizarre ! » lances-tu enfin en sa direction, un rire de plus qui s’échappe de toi, qui confirme le simple fait que oui, en fin de compte, t’es heureuse d’être là.

Je ris à sa remarque, me disant qu’elle n’a pas tout à fait tort concernant ces vélos. J’imagine qu’ils doivent couter une fortune. Je n’ai jamais eu de vélo de ma vie, lorsque j’étais gamin j’empruntais toujours celui de mon voisin pour aller faire un tour avec lui. Au final je passais plus de temps courir à ses côtés qu’à vraiment monté dessus. Mais ce véhicule est presque symbolique, parce-que c’est l’un des rares à pouvoir offrir une vraie liberté. J’avais envie de ça aussi, de pouvoir rouler, parcourir des chemins que je ne connais pas, tout en sentant le vent fouetter mon visage, sentir les odeurs des forêts. Je suis un éternel insatisfait, toujours à la recherche de grands espaces. J’en avais presque oublié les saveurs avec le temps passé derrière des murs. Mais depuis que Ye Won est revenue dans ma vie, j’ai sans cesse envie de renouer avec ce que j’étais. Je me suis perdu au fil des années et ces semaines ne m’ont pas réellement aidé. Je pensais pouvoir retrouver un peu de moi, puis tout s’est enchainé maladroitement. Quand je repense à l’audition que nous avons passé Kitae et moi… nous n’avons eu aucune nouvelle. Je sais qu’il ne m’en veut pas, mais c’était important pour lui et je reste persuadé d’avoir tout gâché. Je connaissais les morceaux par cœur, mais je manquais cruellement de passion et j’ai détesté le mettre dans l’embarras. Un simple « merci, on prend vos coordonnées » pour ne plus jamais entendre parler d’eux. Honnêtement, nous n’avons aucune chance et c’est ma faute… je n’ai envie de repenser à ça, alors je m’investis dans cette nouvelle activité. La laissant passé devant, je prends mes marques sur le vélo. Plus haut que les citadins, il me faut un certain temps avant de m’habituer et pédaler derrière elle. Puis finalement, c’est assez facile de retrouver le mouvement. Ce qui me parait le plus difficile c’est la force qu’il faut y mettre. Je n’écoute pas vraiment le guide qui parle pourtant à quelques mètres devant nous. Je reste concentré sur ce que je fais et je l’avoue, mes yeux trop curieux se posent souvent sur elle. D’ailleurs lorsqu’elle se tourne, j’accélère un peu profitant du sentier plus large pour venir rouler à ses côtés « Si jamais t’as mal, tu me préviens ! » Je pense que c’est surtout parce-que nous sommes en pente. Le guide se tourne et s’écrie « On va grimper plusieurs kilomètres pour aller tout en haut de la montagne. Vous aurez la plus belle vue et une surprise vous attend. » Je lance un regard à Ye Won. Même si c’est physique, je crois que ça vaut le coup. J’avais vu sur le site qu’on pourrait y voir des grandes plaines enneigées et même un petit lac. Peut-être est-ce de ça dont il parle ? Je garde cette information pour moi, pour lui laisser le plaisir de découvrir ce pourquoi on s’efforce d’avancer. Le guide nous indique comment changer les vitesses, alors je m’exécute pour avoir une montée plus confortable. Quand après quelques minutes tout le monde trouve son rythme il se met à nous parler de tous les arbres et leurs espèces. « J’ai l’impression d’être à l’école. » je ris doucement, profitant tout de même du décor magnifique qui nous entoure. Je ne suis pas déçu, même si c’est un peu dur et pas reposant, je me sens plus tranquille. A l’abri des regards, sur les sentiers il n’y a que nous, le bruit des vélos et la nature. La neige est assez haute pour craqueler sous nos roues. Tout est parfait hormis ce guide un peu trop investi. 

Tu te concentres sur ce que tu dois faire, les mouvements, les changements de vitesse, pour être sûre de ne pas trop forcer ton corps face à cette nouvelle activité. Tu sais que tu ne devrais pas être là, ton médecin t’engueulerait une fois de plus pour ça. Mais il faut dire que depuis quelques années maintenant, t’es plutôt douée quand il s’agit d’ignorer les ordres qu’on te donne. Tu l’as prouvé plus d’une fois, surtout à tes parents. Dans le fond, il n’y aurait pas grand monde de surpris, de savoir que t’es sur un vélo, sur la neige. Une idée qui te fait sourire, profitant de l’air frais sur tes joues. T’oses observer autour de toi, quelques fois, en faisant attention à suivre le sentier devant toi, pour ne pas finir dans un arbre. C’est comme un décor pittoresque qui se dessine devant toi, au fur et à mesure des mètres parcourus. Tu forces encore un peu, parfois. C’est encore plus physique que tu ne le pensais, mais tu continues d’avancer. Davantage encore lorsqu’Il Kyang arrive à ta hauteur. Tu lui réponds d’un simple hochement de tête, n’écoutant pas vraiment ce que peut bien dire votre guide. Sauf lorsqu’il parle de surprise, le seul mot qui retient ton attention. Ca te rend un peu plus curieuse, tu te doutes que vous allez tomber sur une vue à couper le souffle, mais tu ne sais pas à quoi t’attendre exactement. « J’espère vraiment que ça vaut l’coup. » lances-tu finalement, dans un rire. Pendant un instant, t’essaies d’écouter ce que le moniteur vous raconte, mais ton avis se tranche rapidement. Il est un peu barbant à parler de toutes ces variétés d’arbres. Non pas qu’il n’y a aucun intérêt à connaître ces choses là, mais à cet instant précis, tu trouverais plus agréable d’entendre simplement le bruit de la neige se tassant sous les pneus des vélos, le tout accompagné des bruits de branches bougeant au rythme du vent. Alors tu te concentres là-dessus, essaie de trouver ton rythme, et les bonnes vitesses pour ne pas avoir à forcer trop sur tes jambes. « On lui dit qu’on a plus eu de cours de bio depuis des années ? » Un nouveau sourire sur tes lèvres, et tu prends un peu d’avance sur Il Kyang. Une sorte de petite course finalement, savoir qui arrivera en haut le premier. Tu sais déjà que t’as peu de chances, vu tes conditions actuelles, mais ça t’amuse, quelque part. Ne plus avoir à penser à rien, simplement profiter de l’instant. Malgré la présence du guide, tu laisse tes envies parler pour toi, en fin de compte. C’est toujours plus agréable, ça permet de se sentir un peu plus vivant, aussi. Et c’est ce que tu recherches encore, tes mains accrochées au guidon de ce vélo. Une autre façon d’attraper au vol cette liberté qui te manque tant. Et qu’on peut parfois toucher du bout des doigts, dans un simple moment.

Plus détendu et accessible, je ris à sa plaisanterie avant de la voir me dépasser. Je souris, acceptant ce défi silencieux pour savoir lequel de nous deux arrivera le premier. Je pourrais surement accélérer, même aller plus vite que le guide mais je l’entends déjà nous crier dessus comme des enfants. Alors, je monte le rythme d’un cran, juste assez pour tenter de rester derrière Ye Won. Je n’ai pas besoin de la dépasser tout de suite et puis ça m’amuse de la laisser prendre un peu d’avance. Malgré notre petite course enfantine, je laisse mes yeux se perdent sur les paysages qui nous entoure. A cette altitude, le vent devient plus frais, assez pour me redonner un coup de boost. J’ai l’impression d’avoir fait un grand pas. Comme si hier n’existait déjà plus. Est-ce possible ? Je n’en sais rien, mais je laisse toutes les émotions négatives de côté. Finalement, je finis par dépasser Ye Won et lui lance taquin « Bah alors tu traines ! » puis, je vais plus vite pour finir par arriver à hauteur du guide. Celui-ci se tourne vers moi, un sourire aux lèvres pour venir me parler des plantes. Je l’observe quelques secondes, avant de me tourner vers Ye Won et articuler « au secours ! ». Est-il vraiment sérieux ? Pense-t-il que je fais ce genre de balade pour entendre ça ? Je garde un soupir enfoui et tente de me concentrer davantage sur le reste. Je n’avais pas remarqué, mais nous avons une bonne allure. Assez pour qu’il me dise « Le sommet est dans à peine dix minutes. » Je le regarde, puis ralenti pour le laisser me dépasser. Attendant que Ye Won me rejoigne « Ralenti. On va y aller sans lui. » je sais que c’est un peu risqué, parce-que je ne compte pas rester derrière lui sur le chemin. « On va par-là. » je lui indique un autre chemin, plus étroit et moins suivis des touristes. Mais nous avons des vélos faits pour ça. Lorsque le guide me parait bien assez devant nous, je m’arrête et me met à rire en pressant Ye Won de partir de là. Je vais plus vite, pour qu’il ne nous voit pas nous échapper et passe devant pour guider Ye Won. Je n’ai pas la moindre idée d’où on va, mais au moins ici il y a assez de neige pour la sentir craquer et il n’est plus là à nous parler de ses oiseaux. Je suis les tracés, qui nous mènent tout droit vers une petite étendue d’eau au milieu des arbres. Enthousiaste, je prends le temps d’arrêter mon vélo pour y faire quelques photos. Je ne cesse de répéter que c’est trop beau « On serait passé à côté de ça. » suivre un chemin touristiques c’est sympa. Mais au final, c’est bien mieux si je peux suivre mon propre chemin. M’approchant de Ye Won avec mon vélo, je lui souris « On se prend ensembles ? » ce n’est rien, qu’une photo de nous deux partageant un bon moment. Ça ne veut pas dire que je veux plus… j’aimerais juste avoir un souvenir de cet instant. Je ne lui laisse pas le temps de réfléchir, passant déjà mon bras autour d’elle pour venir nous coller et tendre mon téléphone devant nous. Une fois la photo prise, je regarde mon écran plutôt satisfait du résultat… mais malgré moi mon cœur se serre subitement. Parce-que je repense à toutes ces vieilles photos que je n’ai pas gardées, par peur de m’y replonger comme celle que je cache dans mon carnet. Au final, je savais que je serais trop nostalgique. Je n’ai jamais apporté d’importance à ces choses-là. Avec le temps, je me rends compte que ça faisait partie de moi et de nous. Une légère moue, je relève la tête vers elle « Je te l’enverrai. » avant que mon regard ne s’égare trop sur sa bouche. Je n’ai pas le droit je le sais, je ne vais pas toujours me servir comme bon me semble. Mais… mais rien ! Je me ravise brusquement et range mon téléphone. « Aller, je pense qu’on est bientôt arrivé. » et je repars sur mon vélo.

Comme un défi, une manière de s’amuser un peu plus. Laisser ces paysages magnifiques enchanter cette journée, sans penser au reste. Ce rictus qui ne te quitte pas, malgré cette moue que tu offres à Il Kyang quand tu le vois te dépasser. Gagner cette fausse course n’est pas le plus important pour toi, mais plutôt goûter à cette liberté qu’il sait si bien t’offrir. Tu l’observes se mettre à la hauteur du guide, sans réellement être surprise des mots qu’il mime à ton égard, te faisant rire. Tu baisses la tête, presque gênée d’en être autant capable. Depuis combien de temps cela ne t’étais pas arrivé ? Trop longtemps, certainement. Tu continues simplement à ton allure, sans vraiment chercher à accélérer pour arriver à leur hauteur. A vrai dire, tant que tu peux éviter le monologue barbant du moniteur, tu le fais, restant légèrement en retrait. Il ne te faut que quelques tours de pédales pour retrouver Il Kyang, qui laisse déjà votre hôte vous semer. Un sourcil que tu arques à sa remarque, te demandant ce qui peut bien lui traverser l’esprit. « Tu veux aller ou ? » oses-tu demander, mais tu n’as pas le temps d’avoir une réponse qu’il t’indique déjà un autre chemin à emprunter. Un dernier regard vers le sentier sur lequel vous êtes, et tu finis par tourner, le suivant, sans être réellement sûre de ce que tu es en train de faire. Mais après tout, vous êtes là pour vous amuser, pour ne penser à rien à part ce que vous êtes en train de vivre. Les mètres qui défilent sous les roues de vos vélos, avant que vous ne vous arrêtiez enfin. T’es bien contente de pouvoir faire une pause, alors que tu peux déjà sentir un peu d’essoufflement. Ca a tendance à provoquer quelques douleurs à tes côtes, mais t’évites d’y penser, te concentre sur l’étendue d’eau qui se trouve finalement devant vous. Le paysage est toujours plus beau, à chaque fois que vous avancez. A ton tour, tu prends quelques photos, histoire de marquer cet instant. « C’est vraiment beau ici. » lances-tu à son attention, ton regard posé sur lui, lui offrant un sourire sincère. Tes yeux qui s’écarquillent quand il te propose de prendre une photo avec lui, mais tu n’as pas le temps de réfléchir qu’il se dépêche déjà de prendre le cliché. Tes yeux encore posés sur lui, étrangement. « Hé, fais pas les choses en scred comme ça. » Tu ponctues ta phrase d’un rire, accompagné d’un léger coup d’épaule. « T’as intérêt à me l’envoyer surtout. » Tu gardes cet air amusé sur le visage, sans pouvoir le quitter de ton champ de vision. Tes lèvres qui se pincent alors que tu le vois déjà s’éloigner, récupérant son vélo. Tu fais alors de même, sans un mot de plus. T’as du mal à te sentir entièrement à l’aise sur cet engin, pourtant ça reste agréable. Tu le laisses rester devant pour montrer le chemin. Une excuse si jamais vous finissez par vous perdre. De quoi l’embêter si ça arrive. Une idée qui te fait sourire, alors que t’es trop dissipée pour te remémorer parfaitement les sentiers que vous empruntez.

J’aurais dut la prévenir, je sais, mais une partie de moi pensait peut-être qu’elle refuserait. C’est vrai, je l’admets, je ne sais pas trop quoi penser d’elle et encore moins de ce qu’elle a en tête. C’est compliqué pour elle, comme pour moi. Mais je devine que les choses sont plus complexes en ce qui la concerne. Elle me l’a dit, tout ça l’effraie. Je suis donc persuadé qu’elle doit se poser miles et une question. Avoir une petite voix qui tente de la raisonner en lui disant « Hey oublie pas, il t’a abandonné. » même si je tente de prendre ça avec du recul, au fond de moi j’ai peur. Peur que cette petite voix finisse par avoir raison et la dissuade de continuer. Qu’elle rebrousse chemin, qu’elle fasse demi-tour en me disant qu’elle n’est plus capable de me faire confiance. C’est tous ces petits détails qui me font peur. C’est aussi pour ça que je tente moi-même de me raisonner, de ne pas céder à toutes ces stupides envies qui me bourrent le crane. Mais c’est dur parfois ! De toujours devoir se priver quand c’est toute votre tête qui vous dit de foncer. Je suis nature fougueuse, je prenais rarement le temps de réfléchir à chaque geste, chaque parole. Aujourd’hui j’ai changé oui, mais cette partie de moi n’a pas disparue. Et c’est souvent, bien trop que je dois m’efforcer à laisser ces idées de côté. Alors oui, c’est pesant, encore plus depuis ce qui s’est passé hier soir mais il faut avancer et faire semblant. Me dire que je verrais bien demain… je m’accorde quelques secondes de répits à ne pas me priver. Juste une photo, ça ne fera de mal à personne n’est-ce pas ? Je ne sais pas ce qu’elle pense de ce détail, malgré qu’elle veuille la récupérer aussi. Un bon souvenir ? Peut-être… je reste évasif avec moi-même, me précipitant déjà pour oublier toutes ces idées qui me martèlent la tête. Reprenant la route, je continue à suivre les traces me disant bien qu’elles finiront par mener à l’endroit souhaité. La forêt est un peu plus dense, mais il y a toujours ces petits chemins. « Je suis sûr que c’est par là. » Je pourrais peut-être ouvrir mon téléphone ? Même si je n’ai pas la moindre idée de comment s’appelle l’endroit mais je verrais bien une grande étendue d’eau sur la carte. Finalement, je me décide à le sortir et ouvre mon GPS… si je pensais avoir du réseau ici, c’est peine perdue. Un mauvais signe ? Je reste, impassible, me disant bien que ça finira par fonctionner. En attendant je continue la route. C’est après quelques minutes que je me rends compte que le chemin devient plus long. Il n’avait pas dit à peine dix minutes ? Je finis par m’arrêter. Relevant mon téléphone comme un idiot, je cherche du réseau « Je… je tente de t’envoyer la photo. » vraiment ? Pourquoi est-ce que j’ai dit ça ? Surement parce-que je ne veux pas qu’elle pense que je ne sais pas ce que je fais. Je râle, voyant toujours mon écran chercher un réseau qui n’existe pas. Relevant la tête, je finis par indiquer un autre chemin. Peut-être croira-t-elle que je sais où je vais ? Je n’hésite pas, remontant sur ma selle pour poursuivre. D’une main j’essaie tant bien que mal de regarder où je pourrais aller. Mais rien ne m’aide… Je pourrais rebrousser chemin, mais j’ai du mal à l’admettre. Alors je continue toujours persuadé que je vais trouver ce que je cherche. Ici il n’y a plus grand-chose à voir à part des arbres et des… arbres. Pourtant, je fais mine d’observer les alentours, comme si j’étais toujours plongé dans la contemplation de la nature. 

Tu ne sais pas vraiment quoi penser de tout ça. Et même si t’essaies, du mieux possible, de ne pas t’attarder sur tout ce qu’il se passe depuis votre arrivée, c’est bien plus difficile qu’il n’y parait. Tu sais, au fond de toi, que tu n’es pas encore totalement prête pour imaginer que vous puissiez former à nouveau ce couple. Mais une part de toi le réclame, à chaque fois. C’est pour ça aussi, que t’acceptes de le suivre, autant dans cette nouvelle activité que sur des sentiers perdus. Ca te pousse à espérer passer plus de temps à ses côtés, oublier davantage encore tout ce qui a bien pu se passer. L’impression parfois qu’il n’y a que comme ça, que tu arriveras à totalement te défaire de ces blessures qui te suivent depuis trop longtemps maintenant. Tu veux arrêter de souffrir pour un abandon vieux de trois ans, tu veux retrouver le bonheur que tu vivais à l’adolescence. Et il arrive quelque part à ce que ça se produise. Même si parfois, ces vieux démons reprennent place, bien malgré toi. Tu secoues légèrement ta tête, tente d’effacer de ton esprits toutes ces idées qui se bousculent. Il vaut mieux laisser faire le temps, finalement, c’est ce que tu te dis, alors que vous vous remettez enfin en route. Tu te perds dans ces paysages blancs, cette forêt autour de vous qui se fait parfois plus dense. Ton regard qui vagabonde autour de toi pour te vider la tête. Ca a le don de fonctionner un temps, alors que tu suis aveuglément Il Kyang. S’enfoncer dans ces chemins pour prendre un grand bol d’air frais, ça fait toujours du bien, davantage encore lorsqu’il n’y a pas de guide pour improviser des cours sur la nature environnante. Tu freines lentement, le temps d’arriver à sa hauteur, pour t’arrêter complètement. Tes sourcils froncés, tu essaies de voir ce qu’il fait, sans grand succès. « Ca peut attendre qu’on soit rentrés tu sais. » réponds-tu dans un sourire. Pourtant, t’as cette intuition qui te dit que ce n’est pas tout à fait ce qu’il tente de faire. Une moue sur le visage, tu préfères lui faire confiance, et reprend la route, légèrement derrière lui. Les minutes passent, mais tu sens que le chemin qui se dessine devant vous n’est pas celui à suivre pour retrouver le guide. Tu te mordilles les lèvres, un peu plus soucieuse, avant de te décider à accélérer un peu, te mettre à sa hauteur. « T’es sûr du chemin qu’on prend ? » oses-tu demander au bout de quelques longues secondes à le regarder. T’es prête à parier que vous êtes en train de vous perdre, mais tu n’as pas envie de le froisser, ou pire encore, de créer une nouvelle dispute. Alors tu fais ce que tu peux pour garder un air amusé sur tes traits, un sourire sur tes lèvres. Il n’y aurait rien de trop grave, tant que vous restez sur des chemins tracés. Il ne faudrait juste pas que vous vous retrouviez à devoir passer la nuit dehors. Mais vu la chance dont vous arrivez à faire preuve depuis le début de ce séjour, t’as cette crainte qui se réveille au fond de toi, malgré tout.